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Interview   

Conception : un talent qui ne trompe pas


Qu’est-ce qui fait qu’une alchimie née d’un groupe de musiciens perdure dans le temps ? Difficile de répondre à cette question, mais c’est assurément ce qui est arrivé à Conception, et en particulier à son équipe de compositeurs principaux, constituée du guitariste Tore Østby et du chanteur Roy Khan. C’est ce qu’a démontré l’EP My Dark Symphony il y a un an et demi et ce que démontre aujourd’hui State Of Deception, composé lors des mêmes sessions. Vingt-trois ans se sont écoulés depuis Flow, leur précédent album, et pourtant Conception sonne toujours aussi frais et pertinent, tirant profit des années d’expérience de chacun pour proposer un metal progressif, expressif, mature.

Le leitmotiv Conception : transmettre de l’émotion et faire tomber les barrières entre eux et leurs fans. Voilà pourquoi le combo norvégien est désormais à cent pour cent indépendant, que ce soit avec son propre label Conception Sound Factory ou en gérant son propre système de financement participatif, après les problèmes dus à la faillite de Pledge Music.

Après notre titre à titre de l’album, retrouvez ci-après nos échanges avec Tore Østby et Roy Khan. Une interview qui, à bien des égards, vient en complément de celle publiée en décembre 2018 pour marquer le retour de Conception.

« Certaines parties sont techniques à jouer, mais la technique n’a pas d’importance si tu ne mets pas d’émotion et du groove dans ton jeu ou ton chant. »

Radio Metal : Suite à la sortie de votre EP de reformation, My Dark Symphony, vous avez fait des concerts en 2019, le premier s’étant déroulé en Norvège en avril. Comment c’était de remonter sur scène après autant de temps ? Pas trop rouillé ?

Roy Khan (chant) : C’était juste étrange parce que ça faisait un bail que nous n’étions pas montés sur scène, mais nous ne nous sommes pas vraiment sentis rouillés. Nous nous sommes très bien préparés pour ce retour sur scène !

Tore Østby (guitare) : Il est clair que c’était extrêmement excitant au moment où nous sommes montés sur scène pour le tout premier concert. En réécoutant les enregistrements live de cette double date que nous avons faite chez nous, on peut entendre qu’il y avait un peu plus d’adrénaline le premier soir et que c’était un peu plus en place sur le second. Je ne dirais pas que l’un était mieux que l’autre mais il est clair que c’était deux ambiances différentes.

Roy : Evidemment, nous avons dû ressortir de vieilles chansons que nous n’avions pas jouées depuis longtemps. Il y en a certaines que nous étions obligés d’inclure et comme nous avions deux concerts d’affilée, il fallait que nous jouions un paquet de chansons. Il y en a même deux ou trois que nous n’avions pas jouées lors du concert unique de reformation de 2005.

Tore : C’était très amusant de revisiter les anciennes musiques !

Vous avez financé votre projet en allant directement vers les fans, dans un premier temps en faisant appel à Pledge Music. Cependant, il y a eu des problèmes de paiement avec eux et, finalement, Pledge Music a fait faillite l’an dernier. Comment est-ce que cela a affecté le groupe et comment avez-vous géré la situation ?

C’était très malheureux. D’abord, l’expérience avec Pledge était fantastique, car ça nous a vraiment permis de créer un nouveau lien avec nos fans, un lien beaucoup plus rapproché, et ça a vraiment prouvé que faire ceci avec les fans était, pour nous, absolument la meilleure façon de faire. Puis ce service, Pledge Music, a eu des problèmes et ils ont repoussé les problèmes en retardant les paiements. Malheureusement, quand la campagne était terminée, c’est là que nous avons réalisé que nous n’allions pas recevoir tout l’argent que nous étions censé recevoir. Ça nous a causé une perte substantielle. Puis c’était aussi très malheureux que plein de gens qui avaient participé à la campagne de financement n’aient pas reçu leurs produits. Nous avons livré tous les produits à Pledge Music, mais ils n’ont pas tout envoyé comme ils auraient dû le faire. C’était très important pour nous que ces fans qui nous sont fidèles, qui nous soutiennent et qui nous financent puissent obtenir leurs produits. Donc nous les avons contactés en marge de Pledge, via notre manageur, pour essayer de voir lesquels n’avaient pas reçu leurs produits et nous leurs avons envoyé de nouveaux produits.

Roy : Ce qui s’est passé avec Pledge était une incroyable malchance et maintenant, à la sortie du nouvel album, nous sommes en pleine crise du coronavirus [rires]. Mais je crois fermement en cette façon d’opérer.

Tore : Ce qui est différent désormais est que quand les gens participent à notre campagne de financement, ça va directement sur un compte dont nous avons le contrôle, au lieu de faire comme nous l’avons fait avant où tout allait chez Pledge Music, pour qu’au final ils ne nous payent pas. Nous avons une plus grande responsabilité – de toutes façon, nous avons assumé la responsabilité quand Pledge ne le faisait pas – et un plus grand contrôle sur tout le truc. Donc ce qui est arrivé avec Pledge Music ne peut plus arriver. Et ça a été super, nous avons beaucoup de chance d’avoir des fans aussi dévoués ; ce sont les meilleurs fans au monde et ils rendent possible pour nous de faire ça, sans avoir une configuration traditionnelle avec une maison de disque et ainsi de suite. Ça nous permet un lien et une relation plus étroits avec nos fans. Nous sommes donc désormais à cent pour cent indépendants, ce qui est important pour nous.

Vous avez votre propre label, Conception Sound Factory, et vous avez déclaré que vous avez « travaillé avec des maisons de disques par le passé, et par définition, l’artiste se tient à distance de sa communauté de fans. [Vous] trouv[iez] que c’était un compromis inacceptable. » Avez-vous tant souffert par le passé de ce compromis ?

Nous avons toujours créé la musique que nous voulions faire, donc ça a plus à voir avec le côté business des choses. Il est clair qu’aujourd’hui, contrairement à l’époque où la maison de disques se mettait entre nous et les fans, nous sommes beaucoup plus proches de ces derniers. Je ne dirais pas que nous en avons « souffert », mais avec une maison de disques, il y a la distance et puis ils te mettent une certaine pression, par rapport à ce que tu dois et ne dois pas faire. Maintenant, nous sommes les seuls à pouvoir nous mettre la pression.

Roy : En plus, ils ne font pas toujours ce que nous pensons être le plus intelligent, ils font ce que eux pensent être le plus intelligent. Il y a des fois où la maison de disques va à ton encontre ou ne fait pas ce que tu penses être le mieux. Au moins, maintenant, nous n’avons personne d’autre à blâmer que nous, ce qui fait du bien. Mais je dois dire que dans le passé, les maisons de disques avec lesquelles j’ai travaillé ont été correctes. Le principal, c’est le lien aux fans, la façon dont on peut communiquer avec eux au fur et à mesure, les événements qu’on peut organiser, etc. Tout ça, ce sont des choses que nous ne faisions pas vraiment ou dont nous ne parlions pas du tout dans le passé. C’est une nouvelle manière de faire les choses, et c’est très intéressant et amusant.

« Je suis très fier que nous soyons parvenus à maintenir l’audace que nous avions quand nous avons commencé ce groupe. Beaucoup de groupes perdent leur audace. Beaucoup de groupes se reforment et reviennent aujourd’hui simplement pour jouer et se faire rapidement de l’argent. Pour nous, ceci n’est motivé que par l’art. »

Tore : Effectivement. Nous avons aussi constitué notre propre équipe, donc nous avons des gens qui travaillent pour nous. De même, ce que nous faisons cette fois-ci, à la différence de l’EP, c’est que nous avons également une distribution. L’album sera donc disponible dans les magasins de disques partout dans le monde. Et puis nous avons fait une exception pour le Japon : dans les années 90, nous avions une super relation avec JVC, une maison de disques japonaise, donc nous leur avons accordé une licence pour l’album seulement pour le marché japonais. C’est le seul pays où nous avons laissé une entreprise avoir encore un certain contrôle. C’est trop dur pour nous de gérer le Japon d’ici.

Vous êtes donc entourés d’une équipe professionnelle pour s’occuper des choses à votre place. J’imagine qu’il faut avoir les moyens financiers et logistiques pour ça. Comment parvenez-vous à gérer une équipe en étant encore un petit groupe ?

Roy : C’est là qu’intervient le financement participatif. Nous avons besoin d’un certain budget pour sortir l’album et ensuite, nous avons aussi besoin d’argent pour faire tourner la boutique dans la période où l’album est sorti. Il y a toujours du business au quotidien à gérer et plein de choses qui coûtent de l’argent quand on fait tourner un groupe, même quand on n’est pas en train de sortir un album ou de tourner. Mais bien sûr, quand on a sorti un album, on reçoit aussi un certain revenu des ventes, donc il y a toujours un peu d’entrées d’argent, en dehors de la campagne de financement participatif.

Tore : Mais comme Roy l’a d’abord dit, c’est les fans qui nous aident à rendre ça possible.

Roy : Je pense que c’est plus intéressant pour les fans aussi. Ça leur donne un sentiment de possession avec notre art. Evidemment, les fans ont toujours été importants dans le fait de rendre ça intéressant. Même si nous faisons ça pour nous, si personne ne l’écoutait, je ne suis pas sûr que nous le ferions [petits rires]. Maintenant, ils sont encore plus « propriétaires » puisqu’ils financent directement.

Est-ce que le fait d’être encore plus au contact des fans vous fait ressentir encore plus de responsabilité envers eux que quand vous travailliez avec une maison de disques comme intermédiaire ?

Tore : La musique, c’est d’abord de la communication entre l’artiste qui joue et l’auditeur qui reçoit. En concert, l’auditeur renverra même de l’énergie et une réponse qui nourrira en retour notre propre énergie. En studio, bien sûr, ce n’est pas possible, mais c’est ça le principal : la relation entre l’auditeur et le musicien-compositeur. Notre responsabilité a toujours été de créer de la musique qui, nous l’espérons, plaira aux gens, pas aux maisons de disques. Ça n’a jamais été notre intention non plus dans les années 90. Donc c’est important que nous puissions joindre les gens dès que nous voulons nous exprimer et nous espérons qu’ils y adhèrent.

La très bonne réception de l’EP vous a de toute évidence encouragés à aller plus loin avec un album. La dernière fois qu’on s’est parlé, vous disiez que vous n’aviez pas de pression en revenant avec Conception, parce que vous ne saviez pas combien de gens vous attendaient. Maintenant vous savez qu’il y a une certaine attente. Du coup, la pression était-elle là cette fois en abordant l’album ?

Roy : Plein de gens nous ont posé cette question mais je crois vraiment que la pression que nous nous mettons surpasse de loin toute autre pression venant de l’extérieur. Nous cherchons vraiment à étendre notre horizon et à nous développer en tant que groupe et compositeurs, et nous essayons d’écrire des chansons que nous n’avons pas déjà écrites par le passé. A cet égard, j’espère vraiment que nos fans se joindront à nous dans ce voyage et pourront nous suivre. Donc je ne ressens pas cette pression. Bien sûr de temps en temps, on peut toujours s’inquiéter un petit peu, en se demandant : « Est-ce que les gens vont comprendre ce que je dis ? Est-ce qu’ils vont comprendre ce que nous essayons de faire ? » Mais ce n’est pas non plus une grosse inquiétude ou pression.

Tore : Je pense que, comme tu l’as dit Roy, la plus grosse pression vient de nous : c’est très important pour nous de créer quelque chose de frais. Nous voulons nous dépasser. Maintenant, nous sommes convaincus que ce nouvel album est une avancée par rapport à tout ce que nous avons fait avant. Tant que nous ressentons ça et que nous sommes satisfaits et fiers de notre musique, je ne ressentirai pas de pression quant à la manière dont les gens l’accueilleront. J’adore l’album, donc voyons où ça nous mène !

Vous continuez dans la même veine que sur l’EP – il y a une vraie cohérence entre les disques – mais vous développez aussi la musique sur cette base. C’était l’idée depuis le départ ?

Oui, et presque toutes les chansons ont été écrites dans la même période. Nous nous sommes posés et avons pensé : « D’accord, ces chansons vont bien ensemble pour My Dark Symphony » et nous avons mis de côté les autres morceaux qui, selon nous, formeraient la prochaine étape, c’est-à-dire l’album. Ensuite, nous avons continué à travailler sur la musique de l’album à mesure que nous l’enregistrions, donc jusqu’à la fin de l’année dernière, mais les bases étaient plus ou moins posées à la même période.

La dernière fois qu’on s’est parlé, Roy, tu nous disais que les premières chansons que Tore t’avait fait écouter n’étaient même pas sur l’EP. Du coup, les avez-vous utilisées pour l’album ?

Roy : Non ! Elles ne sont pas non plus l’album [rires]. Comme je l’ai dit, nous nous mettons une grosse pression et je suppose que nous avions d’autres chansons qui étaient meilleures. Nous avions beaucoup de chansons et d’idées, des petit bouts ici et là, qui pourraient très bien apparaître sur quelque chose dans le futur. Mais je pense que ça en dit long sur le niveau de qualité que nous nous imposons. Avec cette équipe de composition, la compétition est rude pour qu’une chanson puisse trouver une place sur un album.

« Si on veut prendre le mot « art » dans son sens le plus absolu, à mon avis, il ne devrait avoir aucune limite. […] Je crois vraiment que le fait d’avoir une formule est en contradiction avec l’art dans sa forme la plus pure. »

Le fait de rejouer certaines de vos anciennes chansons en concert a-t-il eu le moindre impact sur la nouvelle musique ou tout était-il déjà écrit à ce moment-là ?

Tore : Les bases étaient déjà écrites et il était également important pour nous que ce voyage aille de l’avant. Nous ne regardons pas derrière nous. Nous sommes en constante progression. Vu que nous avons toujours écrit avec notre cœur, ça fait que la musique reflétera toujours qui nous sommes, mais même si de nombreuses années se sont écoulées depuis Flow, ça reste les mêmes personnes.

Tore, tu as qualifié la production de ce nouvel album de « processus émotionnel ». Pouvez-vous nous détailler ce processus, et en particulier ce qu’il a impliqué émotionnellement parlant ?

La musique est une expression de nos émotions. Ce qui est important pour nous quand nous enregistrons, c’est de transmettre du mieux que possible nos émotions, peu importe de quel genre d’émotion il s’agit. Quand vous écouterez tout l’album, vous découvrirez qu’il est très dynamique. Il y a des styles différents, parfois c’est brut, parfois c’est beau, parfois c’est triste… Il s’agit à chaque fois de plonger dans l’émotion. Evidemment, nous avons traversé beaucoup de choses, le monde traverse beaucoup de choses. Comme nous en avons parlé la dernière fois, nous avons tous traversé des moments difficiles avec notre santé mentale ; ça constituait une grande partie des thèmes de My Dark Symphony. C’est toujours vrai pour l’album mais il y a aussi d’autres aspects, plus liés au monde. Roy pourrait mieux l’expliquer plus tard. Mais niveau production, bien sûr, certaines parties sont techniques à jouer, mais la technique n’a pas d’importance si tu ne mets pas d’émotion et du groove dans ton jeu ou ton chant. Ce sont des aspects importants pour nous tous dans le groupe.

Roy : Je dois dire que je suis très fier que nous soyons parvenus à maintenir l’audace que nous avions quand nous avons commencé ce groupe. Beaucoup de groupes perdent leur audace. Beaucoup de groupes se reforment et reviennent aujourd’hui simplement pour jouer et se faire rapidement de l’argent. Pour nous, ceci n’est motivé que par l’art. Comme Tore l’a dit, chaque album est un voyage émotionnel, mais probablement encore plus cette fois-ci, car nous avons une histoire qui remonte à loin. Nous avons ces années d’épreuves mentales et où il s’est produit plein de choses sérieuses dans le monde. En tant qu’êtres humains, nous avons pas mal d’années en plus et lentement, au fil de la vie, on apprend à gérer notre moi intérieur et nos émotions. Je suppose que ceci ressort sous la forme d’expression et d’émotion dans la musique et dans l’art. Je crois donc vraiment que cet album est « émotionnel », plus que tout ce que nous ayons jamais fait.

La dernière fois, Roy, tu disais que votre formule est de ne pas avoir de formule. Pensez-vous que le fait d’avoir une formule est en contradiction avec l’art ?

Dans une certaine mesure, oui. Tout dépend de comment on définit et voit l’art. En Norvège, on a deux expressions différentes pour deux types d’arts : il y a l’art et puis il y a l’art utilitaire. On peut aussi dire qu’il y a de l’art dans le design des meubles qu’on utilise au quotidien ou des ustensiles de cuisine. Mais si on veut prendre le mot « art » dans son sens le plus absolu, à mon avis, il ne devrait avoir aucune limite. Je ne suis pas en train de dire que nous n’avons aucune limite dans ce que nous faisons, mais je crois vraiment que le fait d’avoir une formule est en contradiction avec l’art dans sa forme la plus pure.

Tore : Dans notre manière de faire, une grande partie de la musique ne fait que venir à travers nous. Ce n’est pas comme si nous étions posés là, à calculer : « On va écrire ceci, on va assembler ceci et cela, et ensuite on va faire un changement de tempo, puis un changement de tonalité… » Nous ne faisons que suivre nos sentiments et émotions quand nous écrivons, et ensuite la musique définit sa propre direction.

Quelles sont les limites à ce que vous pouvez faire dans Conception ?

Exprimer nos émotions en concevant des ustensiles de cuisine ? [Petits rires]

Roy : Pour expliquer ça très simplement : j’ai une certaine tessiture. Ma voix va d’une certaine note jusqu’à une certaine note. J’ai une tessiture assez large, elle fait trois octaves et demie, presque quatre, mais il y a une limite. Il y a une note la plus basse que je suis capable de faire et une note la plus haute. Et il y a aussi certaines choses, dans les textes, au sujet desquelles je ne peux pas écrire et il y a des thèmes que je n’aborderai pas, simplement parce que ce sont des idées que je n’ai pas envie de répandre ou dont je n’ai pas envie de parler. En dehors de ça, je pense que nous sommes très conscients de ne pas nous mettre de limites à ce que nous pouvons faire.

Tore : Je pense que nos goûts personnels peuvent aussi nous limiter, parce que c’est très important pour nous de créer quelque chose que nous apprécions vraiment.

« Tore et moi sommes tous les deux réellement ouverts d’esprit en matière de musique. Nous n’écartons aucun style. […] Une bonne façon de faire quelque chose est toujours intéressante pour nous, indépendamment du style ou des instruments. »

On peut entendre dans State Of Deception que vous développez encore plus le côté symphonique du groupe par rapport à votre première expérience sur My Dark Symphony, et en particulier la chanson éponyme. Le côté orchestral est quelque chose qui a pas mal été développé dans le metal durant les deux dernières décennies quand Conception était inactif. Du coup, quelle est la place de Conception dans ce mouvement symphonique ? Quelle est votre approche des orchestrations ?

Roy et moi avons toujours écouté de la musique classique et j’ai toujours – aussi loin que je me souvienne – mis cette influence à profit sur des albums, que ce soit Stravinsky, Grieg voire des compositeurs plus obscurs. Je veux dire qu’il y a plein de similitudes entre un certain nombre de musiques classiques et de metal, par l’intensité, le côté dramatique, etc. Donc notre approche est de se dire qu’on peut utiliser ça, alors pourquoi pas ? C’est une très bonne manière de s’exprimer et ça apporte plein de couleurs à notre musique.

Roy : Je crois vraiment que le côté orchestral aurait été un élément de notre musique dès le début quand nous avons commencé le groupe si ça avait été possible, car à l’époque, soit il fallait payer très cher pour que ça sonne bien, soit il fallait mettre des faux synthétiseurs qui ne sonnaient pas très bien. Il y a eu un énorme progrès à ce niveau-là, grâce à la technologie et aux coûts relativement bas pour faire les choses. Aujourd’hui, notre créativité est la seule limite.

Tore : Durant les dernières années, même avant l’EP, j’ai acquis de nouveaux outils qui m’ont permis de travailler sur les arrangements, donc bien sûr, on apprend au fur et à mesure et je ne cesse de m’améliorer dans ce domaine ! Pour moi, le truc le plus délicat n’est pas de composer mais de faire que ça sonne comme il faut, que le frottement des cordes de violon ou de violoncelle sonne authentique. Mais c’est un super atout de pouvoir obtenir toute cette musique et d’avoir les outils pour.

Roy : Tu as fait un super boulot, Tore !

Tore : Miro aussi fait du super boulot pour vraiment améliorer certains de ces trucs en apportant sa touche finale pour que ça sonne réellement authentique et apporter une brillance supplémentaire.

Tore, la dernière fois, on avait parlé de ton exploration musicale et du fait que tu empruntes à d’autres styles comme le jazz, le classique ou même d’autres cultures. Dirais-tu, Roy, qu’il y a le même genre d’exploration chez toi, pour étendre et développer ton expression au chant ?

Roy : J’imagine qu’inconsciemment, on est inspirés par tout ce qui nous intéresse et qu’on écoute, mais ce n’est pas quelque chose dont je suis très conscient.

Tore : C’est à peu près pareil pour moi. Je pense que le mot « emprunter » n’est pas tout à fait exact. C’est plus que tu t’inspires. Ce n’est pas comme si nous empruntions des parties. Mais bien sûr, nous écoutons tous les deux un vaste panel de musiques et nous nous inspirons de la folk, de la musique classique, même du rap… Nous sommes ouverts à plein de styles. Nous sommes tous les deux curieux d’explorer de nouvelles musiques.

Roy : Je pense que c’est un aspect très important qui explique pourquoi Conception sonne comme il sonne : Tore et moi sommes tous les deux réellement ouverts d’esprit en matière de musique. Nous n’écartons aucun style. Une bonne musique est une bonne musique ; une bonne chanson est une bonne chanson. Une bonne façon de faire quelque chose est toujours intéressante pour nous, indépendamment du style ou des instruments.

State Of Deception contient certaines de tes prestations les plus expressives, Roy, allant jusque sur un terrain théâtral, par exemple dans « Of Raven And Pigs » ou sur le début de « Waywardly Broken ». As-tu un passé d’acteur de théâtre ou quelque chose comme ça ?

Non. C’est lié à ce qu’on disait plus tôt : il s’agit totalement d’expression et de transmission de nos émotions à l’auditeur. Le fait de vraiment les ressentir et les jouer comme un acteur est parfois la meilleure façon de faire passer les émotions et les idées. Mais je ne suis vraiment pas un acteur. J’ai beaucoup de respect pour ce métier. Être un acteur, c’est autre chose, mais il est clair que dans ma manière de chanter et d’interpréter, il y a une grosse part de jeu d’acteur.

Penses-tu que le break que tu as fait avec le heavy metal après Kamelot a été bénéfique pour ta voix ?

C’est dur à dire. Si j’avais prix mieux soin de moi, je n’aurais pas été… Surtout, les années m’ont donné d’autres manières de penser, rien que du fait que j’ai mûri et grandi en tant qu’être humain et musicien. Le changement en soi est suffisant pour te faire sonner différemment. Tu sais, nous avons travaillé vraiment très dur sur cet album. Nous avons placé la barre très haut, et plus que tout, je crois vraiment que ce que nous avons obtenu avec State Of Deception est le résultat d’un très gros travail, très focalisé.

« Les gens dans le monde sont un peu trop euphoriques par rapport à la technologie, en croyant que c’est notre grand sauveur. D’une certaine manière, nous sautons dans le futur les yeux fermés. J’ai l’impression que pas mal de ces choses vont se retourner contre nous, la race humaine. »

Tore : Je pense que Roy s’est incroyablement développé au fil des années. Enfin, il a toujours été un super chanteur, mais j’adore la manière dont il a progressé et comment sa voix s’est développée avec l’âge. Je trouve qu’il ne cesse de s’améliorer et de gagner en expressivité.

Roy : Je suis comme un vin de Bordeaux qui coûte très cher ! [Rires] Peut-être que tu ne devrais pas me citer là-dessus, ça peut sonner légèrement prétentieux. J’aurais préféré que ce soit toi Tore qui le dises ! [Rires]

Tore : Moi j’aurais plutôt dit : Roy est comme un fin champagne millésimé, car il est aussi pétillant ! [Rires]

Roy : Bref, peu importe le style de chant qu’on fait, ce qui importe, c’est le soin qu’on prend de soi et le type de musique qu’on produit. Si j’essayais d’écrire des mélodies comme celles que je faisais au début, ça ne marcherait pas. Je suis sûr que plein de gens adoreraient m’entendre faire des notes hyper-hautes, claires et brillantes comme sur « Silent Crying », par exemple, mais c’est très dur pour moi de faire ça aujourd’hui. C’est un effet naturel du vieillissement : on perd un peu en tessiture et notre timbre change. On n’y peut rien. C’est de la simple biologie et de la physique. Si tu ne réalises pas ça et ne le prend pas en compte quand tu écris de la nouvelle musique, et que tu essayes de copier ce que tu as fait dans le passé pour contenter quelqu’un d’autre, ça ne fonctionnera tout simplement pas.

Tu veux dire que tu adaptes ton chant quand tu joues certaines anciennes chansons aujourd’hui ?

Par exemple, nous devons faire attention à la position de certaines chansons dans le set, car j’ai besoin d’être totalement concentré ou reposé pour faire certains types de lignes de chant. Sur une chanson, tout est décalé d’un demi-ton plus bas. On ne perd pas beaucoup dans notre tessiture, mais rien que perdre un demi-ton apporte beaucoup. Ça a un gros effet sur ta capacité à atteindre certaines notes au milieu de la chanson. Il est clair qu’il y a plein de choses à faire pour que ça fonctionne avec l’âge. La question est de savoir si on connaît les méthodes pour y parvenir ou pas. C’est la différence entre les chanteurs qui s’en sortent et ceux qui galèrent.

Tore : Et aussi, d’accord, peut-être que les notes super aiguës sont un peu plus difficiles à atteindre, mais Roy a énormément gagné dans un joli registre grave qui est très profond et chaleureux. Il peut utiliser ça comme un outil pour exprimer encore plus et ça a été un gros avantage. Je ne cesserai de le dire, j’adore la façon dont Roy a progressé ! C’est aussi en partie pourquoi nous faisons ça : nous voulons créer quelque chose dont nous sommes fiers, que les gens aimeront, que nous aimons vraiment. Telle est l’énergie que nous mettons là-dedans. Nous ne faisons pas ça parce que nous voulons être des rock stars ou parce que nous voulons tourner à nouveau. Nous faisons ça parce que nous voulons créer et je pense que ça aussi apporte quelque chose à l’intention véhiculée par son chant. Je ne suis pas chanteur, mais je m’attends à ce que ça soit la même chose pour lui en tant que chanteur que pour moi en tant qu’instrumentiste.

Roy, tu t’es impliqué dans une église près de chez toi. As-tu fait des chants religieux, comme du gospel par exemple ?

Roy : Le gospel est un style qui ne m’intéresse pas tellement. Je veux dire qu’il y a des chanteurs qui font ça super bien. Il y a quelques chansons, je crois qu’on peut même les entendre sur YouTube… J’avais un club avec des jeunes à l’église. Nous avions un groupe, parfois je montais sur scène et je chantais avec eux. Ce n’était pas toujours très professionnel, mais c’est quelque chose que j’ai fait pour m’amuser et j’ai vécu une super expérience avec eux. En dehors de ça, je n’ai pas fait de… Bien sûr, il y a des types de chansons religieuses que j’ai chantées à l’église, mais pas tellement de gospel.

Tu as déclaré que « les textes de l’album tournent autour des erreurs humaines et de la trahison, d’où le titre de l’album, mais il aborde également tout ce qui va de l’apparence des gens au changement climatique, en passant par la religion et la politique ». On dirait que tu te focalises beaucoup sur les gens : passes-tu beaucoup de temps à les observer et les analyser, eux et leurs actions, leurs modes de pensée, etc. ?

Pas en situation. J’essaye d’être vraiment présent lorsque ça se passe, car si tu analyses trop, ou écris sur le moment, tu perds ta concentration. Mais bien sûr, quand je me pose et travaille sur les textes, j’essaye de sortir de ma mémoire ces expériences et choses que j’ai lues ou vues, et je les analyse. Les textes de cet album sont tous assez différents, mais le titre les résume bien. Je crois vraiment que l’EP et cet album sont liés. Les textes des chansons ont été plus ou moins écrits à la même période, et les épreuves mentales et les galères que nous avons connues en tant que groupe et individus en forment une grande partie, ça sert de toile de fond à l’ensemble. A la fois, comme Tore l’a dit, il y a eu tellement de trucs déglingués qui se sont produits dans le monde rien que durant ces cinq dernières années, avec le changement climatique, la montée en puissance des politiciens d’extrême droite et leur accès au pouvoir, etc. De même, toute la digitalisation, comme ce qu’ils font en Chine avec la reconnaissance faciale et ce système social à points. J’ai l’impression que les gens dans le monde sont un peu trop euphoriques par rapport à la technologie, en croyant que c’est notre grand sauveur. D’une certaine manière, nous sautons dans le futur les yeux fermés. J’ai l’impression que pas mal de ces choses vont se retourner contre nous, la race humaine.

« Nous nous complétons très bien. Cette combinaison est tellement unique qu’aucun de nous n’aurait pu faire ce groupe et cette musique tout seul. »

D’un autre côté, en tant que groupe, on a bien vu que vous utilisez beaucoup la technologie aujourd’hui…

Oui. Je ne suis pas en train de dire que la technologie est une mauvaise chose ! Mais il y a aussi de mauvais côtés et je me demande si les bons côtés supplanteront les mauvais côtés. Mais ce que nous faisons aujourd’hui avec la campagne de financement participatif et le fait que nous vivons dans différentes parties du pays – Tore vit même en Suède –, nous ne pourrions pas collaborer comme nous le faisons sans la technologie, tout du moins pas à ce rythme et en obtenant la même qualité. Je suppose que nous devons de gros remerciements à la technologie [petits rires]. Le thème de State Of Deception est en fait quelque chose que j’ai déjà abordé sur Parallel Minds, c’est-à-dire le côté autodestructeur de la race humaine et j’ai déjà parlé des machines qui prenaient le contrôle. Je suppose que c’est un thème plus actuel que jamais aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale, les réseaux sociaux… Ce n’est pas pour rien que tous ces services sont gratuits, c’est parce que nous sommes le produit. A la fois, nous pouvons en tirer parti en tant qu’artistes, entreprises, etc. et aller vers plein de gens.

Tore : Tout dépend de la manière dont les hommes adoptent cette nouvelle technologie, comme avec les réseaux sociaux et la manière dont ça met la pression sur l’individu, la manière dont ça aide les gens à manipuler l’information, etc. Mais il y a aussi de l’espoir !

Roy : Oui, c’est très important. L’album est assez sombre et nous reflète nous-mêmes et le monde d’aujourd’hui, mais c’est très important de chercher de l’espoir. Si tu regardes bien la pochette, il y a une magnifique fleur qui sort de la main de cette très triste silhouette qui est mise en avant. Cette fleur représente l’espoir, la lumière et tout ce qui est bon.

En parlant de la pochette, vous avez de nouveau travaillé avec le talentueux Seth Siro Anton. Vous avez même une illustration différente et très élaborée pour chaque single et pour l’album. Comment avez-vous travaillé avec lui sur l’univers visuel que vous avez voulu créer pour cet album ?

Comme nous l’avons dit plus tôt, quand nous faisons quelque chose, nous aimons ne pas le faire à moitié ! Déjà, au départ, nous avions une idée générale de ce que nous voulions exprimer. Ça pouvait même être aussi abstrait que de lui donner des émotions ou pensées clés, et ensuite lui donner carte blanche. Mais par exemple, il y a toujours une silhouette ou une tête sur nos albums depuis Parallel Minds. C’est un élément que nous voulons conserver. Ensuite, il nous donne une esquisse, nous en discutons dans le groupe pour voir si c’est la direction que nous voulons prendre pour continuer à travailler dessus, et nous procédons par échanges jusqu’à obtention d’un résultat dont tout le monde est content, y compris Seth.

Tore : C’est aussi important que l’illustration fasse partie du package global d’émotions et d’expression, et je trouve que Seth saisit ça merveilleusement bien !

Roy : C’est vraiment un artiste avec un grand « A ». Il n’a pas seulement une maîtrise graphique, c’est un artiste.

Tore : C’est aussi quelque chose que nous respectons beaucoup. Il a donc lui aussi son mot à dire, bien sûr. C’est super de collaborer avec lui.

L’album est assez court. Si on omet « Feather Moves », qui était déjà sorti en 2018 dans le cadre du single re:conception, il ne dure que trente-trois minutes, ce qui ne fait que six minutes de plus que l’EP. N’aviez-vous pas plus de musique pour l’album ou bien c’était une volonté de ne pas submerger les gens de musique et de miser sur la qualité plutôt que la quantité ?

Faire Conception, pour une raison ou une autre, ça nous rajeunit, et si on repense à notre jeunesse, à l’époque il y avait encore des vinyles et quand on revenait à la maison avec un nouveau disque, on vivait une super expérience. Le truc avec le vinyle, c’est que si on met trop de musique sur un disque, le son en souffre beaucoup. La durée de notre album est d’ailleurs légèrement trop longue pour une expérience parfaite en vinyle, mais ça reste dans les limites d’une bonne expérience.

Roy : Mais tu as raison, ceci dit, plus que tout, la raison pour laquelle ce disque est constitué de ces chansons est que ce sont celles qui allaient bien ensemble. Nous avons un paquet d’autres chansons et idées que nous avons arrêté de développer à un certain stade du processus de confection de l’album, parce que nous trouvions que ces chansons étaient celles qui iraient bien ensemble sur cet album. Nous sommes un peu vieux jeu, dans le sens où nous sommes toujours attachés au format album. Plein d’artistes de nos jours se concentrent sur des singles, mais nous croyons toujours en ce format faisant qu’un ensemble de chanson constitue un tout. C’est vraiment la raison principale, mais nous pensons également à cette idée de faire en sorte que ça sonne bien sur un vinyle.

Tore : Et puis une expérience ne doit pas forcément se mesurer en temps mais à ce qu’elle procure !

« Les fans dévoués qui nous suivent depuis les années 90 ne s’attendent plus à ce que notre prochain album ressemble au précédent. Ils ont maintenant appris comment Conception fonctionne. »

Vous organisez des voyages-campings d’été tous les ans dans les montagnes norvégiennes et puis, tous les deux, vous avez l’habitude d’aller dans un chalet pour y écrire, entourés de montagnes et de lacs. A quel point la nature fait-elle partie de l’ADN du groupe ?

Enormément, je dirais !

Roy : Je pense que beaucoup de Norvégiens ont une relation spéciale à la nature et aux montagnes. C’est très courant en Norvège d’avoir un chalet dans la montagne. Déjà dans le temps, quand nous avons commencé, Tore et moi partions en randonnée dans la montagne, où nous dormions sous la tente, nous pêchions, etc. Et nous ne parlions même pas de musique lors de ces voyages, nous les faisions parce que nous aimons ces moments récréatifs, et c’est pourquoi nous avons eu l’idée de faire ça avec les fans dans le cadre du processus de financement participatif. Ça a été une réussite et ça a été très agréable de le faire avec nos fans.

Tore : C’est génial ! On s’éclate ! Il y a aussi quelque chose dans le fait de vraiment s’immerger dans la nature, comme on peut s’immerger dans la musique, sans se perdre dans l’expérience. Pour moi, surtout, le fait d’être entouré par d’énormes montagnes procure un sentiment très particulier et ça touche à quelque chose qui, de façon indescriptible, peut ressortir dans l’expression musicale.

Roy : Quand je regarde les artistes ici dans les pays nordiques, je suis sûr que la nature et le climat ont un certain impact sur notre vision du monde et notre manière de nous exprimer. Je suppose que ça joue quand on fait de l’art, mais ce n’est pas quelque chose de très conscient.

Conception est resté les quatre mêmes personnes depuis le premier album The Last Sunset, et trente ans plus tard, on ne peut que reconnaître que lorsque vous êtes tous les quatre pour créer de la musique, quelque chose de spécial se produit. Qu’y a-t-il dans cette combinaison de personnes qui la rend si spéciale ?

C’est dur à dire ! Nous en avons nous-mêmes discuté. Nous avons cette heureuse combinaison d’individus très complémentaires quand il s’agit de faire de la musique et de l’art. Tout se met joliment et facilement en place quand nous nous réunissons pour faire de la musique. Mais je ne peux pas l’expliquer ! En ce qui concerne Tore et moi en tant qu’équipe de compositeurs, Tore a ses domaines où son regard est meilleur et j’ai mes domaines que je maîtrise, et ensemble nous formons un tout et nous sommes bons.

Tore : Nous nous complétons très bien. Cette combinaison est tellement unique qu’aucun de nous n’aurait pu faire ce groupe et cette musique tout seul.

Roy : De même, quand nous nous réunissons, il n’y a pas uniquement le fait que nous allons bien ensemble musicalement, il y a aussi l’aspect social : il n’y a jamais vraiment de… Il nous arrive de nous disputer, d’être profondément en désaccord, je ne suis pas du tout en train de dire que tout est rose, mais il n’y a rien que je puisse imaginer se produire entre nous qui détruirait cette constellation. C’est une combinaison unique d’individus dans le monde de la musique. J’espère juste que nous parviendrons à continuer et à concrétiser ça sous la forme d’albums comme celui-ci et de concerts.

Tore : C’est drôle, parce qu’à l’origine, nous sommes quatre personnes très différentes !

Vous avez commencé à jouer ensemble à la fin de votre adolescence. Est-ce que ça, en soi, ça crée un lien unique ?

Roy : Absolument ! De même, les gens demandent toujours : « Comment c’était de retourner en salle de répétition après toutes ces années ? » Ingar, Tore et Arve ont passé un temps phénoménal en salle de répétition. Je vivais dans une autre partie de la Norvège et j’étais très content de ne pas vivre là où ils vivaient [petits rires], parce qu’ils répétaient comme des forcenés !

Tore : Dans le pire des cas, je crois que c’était au milieu des années 90, nous répétions au moins cinq jours par semaine pendant des heures !

Roy : Répéter était comme un boulot à plein temps ! C’était trop pour moi, en tout cas à cette époque. Plus aucun d’entre nous ne répète comme ça aujourd’hui, mais je pense que cette période à répéter comme des fous a créé une ossature, musicalement parlant, surtout lorsqu’il s’agit de faire des concerts. Il ne fait aucun doute que Conception est une machine à groove et brille quand nous montons sur scène et jouons en live. Ça a aussi fait qu’il est naturel de nous retrouver en salle de répétition, parce que tout se met en place en un claquement de doigts. Ça nous a donné l’impression que seulement deux mois s’étaient écoulés depuis la dernière fois où nous avons joué ensemble !

« Fut un temps, je trouvais qu’il y avait trop de groupes qui essayaient de sonner comme Dream Theater et je me disais : « Il y a déjà un Dream Theater, allez les gars ! Quel intérêt ? Soyez originaux, soyez vous-mêmes ! » Mais je pense que ça a beaucoup changé. […] Cette scène est en très bonne santé. »

Roy, dirais-tu que ton lien artistique avec Tore est plus fort que celui que tu as connu avec Thomas Youngblood dans Kamelot, par exemple, que tu as rencontré plus tard dans ta carrière ?

C’est dur de comparer. Tore et Thomas ont tous les deux une place importante dans ma vie, ils ont été – et sont toujours – de bon amis à moi. Dans une certaine mesure, les deux relations sont similaires, mais elles sont aussi très différentes. Il y a plusieurs aspects différents dans le fait d’être un membre d’un groupe. Thomas brillait sur des aspects différents, mais les deux sont de très bons compositeurs et guitaristes. J’adore travailler avec les deux.

Conception a toujours tracé son propre chemin dans cette industrie, ce qui a pu causer quelques difficultés et peut expliquer pourquoi vous n’êtes pas devenu un énorme groupe de metal prog à l’époque, et pourquoi le groupe a connu un aussi long hiatus après Flow. Mais pensez-vous que le monde, avec la manière dont l’industrie a évolué aujourd’hui, est plus compatible avec un groupe tel que Conception et votre manière d’aborder les choses ?

Tore : Je crois vraiment que les gens sont plus ouverts à différents styles et expérimentations. Mais à savoir si c’est plus facile ou plus difficile… Il est clair que c’est plus facile de faire ce que nous faisons et de rester en contact rapproché avec les fans grâce aux outils à notre disposition. D’un côté, le monde est plus accessible, d’un autre côté, il y a une quantité phénoménale d’informations et d’artistes à travers laquelle il faut arriver à percer.

Roy : Quand nous faisions Conception dans les années 90, quand nous avons sorti Parallel Minds, par exemple, nous avions un certain public qui s’attendait à ce que nous refassions quelque chose de similaire à ce à quoi ils avaient déjà adhéré, et si nous ne faisions pas ça… C’était dur d’en sortir. Ce public était déçu et se tournait peut-être vers autre chose, alors qu’aujourd’hui, on atteint tellement de personnes qu’on trouvera toujours des gens qui aimeront ce qu’on fait. Tu trouveras le public qui, selon toi, existe, parce qu’il est joignable.

Tore : Et puis aujourd’hui, les fans dévoués qui nous suivent depuis les années 90 ne s’attendent plus à ce que notre prochain album ressemble au précédent. Ils ont maintenant appris comment Conception fonctionne, ce qui fait que notre communauté de fans est plus stable.

Conception est apparu à une époque où le metal progressif a acquis ses lettres de noblesse, surtout grâce à Dream Theater. Mais quel est votre sentiment par rapport à la scène prog metal actuelle ?

Il existe plein de groupes palpitants ! Fut un temps, je trouvais qu’il y avait trop de groupes qui essayaient de sonner comme Dream Theater et je me disais : « Il y a déjà un Dream Theater, allez les gars ! Quel intérêt ? Soyez originaux, soyez vous-mêmes ! » Mais je pense que ça a beaucoup changé. Il y a plein de super projets et groupes. Les gens sont bien plus audacieux quand il s’agit de combiner les styles et de s’exprimer de différentes manières. Donc je trouve que cette scène est en très bonne santé.

D’un autre côté, vous n’avez jamais été techniques pour être techniques et avez toujours – à quelques exceptions près – fait des chansons assez concises, en vous concentrant sur la mélodie. Avez-vous vraiment l’impression d’être un groupe de metal prog ?

Pas vraiment. J’apprécie qu’un tas de gens pensent que nous sommes un groupe de prog. J’apprécie aussi qu’un tas de gens pensent que nous sommes un groupe de metal ou de hard rock. Pour nous, les étiquettes ne sont pas importantes. C’est ce que nous exprimons qui est important. Tout d’abord, nous avons une énorme diversité musicale. Nous avons différents types d’expressions et d’ambiances. Nous jouons des styles différents. Nous faisons les choses à notre façon. Nous ne suivons aucun chemin ou aucun meneur. Nous faisons ça comme bon nous semble au moment où nous le faisons. Les gens peuvent nous étiqueter comme ils veulent, ce n’est pas important.

Interview réalisée par téléphone le 26 mars 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Conception : conceptionmusic.com.

Acheter l’album State Of Deception.



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