Alors qu’il s’était un temps ouvert aux participations extérieures, le projet Agrypnie semble se redéfinir comme un exercice solo tant son géniteur, Torsten Hirsch, pense désormais seul ses dernières créations. Une émancipation du travail collectif, catalysée par la pandémie, qui n’est pas sans conséquence et qui réoriente le son, comme les concepts, vers des affects de plus en plus individuels et des concepts de plus en plus subjectifs. Aussi, après le massif et saisissant Grenzgænger, paru en 2018, qui portait déjà les marques de ce changement de perspective, l’attente d’un nouvel écrin tumultueux d’introspection était vive quoique non dénuée d’appréhension, le projet ayant parfois pu faire preuve d’inconstances. Et le désir avoué de faire du chapitre Metamorphosis un nouveau bond en avant, poussé dans un regain de créativité, ne pouvait que renforcer ces constats.
Pour afficher son nouveau visage, l’album se présente avant tout par une introduction orchestrale ; une introduction qui navigue dans les eaux atmosphériques mais peine à réellement lancer l’album, d’autant plus qu’elle ne s’inscrit pas parfaitement dans la dynamique du titre « Wir Ertrunkenen » dont elle se veut être le prologue. L’éruption des scansions rythmiques, soutenues par des riffs aux colorations melodeath injectent cependant rapidement un élan dont ces épanchements instrumentaux manquaient. La stylistique caractéristique d’Agrypnie s’y déploie rapidement, entre riffs heurtés et lignes mélodiques convulsives, et l’on remarque à nouveau l’utilisation particulière des claviers, plus aériens et éthérés, qui donne aux compositions une couleur moins organique, davantage distante, froide mais aussi souvent incongrue. En effet, même lorsqu’elle participe à élaborer l’ambiance musicale, il n’est pas rare qu’elle vienne étouffer les autres instrumentations, en particulier les parties d’arpèges. Les reliefs que les ponts rythmiques auraient pu apporter se retrouvent ainsi régulièrement nivelés par les claviers, faute d’occuper plus de place dans les harmoniques. De même, l’impression que les guitares ne parviennent pas tout à fait à émerger du magma sonore, qui propulse allègrement la batterie au premier plan, participe du même sentiment d’érosion musicale et émotionnelle.
L’effet est d’autant plus insolite que les thématiques sont toujours articulées par un ressenti profond de déchirement, d’abandon et de résignation frénétique. Le registre vocal vient assurément rappeler le ton de l’album, puisque le chant de Torsten demeure dans la continuité de ce que Grenzgænger proposait, délaissant les quelques nuances des premiers albums, empruntées à son autre projet Nocte Obducta, au profit d’une tessiture acrimonieuse, gorgée d’une rage froide qui rappelle celle du chanteur J.J. de Karg et Harakiri For The Sky. Une fois encore, c’est avec les participations vocales d’autres chanteurs qu’Agrypnie tente d’apporter la nuance. C.S.R de Schammasch sur « Skulptur Au Eis » propose par exemple une performance qui alterne entre vociférations haletantes et déclamations quasi liturgiques. Des nuances qui constituent souvent les succès de Metamorphosis. Des titres tels que « Untergang », nimbé par une atmosphère dramatique, une rythmique assurée et le chant acerbe de Nachtgarm (Negator), contribuent ainsi à redonner à l’ensemble un mordant musical, et marquent d’autant plus qu’ils s’émancipent des structures nouvelles pour, paradoxalement, retourner à des constructions bien plus attendues chez Agrypnie. De la même manière, « Am Ende Der Welt – Teil 2 », qui accueille Travos de Thormesis, est fracturé de respirations bienvenues qui résonnent pleinement avec l’ardeur habitée et animée qui tonifie et exprime l’un des moments forts de l’album. Une efflorescence plus que satisfaisante, qui rappelle cependant que ce regain d’âme survient seulement après plusieurs titres dont on parvient assez difficilement à se remémorer les contours.
S’il fait preuve d’une technique irréprochable et d’une exécution rigoureuse, la production trop propre, parfois trop homogène, de ce nouvel opus d’Agrypnie peine à s’affranchir de ses longueurs (l’album frôle d’ailleurs les soixante-dix minutes !) et à rivaliser avec le dynamisme qui caractérise 16[485] ou Grenzgænger. Un manque de saillies remarquables, fruit de compositions à l’espace harmonique un peu trop dense, qui n’est pas sans frustration. Néanmoins, Metamorphosis fourmille de riffs puissants, de blasts percutants et de potentialités latentes. Les orchestrations, bien qu’elles ne soient pas toujours pertinentes, réussissent en tout cas à créer une atmosphère onirique qui accompagne chaque morceau sans s’imposer. Metamorphosis démontre au final un talent pour l’exécution et les constructions efficaces qui auraient simplement profité dans l’ensemble de davantage de chaos et d’extravagance.
Clip vidéo de la chanson « Verwüstung » :
Chanson « Wir Ertrunkenen » :
Album Metamorphosis, sortie le 30 juillet 2021 via AOP Records. Disponible à l’achat ici