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Interview   

Cerbère : sale bête à trois têtes


Voilà une drôle de créature à trois têtes qui s’échappe des caniveaux parisiens, le bien nommé Cerbère ! Si le chien polycéphale garde l’entrée des Enfers dans la mythologie grecque, ce Cerbère-là n’a aucune raison de vous empêcher d’y pénétrer… Nouveau venu dans la scène doom/sludge française, le trio à l’approche DIY s’inscrit bien loin du doom épuré de la vague actuelle, les Parisiens revendiquant clairement leur appartenance à l’école initiée par des Grief, Iron Monkey, ou encore des Eyehategod et Noothgrush. Avec leur premier album Cendre, le groupe n’hésite pas à flirter avec le drone et à user de hurlements black metal pour cracher sur la dureté de la vie ou évoquer son admiration pour Conan Le Barbare. Cerbère propose une musique opaque et poussiéreuse, qui va pourtant parfois tenter de trouver la lumière à travers des riffs heavy et psychédéliques. Et il faut bien avouer que, pour les plus aventuriers des auditeurs, ce cocktail maison au goût de cendres de fin de soirée fonctionne plutôt bien !

Alors que la bête s’élance à peine avec un EP et un premier album proposant déjà quelques concerts dans les salles obscures, nous avons saisi l’occasion pour faire connaissance avec Thom, Baba et Baptiste, respectivement bassiste, batteur et guitariste/chanteur. De leur démarche, leur direction artistique jusqu’à leur matos, leur goûts musicaux et leur discussion litigieuse sur le nom du groupe, les trois musiciens évoquent en toute décontraction le début de leur aventure !

« Nous avions vraiment envie de faire un truc qui soit extrême. Le doom actuel ne nous intéressait pas trop, en partie en tout cas. Nous aimons plein de choses mais nous voulions faire une musique un peu bête et méchante, un peu primitive. »

Radio Metal : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre bagage musical, de quels groupes et horizons musicaux aussi vous venez ? Et comment s’est créé le projet Cerbère ?

Thom Dezelus (basse) : Je suis rentré dans la musique extrême quand je devais avoir quatorze ou quinze ans. Il y avait un Rock À Gogo à Nantes et des t-shirts de Cannibal Corpse, Sepultura, Slayers, etc. et c’est avec ces groupes-là que j’ai découvert ça. Après, je n’ai jamais trouvé des personnes avec qui avoir un groupe metal. J’ai des goûts assez éclectiques. J’écoute beaucoup de metal mais aussi pas mal de rock psychédélique notamment. Il y a des années, on avait une asso qui organisait des concerts de rock psyché sur Paris. Je faisais des posters pour ça, on passait des groupes, et à côté de ça, je jouais aussi dans d’autres groupes et notamment, le dernier en date, un projet shoegaze qui s’appellait Carpet Burns et qui a splitté avant que nous enregistrions un album.

Baptiste « Baba » Reig (batterie) : J’ai eu pas mal de projets. J’ai notamment été batteur dans un groupe de rock psyché prog doom qui s’appelait Frank Sabbath et qui a duré quelques années. A ces époques-là, j’ai rencontré Baptiste parce qu’il faisait des concerts avec son ancien groupe qui s’appelait Lord Humungus. C’était un groupe de sludge doom, vraiment à l’ancienne. C’est là que je l’ai rencontré par le biais des concerts, et c’était une grosse claque. Il s’est avéré que mon groupe a explosé en vol et Lord Humungus a fini par exploser en vol aussi. Du coup, nous sommes un peu allés nous chercher. C’est-à-dire qu’à un moment, je me suis dit : « J’aime beaucoup ce que ce mec faisait. C’est dommage il n’a plus de musique, moi non plus, on va peut-être essayer de faire de la musique ensemble. » C’était un peu ça l’idée en fait à la base.

Baptiste Pozzi (chant & guitare) : C’est exactement ça. J’avais un peu arrêté la musique parce qu’avec mon ancien groupe… De toute façon, je pense que c’est archi fréquent d’avoir des projets où tout le monde n’a pas les mêmes envies. C’est hyper compliqué de se dire qu’on va s’y mettre à fond pendant un moment parce qu’il y en a toujours un pour qui c’est un peu un amusement, un autre qui y croit vraiment, puis un troisième dont la motivation est plus en dents de scie. Personnellement, j’étais un peu blasé par la masse de travail que c’était de faire un groupe, les embrouilles et tout – le mot à la mode, c’est DIY. Baba est venu me chercher en me disant : « Viens, on fait un groupe. » Au début, je disais non. Après, nous avons fait des jams. Puis petit à petit, nous nous sommes mis à chercher un bassiste et tout. De mémoire, nous étions aussi un peu blasés de la scène doom post-2010. C’était très seventies. J’écoute du doom depuis que je suis au lycée, mon batteur me faisait écouter des vieux trucs, et le groupe s’est presque créé comme une réaction. Ce n’est peut-être pas le bon mot, nous ne sommes pas des réacs, mais c’est presque du doom réac, pour revenir vraiment à un groupe de metal maudit. Nous nous sommes mis à faire ça, nous avons fait le premier EP, et nous avons enchaîné.

Baba : L’idée, au début, c’était vraiment des jams juste tous les deux ; nous avons commencé à bosser des morceaux vraiment à deux. Nous avions vraiment envie de faire un truc qui soit extrême. Le doom actuel ne nous intéressait pas trop, en partie en tout cas. Nous aimons plein de choses mais nous voulions faire une musique un peu bête et méchante, un peu primitive.

Justement, vous aviez des groupes un peu référence pour vous dire que ce serait un peu l’horizon de Cerbère ?

Baptiste : Aujourd’hui, quand on parle de sludge, on se réfère beaucoup au sud des Etats-Unis, comme La Nouvelle-Orléans, et tout un tas de trucs un peu groovy. Personnellement, les groupes de sludge qui m’ont vraiment marqué, c’était Iron Monkey et Grief. Après, je crois me rappeler que le premier album de doom que j’ai écouté, c’était Supercoven de Electric Wizard. Je devais être adolescent, j’étais dans ma chambre, je fumais des joints, j’écoutais plein de trucs différents. Je me rappelle du morceau « Supercoven », quand c’est passé dans ma playlist, j’étais sidéré par la lourdeur du truc. Je crois que c’est ça nos références. Après, on pourrait citer plein de trucs. Même le doom un peu à l’ancienne comme Cathedral, nous adorons. L’idée était de remettre Satan dans la partie.

Dans le sludge/doom, les groupes les plus intéressants ont une identité sonore assez marquée, assez singulière. Vous avez ça aussi dans Cerbère. Est-ce que vous avez eu un premier temps de recherches, d’expérimentations, de tests sur les amplis, etc. pour trouver le son qu’il vous fallait ? Qu’est-ce qui vous a fait dire que vous teniez votre son ?

Thom : C’est marrant parce qu’entre l’EP et le LP, c’est là que nous avons vraiment progressé plus dans une forme de recherche. Je dirais qu’au début, nous avons fait avec ce que nous avions, qui était des gros amplis. Sur l’EP, j’avais ma Big Muff russe et ma Rickenbacker pour avoir du gros son avec un gros sustain et pouvoir taper des accords. J’ai un jeu un peu particulier où je joue aux doigts et, des fois, je passe des accords en jouant avec mes ongles. Ce sont des trucs que nous avons fait évoluer depuis l’EP. Sur le LP, j’ai une Hyper Fuzz. Hors la partie basse, le son de Cerbère vient beaucoup de l’intention que les gars avaient quand ils ont démarré la composition des premiers morceaux de l’EP. Je suis arrivé, j’ai composé mes lignes de basse sur la structure qu’ils avaient déjà posée. Ils avaient déjà un son très agressif, très hargneux, et c’est ça qui m’a donné un vrai crush pour rejoindre ce groupe, parce que je ne connais pas beaucoup de groupes qui ont cette intention et cette approche de ce style-là.

« Dans la scène metal en général, il y a plein de Mesa Boogie, d’Orange, etc. mais moi, j’ai un Peavey à deux cents balles. Pour nous, les amplis, c’est vraiment de la puissance. Nous cherchons à jouer très fort quand nous sommes en live, presque le plus fort possible, donc c’est toujours une espèce de petit bras de fer avec les ingés son. »

Baptiste : Nous n’avons pas des amplis très chers. Dans la scène metal en général, il y a plein de Mesa Boogie, d’Orange, etc. mais moi, j’ai un Peavey à deux cents balles. Pour nous, les amplis, c’est vraiment de la puissance. Nous cherchons à jouer très fort quand nous sommes en live, presque le plus fort possible, donc c’est toujours une espèce de petit bras de fer avec les ingés son. Ce n’est pas toujours le cas, mais ça nous est arrivé pas mal de fois, ils font : « Quand même, tu pourrais te mettre à deux et je te monte en façade. » Nous disons : « Non, il faut être à dix ! » Après, tout le fric part vraiment dans les fuzz. Nous chopons des fuzz qui mettent énormément de gain pour qu’il y ait beaucoup de larsen et de saturation.

Baba : Il y a aussi ta guitare. Quand je suis allé voir Baptiste avec Lord Humungus, je savais déjà le son de guitare qu’il avait et je trouvais qu’il avait déjà fait de la recherche en termes de son. La façon dont il faisait sonner son instrument m’avait marqué. Je pense que c’est aussi pour ça que j’ai voulu aller vers lui, au-delà du fait que je le connaissais. Il y avait déjà le son que je cherchais ; la personne avec qui je voulais faire de la musique, c’était la personne qui avait ce son-là. Baptiste utilisait une guitare qu’il avait un peu trafiquée…

Baptiste : C’est une guitare que mon grand-père m’a offerte quand j’avais dix-sept ans. Je m’étais fait dépouiller mes micros au lycée, parce que je l’avais laissée dans une salle. J’ai un pote, le premier bassiste de mon ancien groupe, qui m’avait bricolé un truc avec un micro fait main et un micro, de mémoire, Stack Bass, qui était le micro de mon bassiste Yacine [Rabia] de l’époque. J’ai vraiment une gratte avec un micro basse, c’est un peu une espèce de monstre de Frankenstein, qui est vraiment ignoble à voir. Je fais des accords de douze tons pour être le plus basse possible avec un micro basse sur ma guitare, plus la basse de Thom. Nous avons donc vraiment un son d’abruti. Au moment où tu regardes les masters ou les mixes – encore une fois je fais de la geekerie – quand tu regardes les fréquences sur le spectre, à gauche, les basses sont vraiment blindées. Tu as juste les pêches de batterie qui ressortent. Nous cherchons vraiment à avoir énormément de basses. Thom et moi, nous faisons tous les deux des accords à la basse et à la guitare, et nous jouons souvent les mêmes accords pour que ça fasse « brrrr ». En gros, le son de Cerbère, c’est essayer de retrouver un truc hyper monolithique.

Et surtout, de ne pas acheter d’amplis Orange…

Thom : Nous n’avons rien contre !

Baptiste : Ce n’est pas du tout une pique que je lance mais…

Baba : Peavey, c’est super, ce n’est pas cher et c’est incassable.

Baptiste : Et puis, je trouve que quand il y a eu un peu la mode du doom, nous parlions d’Electric Wizard : pratiquement tout le monde achetait le même setup. Nous, nous ne voulons pas. Un des gros intérêts du doom, c’est aussi d’avoir de la place pour laisser les instruments [sonner], c’est vraiment un style de musique où il peut y avoir de la texture. Ça vaut aussi pour le drone, le sludge, tout ce qui est à tempo lent, même le death un peu lent – je suis à chaque fois fasciné par le son d’Obituary. Ce sont des styles de musique où c’est hyper ludique de trouver son son.

Baba : De faire sa palette. On choisit nos couleurs. On n’est pas très Orange chez nous [petits rires].

D’un point de vue composition, on a l’impression que tout ça est un peu issu d’un bœuf musical, d’une seule et unique session de studio. Est-ce que ça se passe comme ça ou est-ce qu’il y avait vraiment une trame qui a été travaillée pour Cendre ?

Thom : Ça dépend des morceaux. Globalement, c’est Baptiste qui amène des super riffs. Il est chez lui, dans le noir, avec les bougies, à lire Conan et ça l’inspire. Sur Cendre, il y a une partie aussi où, par exemple, le deuxième morceau « Sale Chien », c’était un riff que j’avais bossé, mais derrière, c’est quelque chose que nous avons fait évoluer ensemble. Il y a deux niveaux.

Baba : En fait, c’est très composé. Pour le coup, il n’y a pas trop de bœuf, même si ça nous est arrivé de jammer. C’est Baptiste qui compose quasiment tout, avec Thom qui apporte aussi des riffs. Ça prend énormément de temps, parce que ce sont des structures avec des riffs qui se répètent. Tout est callé au millimètre près. J’exagère un peu, mais c’est très écrit globalement, à part peut-être deux ou trois petits moments.

Thom : Disons que nous avons suffisamment travaillé pour ne pas avoir à nous baser sur de l’impro ou des choses comme ça.

« J’ai vraiment une gratte avec un micro basse, c’est un peu une espèce de monstre de Frankenstein, qui est vraiment ignoble à voir. Je fais des accords de douze tons pour être le plus basse possible avec un micro basse sur ma guitare, plus la basse de Thom. Nous avons donc vraiment un son d’abruti. »

Baptiste : Je trouve que les jams, c’est hyper cool, mais quand tu composes en jam et que tu t’enregistres, ça simplifie beaucoup. Une des spécificités du doom, même de Black Sabbath d’ailleurs, c’est que les phrases musicales sont hyper longues. Vu que tu joues à tempo lent, ce qui est intéressant, c’est de faire de très longues phrases musicales, or si tu jammes, c’est très compliqué de mettre en place des riffs comme ça. Peut-être que ça ne s’entend pas du tout, mais si tu veux mettre une très longue et lente phrase musicale, tu es obligé de montrer à ton bassiste les écarts et tout. En jam, c’est souvent plus simplifié avec des penta, des machins, mais comme dans le stoner. Ça décomplexifie beaucoup la musique, à mon avis.

Baba : Je pense qu’il y a différentes façons de fonctionner, mais clairement, nous, c’est plutôt de la composition.

La première piste de Cendre plante un petit peu le décor. On est plongé de longues minutes dans une sauce un peu black n’ doom qui nous tire vraiment vers le bas. Puis on a une petite cassure avec un riffing bien psyché qui tire un peu sur le desert rock ou le proto-heavy, tout en conservant le son que vous avez décrit tout à l’heure. Est-ce que le fait de chercher la surprise et ce côté lumineux, tout en restant très massif, très poussiéreux, et d’avoir une approche presque contradictoire est ce qui fait votre musique ?

Baptiste : C’est exactement ça. Je suis flatté ! C’est jouer un truc longtemps pour créer la surprise quand ça change. Tu l’as dit parfaitement.

Pour parler plus spécifiquement de ton chant, Baptiste, il est clairement inspiré du black metal, mais vraiment celui des années 90. Comment t’est venue cette idée d’associer ce chant-là à cette base instrumentale ?

Ce n’est pas vraiment [un choix]. J’arrive à chanter littéralement que comme ça. Nous voulions simplifier au maximum le truc, donc power trio, guitare-basse-batterie et chant, et je me suis mis au chant, or je chantais comme dans le black. Vu que dans le sludge, ils font beaucoup ça – enfin, ça ne ressemble pas trop à ce que je fais ou peut-être que si. C’est plutôt que nous savions faire ça, donc nous l’avons fait. Moi, Baba et Thom, nous sommes d’énormes fans de black. Quand nous jouons avec des groupes de doom et qu’ils disent que le chant est étrange, pour nous, c’est un truc que nous avons tellement écouté qu’il n’y a rien de plus pertinent.

Thom : Si je peux apporter une nuance, en tant que bassiste, j’ai toujours trouvé un peu frustrant dans le black d’avoir toujours les basses sous-mixées en arrière. Pour le coup, en metal, je suis plus death que black, par exemple. J’écoute beaucoup de sludge, mais c’est ça qui me parle le plus en termes de basse, le death bien ralenti, etc.

Baba : Ça, on le savait…

Baptiste : On va te virer !

Vous êtes complètement hermétiques au death, les Baptiste ?

Non !

Baba : Pas du tout, j’adore ça aussi.

Baptiste : Je préfère largement le black au death, c’est clair, mais je m’y mets de plus en plus. Le black est quelque chose que j’ai énormément écouté, et le death, je connais mes classiques mais beaucoup moins.

Baba : J’ai grandi avec le black metal mais j’écoutais aussi beaucoup de death. Ce sont deux genres que j’adore autant, donc il n’y a rien contre le death, au contraire.

On dirait que le message de votre musique, c’est le fait qu’il y a toujours quelque chose qui est possible, on peut toujours s’évader, malgré l’environnement poussiéreux, gluant, dégueulasse dans lequel on est. Est-ce l’idée que vous vouliez transmettre avec ce son-là et cette dynamique-là ?

Thom : Je dirais que oui, parce qu’effectivement, il y a pas mal de choses qui sont difficiles et moches dans la vie, et faire de la musique qui parle de ça nous permet de dépasser cette condition. Comme si ce matériel plombant qui nous entoure, nous arrivions à le transformer en notre musique et à en faire autre chose.

Baptiste : Je trouve que c’est hyper inhérent au metal. Tous les mouvements que nous venons de citer, même s’ils ne font pas appel au même champ lexical – on pourrait dire que le death, c’est plus les films d’horreur, que le doom, c’est plus Howard et Lovecraft, et que le black, c’est plus Tolkien –, pour un métalleux de base, c’est constat A : « La vie c’est de la merde. » Constat B : « Ah tiens, il y a l’heroic fantasy et le cannabis. » Constat C : « Tiens, je vais faire du doom. » Je généralise beaucoup et j’imagine qu’il y a des gens qui [contesteront], mais dans le doom et le black en tout cas, c’est vraiment un truc que j’ai ressenti comme ça quand j’étais jeune et auquel je crois toujours. C’est-à-dire que c’est un style de musique qui entre beaucoup en résonance avec plein d’œuvres de fantasy, qui font que tu peux vite t’évader, sans aucun problème.

« Il y a pas mal de choses qui sont difficiles et moches dans la vie, et faire de la musique qui parle de ça nous permet de dépasser cette condition. Comme si ce matériel plombant qui nous entoure, nous arrivions à le transformer en notre musique et à en faire autre chose. »

Thom : Oui, et puis c’est aussi un genre qui parle de la violence dans le monde. Il n’y a pas beaucoup de genres musicaux qui parlent de cela. La violence, c’est assez large, ce n’est pas que dans une niche metal. Le metal est une musique extrême faite par des gens qui ont des émotions extrêmes ou qui peuvent aussi être complètement extrêmes. Tu peux avoir une navigation entre ces deux trucs, ce qui te ronge et en même temps ce qui t’inspire et la force que tu en tires. Je pense que transmettre ça par la musique est ce que nous essayons de faire avec Cerbère.

Baba : Cerbère est aussi censé représenter un peu le quotidien de la vie qui n’est pas non plus désastreux, parce que ça va, nous avons tous les trois une vie assez cool, mais il y a des choses dans la vie qui font que c’est parfois un peu sombre. La musique que nous faisons retranscrit ça. Derrière, il y a aussi une cette espèce de pulsion de vie, d’absolu, d’évasion dans des mondes imaginaires, mais aussi dans quelque chose qui est plus grand que nous, qui nous dépasse, qui est la musique. C’est une réflexion très basique, mais vu que notre musique est très physique, vu que ça se joue fort, c’est quelque chose que l’on ressent directement. Il y a une pulsion de vie dans ce genre de musique, parce qu’elle se joue à fort volume. Elle demande beaucoup d’intensité et d’être là.

Baptiste : Il y a aussi une idée de filiation dans le metal. Je suis autodidacte à la guitare, donc j’ai appris des riffs de Black Sabbath et d’autres, et j’ai l’impression de faire, peut-être pas comme mes mentors, mais de suivre, de mettre des pentacles sur mes pochettes et de faire partie de ce truc. C’est quelque chose qui m’a fait beaucoup de bien, donc forcément, j’ai envie d’aborder les mêmes thèmes par mimétisme.

Thom : Par exemple, sur la pochette, à l’intérieur du CD, et j’ai aussi réussi à le caler sur la cassette, c’était serré et tout… Je regarde beaucoup dans la mythologie, quand j’étais plus jeune, j’étais à fond. Déjà enfant, j’étais hyper curieux et passionné par les mythes de la Grèce antique et du coup, tu as une image d’une tête d’une sculpture de Hypnos qui représente le sommeil. Il y a aussi une pulsion comme ça, un peu psychédélique, latente, dans ce que nous faisons, qui est liée à la dimension du rêve, de l’onirisme. Pour moi, c’est très lié à la mythologie parce que ce sont les meilleures histoires. Ce sont les histoires les plus riches, les plus complexes qui parlent de notre âme et de ce mythe fondateur dont on a tous été un peu imbibés.

Baptiste : Oui, mais pas la Bible ! [Rires]

Thom : Pas la Bible. Après, étonnamment, il y a quand même des choses dans la Bible. Je fais attention à ce que je dis. J’ai eu une éducation dans des établissements privés catho, et c’est pour ça que ça m’a foutu les boules, entre autres, et que je me suis très vite orienté vers le metal quand j’étais ado.

C’est toi qui as réalisé l’artwork. Même si, de base, le nom Cerbère est une évidence par rapport à la mythologie, tu voulais vraiment appuyer ce côté-là avec cette illustration ?

Sur la pochette de Cendre, nous n’arrivons pas à identifier la provenance de la sculpture que nous avons trouvée. Nous ne savons pas d’où elle vient. Je n’ai pas mon bouquin sous les yeux, mais c’était un livre de Maurice Bessy datant des années 60, qui s’était pas mal diffusé. Il y a eu plusieurs éditions sur cinq ou six ans, entre la fin des années 60 et le début des années 70. C’est un bouquin qui compile plein d’images ésotériques, satanistes, des choses religieuses aussi, des choses de différentes cultures. Il y a quelque chose de lié à la spiritualité et à l’occultisme de quasiment toutes les cultures du monde qui sont compilées dans ce vieux bouquin.

Baba : L’idée de la pochette était de faire un truc un peu antique, moyenâgeux. Ce sont des trucs que nous aimons bien visuellement.

Thom : C’est une image primitive, c’est une sculpture qui est très naïve et très brute, et je trouve que ça nous ressemble.

Et Cerbère, le nom, ça s’est décidé parce que vous étiez un trio ? C’est une question que j’allais vous poser avant, je l’ai effacée de ma grille sans faire exprès, mais du coup je rebondis un peu là-dessus. Donc pourquoi Cerbère, en fait, tout simplement ?

Baba : Nous avons mis énormément de temps à trouver le nom du groupe et franchement, c’est arrivé un peu comme ça au bout d’un moment, genre : « Allez les gars, Cerbère. » C’était interminable. Je crois que ça a duré an pendant lequel nous n’avions pas de nom.

Thom : C’est dur de trouver un nom, parce qu’il y en a déjà plein qui sont pris dans le metal. Il y a encore des noms de disponibles, mais la plupart des noms super sont déjà pris. Nous nous sommes bien creusé la tête, nous avons eu plein de désaccords. J’avais acheté un hors-série d’Historia ou je ne sais plus sur la mythologie et ça m’a soufflé ce nom en me disant : « Cerbère c’est cool ! »

« Le metal est une musique extrême faite par des gens qui ont des émotions extrêmes ou qui peuvent aussi être complètement extrêmes. Tu peux avoir une navigation entre ces deux trucs, ce qui te ronge et en même temps ce qui t’inspire et la force que tu en tires. Je pense que transmettre ça par la musique est ce que nous essayons de faire avec Cerbère. »

Baptiste : Moi, à la base, je voulais qu’on s’appelle Black Sabbath II ! Ils n’ont pas voulu, mais je trouvais ça hyper cool parce que dans le doom, tout le monde reprend des pochettes de Black Sabbath, et je trouvais ça à la fois insultant pour le doom et pertinent.

Baba : Ce n’était pas viable, ça aurait trop été une blague.

Baptiste : Après, nous avions pensé à Mort-Né, mais finalement, non, ça ne l’a pas fait.

Thom : Parce qu’à l’écrit, c’est soit masculin, soit féminin – à l’écrit, tu mets soit -és ou -ées. Du coup, tout de suite, c’est genré, et je trouve que ça bloque un peu. Nous ne proposons pas un côté masculiniste, ce n’est pas notre vision. Pour moi, ça posait un problème. Nous aurions été anglo-saxons, ça n’aurait pas été un problème.

Baba : Je n’avais pas du tout pensé à ça !

Baptiste : Moi non plus !

J’ai l’impression d’avoir relancé le débat sur le nom du groupe alors qu’il est acté normalement.

Baba : Non, ne t’inquiète pas, ça va aller. Nous allons nous en remettre. Mais c’est une question qu’il ne faut pas poser [rires].

Dans le communiqué de presse, il est indiqué : « La noirceur de Cerbère puise son énergie maléfique dans un passé fantasmé, fantastique, peuplé de créatures étranges mais aussi au plus proche d’une réalité toute contemporaine, le long des caniveaux, dans la sueur de caves moisies, dans les petites dunes de cendres collées au fond d’une canette de bière vide. » Cette image des petites dunes de cendres au fond de la bière vide est très parlante. Tous ceux qui se sont déjà retrouvés durant une longue soirée à rêvasser s’y retrouveront. C’est de vous cette description ?

Thom : Non, il faut remercier Alice Butterlin, c’est une super pote, c’est une auteure qui a écrit un super recueil de textes qui s’appelle Les Heures Défuntes.

Baba : J’ai un peu retravaillé le texte, juste pour raccourcir, mais c’est elle qui l’a écrit. Je voulais qu’elle fasse une description pour le groupe et je lui ai demandé, puisque j’aimais bien ce qu’elle écrivait. Elle a vraiment donné son point de vue personnel et sa sensibilité par rapport à ça.

En quoi cette image est-elle parlante pour la musique et les thématiques que vous développez dans Cerbère ?

Baptiste : Sur l’album, il y a trois morceaux. Le premier morceau parle de la jeunesse de merde, rater ses diplômes, pas de meuf et mettre son peu d’argent dans de la drogue. Le second morceau, ce sont plutôt des embrouilles internes au groupe. Et le troisième morceau parle clairement de Conan Le Barbare. Encore une fois, phase A, c’est de la merde, phase B, « ah tiens, il y a l’heroic fantasy ».

Pourquoi avoir choisi la saga littéraire de Conan Le Barbare ?

Je suis très monomaniaque sur des trucs, et je crois qu’il y eu au moins un an où j’ai beaucoup lu de Howard, qui est l’auteur de Conan. J’ai été littéralement obsédé par ses écrits pendant un moment. C’est principalement pour ça, parce que des fois je lis des trucs et je suis là : « Oh putain, c’est trop bien » et après, je décide d’en parler. Le morceau « Les Tours De Set » parle de Thulsa Doom qui est le méchant du film, mais dans le bouquin c’est Thot-Amon. C’est une espèce de gourou de secte. Dans Conan, la magie est hyper mal vue, ce n’est pas : « Il y a un magicien cool qui lance des boules de feu », c’est toujours sombre. Je trouvais que ça collait bien. Encore une fois, tu as énormément de groupes qui parlent de Conan dans le doom et même de Howard en général. Je crois que même Hetfield, le sublime chanteur-guitariste de Metallica, est complètement fan de ce mec-là. Je fais encore le geek, mais le sword and sorcery est hyper représenté dans le metal et dans le proto-rock seventies. Même chez Hawkwind, tu as un album où les paroles sont faites par Moorcock. Ça va vraiment bien ensemble. Contrairement à l’heroic fantasy moderne, c’est beaucoup de styles à lire, tu as beaucoup d’images hyper fortes de sacrifices, de trucs, de mondes.

Baba : Après, « Les Tours De Set », c’est aussi un peu une espèce de « critique », ça parle de la religion, de l’embrigadement, de la secte de Thulsa Doom.

« Derrière, il y a aussi cette espèce de pulsion de vie, d’absolu, d’évasion dans des mondes imaginaires, mais aussi dans quelque chose qui est plus grand que nous, qui nous dépasse, qui est la musique. C’est une réflexion très basique, mais vu que notre musique est très physique, vu que ça se joue fort, c’est quelque chose que l’on ressent directement. »

Baptiste : Mais dans l’œuvre d’Howard, de toute façon, ce sont toujours des personnages qui vont dans des cités, des civilisations, etc. mourantes où les gens ont des cultes complètement ridicules. Tu as une nouvelle où les mecs dorment dans des appartements, ils se défoncent, et la nuit, tu as des espèces de créatures qui les bouffent, mais eux, ils sont trop happés par leur paradis. Tu as plein de trucs comme ça. C’est toujours inhérent à son œuvre. Sans y voir un parallèle avec aujourd’hui, je trouve ça hyper parlant ce côté civilisation complètement débile. Tu vois ça du prisme du barbare qui arrive et qui ne connaît pas les codes, et qui est confronté à des gens qui font leurs trucs. C’est toujours vu, écrit et décrit avec presque énormément de dégoût pour tout ça, la religion, la civilisation, la culture, la tradition, etc.

Baba : Nous sommes dans le réel, dans la vie de tous les jours, et en même temps nous adorons les œuvres de l’imaginaire. Ça reflète bien ce que nous aimons en tant qu’êtres humains. Il n’y a même pas de réflexion là-dessus, ça se fait naturellement, je pense.

Le communiqué dit que votre groupe représente les affres d’une jeunesse vécue dans l’ennui, la haine, la frustration, le rejet. C’est ce que tu disais aussi tout à l’heure, Baptiste. Hangman’s Chair le décrit aussi un peu avec un album comme Banlieue Triste. Même si c’est dans un style beaucoup moins extrême, est-ce que vous vous retrouvez aussi dans ce doom-là, qui dépeint la grisaille quotidienne ?

Baptiste : Bien sûr !

Baba : Ce n’est pas un groupe qu’à titre personnel j’aime énormément, mais j’ai écouté un peu leurs disques et le côté quotidien et tout, oui. Leurs sujets ne sont pas inintéressants.

Thom : Tu l’as aussi dans Jesu, par exemple. Le projet du gars de Godflesh, Justin Broadrick.

Baptiste : Je pense que c’est un truc qui est clairement collé au doom, et même au black. La seconde vague du black, c’étaient des loosers, puis ils se sont vite barrés dans un truc onirique. De toute façon, je pense que quand tu es le quarterback du lycée, que papa te paie une décapotable rouge et tout, tu ne vas pas aller lire Tolkien pendant huit heures le soir parce que tu auras mieux à faire. Forcément, c’est une conséquence de.

Pour revenir sur l’aspect musical, on l’a vu tout au long de cette interview, il y a quand même un gros côté DIY dans votre musique. Est-ce que ce côté très organique et fait main est indispensable pour vous dans la musique, dans ce que vous voulez faire, et pour que le rendu soit plus fidèle entre le studio et le live ?

C’est une question de fric ! J’adorerais avoir dix mille euros pour un album, acheter des amplis seventies hyper rares et enregistrer dans des énormes salles. J’aimerais bien le faire au moins une fois dans ma vie, mais vu que nous avons toujours fonctionné comme ça, même dans nos projets précédents, nous faisons comme ça. Ce n’est pas intellectuel.

Baba : Après, j’avoue, si nous avions plus de moyens, peut-être que nous aurions envie de faire un truc un peu plus chiadé en studio, mais je pense quand même que ce côté organique et DIY est important dans l’identité du groupe. Honnêtement, personnellement, je ne suis pas fermé à essayer des choses plus expérimentales en studio si nous avions les moyens, mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas fermés. Je pense que le côté organique fait partie de notre identité, ce n’est pas une espèce de ligne de conduite.

Thom : C’est comme ça que nous fonctionnons entre nous. C’est pareil pour l’image. Je suis très inspiré par ce que les gars peuvent penser, me dire, et tout ça se distille dans l’image que je crée à partir de nous trois.

Baptiste : Nous répétons toutes les semaines à trois voire souvent deux fois par semaine, comme récemment. Nous ne nous envoyons jamais des pistes sur le net, nous ne faisons jamais ce genre de choses. Nous n’enregistrons jamais les répètes. Nous allons en répète, nous jouons tous les trois et après, nous rentrons chez nous. Nous avons vraiment ce côté un peu bête et con, donc forcément, pour l’enregistrement, ça joue.

Quels sont les plans maintenant pour le futur ?

Thom : Justement, nous cherchons des plans. Nous n’avons pas de plan !

Baba : Nous allons peut-être avoir des dates par-ci par-là, mais nous n’avons pas prévu une énorme tournée d’une semaine. De toute façon, là, nous sommes en train de bosser sur un autre projet. Nous avons un projet de split avec un autre groupe français sur lequel nous bossons. Je pense que ce sera encore un long morceau, mais je n’ai pas envie d’en dire plus parce que nous n’avons pas encore terminé. Nous préparons déjà la suite.

Interview réalisée par téléphone le 8 février 2023 par Jean Florian Garel.
Retranscription : Julie Dubreuil.

Facebook officiel de Cerbère : www.facebook.com/Cerbere666

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