« Les groupes de metal, c’est pas des foutus boys bands. » Kamel Ouali, 2011.
Partant de cette citation dont la véracité comme le bien-fondé font débat (après tout, il peut y avoir des girls-bands aussi), l’on se permettra tout de même de dire que si l’on voulait voir des clips à même de faire frémir les petits culottes d’ados qui découvrent leur corps (ce n’est pas sale) en balançant du gros plan sur les gueules d’anges et les torses et membres virils (non, pas ceux-là, bande de canaillous) des artistes visuellement promus, eh bien, on ne chercherait pas spontanément un clip de metal. C’est-à-dire une vidéo qui bouscule les mirettes, une tranche d’audiovisuel qui fait bruisser le sens du beau, un café, l’addition, s’il vous plait.
Par conséquent, pourquoi nous attarderions-nous ici sur la masse de clips qui ne sont qu’inventaires des différentes facettes visibles des musiciens représentés sur fond noir, vert, gris, incrustations d’images de synthèse moches, de champ de blé, de hangar à vélo, etc. Non. Comme nous le disions la première fois, La sélection « Clips To See » a pour vocation de mettre en avant les vidéos douées de force évocatrice, de puissance esthétique ou d’un certain pouvoir de divertissement (voire les trois en même temps). Voici donc, pour vous occuper durant le dernier weekend du mois, la cuvée mai 2016 avec – une fois n’est pas coutume – une petite répartition thématique. Bon visionnage !
Sélection « Cocorico » : pour commencer, parce qu’on aime se laisser aller à un peu de chauvinisme.
Gojira – Silvera (album Magma, clip réalisé par Drew Cox)
Deux mois de suite, Gojira est présent dans la sélection « Clips To See ». Normal, direz-vous : le gang Duplantier & Co. sort un nouvel album, il est de leur devoir de se faire remarquer et de le faire bien. Soit. Mais là où tant d’autres groupes (ou : tant de labels et maisons de disques) se seraient contentés de miser sa promo sur un enchaînement « official audio / lyric-video / clip plus ou moins inspiré / re-lyric-video / clip tourné dans son garage », Gojira met un revers à tout le monde après « Stranded » avec cette vidéo pour « Silvera ». Entre emprunts au vocabulaire religieux (ascension, couronne d’épines) et fascination pour leur nouvelle ville d’adoption, New York et sa skyline, les Bayonnais regardent vers ce ciel que grattent les flèches de béton, de verre et d’acier et où l’on aime à croire que s’élèvent nos disparus.
Icsis – Hû (Tigre) (album Pierre Vide Eau)
Vous aimez les films de kung-fu, vous mettre de la peinture sur le visage et les groupes tendance jazz-rock électrico-barjots et une louchée de noise sauce soja ? Alors vous allez déguster avec une poignée de phalanges Icsis, « Rock’n’Fu facétieux de roulades chafouines où les fûts fous fouettent les cordes scarlatines. Trio ré-jouissif mais profond, Kamehameha dentata de Deerhoof et Sonic Youth, caramel de noise contemporaine sur ambroisie punk, prima donna cancanière et suprême éclat de singe. Icsis, grand vacarme rouge et baignade interdite dans un nid de vipères. » Ces Lyonnais qui beatent au poil (Guilhem Meier, le batteur, fait aussi partie d’un autre trio rock barré : PoiL), frontwomanés par Jessica Martin Maresco (MeiTei Sho) et sans oublier François Mignot pour six-corder l’ensemble sortent en juin leur deuxième album Pierre Vide Eau (déjà en écoute sur Bandcamp), album concept sur les animaux du kung-fu, chanté en chinois et en anglais, « débutant dans la matière noire du cosmos, générant la naissance de toute forme de vie, où les principes énergétiques sont sublimés par la grue, le tigre, le léopard, le serpent, le dragon, et se concluant par l’expérience de l’au-delà. » Ils causent bien et en plus ils sont rigolos. Poil au dojo.
Sélection « On avait dit pas de fonds verts » : parce qu’on a fait les règles alors on peut se permettre de les contourner.
Haken – Earthrise (album Affinity, clip réalisé par Miles Skarin)
On avait dit : pas les clips à base de plans sur musiciens, qui plus est filmés sur fond vert, qui plus-plus est avec incrustations d’images de synthèse qui piquent les yeux. Et pourtant ! Laissez vous obnubiler par l’esthétique 80’s hyper-assumée, par la mèche du bassiste, les chemises d’un goût douteux et la gestuelle maniérée du chanteur, ces graphismes en fil de fer évocateurs d’un âge où le top de la création visuelle sur ordinateur était tout juste digne de ce qu’on peut programmer de nos jours sur une calculatrice et dont les couleurs ultra-flashy rappelleront à certains le sac banane fluo de tatie Jacqueline au camping de Saint-Paul de Varax. On en viendrait à vouloir posséder ce clip en format Laserdisc pour vivre la montée en puissance finale de cette merveille sur rétroprojecteur TV 130 cm !
Destruction – Under Attack (album Under Attack)
On fait du thrash metal, on a des vestes en cuir à clous et des têtes de manches de guitares pointues, on sort un nouvel album intitulé Under Attack avec des missiles, du feu et une figure démoniaque sur la pochette, on est allemand, on s’appelle Destruction, on sort un clip, qu’est-ce qu’on fait ? On fait ça dans un décor post-holocauste nucléaire, pardi. Problème : Fukushima, c’est loin, et on ne peut même pas dire qu’ils ont cramé ne serait-ce qu’un bout de campagne, ces Nippons. Obligé donc de créer ça en images de synthèse. Mais il faut quand même justifier un peu ça (tant d’autres ce serait arrêtés à poser leur barda dans une friche industrielle en mettant le feu à quelques bidons pour faire « post-apo »). Du coup, on va suivre la course d’un col blanc soudain victime d’agresseurs. De prime abord, ça n’a aucun sens. Et c’est cette quasi absurdité qui devient captivante. On veut comprendre ! Finalement (SPOILER ALERT), on comprendra qu’on ne suivait pas un pauvre cadre victime d’injustice mais un fou de dieu ressemblant à monsieur Tout-Le-Monde dont l’action amènera la destruction complète de la zone pour permettre à Destruction de planter son décor. Logique. La qualité allemande.
Sélection « Eurovision » : parce que le metal en Europe, ce n’est pas que les pays scandinaves, l’Angleterre et l’Allemagne, voici des créations en provenance de Hongrie et d’Italie.
Perihelion – Feneketlen (EP Hold, clip réalisé par Norbert Porkolab)
Voilà un clip qui n’a pas fait un pli sur la rétine pour trouver sa place dans cette sélection : en dix secondes, l’on savait qu’on le regarderait jusqu’au bout. En 3 minutes, l’on s’est dit que ce serait trop court. Est-ce que tout cela a un sens ? Autant que la Mort sans doute, si vous prenez à coeur de lui en accorder. Aussi troublant que beau. Bardé à ras bord de symboles sans pour autant qu’on ait le désir de les décrypter pour ne pas égratigner cette toile surréaliste. Pour tout fan de Solstafir, de post-black metal en particulier (comme les Islandais, Perihelion a d’abord fait ses armes dans le black), de post-metal tout simplement, ou de musique (pourquoi aller chercher d’autres motifs), les Hongrois de Perihelion, avec leur nouvel EP 4 titres (dont une reprise de « Sycamore Trees » de la B.O. de Twin Peaks) Hold (Lune en hongrois) doivent être expédiés presto en haut de votre liste « A écouter dès aujourd’hui ». Et ça tombe bien, ça se trouve déjà sur Bandcamp.
Novembre – Annoluce (album URSA, clip réalisé par Sanda Movies)
De retour après une quasi décennie de silence, Novembre vient rappeler que de l’autre côté des Alpes, on ne fait pas que du power metal tendance Donjons & Dragons. Le groupe de doom mené par Carmelo Orlando vient de sortir son septième album URSA et s’est même offert en guest pour le single « Annoluce », que nous vous présentons ici, Anders Nystrom de Katatonia. Mais comment comprendre ce clip ? La clé est dans le titre de l’album lui-même. URSA fait référence à la Ferme des Animaux de George Orwell puisque, à l’époque de la première traduction française de ce conte politique, l’auteur suggéra que le titre soit traduit en « Union des Républiques Socialistes Animales » pour la première traduction française. Un bon moyen d’appuyer la référence à l’URSS (URSA signifiant aussi Ours, symbole de la Russie) déjà assez nette dans sa critique des révolutions populaires et des régimes despotiques subséquents du XXe siècle. Impossible dès lors de ne pas voir dans le clip de Novembre le lien avec cette fable orwellienne où l’homme est remplacé par l’animal mais dans laquelle l’animal n’est jamais plus sauvage que quand il singe l’homme. Où la femme en robe rouge peut être vue comme une allégorie du socialisme qui, mue par le projet de libérer les hommes tenus dans un état d’esclavage, de bêtes de somme, libère les instincts bestiaux des individus avides de puissance qui s’empresseront de se faire un festin des beaux idéaux de la révolution.
Sélection « Animetal » : pas forcément grand chose à dire sur ces clips en dessin animé. D’abord parce que celui des hardcoreux Turnstile ne dure qu’un peu plus d’une minute – autant dire qu’avec une telle durée, vous n’aurez pas le temps de regretter de l’avoir regardé – dans un style de dessin évoquant la bédé underground ou l’animation d’un Bill Plympton avant de virer dans le trip hallucinogène. Ensuite parce que celui de Paul Gilbert, s’il a un style volontairement (on espère) moche et fauché, a tout de même un message tout simple et pourtant d’une importance capitale à délivrer : « UTILISEZ VOTRE BON DIEU DE CLIGNOTANT ! ». Car, oui, bon sang, qui n’a jamais eu envie d’envoyer une volée d’insultes à un automobiliste pas foutu de se servir de cette petite commande dès qu’il change de direction ? Donc, voilà, ça soulage de le dire, de le chanter, de le crier, de le mettre en images. Et puis, bon, on ne crache pas si aisément sur un bon p’tit Paul Gilbert qui groove en diable.
Turnstile – Addicted (album non Stop Feeling, clip réalisé par Elliot Bech)
Paul Gilbert – Everybody Use Your Goddamn Turn Signal (album I Can Destroy, clip réalisé par Online Revolution Design)
Sélection « Clips To Unsee » : côté yang des « Clips To See », il y a les clips qui font aussi tout ce qu’il faut pour ne pas se faire voir. A commencer par le groupe de post-hardcore français No Vale Nada pour son titre « Demain », extrait de son nouvel album du même nom, qui, par l’usage à outrance d’images floues et d’une caméra tressautante fait de grands efforts pour se montrer irregardable, voire incompréhensible (une bouteille de gaz sur un tourniquet ?!). Quant à Catte Decapitation, c’est presque une marque de fabrique. Le combo de death/grind/gore metal a l’habitude d’offrir des vidéos digne des films dit « torture porn ». Mais même si les metalleux ne sont pas des agneaux de trois jours, tout le monde ne goûte pas à cette esthétique, bien que, en l’occurrence, elle serve à dénoncer les tests sur animaux dans l’industrie cosmétique. C’est pour la bonne cause mais ça n’est quand même pas fait pour toutes les rétines.
No Vale Nada – Demain (album Demain)
Cattle Decapitation – Clandestine Ways (Krokodil Rot) (album The Anthropocene Extinction, clip réalisé par Mitch Massie)
Sélection « Il en reste, on vous le met aussi ? » : parce que quand y’en a plus, y’en a encore !
The 69 Eyes – Jerusalem (album Universal Monsters, clip réalisé par Jyrki 69)
Il est des villes qui, même si l’on n’est guère sensible à la culture et aux valeurs qui s’y rattachent, conserveront toujours un aspect fascinant. Ces cités possèdent un pouvoir d’attraction digne d’un trou noir aidées en cela par la masse d’histoires et de symboles qu’elles ont cumulé au fil des siècles, voire des millénaires. Et au milieu de toutes, entre Orient et Occident, au contact de quelques unes des cultures majeures de notre monde, autant dire au centre du monde, depuis des siècles et des siècles, la ville des villes est sans doute Jérusalem. Dans cette vidéo dont les images ont été captées par le chanteur même de The 69 Eyes, l’on passe notamment par la Via Dolorosa, celle du chemin de croix, le calvaire du Christ à travers la Ville Sainte juste avant sa crucifixion. Selon les mots de Jyrki 69, Jérusalem est « la cité où l’homme rencontre Dieu et où la clé de la paix peut être trouvée. » Si ce n’est que l’Histoire ancienne comme contemporaine prouve que c’est une longue route douloureuse pour atteindre la paix sur cette terre promise déjà, pour l’heure et depuis toujours, à être le moyeu d’un éternel cycle de batailles et conflits.
Vimic – Simple Skeletons
Joey Jordison, le retour ! L’ancien batteur de Slipknot semblait avoir disparu dans les limbes après son premier album avec Scar The Martyr en 2013, le départ de son chanteur et puis… silence radio. Le retour n’en est donc que plus tonitruant. Et même doublement puisque ce n’est pas avec un mais deux groupes qu’il revient : Vimic, élevé sur les cendres de STM, et Sinsaenum, supergroupe piochant parmi quelques fameux noms du metal extrême comme Attila Csihar de Mayhem ou Stef Buriez de Loudblast. Mais bien que l’on a apprécié de voir les gueules patibulaires de ces derniers en noir et blanc dans un décor industriel, revenons sur le premier. Et même la première vidéo dévoilée, plutôt que le premier clip officiel offrant sa tartine de groupe jouant dans les bois et d’un complément fétichiste pour « She Sees Everything ». « Simple Skeletons » nous donne, certes, exactement ce que le titre annonce : du squelettique pur et simple. Mais le macabre de la chose n’en est que renforcé par l’aspect pourtant bien vivant des sujets artificiellement écorchés pour ne laisser voir que l’inéluctable décrépitude programmée dans nos cellules. Humanité dévisagée tout comme l’illusoire promesse d’éternité de quelque divinité derrière laquelle il n’y a encore que la mort.
Une douzaine de clips à voir ce weekend, voilà de quoi bien vous occuper plutôt que de profiter des terrasses ensoleillées qui nuisent au teint blafard de tout metalleux qui se respecte. Et comme, en plus, il ne faudrait pas manquer de vous détourner de la route des fleuristes à l’occasion de la fête des mères, ajoutons du bonus pioché dans l’histoire de la vidéo hard/metal, cette fois-ci avec un grand classique d’un groupe culte qui projettera peut-être sur la jeune pousse voisine la lumière nécessaire pour la faire grandir.
Van Halen – Pretty Woman
Space Fisters – Yellow Hills