Cela fait quinze ans désormais que Chevelle lustre sa carrosserie et entretient sa mécanique depuis son premier opus Point #1. Groupe au cœur du mouvement post-grunge apparu pendant la seconde moitié des années 90, il tire son patronyme de l’amour des trois frères Loeffler pour les belles cylindrées et plus particulièrement l’une des reines des « highways » américaines, la Chevy Chevelle.
Bref, Chevelle est un de ces groupes à la culture 100% ricaine qui cartonnent dans le pays de l’Oncle Sam mais qui, encore aujourd’hui, tâtonne pour pouvoir aller à la rencontre du public européen, à l’instar d’un Godsmask absent du vieux continent depuis dix ans. Malgré tout, le trio aura réussi à se frayer un chemin jusqu’à la Maroquinerie de Paris le 31 octobre prochain, soit onze ans après leur dernière fois dans l’hexagone.
Sam, l’un des deux frères Loeffler officiant encore aujourd’hui dans le combo et que nous avons joint par téléphone, explique : « Oui, nous étions avec Audioslave en 2003. A cette époque l’industrie de la musique était très différente. Maintenant c’est beaucoup plus difficile de trouver une maison de disque ou l’équivalent pour nous soutenir en Europe. Ce qu’il s’est passé c’est que nous avons décidé que nous devions aller dans certaines villes d’Europe et nous devions le faire dans un court laps de temps parce que c’est très cher. Nous faisons donc quelques dates de plus chaque année, et nous le faisons avec nos propres moyens. Notre maison de disque américaine, Epic Records, nous soutient vraiment, et ils nous aident mais il n’y a pas de maison de disque pour nous en Europe. Donc nous sommes livrés à nous-mêmes. C’est pour ça que c’est compliqué de venir ici pour nous. […] Nous allons essayer de revenir au moins tous les deux à trois ans, très certainement. Peut-être même tous les ans, là est toute la question. Mais nous commençons lentement, nous allons faire 9 concerts cette fois. Il y a quelques mois nous avons fait 4 concerts. En fonction de la manière dont ces concerts se déroulent, nous y réfléchirons à nouveau dans 6 ou 8 mois et reprogrammerons une autre tournée. C’est ce qui est prévu, tant qu’il y aura du monde aux concerts. En fait la plupart des connexions sur notre site internet pour toute l’Europe se font depuis la France et Paris plus particulièrement. Ce qui est incroyable ! »
Un retour en France pour promouvoir le nouvel album sorti en avril dernier, baptisé en espagnol La Gárgola, signifiant « la gargouille » : « C’est parce que nous adorons le Mexique, c’est une de nos destinations favorites [rires] et l’espagnol a une sonorité plus intéressante que l’anglais, je trouve. » Un opus dans lequel on reconnaît immédiatement les influences habituelles du combo – du grunge, du néo metal et quelques sensibilités à la Tool -, mais à l’occasion duquel il s’est plus particulièrement replongé dans l’œuvre d’un autre artiste, un peu moins évident à l’écoute même de l’album : Ministry. « C’est un groupe génial » s’exclame le batteur, « ils ont écrit de très bonnes chansons et c’est l’un des groupes qui nous a influencé pendant des années, même quand nous étions encore des gosses. C’est plutôt cool de revenir comme ça, d’écouter un groupe que tu n’as pas écouté pendant un moment, ça te rappelle à quel point ils sont bons et comment ils résistent au temps. » Mais pas question pour autant de copier, tout ceci n’est qu’une question d’inspiration : « Nous essayions juste de faire un album heavy ou hard, sans chercher à sortir un nouveau son metal. Nous voulions être nous-mêmes », clarifie-t-il.
Une nouvelle fois produit par Joe Barresi (qui était aux commande du prédécesseur Hats Off To The Bull), La Gárgola a par ailleurs, d’après Loeffler, bénéficié d’une certaine attention sonore : « Nous utilisons toujours tous types d’instruments, des pédales et d’autres trucs du genre. Je pense que ce qui est légèrement différent c’est qu’en général, une fois qu’on a obtenu un certain son à la guitare, on l’utilise dans toutes les chansons en le modifiant juste un peu. Alors que cette fois nous avons vraiment changé de son dans toutes les chansons. C’est un processus un peu plus long, mais c’est aussi beaucoup plus sympa, si tu as le temps de le faire. » Il poursuit en nous parlant d’un critère essentiel à la musique de Chevelle : « Le dynamisme est la clé d’une bonne chanson pour la majeure partie. Il y a toujours des exceptions à la règle, mais nous sommes plutôt favorables à cela en tant que groupe, nous sommes un groupe dynamique et les chansons linéaires ne fonctionnent pas pour nous. Elles ne nous mènent nulle part, il doit y avoir un relâchement, il doit y avoir un crescendo. Je pense que c’est totalement le genre de groupe que nous sommes, et c’est ce que nous aspirons à faire. »
Une musique plutôt sombre pour traiter de thèmes eux aussi graves : « Je pense qu’on peut trouver l’inspiration dans n’importe quoi, tu peux même être inspiré par une histoire, quelque chose que tu as lue ou par l’actualité. Les gens écrivent des chansons à propos de tout ce qui les entourent. C’est important d’écrire des chansons sur la vie et ce qu’il se passe plutôt que de faire uniquement des chansons d’amour ou sur ‘ma copine me manque’ ou autre. […] Certains sujets sont un peu ironiques, c’est censé être drôle, mais à nouveau, certains sujets sont très lourds. Ça dépend des chansons, mais « Take Out The Gunman » est un sujet plutôt lourd, c’est sur la manière dont les médias perpétuent la violence, c’est un sujet plutôt pesant. Je pense que le rock est utilisé pour parler de sujets lourds depuis longtemps, ça n’a pas à être tout rose ; ce n’est d’ailleurs probablement pas ce qui nous intéresse. »
Chevelle profite de sa musique pour poser de véritables problématiques, comme, justement, dans « Take Out The Gunman » qui aborde le problème des fusillades aux Etats-Unis, encore tristement d’actualité, et la manière dont les médias s’en emparent. Selon lui, ces derniers ont leur part de responsabilité et devraient arrêter le battage médiatique autour de ce type d’événement. Il explique : « Je pense que ça fait sûrement partie de la solution, il faut arrêter de faire du sensationnel autour de la violence. Plus tu en parles, plus longtemps tu affiches la photo d’un fou qui brandit un flingue, plus ça donne un exutoire aux personnes mentalement dérangées. J’en suis convaincu à 100%. […] Je ne suis pas en train de dire qu’il faudrait qu’on ne puisse pas en parler, mais quand tu en parles comme sur CNN ou Fox News, ils ne font pas qu’en parler. Ils en parlent 24h sur 24 pendant des jours et des jours. Ça n’est pas simplement au JT de 20h, c’est constant. Et il est avéré que ce n’est pas réaliste de consacrer 24h à l’actualité, comme nous l’a appris le film Présentateur vedette : La Légende De Ron Burgundy [rires]. »
Autre exemple de sujet abordé, et rattachant de facto Chevelle à la communauté d’artistes réclamant une prise de conscience écologique : la pollution marine. « Nous ne faisons pas partie de groupes extrémistes ou autre chose de la sorte » tempère-t-il, « mais la chanson parle de la manière dont les océans sont liés et comment ce que tu fais à l’un se répercute sur les autres. Malheureusement j’ai l’impression que tout le monde s’en fout. A la fin ils feront simplement ce qui leur permettra de gagner le plus d’argent. C’est bien que les gens en parlent, c’est bien que les scientifiques montrent les effets que tout peut avoir sur ça, c’est bien que nous en soyons conscients et que nous essayions de changer nos modes de vie. La seule chose que nous puissions vraiment faire c’est changer la manière dont nous vivons chacun. La chanson est surtout à propos de ça. »
Toutefois, l’autre frère, Pete, affirmait que « Cet album est plutôt un monde fantastique. […] J’espère que La Gárgola emmènera les gens ailleurs. Je voulais créer quelque chose de sympa mais de manière sombre. C’est censé être une échappatoire. » Chevelle reste donc du rock et un divertissement avant tout : « C’est absolument ça. Nous sommes des divertisseurs et nous divertissons les gens. Nous voulons aussi être intéressants, nos compositions doivent être intéressantes sinon personnes ne les écoutera ou ne les lira. C’est tout à fait ça. C’est toujours épineux d’écrire correctement ou de parler de quelque chose sans avoir l’impression que tu te tiens sur une chaire en train de prêcher devant tout le monde. […] Le fait que la gargouille soit une créature mythique montre aussi qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux ce que nous faisons. »
Interview réalisée par téléphone le 9 octobre 2014 par Metal’O Phil.
Retranscription et traduction : Mariane.
Texte : Spaceman.
Site internet officiel de Chevelle : getmorechevelle.com.
Chevelle est un très bon groupe, malheureusement très sous-estimé comme le montre le début de l’interview.
Très bonne interview !