Près de trente ans de carrière durant laquelle il est devenu un acteur omniprésent de la scène metal, que ce soit au sein de Slipknot, Stone Sour, ses multiples apparitions en tant qu’invité, et ses diverses autres activités, et pourtant Corey Taylor n’avait encore jamais sorti d’album solo. Ça peut paraître étonnant, mais à la fois, sa vie est déjà bien remplie – c’est un euphémisme – et surtout il fallait que le bon moment se présente.
Et le bon moment, c’est cette année, grâce à la pandémie mais aussi au dernier album de Slipknot qui lui a permis d’évacuer la négativité accumulée. Le résultat, intitulé CMFT – acronyme de Corey « Mother Fucking » Taylor et surnom qu’on lui donnait à l’école –, c’est le Corey Taylor des bons jours, accompagné d’une ribambelle d’amis – Jason Christopher (Prong) à la basse, Dustin Schoenhofer (Walls Of Jericho) à la batterie, ainsi que Zach Throne et Christian Martucci (Stone Sour) aux guitares –, piochant dans une diversité d’influences, mais surtout dans celles de sa jeunesse.
C’est ce que Corey nous explique dans l’interview téléphonique qui suit… l’une des plus expéditives de l’histoire de Radio Metal : on nous a annoncé quinze petites minutes, on en aura finalement eu douze montre en main… Ce qui n’a pas empêché Corey de partager son enthousiasme pour cette aventure solo et de donner quelques pistes pour compléter notre compréhension de l’artiste et de l’entertainer qu’il est.
« J’ai envie d’être l’antithèse de ce qu’est la majorité du rock moderne, parce que la majorité du rock moderne est tout simplement putain d’ennuyeux ! J’ai envie que cet album soit un gros coup de fouet. »
Radio Metal : Ça fait un petit moment maintenant que les gens s’attendaient à un album solo de ta part. La période de baisse d’activité due à la pandémie t’a donné l’occasion de le faire enfin, mais quand toutes ces chansons ont-elles été composées ?
Corey Taylor (chant) : Ces chansons ont été composées au cours des vingt dernières années, je dirais. Certains morceaux remontent à loin dans le passé, à l’époque où j’étais au lycée, certains remontent à environ quinze ou vingt ans, et puis il y en a d’autres qui sont beaucoup plus récents. « Meine Lux », par exemple, je l’ai écrit au cours de la dernière tournée de Slipknot, il y a juste six ou sept mois, après qu’elle me soit apparue en rêve. Je suis constamment en train d’écrire des chansons et il s’agissait simplement de savoir lesquelles je voulais mettre sur ce premier album. Comme je l’ai dit, ça faisait très longtemps que j’avais mis certains de ces morceaux de côté et il fallait que je trouve le bon moment pour m’y mettre.
Tu as enregistré cet album en pleine crise du Covid-19 quand tout était fermé, avec la distanciation sociale, etc. Comment es-tu parvenu à mener ce projet à bien dans cette situation ?
Nous avons fait ça intelligemment et prudemment. J’ai demandé à tous ceux impliqués là-dedans de faire attention aux distanciations sociales et de se mettre en quarantaine pendant deux semaines avant de venir à Las Vegas où nous avons enregistré l’album. Une fois que le groupe est arrivé là-bas, ils ont tous logé et vécu avec moi. Le producteur, comme tout le monde au studio, a été en quarantaine. En gros, nous avons gardé nos distances avec tout le monde pendant environ un mois. Nous portions des masques lorsque nous sortions en public, nous nous tenions à l’écart d’autres gens, et nous avons fait très attention à rester en sécurité et à agir intelligemment. Nous avons pris toutes les précautions. Ça a été payant, tout le monde allait bien, nous sommes restés entre nous et nous avons pu finir l’album en deux semaines et demie environ. Nous avons tout déchiré ! Tant qu’on fait les choses intelligemment, qu’on ne déconne pas, il y a toujours moyen de mener les choses à bien.
En termes de style, cet album part un peu dans tous les sens et montre la variété de tes influences. On réalise à quel point Slipknot et Stone Sour ne représentent qu’une fraction de qui est Corey Taylor en tant qu’artiste. T’es-tu parfois senti restreint par les paramètres artistiques de ces deux groupes ?
En grande partie, oui. Ces groupes n’ont jamais été révélateurs de la musique que j’écoutais quand j’étais gamin. Je n’ai jamais pu mettre en avant mes influences comme tant d’autres de mes pairs ont pu le faire. Je veux dire que c’est bizarre, car cet album est un tel reflet de mes influences, c’est surprenant qu’on ne les retrouve pas plus dans mes deux groupes principaux. Ceci dit, je pense que c’est ce qui est super avec cet album : en sortant du rang et en faisant un album solo, on se doit d’offrir quelque chose de différent, quelque chose d’un peu plus personnel et quelque chose qui propose un regard tourné plus vers d’où on vient et moins vers où on a été. Je pense que si j’avais fait quelque chose qui ressemblait à l’un des deux groupes, ça n’aurait pas été un album solo, ça aurait juste été comme si j’essayais de faire de la musique qui n’avait pas marché. Donc, pour moi, c’était très important que cet album soit honnête et vienne du cœur. Et j’ai l’impression que c’est une énorme pièce du puzzle musical. Selon moi, il aidera les gens à bien comprendre d’où je viens, musicalement parlant.
Outre le rock, on retrouve des côtés country (« HWY 666 »), hip-hop « CMFT Must Be Stopped »), punk (« European Tour Bus Bathroom Song ») et même jazzy (« The Maria fire »). Quelle est ton histoire avec ces styles musicaux ?
Le truc, c’est que je ne me suis pas tellement concentré sur le style autant que je me suis concentré sur la chanson. Je voulais juste une collection de chansons qui soit vraiment solide, vraiment bonne et qui soit amusante à écouter, et parce que je me suis concentré sur le fait de m’assurer que les chansons étaient bonnes, ça voulait dire que le style et les genres musicaux se mélangeraient, se modèleraient les uns avec les autres et fusionneraient. Je pense que ça crée une expérience d’écoute excitante. Je n’ai jamais essayé de m’enfermer dans un genre ou dans un autre, je me concentre juste sur la chanson, et grâce à ça, l’album est capable d’emporter l’auditeur dans un voyage sympa.
La chanson « Halfway Down » est un véritable hommage à AC/DC. AC/DC est clairement le groupe d’hymnes hard rock ultime. A quel point ça a été un modèle pour toi ?
Oh bon sang, j’ai pendant très longtemps été un énorme fan d’AC/DC ! Ce qu’il y a de beau chez AC/DC, c’est leur simplicité, le fait que lorsqu’ils composent une chanson, ils essaient juste de composer une super chanson de… peut-être même pas forcément une super chanson de rock, mais une super chanson boogie ; ils ont toujours revendiqué être un grand groupe de boogie. Ce qu’il y a de cool avec ça, c’est qu’ils ont été capables de créer quarante ans de musique incroyable uniquement basée sur quelque chose de très simple. Pour moi, c’est la passerelle entre le punk, le hard rock, le metal, etc. C’est le groupe sur lequel tout le monde peut être d’accord. C’est ce groupe que les gosses qui écoutent du punk peuvent adorer, que les gosses qui écoutent du hard rock adorent évidemment, que les gosses qui écoutent du metal adorent. C’est un groupe tellement extraordinaire et amusant qu’on ne peut faire autrement qu’être un énorme fan.
« Les artistes peuvent être trop prétentieux parfois et imbus de leur personne, et ils se mettent en travers de la musique […]. Il faut arrêter d’être un artiste parfois une fois que l’œuvre est terminée. Quand on la transmet aux gens, c’est là que l’entertainer doit prendre le relais. »
Autant tout le monde dans la scène metal actuellement semble se nourrir de l’état dégradé du monde avec toutes les crises que l’on traverse, autant toi tu sors un album rempli de chansons de rock exaltant pour faire la fête. Penses-tu que ce soit le genre de musique dont les gens ont le plus besoin en ce moment ?
Absolument ! Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de musique qui nous soulève et nous redonne le moral. La majorité du hard rock actuellement est tellement sérieuse, c’est tellement déprimant qu’on n’arrive à rien trouver qui permet de s’enthousiasmer, il n’y a rien pour nous donner le sourire. Cet album, c’est une fête. J’ai envie de divertir les gens et de leur donner cette joie dont ils ont besoin. J’ai envie d’être l’antithèse de ce qu’est la majorité du rock moderne, parce que la majorité du rock moderne est tout simplement putain d’ennuyeux ! J’ai envie que cet album soit un gros coup de fouet.
Plus personnellement, as-tu mentalement eu besoin de te mettre dans un état d’esprit plus positif et joyeux à ce stade de ta carrière, après toute cette musique hyper sombre que tu as sortie ?
Je vais te dire, faire le dernier album de Slipknot, We Are Not Your Kind, m’a clairement aidé à me débarrasser d’une grande partie du bagage émotionnel que j’ai traîné pendant très longtemps, c’est-à-dire au moins les cinq dernières années. Faire cet album m’a clairement mis dans le bon état d’esprit pour pouvoir faire cet album solo, car j’ai pu vraiment parler de toutes les choses qui m’ont bousillé la tête durant les cinq dernières années, libérer toute cette haine, cette rage et ce ressentiment que j’avais accumulés suite à cette relation toxique dans laquelle j’étais, et faire la paix avec ça. Parce que j’ai fait ça, j’ai pu me tourner vers l’avenir et me dire : « Ok, je suis prêt à parler de choses positives. Je suis prêt à faire de cette carrière une expérience où je m’amuse. »
Est-ce une idée fausse de croire que l’art, en particulier dans le rock et le metal, vient forcément de la tristesse et de l’obscurité ? La joie peut-elle également en être un vecteur ?
Je pense que c’est prétentieux, pour être honnête. Je pense que la bonne musique vient simplement du fait qu’on est bon dans notre domaine. Après, l’inspiration peut venir soit de l’un, soit de l’autre. Je ne crois plus qu’on a forcément besoin de tension pour faire un bon album. On peut faire un bon album avec de la tension, mais on peut aussi faire un super album en étant hyper positif, avec quelque chose d’amusant et en se faisant plaisir. Cet album est très positif ; on écoute cet album et on est emporté par son énergie, par son esprit, parce que nous nous éclatons tous ! On ne peut pas faire autrement que de s’éclater. C’est amusant ! Je suis surexcité, j’ai tellement hâte que les gens entendent ça.
Te considères-tu plus comme un artiste ou un entertainer ? Et d’ailleurs, quelle est la différence entre l’art et le divertissement pour toi ?
C’est intéressant. Je suis clairement un artiste quand il s’agit de créer de la musique mais ensuite je suis un entertainer quand il s’agit de jouer cette musique sur scène et vraiment la partager avec les gens. Je trouve que les artistes peuvent être trop prétentieux parfois et imbus de leur personne, et ils se mettent en travers de la musique ; ils se mettent devant la musique et ça ne permet pas au public de l’apprécier, si ça a du sens. Il faut arrêter d’être un artiste parfois une fois que l’œuvre est terminée. Quand on la transmet aux gens, c’est là que l’entertainer doit prendre le relais, et c’est là que l’entertainer doit dire : « C’est le moment d’en profiter tous ensemble. » C’est la clé qui permet de sauter alternativement du rôle d’artiste à celui d’entertainer.
Interview réalisée par téléphone le 18 septembre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ashley Osborn.
Site officiel de Corey Taylor : www.thecoreytaylor.com
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Tu as dû être frustré, Nicolas, de ne pas avoir pu poser plus de questions 😉
Dommage, car je pense que ce doit être un bon client