On avait laissé Cattle Decapitation il y a trois ans sur le constat irrémédiable de point de non retour dans le développement durable pour épargner la planète d’une mort annoncée avec l’album Monolith Of Inhumanity. Un album dans lequel l’espèce humaine, noyée sous le poids de ses propres déchets ne pouvait se défaire de la problématique de l’épuisement des ressources naturelles pour se nourrir, et qui face à la ruine définitive de l’écosystème, se voyait revenir à ses instincts les plus primitifs quitte à basculer dans le cannibalisme. The Anthropocene Extinction en est la suite logique où cette fois l’Homme ne parvient même plus à se nourrir de ses pairs et s’éteint de lui-même, étouffé par l’amoncellement des ordures, et en premier lieu des matières plastiques, que le saisissant artwork signé à nouveau de Wes Benscoter fait régurgiter allègrement des carcasses en putréfaction. Un mal qui frappe déjà à l’heure actuelle la faune et la flore marines dans certaines parties du globe transformées en poubelle de l’Humanité et qui, d’après son chanteur Travis Ryan, ne serait rien d’autre qu’un « effet de domino » devant contaminer à terme la société des Hommes en son entier. La couleur est clairement annoncée, et ce dès le morceau d’ouverture, « Manufactured Extinct », représentatif à lui seul d’un Cattle Decapitation qui n’a en rien renoncé à sa philosophie ni à ses revendications, et ces dernières trouvent ici un nouvel élan, un nouvel aboutissement, dépassant la seule cause végétalienne qui a toujours uni le groupe au profit d’une lecture plus large, sous les auspices du chaos et de la fin du Monde.
À la réputation désormais clairement affirmée, Cattle Decapitation est un groupe qui suscite l’attachement et la curiosité, au point de parvenir à débaucher le temps d’un titre un inattendu mais prestigieux invité en la personne de Phil Anselmo (Down, ex-Pantera). Celui-ci vient apporter de la voix sur « The Prophet Of Loss », bien que sa présence aurait pu davantage marquer si sa partie de chant ne s’était pas retrouvée noyée au milieu de toute la diatribe de Travis Ryan, passant de fait presque inaperçue. Hormis cette apparition anecdotique, le restant de cette nouvelle ogive rassurera les inconditionnels du groupe avec un style musical toujours aussi varié, sous une approche progressive de la technique et la structuration alambiquée (mais pourtant concise) des chansons. Le tout sur une base death-grind solide – virant parfois sur un cap à la Napalm Death, comme sur un « Mammals In Babylon » qui flirte même avec le black metal dans les trémolos dissonants à grand renfort de double-pédale – ou qui donne volontiers dans un rouleau-compresseur de brutal death acéré (les ultra-violents « Clandestine Ways (Krokodil Rot) » et « Not Suitable For Life » tirent indéniablement les marrons du feu). D’autres hits comme « Mutual Assured Destruction » ou l’hyper-blasté « Apex Blasphemy » attestent eux aussi de ce réalisme clinique et bestial qui n’ont pas quitté les musiciens de San Diego.
Cependant, il apparaîtra que le tempo est ici plus modéré en comparaison de Monolith Of Inhumanity. En l’occurrence les passages brutaux sont un peu plus rares et apparaissent même, pour ainsi dire, classiques et attendus si on les met en perspective avec les précédentes réalisations du combo californien. Gage de cette « concession » ou de cette « maturité », selon l’angle duquel on se place, l’interlude « The Burden Of Seven Billion » et la complainte atmosphérique « Ave Exitium », aux faux-airs sur la fin de « From Mars… » de Gojira, entretiennent cette évolution chez Travis Ryan et les siens. L’ensemble demeure malgré tout percutant et retient l’attention. Certaines pièces vont même jusqu’à prendre aux tripes dans leur musicalité comme « Plagueborne », renforcé par un refrain fait d’arpèges plaignants et un chant à donner la chair de poule, au grain étrange et serré. La ventilation obtenue avec l’omniprésence sur tout l’album de cette voix participe à cette étoffe mélodique toujours plus prononcée chez Cattle Decapitation, confère à The Anthropocene Extinction une certaine fraîcheur et ajoute clairement à sa dimension tragique, dépressive, apocalyptique – comme si cette voix d’outre-tombe, qu’on avait appris à connaître sur le précédent album comme interlocutrice moralisatrice avec la volonté d’avertir du danger, émanerait cette fois directement du larynx écorché par la pollution et les radiations du dernier Homme vivant, qui viendrait livrer en l’espèce le témoignage de la ruine de la planète, et de la fin de l’histoire.
Cette tragédie en douze actes s’achève sur l’épilogue noir comme l’onyx de « Pacific Grim », dont la toile de fond est l’Océan Pacifique, irrémédiablement pollué par les déchets plastiques à sa surface et qui, à terme, forment des continents flottants de plastique dans les gyres où convergent les différents courants marins. Cet ultime morceau à fleur de peau comporte toujours un refrain poignant en chant mélodique et fait l’objet en outre de la présence remarquée de Jürgen Bartsch du groupe allemand Bethlehem qui vient ici placer un passage narratif dans la langue de Goethe. Cattle Decapitation revient donc avec un visage toujours un peu plus différent mais intéressant. Poursuivant l’évolution cohérente de son concept de condamnation de l’Humanité par sa nature auto-destructrice, il atteint ici un nouveau sommet dans sa carrière en dégainant sa pièce la plus dépressive mais aussi mélodique. Certes aux dépens d’une brutalité plus contrôlée et une technique par moments plus en retenue, mais qu’importe, il sait toujours insuffler dans sa musique une colère sans pareille et une force intacte.
Ecouter les chansons « Manufactured Extinct » et « Mammals In Babylon » :
Album The Anthropocene Extinction sortie le 7 août 2015 chez Metal Blade Records.
Quelle claque cet album. A réécouter pour bien en saisir les nuances. Album de l’année Death-grind !
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Très bonne chronique pour un très bon groupe ! Tu dégage très bien le fond conceptuel de ce dernier album – en lien direct avec les derniers. Cattle Decapitation est un groupe remarquable, une figure à part dans le monde du brutal-death, et les voir évoluer vers de nouvelles sonorités, avec une rage toujours prégnante, c’est juste excellent ! 😉
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c terrible ce groupe , merci pour la decouverte 😉
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Je n’avais jamais prêté attention à ce groupe (je croyais que c’était juste du death avec un nom cliché xD), mais je suis soudainement curieuse… Eux, au moins, ont sans doute pigé que c’était débile de célébrer des trucs en lâchant des ballons qui partent faire péter le bide de bestioles à des kilomètres à la ronde (la pochette m’a rappelé ce non-sens).
Ohoh, « Monolith of Inhumanity » a de très bonnes reviews. Faut vraiment que je me penche là-dessus.
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Je like ! Gros like !
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