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Interview   

Costin Chioreanu : entre deux mondes


La dimension visuelle a toujours été une composante essentielle du metal, et il suffit de penser à la manière dont de nombreux groupes iconiques n’ont pas hésité à piocher dans l’histoire de l’art pour créer leurs pochettes – Morbid Angel, Burzum ou Reverend Bizarre par exemple – pour voir que le monde de la musique et celui des arts visuels ne sont jamais très éloignés l’un de l’autre.

On en a discuté avec Costin Chioreanu, dont vous avez sans doute déjà eu le travail sous les yeux sans le savoir. Artiste protéiforme, il dessine affiches, pochettes et T-shirts pour de nombreux groupes, d’Arch Enemy à Opeth en passant par Neurosis ou Ulver, mais il a aussi été amené à réaliser des vidéos, ou encore à dessiner le décor de scène pour la dernière tournée de Mayhem par exemple. Le tout en étant lui-même actif dans plusieurs groupes dont Bloodway, et en menant de front des projets d’expositions plus personnels…

Fort de cette expérience de touche-à-tout, il nous parle à la fois du rapport des metalleux à l’art et du sien propre. Car finalement, peu importe le moyen d’expression choisi par l’artiste : l’objectif est de se mettre au service d’une vision plus large.

« Je ne vois pas du tout l’intérêt d’essayer de rappeler au monde que je suis Costin, je suis Costin de toute façon. »

Radio Metal : Pour commencer, est-ce que tu peux nous raconter tes débuts, et comment tu en es arrivé où tu en es maintenant, artistiquement parlant ? Apparemment, tu as commencé par travailler avec des groupes avant de passer à des projets plus personnels. Est-ce que c’est bien le cas ? Est-ce que travailler avec des groupes était ton intention première quand tu es devenu artiste ?

Costin Chioreanu : J’ai commencé au milieu des années 90, lorsque ma collection de cassettes piratées a commencé à prendre de l’ampleur. Tu vois, dans mon pays (NDLR : la Roumanie) à cette époque, les originales étaient très difficiles à trouver, donc nous devions nous contenter de ce que nous avions. Et nous avions des tonnes de cassettes piratées merdiques, qui avaient pour la plupart des pochettes photocopiées de très mauvaise qualité. Donc j’ai commencé à exercer mes talents à illustrer ces cassettes. Dans certains cas, je pouvais avoir une idée de ce que je devais reproduire grâce aux photocopies que j’avais, ce qui était assez simple. Mais dans d’autres cas, il n’y avait pas d’illustration du tout sur la cassette que j’avais achetée, donc j’ai commencé à me servir de mon imagination pour inventer des pochettes qui n’ont jamais existé pour des albums déjà sortis [rires] ! C’était marrant, à l’époque, et ça l’est encore plus maintenant, quand je les compare avec les illustrations originales [rires]… Parfois, ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai découvert la vraie pochette ! Nous n’avions pas internet à l’époque et seulement un seul magazine papier qui physiquement ne pouvait pas couvrir l’intégralité des sorties dans tous les sous-genres de metal… Après ça, je suis allé à l’Université nationale d’art [de Bucarest], d’où je suis diplômé et où j’ai obtenu un master de graphisme. J’ai commencé à travailler avec des groupes en 2002 2003, et j’ai fait mes premières expositions en 2003 et en 2004. Mais après ça, je me suis consacré à mon travail avec les groupes et j’ai déserté les galeries d’art jusqu’en 2011. Depuis, je fais les deux en parallèle. Tout petit, je dessinais énormément, mais je ne me serais pas imaginé du tout travailler avec des groupes… À l’université, j’ai eu la révélation un jour en regardant toutes mes cassettes : « Voilà, c’est ce que je veux faire ! Je pense que ce serait chouette de faire ça ! »

Je suppose qu’à l’époque où tu illustrais tes cassettes, la dimension visuelle de la musique était déjà vitale pour toi ? Qui ont été tes plus grandes inspirations, que ce soit en termes d’esthétique, d’art ou de musique ?

Dans les années 90, j’étais très inspiré et vraiment fasciné par l’imagerie du metal extrême, et des artistes comme Necrolord ou Dan Seagrave ont vraiment été mes premières influences importantes. Plus tard, j’ai découvert Niklas Sundin qui a été ma plus grande influence en termes d’art numérique. Lorsque j’ai commencé en 2003, c’était mon influence principale à vrai dire, parce que pendant quelques temps je me suis beaucoup consacré à l’art numérique, sans doute parce que j’étais fasciné par ce nouveau moyen d’expression. Puis, quand j’ai commencé à dessiner à la main, j’ai commencé à développer mon propre style qui est devenu ce que je fais en ce moment. En termes de musique, après Metallica, mon premier amour, ma plus grande influence a été la scène metal scandinave, que ce soit le black ou le death metal, qu’il soit mélodique ou brutal, ça a toujours été quelque chose qui me parlait énormément. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.

Ton style est très varié. Quelles techniques utilises-tu ?

Tous les styles dont je sens que j’ai besoin. Ça va de la peinture, du dessin au stylo ou à l’encre, à la photographie en passant par les arts numériques ou encore le collage… Peu importe ! Mon but est toujours de parvenir à capturer l’essence de l’album sur lequel je travaille avec ce que je fais, et pas d’imposer mon style avant tout. Je pense que le style et la signature s’imposent d’eux-mêmes de toute façon, peu importe la technique choisie, donc je ne vois pas du tout l’intérêt d’essayer de rappeler au monde que je suis Costin, je suis Costin de toute façon. Il faut simplement que je fasse ce que mon intuition me dit de faire.

Est-ce que tu peux me dire comment se passe le travail avec les groupes ? Comment choisis-tu ceux avec qui tu travailles ? À quel point sont-ils impliqués dans ton travail ? Est-ce qu’ils te donnent des directions précises, ou est-ce que tu t’inspires simplement de leur musique et des paroles ?

Au début, c’était moi qui prenait contact avec eux, mais au bout d’un moment, ils se sont mis à me contacter eux-mêmes. C’est vrai qu’en 2002, 2003, il n’y avait pas autant d’illustrateurs dans le milieu metal que de nos jours… Mais, bien entendu, il n’y avait pas autant de groupes non plus [rires]. Peut-être que c’était plus simple à cette époque, mais peut-être pas…

« Avec le temps, la scène s’est de plus en plus ouverte à la nouveauté, sans doute parce qu’elle commençait à étouffer à force de voir les mêmes choses répétées à l’infini… »

Quelle est la collaboration dont tu es le plus fier ?

Je ne sais pas, il y en a trop et il y en a vraiment beaucoup que j’aime pour des raisons très différentes… Je ne peux pas en choisir une seule.

Tu as ton propre studio de création, Twilight13Media. Sur le site, on trouve un avertissement qui fait penser à celui qu’on trouve sur le site internet de Metastazis, le studio de Valnoir, ton collègue de Graphic-Noise. On retrouve cette attitude sans compromis et artistiquement très ambitieuse chez pas mal de musiciens underground. Est-ce que tu penses que travailler dans le milieu metal permet d’avoir une approche plus intègre, « underground » et ambitieuse de son art que dans d’autres milieux ?

Cet avertissement est un travail en cours et ça sera toujours le cas, parce qu’il est vraiment fondé sur mon expérience. Jusqu’à ma mort, je ferai de nouvelles expériences et il sera donc amené à changer. Je ne pense pas que travailler dans le monde du metal aide à avoir une approche plus authentique ou originale. Jusqu’à il y a quelques années, c’était même plutôt l’inverse, chaque genre avait certains standards en termes d’art visuel que tout le monde, artistes inclus, était censé suivre et respecter, comme une tradition. Mais avec le temps, la scène s’est de plus en plus ouverte à la nouveauté, sans doute parce qu’elle commençait à étouffer à force de voir les mêmes choses répétées à l’infini… Donc oui, dernièrement ça se passe mieux, les gens cherchent plutôt à avoir un style rare et unique pour leurs pochettes.

Tes œuvres sont souvent exposées dans un contexte musical, que ce soit tes expositions dans le cadre du festival Roadburn ou ton stand au Hellfest par exemple. On peut acheter tes travaux sur Graphic-Noise, un site internet lié à Season Of Mist, une maison de disques. Est-ce que tu te sens plus à l’aise dans le monde de la musique que dans celui de l’art ? Est-ce que les metalleux sont spécialement sensibles aux arts visuels ?

Oui, en réalité la longue pause entre 2004 et 2011 où je n’ai rien exposé en public a été CAUSÉE par les expériences que j’avais pu faire dans le « monde de l’art ». Je me sens bien partout où je peux sentir de l’harmonie et du respect entre les gens. C’est ce que j’ai trouvé ici et j’en suis très content, les gens ont l’air content aussi, donc c’est très bien. Il m’arrive de travailler avec des galeries à l’étranger qui ne sont pas liées au milieu de la musique pour la simple raison que les personnes qui y travaillent sont sympathiques et respectueuses, et pas une bande de gens prétentieux avec un ego gigantesque qui prétendent tout savoir et qui insinuent que tu es et resteras toujours inférieur à eux. Les metalleux ont en effet l’âme et l’esprit interpelé par cet univers créatif que le metal déploie autour d’eux… Il suffit de penser à tout le mystère et la fascination pour l’au-delà… Peut-être qu’ils sont plus ouverts à l’art en général – je parle évidemment ici des vrais metalleux, les collectionneurs, ceux dont c’est la véritable passion. Lorsqu’ils voient une œuvre qui rend hommage aux mondes imaginaires auxquels ils pensent chaque jour, évidemment, une relation très forte va se nouer entre l’œuvre et le spectateur. Quelque chose de beau !

Tu dessines, tu joues dans plusieurs groupes, tu réalises des vidéos, tu dessines le décor pour les lives de certains groupes… Tu es un vrai touche-à-tout ! Est-ce que tous ces moyens d’expression que tu utilises se nourrissent et s’inspirent les uns des autres, ou est-ce qu’ils proviennent d’une même source, puis grandissent indépendamment ? Est-ce que c’est le même genre de chose que tu essaies d’exprimer avec chacun d’entre eux ?

Ils ont peut-être la même origine mais en ce qui me concerne, j’ai vraiment un besoin constant d’utiliser des médias divers pour pouvoir me renouveler. Parfois, un medium inspire l’autre, ce qui rend les choses encore plus intéressantes. J’ai toujours aimé l’idée d’explorer, d’aller plus loin. Si je fais la même chose en permanence, la régularité me rend dingue.

« On retrouve souvent [des oiseaux] dans mes dessins, un peu comme une signature, disons. […] L’oiseau est pour moi une métaphore de l’âme qui voyage. »

À ce propos, j’aimerais parler de l’exposition « Where Purgatory Ends » que tu as faite il y a quelques années. Même si cette fois tu n’illustrais pas le travail d’un musicien, il y avait de la musique dans l’exposition, ainsi que de l’art numérique, et même du vin et des biscuits, sollicitant tous les sens à la fois. Ça rappelle l’idéal romantique d’art total… Quelle était ton intention avec cette exposition ?

Lorsque j’ai recommencé à faire des expositions pour le public en 2011 avec « Where Purgatory Ends », je voulais monter des expositions qui associeraient art, musique et happening dont je serais l’auteur, et qui évoqueraient la même question pour que mon propos soit rendu de la manière la plus complète et puissante possible. Je n’ai absolument pas envie de faire des trucs rien que pour faire mon intéressant. Si je n’ai pas d’objectif plus élevé, alors je m’abstiens. Dans ce cas en particulier, l’exposition évoquait ma vie et ma vision de la vie, de la mort, mais aussi dans une moindre mesure de la vie après la mort. Les biscuits avaient été spécialement faits par ma grand-mère et ils avaient la forme des oiseaux qu’on retrouve souvent dans mes dessins, un peu comme une signature, disons. Mais ce n’est pas une question d’ego, c’est plutôt que l’oiseau est pour moi une métaphore de l’âme qui voyage. Le vin et les biscuits formaient une sorte d’allusion ironique, ou plus précisément une approche différente de l’eucharistie avec le vin et l’hostie. Ils étaient le sang et l’âme, et évoquaient simultanément le sang, la chair et la terre, et l’âme, l’inconnu et l’espace, pour permettre au visiteur d’avoir une vision plus claire de sa propre voie. Il y avait dans l’exposition des œuvres qui montraient à la fois l’horreur de la chair et l’immatériel, ce qui pour moi était très cohérent. La musique avait été composée par moi principalement, mais j’ai aussi demandé à de très bons musiciens d’enregistrer leurs propres parties pour arriver à un résultat très fort. Rune Eriksen (Twilight OF The Gods, Aura Noir) a enregistré des parties de guitare, de pianos et des samples, et Tudor Diaconescu a enregistré les parties de violon. En fin de compte, oui, en effet, c’était une forme d’art total, ou en tout cas une étape pour me rapprocher de cet idéal… Mais une synthèse de mes idées, de mes perceptions à moi, sans aucune intention de convaincre les gens de mes idées et de mes croyances, mais simplement pour parvenir à les exprimer de la manière la plus cohérente possible.

Même si tu travailles avec des techniques très différentes, quelle est ta préférée, celle qui te permet de t’exprimer avec le plus de précision ?

Le dessin à l’encre noire n’est pas la technique la plus complète, mais c’est celle qui m’est la plus naturelle. La plus précise et la plus complète est la vidéo, parce que c’est là que je peux combiner musique, visuels et concept au plus haut point que j’ai atteint jusqu’à maintenant.

Dernière question : quels sont les projets sur lesquels tu travailles en ce moment ?

Je travaille sur beaucoup de choses, et certaines vont être annoncées très bientôt.

Interview réalisée par e-mail en juillet 2014 par Chloé.
Traduction et introduction : Chloé.

Site officiel de Costin Chioreanu : twilight13media.com



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