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Interview   

Carpenter Brut voit la vie en rose


Petit à petit, Carpenter Brut fait son nid. Celui-ci prend d’ailleurs de plus en plus de place, si bien que lorsque Carpenter Brut décide de sortir un album sans vraiment crier gare, cela fait son petit effet. Après plusieurs apparitions dans divers festivals dont le Motocultor et bientôt le Hellfest et le Coachella, une trilogie plébiscitée et un live pour l’entériner, l’oeuvre de Frank B. Carpenter n’a plus vraiment quoi que ce soit de confidentiel.

Ceux qui ne dénigrent pas le crossover entre electro et philosophie metal au sein d’un univers sombre ancré dans les années 80 se sont rués sur Leather Teeth, le premier volet de la nouvelle trilogie de Carpenter Brut. Pourtant celui-ci ne reste pas dans sa zone de confort : une esthétique plus glam teintée de rose et de cuir, un personnage hommage à Bret Michaels et Rob Halford et des compositions moins sombres à la violence plus juvénile qu’auparavant. Frank B. Carpenter ne se soucie guère du qu’en dira-t-on. Ce qui importe, c’est le respect de l’histoire et de la spontanéité.

L’occasion de revenir avec lui sur un Leather Teeth surprenant voire déstabilisant, sur son rapport à la synthwave et au metal et son intérêt pour les « cases », l’engouement pour la culture des années 80 et son avenir en tant que Carpenter Brut. Et tout ça sans ambages.

« Je n’avais pas envie de m’emmerder dans de la promo, dans des trucs qui sont un petit peu anti-musicaux, au final. […] C’est un peu dommage parce que tu as l’impression que quand tu fais un album il faut plus réussir sa promo que l’album en lui-même. »

Radio Metal : Leather Teeth est sorti sans sommation. Seul un teaser très succinct, qui ne divulguait pas grand-chose, a été publié en amont. Pourquoi cet effet de surprise ?

Frank B. Carpenter : Personnellement, quand j’attends un album, je n’aime pas avoir trente mille teasers et que ça prenne des plombes, qu’on dise « ça sort dans quatre mois » et puis on t’envoie un titre… Je préférais tout sortir d’un coup, comme ça les gens pouvaient l’écouter dans son entièreté du premier coup. Ils n’avaient pas à attendre que je sorte un morceau… Et puis comme ils étaient tous un peu différents, je me suis dit : « Ok, alors lequel on va mettre en avant ? Lequel serait le plus intéressant ? » Et puis je me suis dit : « Ecoute, je sors tout d’un coup, pour le fun je préviens personne et on verra bien comment ça accroche. » Je n’avais pas envie de m’emmerder dans de la promo, dans des trucs qui sont un petit peu anti-musicaux, au final. Ce n’était pas forcément pour prendre les gens par surprise, c’est juste que je voulais le mettre à dispo en entier d’un coup.

Et finalement retrouver ce qu’on avait pu connaître dans les années 80-90, où il n’y avait pas tout ce battage sur internet ?

Je trouve que c’est un peu dommage parce que tu as l’impression que quand tu fais un album il faut plus réussir sa promo que l’album en lui-même. Du coup, faire des exclus dans des mags ou sur des sites, des trucs comme ça… Bof, moi ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse. Je n’ai pas envie de passer mon temps à savoir sur quel webzine ce serait plus intéressant de le sortir et puis en plus tu risques de faire [des jaloux], genre : « Ah bah tiens il aurait pu le faire chez nous, il le fait chez les autres. » Bon. Il y a aussi pas mal de susceptibilité, il ne faut pas froisser. Je n’ai pas envie de me foutre mal avec les gens, donc je fais dans mon coin. Ce n’est pas vraiment que je voulais recréer l’effet années 80, genre « l’album est dispo, vous pouvez l’écouter. » Parce que je pense qu’à l’époque quand même ils devaient déjà passer pas mal de titres à la radio un petit peu pour teaser. Moi, comme je ne passe pas en radio, le problème était réglé.

Je vois bien que ce n’est pas du tout ton état d’esprit mais aujourd’hui, pour certains groupes, sortir un album sans prévenir est devenu un argument marketing, à l’instar de ce qu’ont fait Avenged Sevenfold et Ghost.

Ouais, tu n’as pas tort mais en même temps, peu importe ce qu’on fait, ça pourra être perçu comme un argument marketing. Moi, dans les morceaux, il y en a qui disent que je mets du chant donc du coup c’est que j’ai envie de passer à la radio. Il y en a : « Ah bah ouais, il arrête de faire des trucs dark pour être plus commercial. » Je veux dire que tout ce que tu fais est maintenant épié et je trouve ça un peu fatigant aussi de devoir toujours se justifier un petit peu de ce qu’on fait en tant qu’artiste, alors que voilà, je fais la musique qui me plaît. Je peux comprendre qu’elle ne plaise pas aux autres mais… Tu vois, ça va loin des fois dans l’analyse des choses. Moi, j’ai vraiment sorti le truc comme ça… Ouais, ça me faisait marrer de casser le courant qui veut que tu teases un mois avant, régulièrement, etc. Tu vois, le Body Count, ils avaient sorti trois ou quatre morceaux avant de le sortir, j’étais là : « Les mecs, sortez le disque et puis on n’en parle plus quoi ! »

Trois ans se sont écoulés depuis le dernier EP. Et c’est principalement pendant ces trois ans que Carpenter Brut a vraiment décollé et pris de l’ampleur. Le contexte est donc différent de lorsque tu t’es attelé à la première trilogie, aujourd’hui il y a une vraie attente. Est-ce que ça a impacté d’une façon ou d’une autre la conception de Leather Teeth ? Peut-être un peu de pression ?

Oui, en fait la première pression que j’avais c’était de ne pas décevoir ceux qui aimaient bien ce que je faisais. Mais en même temps, je n’avais pas envie de faire forcément pour cet album là ce que je faisais avant aussi. Donc je savais forcément que ça allait diviser un petit peu les gens, qu’il y en a qui préféraient avant, il y en a qui préfèrent maintenant… Donc ça c’est une pression que tu peux avoir consciemment et à laquelle tu ne peux pas faire grand-chose. J’ai bossé dessus et j’y ai quand même mis un peu de tripes, et tu es toujours un peu déçu quand les gens n’aiment pas ce que tu leur proposes. Ça n’empêche pas qu’ils peuvent préférer ce que tu faisais avant et qu’ils continuent à venir te voir en concert et s’amuser. Donc tu as forcément un peu de pression. Après, en passant sur un univers un peu plus glam-rock – je pense qu’on en avait déjà parlé quand tu m’avais interviewé l’autre fois -, je me doutais bien que tout le monde ne suivrait pas. Ce n’est pas grave, il y a d’autres trucs à écouter.

Mais ouais, une pression t’en as toujours de toute façon. Celle que tu te mets, celle que tu te mets aussi pour les concerts, le show, parce que les gens maintenant s’attendent quand même à des trucs, à un certain degré de qualité, donc il ne faut pas redescendre tout le temps. Tous ces trucs-là font que des fois tu aimerais bien juste faire de la musique dans ton coin et puis faire ce qui te plait sans trop te prendre la tête. Mais ça va hein ! Je ne suis pas non plus Ghost ou Avenged-machin comme tu disais ou même Madonna, j’ai quand même une relative liberté de mouvement. Quand il y a des gens qui ne sont pas contents, c’est genre ils sont cinq cent. Donc cinq cent sur la planète, ça va, ça ne va pas changer grand-chose.

Ton but à l’origine était de passer désormais sur un format album. Finalement, Leather Teeth fait trente-deux minutes pour huit morceaux, on n’est donc pas si loin en termes de format des EPs précédents, c’est un peu un entre-deux. Est-ce que tu penses que ce format est finalement mieux adapté à ta musique ? Qu’il permet de ne pas se lasser avant la fin du disque ?

Disons que si je faisais le même morceau à chaque fois, la même ambiance, je pourrais peut-être effectivement dire « tiens, dans ce morceau-là je vais développer un truc et au lieu qu’il fasse trois minutes je vais en faire cinq », et puis comme ça tu arrives à gratter des minutes et les gens se disent « c’est cool l’album fait quarante minutes, c’est un vrai album, il y a dix morceaux et tout. » Mais du coup, moi de ce que j’avais à raconter, ça durait pas longtemps et puis il n’y avait que huit morceaux, parce que neuf je trouvais que ça faisait déséquilibré et dix morceaux, je ne les avais pas. Enfin, j’en avais mais je les trouvais moins intéressants. Donc j’ai préféré revenir à un format court à huit. Puis après, trente-deux minutes, du coup, c’est le temps que ça prend. J’avais écouté le dernier album de Bruno Mars, il y avait neuf morceaux, il durait trente-deux minutes aussi ou trente-trois, je ne sais plus. Même le dernier Grave Pleasures, il n’est pas beaucoup plus long : trente-huit minutes. Il y a dix morceaux, donc si tu enlèves deux morceaux ça fait trente-deux – une bonne tuerie aussi cet album !

« J’avais besoin de retourner à quelque chose de plus festif, de plus joyeux. […] Je trouve la société de plus en plus haineuse, violente, l’internet devient une usine à haine… Ça me saoulait à force. »

Je crois aussi que les gens n’ont plus vraiment le temps d’écouter des albums. Je ne sais pas si les gens prennent vraiment le temps d’écouter la musique maintenant et puis il y a beaucoup de groupes. J’ai l’impression que tu as une fenêtre de tir beaucoup moins large pour les happer rapidement. Je me disais qu’il y a forcément des gens qui ne seront pas contents parce que ça passe vite mais en même temps je trouve qu’il passe bien en boucle. Tu peux te l’écouter pendant une heure, c’est-à-dire deux fois, sans que ça soit… Je ne sais pas. Bon, de toute façon c’est comme ça, ce n’est vraiment pas trop calculé, c’était vraiment que je voulais un truc simple et efficace, et il s’est trouvé qu’au final, ça a donné ça.

Comptes-tu rester sur ce format huit titres ? La précédente trilogie n’était constituée que d’EPs de six titres.

Non. Je ne sais pas, si je fais neuf titres le prochain coup, ça sera comme ça. Mais c’est vraiment un album. Alors, je sais qu’il y en a certains qui ne captent pas le fait que ce soit une trilogie, mais c’est une trilogie en termes d’histoire. J’ai lu des commentaires, il y en a un qui disait : « Ouais, il sort une trilogie parce qu’il veut encore se faire du pognon, etc. » Il y a des gens qui sont mauvais ! Non, c’est une trilogie parce que j’ai écrit une histoire et je veux la faire en trois albums, et qu’au cinéma les meilleurs films c’est toujours les trilogies, et puis ça me faisait marrer ! Peut-être que le prochain album durera quarante minutes et qu’il y aura dix morceaux, je ne sais pas.

Le live sorti l’an dernier représentait la fin d’un cycle, c’était un genre de testament. Leather Teeth est le premier d’une nouvelle trilogie. Est-ce que tu vois ça comme un nouveau départ ?

Oui, un petit peu. Nous commençons à mettre des couleurs dans les concerts, le rose fait son apparition. En fait, le problème, c’est qu’il y a eu trois ans entre la fin de la trilogie et celui-là, et en trois ans il se passe tellement de trucs ! Je ne me voyais pas continuer un truc que j’avais fini il y a trois ans. Donc ouais, c’est un nouveau départ. Après, je reviendrai aussi à des trucs plus violents, par rapport à l’histoire aussi, ça se justifie, et ça sera peut-être encore plus violent que les trucs les plus violents que je faisais avant. Même si personnellement je n’ai jamais vraiment trouvé que c’était très violent. Ça sera peut-être encore plus dark, par rapport à l’histoire. Ce qui est nouveau, c’est que c’est une nouvelle trilogie. Après, je reste dans le cadre de Carpenter Brut. Ce n’est pas comme si je passais à un autre style musical.

D’un autre côté, sur Leather Teeth, tu rentres directement dans vif du sujet, contrairement au premier EP de la précédente trilogie. Finalement, on dirait presque que tu reprends là où « Invasion A.D. » s’était arrêté.

Ouais, ça c’est un truc que je fais tout le temps. Alors j’essaye hein, parce que des fois ça marche pas, mais j’essaie de commencer musicalement un peu dans le délire où je me suis arrêté sur l’album d’avant. Après, tu vas me dire entre « Le Perv » et « Division Ruine » il n’y a pas trop de rapport, donc je te dirais « oui, c’est vrai, tu as raison » [rires]. Mais oui, c’est une espèce de petit lien quand même. Je ne me réinvente pas non plus complètement, je n’ai pas inventé l’eau chaude, je fais avec les moyens que j’ai. De toute façon, il fallait commencer l’album avec un truc qui patate parce que les gens en avaient envie et j’en avais envie aussi. Mais il y a un petit magnéto qui rembobine après, à la fin du morceau, et ça veut dire qu’en gros, je le fais à l’envers. Je commence l’album en expliquant qui est Leather Teeth et après j’explique son cheminement. C’est pour ça aussi que l’album est plus soft, c’est parce que c’est encore un kid quand l’histoire commence. C’est un étudiant qui est amoureux, la violence ne pouvait pas être autre chose que celle d’un ado qui se prend un râteau.

Tu as mentionné le côté plus glam, mais tu as aussi déclaré que c’était un style dont, quand tu étais jeune, tu ne voulais en pas entendre parler. A quel moment as-tu reconsidéré ton opinion sur le glam ?

Il y a peu de temps, en fait. Il y a peut-être un an et demi, ça a commencé à me prendre. Ça m’a pris au moment des attentats du Bataclan. Je me suis dit : « Merde, il y a un souci entre la violence musicale et la vraie violence, » et le fait que la violence musicale est inférieure à la vraie violence ; c’est-à-dire que tu vas voir un concert de musique et tu te fais buter. Il y a un truc qui s’est cassé chez moi au niveau musical. Je me suis dit que je n’ai plus envie de cautionner la violence dans la musique parce que ça peut donner des cartouches à des… Tu vois ce que je veux dire ? Je n’arrive pas trop à expliquer, mais j’avais besoin de revenir à un truc plus sécuritaire et du coup, je me suis replongé dans le heavy metal des années 80. Enfin, celui que je n’écoutais pas parce que j’en écoutais quand même, et je me suis dit : « Putain les mecs à l’époque ils ne se prenaient pas la tête, il n’y avait pas de problèmes comme on a maintenant. »

Maintenant tu te dis que quand tu vas voir un concert, même les kids qui vont voir Ariana Grande, il y a des mecs qui se font sauter dans les métros et tout ça. Ouais, je crois que j’avais besoin de retourner à quelque chose de plus festif, de plus joyeux. Parce que des concerts, j’en fais aussi, et ça touche n’importe quel groupe. Evidemment, tu n’y penses pas tous les jours mais tu te dis : « Putain mec, je fais un concert, il y a des mecs qui vont venir faire sauter des gens à mon concert ! » C’est un peu compliqué en tant que musicien à se dire que d’une certaine manière, on peut être responsable aussi de ça. Je pense que les Eagles Of Death Metal, ça a dû les remuer quand même, « c’est à notre concert que c’est arrivé… » Et puis je trouve la société de plus en plus haineuse, violente, l’internet devient une usine à haine… Ça me saoulait à force. Au début je trouvais ça rigolo, et au bout d’un moment, je disais « ouais c’est bon, ça va, quoi. » Quand tu kiffes écouter des groupes violents parce que tu sais que ta vie ne l’est pas, ça va, mais quand tu commences à te rendre compte que ta vie est dans la violence, tu n’as plus envie forcément… Ça peut changer d’ici-là mais après… C’était mon état d’esprit à ce moment-là, c’est comme ça.

« C’est ça aussi qui est assez amusant, de voir qu’il y a des gens qui préfèrent ce qui a été fait il y a cinq ans et qui disent ‘ouais, mais euh c’est chiant, il a changé…’ Bah, oui [rires]. Mec, en cinq ans si toi tu n’as pas changé… »

Ce côté « fun », on le retrouve dans la pochette avec du rose, ça peut paraître anecdotique mais finalement c’est très différent de ce que tu as fait auparavant et davantage dans les codes de la synthwave…

Ouais, c’est pour ça aussi que j’ai fait un morceau qui s’appelle « Sunday Lunch ». On me parle de synthwave et tout ça mais moi je n’ai jamais fait vraiment de morceau de synthwave. Alors je me suis dit : « Tiens, je vais en faire un, je vais faire un morceau de synthwave. » Du coup il y a plein de gens qui pensaient qu’à la fin ça allait vriller dans un truc violent et non, en fait le morceau est juste cool. Ça, ça énerve des gens parce qu’ils veulent toujours une surenchère de violence et je me suis dit : « Non, je vais faire un morceau gentil, un morceau cool. » « Sunday Lunch » pour moi c’est mon morceau de synthwave. Je n’en referai pas d’autres mais je l’ai fait, et on l’aime ou on ne l’aime pas. On peut passer outre le fait qu’on ne s’y attendait pas forcément, enfin, qu’on n’avait pas envie d’entendre un morceau comme ça quand on découvre l’album. Il existe et il y en a qui l’aiment bien, donc ça va.

Mais finalement, avec son petit côté funky, ce morceau se rapproche un peu d’un « Disco Zombi Italia », donc ce n’est peut-être pas si choquant…

Je ne pense pas que le morceau soit choquant. Je pense qu’il y a des gens qui restent sur leur faim, qui s’attendaient à un final grandiose ou j’en sais rien, comme j’ai pu faire sur « Hang’Em All » ou « Le Perv ». Je me suis posé la question aussi, de faire un truc comme ça qui casse un petit peu. Et je me suis dit : « Non, on va faire criser un peu les gens. »

Je sais que tu as été très déçu du dernier album de Justice, Woman, qui était un peu dans cet esprit disco/funky. Est-ce que ce ne serait pas aussi un pied-de-nez à Justice en faisant quelque chose qu’ils ont essayé de faire sur Woman mais à ta manière, comme tu l’aurais entendu ?

Alors, honnêtement non, pas du tout. J’étais hyper-déçu de Justice parce que je voulais vraiment prendre une branlée. Peut-être de la même façon que des gens sont déçus de Leather Teeth parce qu’ils voulaient se prendre une branlée aussi. Non, je n’ai pas fait ça du tout en pensant à Justice. Comme je t’ai dit, je me suis fait un petit kiff morceau synthwave qui correspond à l’histoire. Mais je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il y a des gens qui ne captent pas la « vanne ». J’aime bien me lancer dans celui-là aussi parce qu’il est apaisant, ça ré-accélère après à la fin de l’album. Là, par contre, où j’étais emmerdé c’est que sur le format de huit morceaux il arrivait forcément un peu trop tôt. Si j’en avais eu neuf il aurait été pile poil au milieu de l’album et ça aurait été mieux équilibré. Là, c’est vrai que le début de l’album n’est pas très équilibré. Je ne voyais pas ce que je pouvais mettre d’autre comme morceau à ce moment-là.

Ce qu’on remarque surtout c’est que l’album est extrêmement varié au niveau des registres, en particulier la première moitié…

Je ne me voyais pas… Sur Trilogy les morceaux étaient différents mais c’était quand même un petit peu le même délire. Là je me suis dit : « Sur celui-là je vais quand même essayer de raconter une histoire » et dans un film, les scènes ne sont pas toutes les mêmes. Je ne me voyais pas faire une musique qui fatalement était la même. C’est comme si dans un film tu avais dix scènes et toujours le même dialogue et les deux mêmes acteurs, et c’est toujours au même endroit. Ça n’existe pas. J’ai tenté de faire une B.O. la plus variée possible, qui corresponde aux plusieurs états de Bret Halford, même si au final la colère prend le dessus sur la fin.

Toujours au sujet de « Synday Lunch », tu dis que les gens s’attendaient à ce que ça « explose » à la fin. Sur le morceau ce n’est pas le cas mais finalement, il y a un duo entre ce morceau et le suivant, « Monday Hunt », qui joue le rôle d’ « explosion », qui est beaucoup plus sombre et plus violent…

Oui, de toute façon je me suis dit : « Ça ne sert à rien que je fasse exploser « Sunday », je vais le garder chill comme ça et derrière je ferai un morceau qui avoine. » Le personnage de Bret Halford commence à péter un câble. C’est pour ça qu’il y a des gens qui diraient « en fait il aurait pu ne faire qu’un morceau. » Après, ça ne faisait que sept morceaux, du coup ce n’était plus un album [petits rires].

« Monday Hunt » a une ligne de synthé qui fait peut franchement faire penser à celle de « Mourning Palace » de Dimmu Borgir, les distorsions de synthé frisent parfois celle des guitares dans le sludge, la basse claque comme dans le metal, on retrouve un solo à la Maiden… En fait ce morceau, c’est ton hommage électro au metal ?

[Rires] Disons que celui-là, quand je l’ai fait, j’ai pensé un petit peu à un morceau des Doobie Brothers, « I Cheat The Hangman ». Je savais que je voulais faire un morceau progressif avec pleins de trucs différents, plein de parties, etc. Ouais, c’est peut-être une espèce de petit hommage au metal progressif qui me fait marrer, même si là c’est sur trois minutes et pas vingt. Après, j’ai Garm (Kristoffer Rygg, NDLR) d’Ulver qui me disait que ça lui faisait penser à un morceau d’Arcturus. Je lui ai dit : « Bah, non, je suis vraiment parti du morceau des Doobie Brothers et puis après j’ai fait mon délire. » Je dirais qu’il y a des suites d’accords à la Opeth, par exemple. Chacun y voit un petit peu midi à sa porte mais ouais, le délire de base c’était quand même de faire un morceau très heavy prog, mais sur trois minutes parce que je ne suis pas Yngwie Malmsteen [rires].

Justement, la guitare prend une place presque prépondérante dans Leather Teeth par rapport à tes anciens morceaux. Ton guitariste a l’air de s’être éclaté. Quelle a été son implication au juste ?

Il m’a aidé à composer « Beware The Beast ». Comme je voulais faire un morceau glam, il me fallait un départ de guitare, un riff qui était fait à la guitare et pas au synthé. Il m’a amené des riffs et nous avons monté le morceau comme ça. Sinon, j’ai composé tout le reste et je lui ai juste dit « viens faire de la guitare et des solos. » Pour lui c’était un peu les vacances, il s’est bien amusé à faire des petits trucs. Mais, en fait, la guitare n’est pas tant mixée que ça dans l’album, c’est un effet subliminal parce que même quand nous faisions les répets, il me disait « putain mais je n’arrive plus à me souvenir de ce que j’ai joué et je n’arrive pas à entendre sur le disque » [rires]. Les gens trouvent qu’il y a trop de guitare mais en fait non. Le mixage est fait de telle manière que tu peux avoir l’impression qu’il y a beaucoup de guitare mais en fait non, il y a toujours autant de synthé qu’avant. C’est juste qu’il y a des solos de guitare, donc dans la tête des gens quand ça fait « grrrrgrrgrrgrrr » ils pensent que c’est la gratte. Mais il a joué les rythmiques quand même.

« Tu kiffes ou tu ne kiffes pas, mais si tu ne kiffes pas parce que tu penses que c’est opportuniste, bah t’es qu’un clown ! À la limite, que tu ne kiffes pas parce que ça ne te plait pas, que t’en as rien à foutre, d’accord. Mais les gens qui s’empêchent d’aimer les trucs parce qu’ils voient que ça buzz et qu’il y a beaucoup de gens qui aiment, ceux-là sont juste insupportables. »

Est-ce que ça a été bénéfique de faire du live ensemble avant de faire du studio ?

Oui, surtout que cet album-là a aussi été réfléchi pour le live. Si j’étais resté chez moi et que je ne m’étais pas pris la tête, je pense que l’album aurait été peut-être plus électro. Mais comme on a fait des concerts et puis que de temps en temps je me disais « ah ce serait pas mal quand même d’avoir un bon vieux truc rock à jouer », donc l’expérience du live a forcément joué. Et puis je n’allais pas chercher un gratteux bien loin, j’en avais un excellent à ma disposition.

La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous disais qu’ « à priori, peut-être qu’il y aura un morceau qui va être joué par le batteur en studio mais sinon, [tu] restes sur ce ‘poum-tchak’ assez caractéristique du style. » Du coup, est-ce que ton batteur a été impliqué d’une manière ou d’une autre dans cet album ?

Il joue sur « Monday Hunt ». Il a essayé de mélanger un peu son jeu à lui et quand même un truc qui puisse repasser en live avec un « poum-tchak » électronique. Mais je voulais quand même un truc qui drive un peu à la ride, parce que ça à programmer, ce n’est quand même pas cool. Comme je voulais un truc progressif et plus heavy, je voulais quand même qu’il y ait un vrai batteur qui les jouait, quitte à ce qu’on ait l’impression… Enfin, la batterie ne sonne pas comme sur les autres morceaux.

Tu présentes Leather Teeth comme la B.O. d’un film imaginaire sorti en 1987. Est-ce que ça veut dire que tu as imaginé le film d’abord pour ensuite construire les chansons sur ce que ça t’inspirait ou bien ce sont les chansons que tu as composées qui t’ont fait imaginer ce film ?

De base j’avais un semblant d’histoire. Donc je savais à peu près vers quoi je voulais aller, mais je ne savais pas quelle allait être la tête des morceaux. J’avais des lignes : « Là il va commencer à s’énerver, là il est amoureux de la fille, là il devient le Leather Teeth. » J’avais commencé à faire quelques morceaux que j’ai complètement rechangés depuis. En fait, l’album je l’ai fait en quatre mois, au final. Je l’ai commencé en septembre et je l’ai fini fin décembre. Donc il a été fait un peu dans une relative urgence. Je n’ai pas gardé grand-chose de ce que j’avais, mis à part « Cheerleader Effect », tout le reste je l’ai composé dans les quatre mois. L’histoire était là avant la composition de l’album quand même et après, tu affines l’histoire en fonction des morceaux, tu rentres dans le détail : « Ce morceau-là sera bien pour telle phase du film. »

Est-ce que tu penses que quelque part, cette relative urgence dans laquelle il a été conçu a influencé l’album ?

Écoute, nous avions la deadline de l’Olympia qui était booké depuis longtemps, donc il fallait absolument que j’ai un truc nouveau à proposer pour cette date-là. Donc il y a eu tout le stress des tournées, etc. J’étais dans un état assez particulier pour le composer. Alors, je ne pourrais pas te dire que si j’avais mis huit mois… En bossant tous les jours, parce que je te dis quatre mois, c’est qu’à partir de quatre mois c’était tous les jours dessus. Donc je l’ai fait sans vraiment beaucoup de recul. C’est aussi pour ça qu’il est plus direct et moins alambiqué. Le prochain, normalement, je devrais avoir plus de temps pour le faire, je pense. Je sais déjà que je vais prendre plus le temps de créer des sons exprès pour l’album, et en plus ça se justifie par le fait que dans le deuxième album il va devenir serial-killer. Donc il va devenir une rock-star et en étant rock-star il va pouvoir se taper des groupies et les tuer pour se venger de Kendra. Donc ce sera beaucoup plus horrifique et beaucoup plus malsain. Là, je sais que je vais prendre plus de temps, ça va être beaucoup plus compliqué. Je ne sais pas si l’album sera aussi varié que celui-là. Mais ça c’est un truc qui était déjà décidé depuis que j’ai commencé à penser à la trilogie. Je ne reviens pas sur un truc violent parce que ça n’a pas plu à tout le monde, ça je m’en fous, ce n’est pas le truc. C’est vraiment lié à l’histoire.

Celui-là a une espèce d’immédiateté et de sincérité parce qu’il est beaucoup moins réfléchi que ce que j’ai pu faire jusqu’à présent sur les autres EP, où j’avais un an à chaque fois, je ne tournais pas aussi. Donc j’avais le temps de faire des albums, et puis je ne faisais que six morceaux. J’avais un an pour faire six morceaux alors que là j’ai eu quatre mois pour en faire huit. Ce n’est pas le même délire, et ça donne autre chose. Mais j’en suis content de cet album. Les morceaux, je trouve que c’est ceux qui sont, bizarrement, les plus aboutis en termes de composition, de structure, d’efficacité. Quand on les joue d’ailleurs en concert, quand on passe de « Hairspray Hurricane » à « Sexkiller On The Loose », « Sexkiller On The Loose » prend un vieux coup dans la gueule ! Il a quatre ans, cinq ans, je ne sais pas. « Le Perv », c’est un morceau qui doit avoir même six ans maintenant. Après, il avait une fin épique, donc ça vieillit mieux. Mais « Sexkiller » doit avoir peut-être cinq ans. Cinq ans t’imagines bien que… On change tous quoi. C’est ça aussi qui est assez amusant, de voir qu’il y a des gens qui préfèrent ce qui a été fait il y a cinq ans et qui disent « ouais, mais euh c’est chiant, il a changé… » Bah, oui [rires]. Mec, en cinq ans si toi tu n’as pas changé…

Ton film imaginaire est censé être sorti en 1987, pourquoi cette année-là ? Qu’est-ce qu’elle symbolise pour toi ?

Rien de particulier. C’est que je ne voulais pas mettre 1988 parce qu’il y a toujours des néo-nazis qui trainent dans le coin et qui vont penser que je rends hommage. Déjà le vinyle sort le 20 avril, c’est la date de la naissance d’Hitler [rires], donc il y en a forcément qui vont dire que je lui rends hommage. Et puis 1987, je trouve que ça sonne bien à l’oreille, je ne sais pas. Quand nous avions fait notre tournée américaine en 2017, nous avions fait un t-shirt North-American Tour 1987. Et je me suis dit : « Tu sais quoi ? Tout ce que je vais faire avec Carpenter Brut, ça va se passer en 1987. » Je suis resté sur cette date-là, je trouvais que c’était cool.

Dans tout ce qui touche au hard rock, l’année 1987 a un côté un peu emblématique parce qu’il y a beaucoup d’albums un peu classiques qui sont sortis cette année-là.

Je regarde en même temps que tu me le dis, effectivement il y a peut-être un pur Maiden. Tiens regarde, « le top 50 heavy metal hard rock release » de 1987. On va regarder ce qu’il y a de beau. Déjà il y a Guns ‘n’ Roses non ? Appetite For Destruction. Among The Living d’Anthrax qui est surement mon préféré. Il y a Testament, The Legacy. Def Leppard, Hysteria.

« Ce n’est pas parce qu’on a Facebook qu’on est obligés d’ouvrir notre gueule en permanence. »

En parlant de glam, Il y a aussi l’album sans titre de Whitesnake.

C’est ça ouais. Qui est bien en plus ! Il y en a plein… Il y a Helloween. Ozzy Osbourne, le live Tribute avec Randy Rhoads. Joe Satriani, Surfing With The Alien. Death, Scream Bloody Gore. Ouais, quand même ! Tu as raison. Je n’avais même pas été voir ce qu’il y avait de beau. Il y a du Voivod, du Kreator… Putain, ça ne nous rajeunit quand même pas beaucoup ! Un Rush… Ah bah tiens, Suicidal Tendancies, Join The Army. Mais pas de Maiden cette année-là, c’est marrant.

Le synopsis de ce film imaginaire, c’est un peu un patchwork d’éléments typiques des films des années 80. Est-ce qu’il y a des films en particulier que tu avais en tête ?

Non, alors figure toi que… Bon, après, l’histoire est tellement banale que je pense qu’il y a dix mille films qui ressemblent à ça. Du moins le postulat de départ. J’avais juste regardé un film sur Youtube qui était « Cheerleader Camp », je crois, un film d’horreur. Qui était nul évidemment. Mais non, je n’avais pas de film précis en tête. Et je tiens à préciser que ce n’est pas autobiographique non plus !

Il y a une série aujourd’hui qui a ce côté un peu patchwork des années 80, il s’agit de Stranger Things. Beaucoup lui ont reproché ce qui justement a fait son succès : sa fibre nostalgique et tous ses clins d’œil. C’est-à-dire qu’ils auraient voulu surfer sur les années 80 mais occultant l’originalité et le côté novateur qui ont fait que ces films ont marqué leur époque. Qu’est-ce que tu en penses ?

Déjà les gens, faudrait qu’ils arrêtent de chercher des trucs novateurs partout. Il y a un moment, il va peut-être falloir qu’ils s’y mettent eux s’ils veulent être novateurs. C’est ce que je t’expliquais tout à l’heure : j’ai l’impression que quoi que tu fasses, de toute façon, soit ça va être pris comme un coup de comm’, soit ça va être pris comme… Tu vois ce que je veux dire ? Moi, Stranger Things, j’ai regardé, j’ai kiffé, point barre. Ce n’est qu’une série. Au bout d’un moment, je pense que les gens ont une vie assez médiocre pour lancer des grands débats sur « est-ce que Stranger Things est une série opportuniste ou pas ? » Tu kiffes ou tu ne kiffes pas, mais si tu ne kiffes pas parce que tu penses que c’est opportuniste, bah t’es qu’un clown ! À la limite, que tu ne kiffes pas parce que ça ne te plait pas, que t’en as rien à foutre, d’accord. Mais les gens qui s’empêchent d’aimer les trucs parce qu’ils voient que ça buzz et qu’il y a beaucoup de gens qui aiment, ceux-là sont juste insupportables.

On me dit « ouais, ça surfe sur les années 80 » mais bon, moi je fais Carpenter Brut depuis 2012, on est en 2018. On va me faire chier longtemps parce que je surfe sur les années 80 ? Perturbator, qui était là encore un an avant moi, on va le faire chier aussi longtemps parce qu’il surfe sur les années 80 ? Et Kavinsky qui était là en 2006 ? Je veux dire, les mecs, il y a des courants musicaux depuis le début, est-ce qu’on fait chier les mecs quand ils font du rock 70 ? Genre les Electric Wizards ou les machins comme ça, quand ça sonne un peu plus old school, est qu’on dit « ouais ils surfent sur les années 70 » ? Tout le monde surfe sur quelque chose. Donc au bout d’un moment, pour moi, ce n’est plus un argument. Le seul argument valable en musique c’est « j’aime », « j’aime pas ». C’est tout. Après, on peut toujours être en train de défoncer les portes ouvertes. Je ne sais pas, je trouve ça dommage que les gens puissent pas kiffer les trucs… On n’est pas tous obligés de dire aussi quand on n’aime pas. Ce n’est pas parce qu’on a Facebook qu’on est obligés d’ouvrir notre gueule en permanence. Je dis ça parce que c’est surtout sur les réseaux sociaux que les gens viennent parler.

D’un autre côté, tu cites Pertubator, qu’on avait interviewé en fin d’année dernière, et il nous disait qu’avec son dernier EP il avait cherché un peu à se débarrasser des gimmicks années 80 qui commençaient à saturer un peu en musique, dans les films, etc.

Je ne lui en ai jamais parlé mais peut-être qu’il en a eu marre aussi de se faire déposséder de ses codes-là par des mecs qui déboulent, puis qui font « pip-pip-pip-pip-pip-pip », c’est nul, tu vois ? Les mecs qui sont arrivés en disant « ouais salut, moi aussi je fais de la synthwave » et tout. Il a surement été dégoûté par ça et comme il écoute plein de musiques différentes, il a aussi voulu un peu casser le truc en leur disant « tiens vous kiffiez ce que je fais ? Bah voilà, prends ça dans la gueule ! » Quelque part, il a aussi fait son boulot d’artiste, c’est à dire « ça c’est fait, maintenant je passe à autre chose. » Je lui avais dit : « Mon prochain album il sera plus 80 encore, et plus violent. » Je ne sais pas s’il est plus violent, mais en tout cas il est plus 80.

Il y a très longtemps dans une interview j’avais dit « de toute façon quand le côté synthwave et le côté années 80 va vraiment décoller tu vas le retrouver partout. » Ça n’a pas loupé, Thor, le deuxième film, la bande annonce était hyper années 80, ils avaient repris un morceau de Magic Sword qui est un groupe de synthwave américain. Je disais que quand les mecs commenceront à faire ça, les gens en auront marre. Mais moi, je m’en fous, tant que moi je n’en ai pas marre. Je ne vois pas pourquoi j’arrêterais de le faire parce qu’il y en a d’autres qui en ont marre. En plus, tu regardes toutes mes pochettes, à part la dernière, elles n’ont jamais fait référence à la synthwave. Une église, une voiture de flics et Los Angeles avec une croix renversée. Je n’ai jamais vraiment eu le sentiment d’utiliser les codes de la synthwave. Après, « Turbokiller » on ne peut pas dire que ce soit un clip synthwave. Regarde le dernier Muse : le dernier clip de Muse c’est un clip synthwave, ça fait référence à Kung Fury, tout ça. « Turbokiller » pour moi c’est un clip de science-fiction. Après, il y a du rose, il y a du violet… Mais non, on m’a foutu dans la synthwave parce qu’il faut bien me foutre quelque part, parce que je ne fais pas du metal. Les codes pour l’instant ça va. Après, si je trouve que c’est bien fait, si moi ça ne m’écorche pas la gueule… Quand j’avais fait le t-shirt avec la voiture, avec la Ferrari et le palmier, les gens ont dit « ouais, tu deviens synthwave » mais ils n’avaient pas fait gaffe qu’il y avait un pendu dans le palmier !

« Pendant qu[e Garm] chantait dans Arcturus ou Ulver, j’avais le même âge que lui et je n’en branlais pas une [petits rires]. J’étais là : ‘Putain ce mec déjà à vingt ans il envoyait le boulet.’ J’ai vachement de respect pour ces gens-là, qui font leurs trucs et qui s’en foutent de ce que les gens pensent. »

Je crois que la principale problématique dans notre société ce sont les gens. C’est-à-dire que tu as toujours besoin de te justifier. En plus, là je t’en parle parce que c’est à chaud, parce que l’album sort donc je vois passer pas mal de commentaires. Il y a des commentaires du genre « ouais bon moi j’aime pas », ils n’aiment pas, il y a pas de soucis. Quand les mecs commencent à être un peu plus vindicatifs, en disant « ouais, c’est un vendu, les mecs c’est des connards et tout. » J’ai envie de dire « les mecs, détendez-vous ! » Nous n’avons jamais fait de mal à personne. Mais sinon, autrement, la critique ne me dérange pas. Donc si on me dit « ah il utilise les codes de la synthwave », écoute, ouais, voilà. Tu vas appeler les flics ?

Pour en revenir à l’album, le personnage de l’histoire se nomme Bret Halford, mélange de Bret Michaels de Poison et Rob Halford de Judas Priest. Qu’est-ce que ces deux chanteurs représentent pour toi ?

Ce qu’il y a de pire et ce qu’il y a de mieux. Enfin, ce qu’il y a de pire… C’est que Poison à l’époque je détestais ça et c’était quand même le beau gosse par excellence, Bret Michaels, avec sa Ferrari. Et puis Judas Priest, c’était les clous, c’était la moto, c’était le cuir, c’était les fouets, c’était le côté un peu plus violent de l’amour quoi. Du coup, c’était un peu comme Marilyn et Manson, Marilyn Manson, je me suis dit « tiens je vais me faire un personnage de lover, avec un personnage un peu plus violent dans les années 80. » J’adore Judas Priest aussi, j’adore comment l’autre il chante, c’est une imagerie qui me fait marrer, donc je me suis dit « tiens je vais mélanger ces deux personnages. »

Tu as deux morceaux avec du chant : « Cheerleader Effect » et « Beware The Beast ». Vu que c’est censé être la B.O. d’un film, c’était important d’avoir un peu plus de chant, pour mieux matérialiser l’histoire ?

Oui, c’est qu’il y a un moment, si tu ne dis pas aux gens que c’est une musique de film et que tu ne mets pas d’éléments pour raconter une histoire, c’est vrai que sans les paroles c’est quand même un peu chaud. Je t’avais déjà dit je crois pendant l’autre interview que moi, de toute façon, j’adore les morceaux avec du chant, j’adore Depeche Mode et qu’il y allait y avoir du chant dans cet album-là. Parce que tu peux raconter plein de trucs avec du chant et j’avais envie de faire des morceaux simples, comme un bon vieux Depeche Mode qui ont un chanteur qui tue et qui arrive avec des riffs très simples à faire des morceaux qui déglinguent. Il n’y a pas besoin de faire compliqué pour faire bien. J’avais envie de faire ça.

Ça a été un peu compliqué pour « Cheerleader Effect », parce que nous avions essayé avec Yann de Klone. Yann chante hyper-bien mais il n’avait pas le petit truc que je cherchais. J’avais déjà contacté Garm il y a un an et demi, je pense, et je me suis dit « bon bah tiens ça peut être l’occas’ de voir sur ce morceau-là ce qu’il ferait. » Nous avons gardé les paroles de Yann et puis j’ai envoyé la musique et les paroles à Garm, et le mec a dit « ah ouais, bah carrément, ouais ça me plait bien » puis voilà. Ça s’est fait comme ça. Et Matt [McNerney], je le connais depuis Beastmilk, donc le groupe qu’il avait avant Grave Pleasures, et nous avons essayé pas mal de fois sur des morceaux, de faire des tentatives, et ça ne marchait jamais. A un moment, je lui ai dit « tiens écoute, essaie sur celui-là » et puis voilà, ça a donné « Beware The Beast ». Donc ça s’est fait comme ça.

Ce sont des gens qui en plus ont sorti deux albums qui déglinguent cette année, donc ça tombait plutôt bien. Mais ce sont quand même des gens que je côtoie depuis longtemps. Parce qu’il y a forcément des mecs qui vont dire « ah bah voilà ils sortent un bon album alors l’autre… » comme si en un mois tu avais le temps de faire tout ça. Ulver, je suis ultra-fan, Beastmilk et Grave Pleasures, j’adore, donc en plus ça me fait hyper-plaisir. Et ce sont des mecs vraiment hyper-cools. Ce n’est pas impossible que juste par plaisir je rebosse avec Matt ou Garm, va savoir sur quoi, je n’en sais rien, comme ça s’est très bien passé, même si ça c’est fait par mails et tout. Et puis, pour la petite anecdote, « Beware The Beast », le chant a été enregistré par le mec qui a enregistré le premier Ghost. Donc c’était cool.

Tu parlais de leurs derniers albums respectifs, et il se trouve qu’ils ont tous les deux la particularité d’être très inspirées par les années 80. Du coup, il y a une vraie fibre commune.

De toute façon, nous avons à peu près tous le même âge. Garm il doit avoir un an de plus que moi, je crois, et Matt il doit avoir un an de moins. Du coup, nous avons grandi en écoutant les mêmes trucs grosso modo. J’étais assez étonné qu’Ulver fasse un album comme ça, je t’avouerais, mais j’étais quand même super content qu’il l’ait fait parce que je l’écoute vraiment souvent et je le trouve vraiment génial. Beastmilk, à l’époque je l’ai usé jusqu’à la moelle ce disque parce qu’il n’y a que des tubes, il est vraiment mortel. Donc ouais, on a forcément les mêmes références à des moments. Après, j’ai pris contact avec Chino Moreno aussi, de Deftones, et nous n’avons pas eu le temps sur celui-là mais ce n’est pas impossible que sur le prochain il puisse rentrer dans la bande, sur un titre, parce qu’il aimait bien le morceau que je lui avais proposé mais j’étais trop court en timing pour qu’il ait le temps de s’enregistrer derrière. Ou alors il m’a dit ça de manière polie pour que je lui foute la paix [rires] mais je ne crois pas. Je ne crois pas parce que je me suis rendu compte qu’il m’avait acheté un EP en 2013. Donc tu vois, il connaît depuis 2013 au moins. Donc ouais, il y aura encore du chant et c’est comme ça.

Chino Moreno a aussi fait des choses un peu électro, avec Crosses…

Ouais, et ce qu’il fait c’est cool en plus. C’est vraiment cool. Et puis c’est un petit peu un rêve de gosse aussi quelque part. Grave Pleasures, c’est plus récent, mais avoir le mec d’Ulver quand même… Je me souviens du morceau qu’il chantait avec la chanteuse de The Gathering, tu vois, ce sont des trucs tu te dis « putain », parce que t’imagines un jour faire une chanson où il va chanter dessus ! Je me suis même rendu compte que pendant qu’il chantait dans Arcturus ou Ulver, j’avais le même âge que lui et je n’en branlais pas une [petits rires]. J’étais là : « Putain ce mec déjà à vingt ans il envoyait le boulet. » J’ai vachement de respect pour ces gens-là, qui font leurs trucs et qui s’en foutent de ce que les gens pensent. Je trouve que c’est bien.

« Etre signé sur un label, ce n’est pas que devoir de l’argent au label, c’est aussi avoir les capacités de passer dans la cour des grands. Je n’ai pas envie de ça. Je n’ai pas envie de passer dans la cour des grands, ce n’est pas une ambition de carrière. »

Ce qui est « surprenant » – tu en as déjà un petit peu parlé car tu as dit qu’il devait chanter sur « Cheerleader Effect » à l’origine – c’était de ne pas l’entendre Yann au final. La dernière fois tu avais évoqué que maintenant que tu l’avais, tu ne voulais plus le lâcher.

Ouais. Écoute, oui, mais sauf qu’après la réalité a fait que je n’allais pas mettre sur le disque quelque chose dont je n’étais pas satisfait. Par rapport à la tonalité et tout… Pourtant, il a fait tourner le truc, il n’a pas été fainéant, il a proposé plein de choses mais ça ne marchait pas. Ça reste un pur chanteur mais sur le morceau « Cheerleader Effect », il n’y avait pas le truc que je cherchais. Par contre, je pense que je rebosserais quand même avec lui parce qu’il a bien kiffé l’expérience d’écrire les paroles pour quelqu’un d’autre. Au final, il s’est trouvé que les paroles étaient pour quelqu’un d’autre. Il s’est dit « ah putain, c’est peut-être un truc qu’il faudrait que je refasse. » Sur un truc malheureux on finit par quelque chose d’heureux.

La dernière fois tu nous expliquais que tu avais un deal de distribution avec Caroline mais que tu refusais de signer sur le label parce que tu ne veux pas te retrouver les mains liées et obligé de les satisfaire simplement parce qu’ils ont investi de l’argent. Depuis, on en a parlé avec Steven Wilson, qui a signé chez Caroline. Il nous a expliqué qu’il n’aurait lui-même pas signé sur un tel label comme tu le décrivais mais que Caroline est un « label-services label », ce qui veut dire que vous leur apportez le produit fini et ils n’ont pas leur mot à dire quant à la direction musicale. Du coup, as-tu évolué dans ta vision de ce label ?

Ah mais attention, moi à l’époque, je n’avais pas plus de problème avec Caroline qu’avec n’importe quel label. C’est juste que, par défaut, je ne voulais pas être signé nulle part. Par contre, Caroline, je dois admettre – enfin, « je dois admettre », je le voyais déjà à l’époque – que ce sont des gens qui font un très gros boulot, qui en plus aiment bien ce que je fais et du coup, ils sont vraiment aux petits soins avec moi. C’est-à-dire à dire qu’après, on passe quand même dans une catégorie de label… Enfin, on va dire « label » pour que ce soit plus clair, mais c’est quand même une catégorie de label au-dessus. C’est-à-dire que les mecs ont déjà du monde, ils s’occupent de Nine Inch Nails, Ghost, Steven Wilson, Marilyn Manson, Tame Impala… Moi, je me retrouve là-dedans « ouais oulà, calmez-vous les mecs » [rires]. Il y a un moment aussi, être signé sur un label, ce n’est pas que devoir de l’argent au label, c’est aussi avoir les capacités de passer dans la cour des grands. Je n’ai pas envie de ça.

Je n’ai pas envie de passer dans la cour des grands, ce n’est pas une ambition de carrière. Caroline nous proposent plein de trucs, plein d’idées : « On pourrait faire ci, on pourrait faire ça » et puis moi, je dis non parce que ça ne me correspond pas. Mais dans leur manière d’approche du boulot, ils sont capables d’avoir tout. C’est vrai que quelque part c’est quand même assez confort de bosser avec ces gens-là. C’est quand même une force de frappe assez grosse. Mais ce n’est pas pour ça que je vais l’utiliser pour passer chez Quotidien. Même si potentiellement ils pourraient les rencarder et que peut-être que Quotidien ça pourrait leur plaire, mais ce n’est pas un truc dont j’ai envie. Donc l’équilibre est assez cool au final avec eux parce qu’ils sont très bons sur la gestion fabrication, distribution, etc. parce que c’est leur créneau. Ils sont de bon conseil aussi, parce que quand j’avais besoin de conseils pour l’album, Thomas a été dispo pour me dire ce qu’il en pensait. Je suis quand même content d’être avec eux parce que je suis libre de faire ce que je veux et je suis bien content de les trouver quand j’ai besoin de conseils un peu plus professionnels.

Donc tu n’ambitionnes pas du tout d’essayer d’aller un peu plus loin ?

Ça se fera si ça se fera. Tu vois, si l’album Leather Teeth me permet de… Enfin, non, pas « me permet », mais me pousse encore plus loin, plus haut que là où je suis maintenant, nous prendrons les choses comme elles arrivent et puis on verra bien. Mais disons qu’il y a des gens qui font de la musique dans un seul but, celui d’être connu. Si je voulais être connu je n’aurais peut-être pas fait cette musique-là, j’aurais peut-être fait des photos de promo, j’aurais peut-être fait plus d’interviews… Après, le projet grossit malgré nous, nous allons jouer à Coachella, par exemple. Nous jouons au Hellfest cette année, nous allons faire des festivals assez pas mal. Le groupe prend de l’ampleur. Les cachets prennent de l’ampleur. Les gens qui écoutent sont de plus en plus nombreux. Je ne vais pas aller à l’encontre de ça, ce serait complètement débile. Je pense que Caroline sera le distributeur parfait, il aura les épaules assez solides pour me soutenir si jamais je grossissais plus.

Pour finir, où en est le projet Blood Machines ?

Je crois qu’ils ont posté un truc il n’y a pas très longtemps, ils ont fini le tournage, ils vont rentrer dans la phase d’effets spéciaux. J’ai vu le film sans les effets spéciaux. Je vois tout ce qu’il y a comme effets spéciaux à faire et je pense que visuellement ça va être du costaud. Je devrais intervenir un peu plus tard dans l’année pour faire la B.O.. Si tout se passe bien, si je ne les retarde pas parce que je vais tourner jusqu’à décembre, ça devrait sortir à la fin de l’année. Ce sera musicalement plus électro, plus science-fiction, etc.. Ça n’aura rien à voir avec Leather Teeth, même si tu pourras reconnaître la touche et tout mais ça sera un peu plus électro, il n’y aura surement pas de guitare et ça sera très « machine ». Par rapport à l’histoire ça se justifiera. Ça sera peut-être vraiment une « vraie » B.O. pour le coup, avec des scènes d’une minute et des musiques d’une minute, il n’y aura pas forcément de morceaux dedans. Donc je ne sais pas comment nous allons bricoler le bordel encore, mais c’est assez excitant comme projet, le seul espoir que j’ai pour le moment c’est d’avoir assez de temps pour le faire bien. Parce que là, nous sommes partis sur une centaine de concerts cette année, donc c’est le seul truc qui m’inquiète un peu. J’espère que je pourrais rendre justice à leur film avec ma musique. Que je ne leur fasse pas une crotte un peu inutilisable.

Interview réalisée par téléphone le 1er mars 2018 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & introduction : Thibaud Bétencourt.

Page Facebook officielle de Carpenter Brut : www.facebook.com/carpenter.brut.

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