À l’heure où beaucoup de groupes reviennent à des méthodes d’enregistrement plus en phase avec ce qu’ils proposent en live, Clutch est peut-être l’un des groupes qui incarnent le mieux la philosophie du spontané, du droit à l’erreur dans l’exécution, de la musique organique. Aborder un album de Clutch, c’est toutefois un peu plus que mesurer le nombre d’accroches, de breaks rythmiques et de refrains entêtants. Peut-être davantage sur ce Book Of Bad Decisions qui, dans la façon dont il s’est réalisé, incarne sans doute le mieux l’essence du groupe. Book Of Bad Decisions est rempli d’anecdotes cachées, de références camouflées, le tout avec une inspiration et une production exemplaires.
Clutch ne réalise pas des albums pour les promouvoir en tournée. Il fait l’inverse, l’album est un prétexte pour se produire en live, raison d’être de la formation. Il ne faut cependant pas croire que l’effort studio est vite expédié. C’est simplement que le processus créatif s’apprécie sur le moment, la suite appartient à la scène. Book Of Bad Decisions a été produit par le fameux Vance Powell (Red Fang, The Raconteurs, The Dead Weathers, Chris Stapleton), qui a accompagné Clutch quelques jours en tournée afin de constater les principales forces du groupe. Book Of Bad Decisions a profité de l’environnement de la légendaire Nashville et du Sputnik Sound. Cela a permis au groupe de se procurer divers amplis des années 50 et des années 70 afin de ciseler un son extrêmement authentique, proche à ce qu’il se dégage de l’expérience live. Coupons court, Book Of Bad Decisons est l’un des albums les plus dynamiques qui soient. Les erreurs dues au processus d’enregistrement live a même donné naissance à des parties et ont été intégrées dans les compositions, à l’instar du titre en hommage au public de Clutch, le très rebondissant et groovy « Sonic Counsellor ». Vance Powell a de même contribué à des arrangements du meilleur effet, à l’instar des parties d’un ensemble de cuivres du surprenant « In Walks Barbarella » où Neil Fallon s’illustre au sein d’une atmosphère à la James Brown, riffs incisifs en plus, et où on prend toute la mesure du swing légendaire de Jean-Paul Gaster. La performance du chanteur sur Book Of Bad Decisions est capitale, que ce soit les variations d’intensité sur « In Walks Barbarella », la qualité mélodique à la Eddie Vedder de Pearl Jam sur « Spirit Of ’76 » ou l’énergie déployée sur très haché « How To Shake Hands ».
Il faut dire que l’inspiration sur ce Book Of Bad Decisions provient de multiples endroits, que ce soit des références à la vie du groupe telle l’introduction stoner « Gimme The Keys », qui relate la tournée catastrophique du groupe de 1991, se remémorant un concert donné par le groupe, très tard, dans le Kansas devant des skinheads éméchés, le groupe se faisant accuser d’avoir volé du matériel, des fusils pointés sur eux. « A Good Fire » fait référence au fait d’écouter Black Sabbath pour la première fois, avec une rythmique très proche justement d’un Tony Iommi et Bill Ward des débuts, tandis que le solo renvoi plutôt au blues de ZZ Top. Il y a aussi une pléthore d’allusions : « Spirit Of ’76 » (sur lequel on retrouve l’influence de Black Sabbath avec un riff à la « Iron Man ») est un jeu de va-et-vient entre l’année 1776 et 1976, avec des parallèles entre les évènements tels que le Mohican, référence à Taxi Driver sorti cette année-là. « How To Shake Hands » et son phrasé particulier est un renvoi à Ry Cooder et « Johnny Lee Hooker For President » dont le groupe voulait faire la reprise. Dans cette chanson Neil Fallon joue le candidat à l’élection présidentielle, se moquant savoureusement des politiques. Que ce soit au niveau des textes ou de la musique, Clutch s’est montré très inventif. Le meilleur exemple reste la conclusion d’ « Emily Dickinson », un titre sudiste simili-country à l’ambiance mélancolique qui se termine sur un jam presque éthérée et qui laisse imaginer toute l’alchimie que le groupe peut avoir lorsqu’il est réuni dans une salle. Ce jeu sur les atmosphères se retrouve jusqu’au titre de conclusion, le lugubre « Lorelei » qui voit Neil Fallon rapprocher son timbre parlé d’un Mark Lanegan.
Book Of Bad Decisions est un sans-faute sur quinze titres, ni plus ni moins. Clutch sait parfaitement puiser dans ce qui fait tout l’intérêt de sa musique. Ceci se perçoit dans la très bonne idée de s’entourer de Vance Powell. Il y a de la fougue, de la grâce et de l’élégance dans une musique qui se veut pourtant sauvage et qui se sent limitée par une abondance d’artifices. Chaque titre affirme une identité singulière très forte, à travers des ambiances différentes, des accroches et des rythmiques variées. C’est un album de rock certes, avec ses codes, mais conçu avec beaucoup de goût et sans mauvais choix justement.
Clip vidéo de la chanson « Hot Bottom Feeder » :
Clip vidéo de la chanson « How To Shake Hands » :
Clip vidéo de la chanson « Gimme The Keys » :
Album Gateways, sortie le 7 septembre 2018 via Weathermaker Music. Disponible à l’achat ici