The Raging River augure une nouvelle ère pour Cult Of Luna. Les Suédois arpentent les studios et les routes depuis plus de vingt ans, devenus l’une des figures de proue d’un genre apparenté au post-core, avec toutes les imprécisions et le fouillis que le terme recoupe. Leur nouvel EP correspond à la naissance de leur propre label nommé Red Creek, un moyen d’entretenir un lien plus direct avec leur audience. Red Creek est à envisager comme un « collectif » permettant à la fois à Cult Of Luna et à d’autres formations de s’épanouir dans un cadre propice à toute vision artistique, sans contrainte. Une petite révolution de l’environnement de travail pour instaurer de la continuité artistique.
The Raging River est un EP de cinq titres qui a pour fonction de terminer l’œuvre amorcée avec l’album A Dawn To Fear (2019). Ce dernier marquait un changement de méthodologie pour le groupe, plus enclin à improviser, à composer ensemble dans la même salle en suivant ses instincts. The Raging River est en ce sens une véritable extension, contenant très peu d’écarts avec la formule qui le précède. « Three Bridges » s’articule comme une lente progression avec ses épicycles pour aboutir à un final cathartique, porté par la batterie fascinée par les rythmiques cycliques, presque rituelles. À nouveau Cult Of Luna brille par son agencement des samples électroniques et du magma sonore produit par les instruments traditionnels. « Three Bridges » emprunte ainsi à Vertikal (2013) sans dénaturer le cachet organique prôné par A Dawn To Fear. « What I Leave Behind » présente un Cult Of Luna davantage rugueux, se reposant sur le grognement de la basse, un riff martelé à l’envi et un agrégat d’arrangements de guitares et de sonorités indus. La répétition des motifs se légitime par la capacité de Cult Of Luna à introduire quelques respirations permettant à sa section rythmique de lever le pied, enrichissant son vocabulaire de ghost-notes et d’ostinato presque imperceptibles. « I Remember » met à l’honneur les atmosphères mélancoliques et lugubres que les Suédois s’échinent à créer, presque comme un prétexte à cette libération sans cesse recherchée qui passe par les cris de Johannes Persson et l’intensité de la frappe de Thomas Hedlund.
Le véritable cœur de The Raging River réside dans l’interprétation de Mark Lanegan, convié sur le titre « Inside Of A Dream ». Cult Of Luna livre une composition délicate sous tous ses aspects, de la nappe sonore en arrière-plan aux quelques accords de guitare disséminés tout au long du titre. Mark Lanegan emprunte un timbre plus aigu qu’à l’accoutumée et s’illustre par un phrasé doux, parfois presque parlé, aux antipodes des élans hachés habituels de Johannes Persson. Cult Of Luna n’a jamais caché son admiration pour le chanteur et lui rend une sorte d’hommage en subordonnant son vocabulaire musical à l’univers de celui-ci sans que les deux s’oblitèrent. Une réalisation feutrée qui installe confortablement l’auditeur avant de revenir à un vocabulaire traditionnel avec « I Remember » et la conclusion épique de plus de douze minutes « Wave After Wave ». Le titre fait écho à « Three Bridges », avec là encore des sonorités indus en arrière-plan. Cult Of Luna puise dans ce qu’il peut proposer de plus caverneux et de sombre avant de le mettre en contraste avec des rythmiques accrocheuses, presque groovy. « Wave After Wave » termine ainsi en apothéose comme s’achevait « Cygnus » sur Mariner. Une zone de confort comme garantie de puissance.
The Raging River est effectivement la prolongation de son aîné, avec tout de même quelques réemplois musicaux qui remontent jusqu’à la période Vertikal (2013) sans aboutir à la « froideur » de ce dernier. Surtout, il est la concrétisation d’un désir de longue date du groupe : faire chanter Mark Lanegan. Cult Of Luna le fait avec un respect immense, lui donnant les clés de l’interprétation et se limitant presque au rôle de tapis sonore aussi subtil que nécessaire. The Raging River a inévitablement une conséquence notable : nous faire miroiter l’évolution prochaine du groupe voué à renouveler son univers sonore.
Chanson « Three Bridges » :
Album The Raging River, sortie le 5 février 2021 via Red Creek. Disponible à l’achat ici
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