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Interview   

Chuck D : un prophète qui fait du bruit


Pénétrer dans les coulisses de l’Olympia, c’est immédiatement ressentir le poids de ce lieu de légende. Face à nous, des flycases aux étoiles rouges. On peut y lire RATM. Nom tout aussi mythique que les célèbres tentures rouges de la salle parisienne. Qui aurait pu savoir, à ce moment-là, que ces étoiles rouges annonçaient un retour inespéré ? Que cet avènement proclamerait par là même la fin des Prophets Of Rage ? C’est donc une interview post mortem que nous vous proposons.

Chuck D a accepté de répondre à nos questions. Peu de gens peuvent se prévaloir d’avoir eu un rôle aussi primordial dans la création et l’histoire du hip-hop, comme il a pu en avoir avec Public Enemy. Pour autant, Chuck D a passé l’âge des combats d’ego. Voix de la sagesse, il partage avec un recul bienvenu sa vision des genres mais également sa relation à la musique en tant que « matériel ». En effet, il a également été un précurseur du streaming, prônant une autre façon d’aborder et de partager la musique. Du hip-hop, Chuck D conserve également la force des convictions. Pour lui, le hip-hop sert à délivrer un message engagé, radical et c’est bien ce qui le lie aux Prophets Of Rage. Entre rébellion, ras-le-bol, politique, musique et introspection, Chuck D se livre comme il rappe : direct et puissant.

« Ce qu’il y a de beau avec le fait d’être tous connectés, c’est qu’on peut abandonner les différences et développer les similarités. »

Radio Metal : En juillet 2018, une info comme quoi Prophets Of Rage avait terminé un album de treize chansons est sortie. Pourtant, un an plus tard, cet album n’a toujours pas vu le jour…

Chuck D (chant) : Nous avons fait plein de chansons mais pas de véritable album, car nous avons le sentiment que l’industrie musicale a changé. Les maisons de disques se rendent enfin compte que c’est potentiellement mieux de… Enfin, nous pensons que c’est mieux de sortir des chansons et des clips indépendants. Peut-être qu’au final, notre maison de disques prendra le meilleur du meilleur et en fera un album, mais nous vivons dans le monde de Spotify, iTunes, où les gens font du streaming autant qu’ils téléchargent, si ce n’est plus, et ils vont sur YouTube, donc nos chansons ont un tas de possibilités pour survivre au monde. Parfois, trente secondes, c’est bien, tu fais passer un message, une déclaration, donc nous essayons d’établir ça, d’établir notre musique sur d’autres plateformes avant de nous mettre d’accord pour dire : « Oh, voici notre album. »

Tu as été très tôt en faveur de la musique en ligne. Quels en sont les avantages et les inconvénients, selon toi ?

Oui, au tournant du siècle, je venais en France, à Paris, et je parlais déjà de musique en ligne. L’avantage, c’est que c’est rapide, et l’inconvénient, c’est que c’est rapide [rires]. Si tu es bien établi, tu peux faire ta déclaration très rapidement, mais il faut continuer à la renforcer, pour qu’elle perdure et persiste. Et elle ne touche pas tout le monde en même temps. Dans l’approche traditionnelle, tout le monde la reçoit en même temps. Mais de cette façon, on peut voir la période de sortie comme s’étalant sur trois ans. Certaines personnes au début peuvent être là : « Ah, super ! » Alors que d’autres gens la découvriront pour la première fois deux ans plus tard. La clé, c’est donc de sortir la musique de manière répétée, car certaines personnes vont tout suite être scotchées alors que d’autres attendront deux ans.

Justement, vous n’avez eu de cesse de sortir des clips depuis le début du groupe. Est-ce que la stratégie pour propager la musique est aussi importante que la musique elle-même ?

Oui, et parfois ce n’était même pas des clips complets, et c’était aussi des clips de concerts, des bouts de vidéo, etc. diffusés sur toute sortes de plateformes et de différentes manières. C’est très important. Nous nous sommes aussi rendu compte qu’une chanson touche différentes régions différemment. Très tôt, nous avons réalisé avec Prophets Of Rage qu’il faut admettre qu’on a un territoire, et je crois que le marché français s’est avéré être depuis le premier jour l’un de nos territoires. Nous avons beaucoup joué ici, nous sommes passés à la télévision nationale ici et nos albums ont traditionnellement eu du succès plus vite ici qu’ailleurs. Donc personnellement, je me sens vraiment chanceux à chaque fois que je reviens en France.

Prophets Of Rage a été formé dans le contexte de l’élection présidentielle américaine et a été vraiment nourri par Donald Trump, en tant que candidat et en tant que président. Des gens ont vite pronostiqué qu’il serait destitué, et vous-mêmes avez pensé qu’il n’irait pas au bout de son mandat. Pourtant, la campagne de 2020 est désormais lancée et il est toujours en place…

Tout d’abord, la plupart des gens ne pouvaient pas croire qu’il ait été élu et se demandaient « pourquoi ». Ils secouaient la tête en se demandant comment c’était possible. Les Etats-Unis ont toujours affirmé que le système démocratique allait remplacer quelqu’un qui se révélerait inapte, mais… Peut-on croire à quel point Bush a maintenant l’air d’avoir été un bon président en comparaison de Trump ? C’est genre : « Quoi ?! » Parce qu’au moins Bush… Je ne dirais pas qu’il a essayé, mais au moins il faisait semblant. Ceci dit, il y aura toujours un gouvernement américain avec des gens dedans, donc il y aura toujours besoin de les tenir pour responsables, qu’ils rendent des comptes, mais ça va au-delà de Donald Trump. Ce sont les gens qui vivent aux USA et qui votent pour lui qui peuvent représenter un sérieux problème. Et tu sais, c’est un système biparti qu’on a aux Etats-Unis. La dernière fois que j’étais venu en France, j’ai vu les candidats à la présidence et j’ai vu neuf partis différents ou quelque chose comme ça. Aux Etats-Unis, il n’y en a que deux, et quand il y a eu un autre parti, comme les verts, ils l’ont vite éliminé pour revenir à deux. C’est un problème. Quand on parle de deux partis, pour cinquante Etats… C’est primitif. Ce qui est important, c’est que les Etats doivent redéfinir leur pouvoir. Qu’est-ce que les Etats-Unis si les Etats ne fonctionnent pas ? Qu’est-ce que ça signifie ? C’est censé fonctionner comme des Etats unis, les Etats ont leurs régions et ensuite, ensemble, ils trouvent quelle est la langue commune du pays.

On dirait parfois que le pays est dans une spirale infernale. Récemment, deux fusillades ont eu lieu en moins de vingt-quatre heures…

Oui, il y a eu des fusillades à Dayton, dans l’Ohio, à El Paso, au Texas, à Gilroy, en Californie… Ce sont des fusillades de masse, mais on peut aussi parler des infrastructures qui s’effondrent pour disparaître, comme les services de santé quotidiens, le système scolaire. Fut un temps où il y avait un complexe militaire industriel, et ils investissent toujours dans l’armée, mais pour quoi ? Et le système de santé et l’éducation… Tu poses des questions aux Américains sur le monde et ils sont totalement incapables de répondre pour un certain nombre d’entre elles, comme : « Où est la France ? » « C’est par là » [rires]. Il y a plein de gens qui ne savent même pas que Paris est en France ! Mais aussi plein de gens ici [en France] ne savent pas non plus que les Etats-Unis ne se résument pas qu’à New York ou Los Angeles. Les Etats-Unis, c’est un peu comme l’Europe, vraiment. C’est cinquante Etats mais les Etats-Unis pourraient, sérieusement, être découpés en sept pays, sur la base de leurs régions. Et je dirais qu’il y a un pays du Midwest quelque part là-dedans où personne ne veut aller ! C’est un grand pays. Les Etats-Unis, de façon théorique et pratique, fonctionnaient au siècle dernier mais, au siècle actuel, il faudrait des situations plus réduites pour mieux gérer les besoins immédiats, ce qui veut dire qu’il faudrait probablement que ce soit comme des pays indépendants. Les gros Etats-Unis boursouflés étaient puissants au XIXe siècle, quand on avait besoin d’un truc puissant pour transporter une chose d’une partie du pays à telle autre partie, et on contrôlait ça. Les choses bougeaient lentement. Mais maintenant, le monde est presque comme une seule et même région parce que tout est partout, on obtient les choses rapidement, on peut télé-communiquer…

« On vit les choses au jour le jour, les bonnes comme les mauvaises, et au final, on se dit que le mauvais n’était en fait pas complètement mauvais. »

Une photo de Donald Neely mené une corde au cou par deux policiers à cheval est devenue virale. Ça nous remémore des images qui semblent tellement décalées en 2019. Penses-tu que c’est un « mauvais jugement », comme le chef de la police l’a dit, ou bien que certaines personnes aujourd’hui se sentent plus libres d’être ouvertement racistes qu’avant ?

Je pense juste qu’en tant qu’êtres humains, dans le monde, dans une société qui est connectée électroniquement, plus qu’elle ne l’a jamais été, on devrait avoir un but. Il faut travailler sur cette humanité et réaliser que les gouvernements, les frontières et les ordres, si on n’est pas vigilants, peuvent être toxiques pour la gouvernance, la vraie. Ce qu’il y a de beau avec le fait d’être tous connectés, c’est qu’on peut abandonner les différences et développer les similarités. La langue est un terrible diviseur chez les êtres humains.

De nombreux groupes de rap rock et rap metal sont revenus avec force ces dernières années, en partie en raison du contexte social et politique. Comment comparerais-tu le contexte d’aujourd’hui et celui du début des années 90 quand ces groupes ont émergé pour la première fois ?

Je pense que quand les gens vieillissent, ils développent une compréhension plus claire de la bureaucratie totale des gouvernements dans le monde. Donc je pense que ça a réaffirmé que les gens, quand ils avaient énormément de choses à dire mais que les moyens d’enregistrement étaient très limités… On ne pouvait pas sortir de la musique quand on le voulait ou enregistrer quand on en avait vraiment envie, ça restait sous contrôle de grandes corporations, donc les gens devaient se préparer pour les sorties d’album. Alors que maintenant, on a l’avantage de l’immédiateté. Si quelque chose se passe, dès le lendemain on peut enregistrer et sortir ça le soir même. Et on peut faire des déclarations à la fois sonores et visuelles.

Ernie-C de Body Count nous a dit qu’il espérait « qu’il y ait de plus jeunes groupes qui soient davantage pertinents par rapport aux sujets politiques et polémiques sur lesquels ils devraient s’exprimer. Ils n’ébranlent pas le système. » Es-tu d’accord avec lui ? Crois-tu que la jeune génération ne soit pas assez courageuse ou qu’elle manque parfois de conscience politique ?

Eh bien, ils parlent de ce qui, peut-être, les touche dans l’immédiat, mais ils ont aussi envie de vivre une vie de jeune et de s’éclater, donc ils ne voient pas ces troubles comme étant suffisamment réels et nombre d’entre eux ne les trouvent pas menaçants avant d’être un peu plus vieux. Quand on a besoin d’un service de santé, quand on doit acheter une maison, c’est là qu’on peut être en colère contre le gouvernement qui ne nous fournit pas ça, mais quand on a dix-neuf ou dix-sept ans, on n’a pas ces problèmes. Il s’agit plus de se trouver, de se demander : « Quelle est mon identité ? » Et quand les jeunes se cherchent une identité, leur plus gros problème est d’essayer d’apprendre à se connaître eux-mêmes, plutôt que de regarder autour d’eux et de voir qui va lâcher une bombe atomique.

Avec ta collaboration en 1991 avec Anthrax, vous étiez des pionniers du mélange rap et metal, deux styles qui ont été considérés, et parfois le sont encore, comme antagonistes. J’imagine que vous vous étiez attendus à des réactions négatives, mais quels sont tes souvenirs de cette expérience ?

Scott Ian et Charlie Benante d’Anthrax étaient à New York – nous partagions le même management – et ils ont eu l’idée de « métaliser » une chanson dans laquelle je mentionnais leur nom, qui s’appelait « Bring The Noise ». La raison pour laquelle j’ai témoigné un tel respect envers Anthrax, c’est parce qu’ils portaient des T-shirts de Public Enemy durant leurs monstrueux concerts de rock. Donc j’ai remercié Ian et Charlie d’avoir permis ça ; je ne m’attribue aucun mérite. Nous ne nous attendions à aucune réaction négative. Nous n’en avions pas peur dans la scène rap parce que nous n’étions pas des innovateurs, nous ne faisions que suivre les innovations auxquelles Run DMC et Afrika Bambaataa se sont adonnés avec le rock. Nous savions que les réactions négatives pourraient venir un petit peu plus du côté d’Anthrax, mais nous étions à leur côté, à dire : « Ok, on fait ça ensemble. »

Tom Morello nous a dit que vous aviez basé le spectacle scénique de Public Enemy sur celui d’Iron Maiden…

Un petit peu mais c’est plus tout le côté théâtral et les logos. C’est ça qui était très important, l’imagerie. Quand on voit Public Enemy, on sait que ce n’est personne d’autre.

Crois-tu que le rap et le metal ont plus en commun que ce que les gens imaginent ?

Oui, bien sûr. Il y a de l’agressivité dans les deux. Les deux ont les mêmes racines, c’est comme le blues et la country.

Quelle a été ta relation personnelle, et ton histoire, avec le rock et le metal, en tant que mélomane ?

J’ai grandi dans les années 60 et 70, donc à une époque où il y avait beaucoup de rock qui arrivait. J’ai grandi avec les Beatles, Led Zeppelin, etc. J’ai grandi avec la radio AM et puis FM quand ils diffusaient des albums. Ce n’était pas toujours que des morceaux de hard rock ou du soft rock, mais ça se résume beaucoup au rock n’ roll : Little Richard, Chuck Berry, Motown, on entendait toujours ces artistes à la maison, grâce à mes parents, mes oncles et mes tantes. Et ensuite, je me suis mis à rapper sur ces musiques que j’aimais.

Tu as déclaré que « les erreurs sont les choses qui font une vie ». Quelles ont été les erreurs qui ont fait ta vie ?

Les erreurs qui font notre vie en musique sont, grosso modo, les choses que probablement on n’aime pas au départ mais qu’on finit par adorer, parce qu’elles sont identifiables. On vit les choses au jour le jour, les bonnes comme les mauvaises, et au final, on se dit que le mauvais n’était en fait pas complètement mauvais. Je ne place pas les hauts trop haut et les bas trop bas. On ne peut pas revenir en arrière, donc j’aborde chaque jour comme s’il était spécial.

Interview réalisée en face à face le 8 août 2019 par Cyrielle Lebourg-Thieullent.
Retranscription : Cyrielle Lebourg-Thieullen.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Prophets Of Rage : prophetsofrage.com.



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