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Interview   

Daniel Tompkins obéit à sa propre loi


Daniel Tompkins n’a que dix ans de carrière derrière lui en tant que chanteur professionnel, pourtant, entre Tesseract, Sky Harbor, White Moth Black Butterfly et autres projets, il n’a déjà pas moins d’une quinzaine d’albums à son actif. Une façon de rattraper le temps, après une carrière dans les forces de police qui l’a fait mûrir en accéléré en lui faisant vivre des expériences humaines souvent choquantes.

Le boulimique de créativité, qui a pu ressentir une forme de frustration face aux compromis qu’impose le fait d’être dans un groupe, entame aujourd’hui une nouvelle phase de sa carrière en se lançant en solo avec un album intitulé Castles. Un album pop-rock et électronique conçu il y a déjà quatre ans – le temps qu’il trouve confiance en lui –, de concert avec le producteur Eddie Head, et avec lequel il explore l’arc des relations.

C’est ainsi que dans l’entretien qui suit, outre la conception du disque, sa direction artistique et son univers visuel fort (citant comme référence des artistes tels que David Bowie et Devin Townsend), le chanteur partage ses analyses éclairées sur les relations amoureuses, offrant matière à réflexion. Enfin, nous ne pouvions pas ne pas profiter de cette entrevue pour revenir sur le parcours atypique de Daniel Tompkins et son passé dans les forces de police qui le hante encore aujourd’hui. Instructif.

« Il faut travailler sur les relations pour qu’elles fonctionnent parfois. On peut trouver cet amour victorieux et passionné dont je parlais si on y travaille. […] C’est là où plein de relations échouent : les gens n’ont pas la volonté d’affronter les problèmes. »

Radio Metal : Ayant fait carrière avec divers groupes et projets, tu t’apprêtes désormais à sortir ton tout premier album solo. Qu’est-ce qui t’a poussé à partir en solo maintenant ?

Daniel Tompkins : Ça a été une aventure intéressante. En fait, l’album a quatre ans. J’ai donc écrit ça pendant la période de transition entre Sky Harbour et mon retour dans Tesseract, si tu connais mon parcours. J’ai conservé une très bonne relation avec divers amis et producteurs dans d’autres groupes avec qui j’ai travaillé et je suis tout le temps en train de composer de la musique en tâche de fond, et il se trouve que j’ai gardé une très bonne relation avec un gars qui s’appelle Eddie Head, qui est un producteur américain, c’est un ami officiant dans Haji’s Kitchen, et en 2012, j’ai sorti un album avec ces gars, qui était une sorte de metal heavy et progressif standard. Ce n’était vraiment qu’une expérience ponctuelle, mais ensuite, j’ai commencé à écouter certaines des autres musiques qu’Eddie écrivait, et j’avais vraiment envie de travailler avec lui sur un album solo, purement et simplement parce que je me sentais créatif et que j’avais le temps de faire quelque chose comme ça. Mais le problème était que, pendant ce temps, j’ai différentes choses qui sont arrivées simultanément et je n’ai jamais eu suffisamment confiance en moi pour me mettre en avant en tant qu’artiste solo jusqu’à aujourd’hui. Avec le succès de Tesseract et mes autres projets, je me sens en bien meilleure position aujourd’hui. Il y avait beaucoup de procrastination. Il y a des moments où j’étais sur le point de sortir cet album moi-même, il y a quelques années, mais ça ne semblait pas aller. Je n’étais pas content avec le son de la musique et, encore une fois, je n’étais pas sûr si c’était le bon moment ou si le sortir moi-même était la bonne chose à faire. Puis, au fil des dernières années, j’ai sorti plusieurs albums chez K-Scope Records avec Tesseract et j’ai développé une bonne relation de travail avec le label et les gens qui y travaillent. Je crois que c’était il y a un an, j’ai joint les contacts que j’ai au sein du label et je leur ai dit : « J’ai cet album solo, je sais que vous travaillez déjà avec White Moth Black Butterfly et Tesseract, qui sont deux de mes projets, mais sachez que j’ai cet album, il est terminé et j’ai envie de le sortir. Ça vous dit de travailler dessus ? » Et ils ont sauté sur l’occasion et ont fini par me signer pour trois albums.

Je suis donc surexcité à l’idée de voir où ça va aller, mais pour revenir à ta question, qui est « pourquoi ? », depuis que j’ai quitté les forces de police, il y a environ dix ou onze ans maintenant, j’ai abandonné un très bon salaire dans une carrière stable pour sauter dans un monde d’insécurité en tant que musicien : quand on commence et qu’on essaye d’avancer en tant qu’artiste, un paquet de galères nous tombe dessus. J’ai donc juste voulu être aussi créatif que possible et écrire autant de musique que possible avec autant de gens que possible, et écrire dans un panel de styles varié, différentes musiques, et j’ai fini par créer White Moth Black Butterfly. Ceci, à l’origine, était censé être mon projet solo. J’ai sorti le premier album et j’ai collaboré avec quelques autres personnes. Après, ce qui s’est passé avec ce projet est qu’il a grandi et j’y ai intégré d’autres membres, car je pouvais entrevoir son potentiel et j’avais besoin de contributions plus variées, et ce projet a fini par se faire signer. Maintenant, le truc, c’est que lorsque tu fais partie d’un groupe de gens, ton contrôle créatif se retrouve dilué, car il y a plein d’autres gens qui veulent apporter leur contribution. Or j’aime manager des projets et j’aime m’accaparer la direction que prend l’ensemble du projet, c’est naturel pour moi, et j’avais l’impression d’avoir un peu perdu ça. Ce n’est pas négatif. Je veux dire, ça s’est avéré être une très bonne chose pour le projet, mais pour ma part, je voulais toujours avoir une approche exclusive et voir un album réalisé du début à la fin par moi. C’était vraiment la raison principale pour laquelle j’ai voulu sortir un album solo, je voulais le faire pour moi.

Tu dis qu’il a été enregistré il y a quatre ans : as-tu toujours l’impression qu’il te représente ?

Pour être honnête, la musique a changé pendant ce temps car avec cette procrastination, j’ai pas mal modifié et retravaillé les morceaux. Ils étaient similaires mais je les ai fait remixer et j’ai impliqué d’autres amis pour faire des remix de ces chansons afin de créer un album complet. La partie principale de l’album a été écrire entre moi et Eddie Head, et je crois que ça faisait sept ou huit chansons. Je ne voulais pas sortir un album de seulement huit morceaux et je ne voulais pas me remettre à composer d’autres chansons avec Eddie à ce moment-là. Donc, ce que j’ai fait est que j’ai contacté d’autres amis, comme Paul [Ortiz] de Chimp Spanner, Acle [Kahney] de Tesseract, Randy [Slaugh] de White Moth Black Butterfly et un autre ami producteur avec qui je travaille qui s’appelle Dmitry Stepanov, de Russie. Je leur ai montré l’album et j’ai dit : « Ecoutez, et si vous voulez faire un remix, j’adorerais que vous contribuiez à l’album. » Et ils sont plusieurs à être revenus avec « Saved » – il y a un morceau qui s’intitule « Saved » dans l’album. Tout le monde voulait remixer cette chanson et je pense que ça doit être parce que le chant est très accrocheur, donc ils ont dû penser que ça ferait une bonne base pour écrire une chanson autour. Je me suis donc retrouvé avec trois remix de « Saved », un de « Kiss », un de « Black The Sun » par Eddie, et un de « Limitless » par Dmitry Stepanov, qui sort d’ailleurs aujourd’hui avec un clip vidéo.

C’était une collaboration, mais le truc, c’est que j’ai toujours l’occasion de développer tout le projet, des visuels de l’album jusqu’aux idées derrière les chansons, toutes les vidéos que je sors sont mes propres créations à travailler avec des réalisateurs, toutes les photographies promotionnelles… D’une certaine façon, c’était super pour que je me découvre en tant qu’artiste. J’ai le sentiment d’en être à un stade, y compris avec Tesseract, précisément aujourd’hui, où je suis à un tournant. Nous avons grandi en tant qu’artistes, et la réputation du groupe et tout ce qui l’entoure, y compris le business, a grandi au point où nous faisons des choses bien plus importantes et bien meilleures. J’ai une grande confiance en mes propres capacités en tant qu’artiste et chanteur aujourd’hui. Le fait de me redécouvrir, je pense, ne sera pas une mauvaise chose pour ma créativité future [petits rires].

« Plein de gens sont frustrés parce que j’ai été dans des groupes de metal pendant des années et pourtant, quand je fais mes trucs solos ou mes projets parallèles, ça penche plutôt du côté de la pop contemporaine que du rock et du metal, or les gens veulent m’entendre tout le temps faire du metal. Je ne suis pas le genre de gars à faire ça. »

L’album s’intitule Castles et est inspiré par l’arc des relations (les erreurs tragiques, les mauvais jugements de caractère et l’amour victorieux et passionnel). Tu as déclaré qu’une « grande partie de l’histoire est racontée sous la perspective de quelqu’un recherchant le partenarial parfait et l’accomplissement ultime de le trouver ». Es-tu cette personne ?

Je pense que ça va de pair avec mon producteur Eddie, car quand nous nous sommes posés et avons parlé du concept au sujet duquel nous voulions écrire dans les chansons de l’album, Eddie traversait lui-même pas mal de turbulences dans ses propres relations. Personnellement, je me trouve très à l’aise dans ma relation. Avec ma femme, ça fait dix ans que nous sommes mariés, mais ça fait en réalité vingt ans que nous sommes ensemble. Nous sommes un peu des amoureux d’enfance. Et le truc, c’est que je regarde autour de moi, différents membres de ma famille et des amis, et je vois énormément de relations brisées. Ça soulève vraiment la question : pourquoi ces choses se produisent ? J’imagine que ça a également été un peu une découverte, le fait de regarder tous les aspects d’une relation, à quel point elles peuvent être variées, tous les pièges, tous les hauts et tous les bas, etc. Et je pense également qu’au moment de l’écriture de cet album, je me suis senti assez vidé. Au moment où j’ai commencé à écrire cet album avec Eddie, j’avais sorti quelque chose comme dix albums en a peine six ou sept ans. Donc je débitais de la musique et j’avais l’impression d’avoir, pas forcément un syndrome de la page blanche, mais je ressentais un manque d’inspiration. Ceci était donc aussi un test, car j’avais connu une relation réussie et je continue à avoir cette relation avec ma femme, mais je m’identifiais en grande partie aux difficultés qu’Eddie vivait mais autrement. Je ne dirais pas que c’était voyeuriste mais c’était clairement… J’étais une mouche sur le mur et j’écoutais les expériences et les peines qu’il traversait, et j’essayais de vraiment puiser dedans émotionnellement. D’un, parce que je voulais que ce soit un album émotionnel mais, de deux, aussi parce que c’était un aspect de ma vie que je n’avais jamais vécu et je voulais m’en rapprocher autant que possible, de façon à m’en inspirer en tant qu’artiste et voir où ça m’emmènerait d’un point de vue créatif.

Qu’est-ce que « le partenariat parfait » pour toi ?

J’ai deux enfants, j’ai une épouse qui m’a soutenu à travers tous les hauts et les bas. Nous nous entendons tellement bien… Mais ceci ne vient pas sans difficultés. Je veux dire que par rapport à notre relation, nous avons connu des galères, nous avons connu des hauts et des bas, nous avons eu plein de querelles, nous avons pleuré, nous nous sommes disputés, nous nous sommes battus… Mais au final, nous sommes parvenus à nous en sortir et nous avons créé un partenariat. Je pense que c’est le problème de plein de relations aujourd’hui. Je m’inquiète beaucoup pour mes enfants lorsqu’ils seront plus grands, parce que… Je ne peux pas m’empêcher d’en parler parce que c’est réel et je l’ai vécu : quand je grandissais, on n’avait pas les réseaux sociaux, on n’avait pas toutes ces applications de rencontre, et pour avoir une relation avec quelqu’un, il fallait connaître cette personne, il fallait développer une vraie et authentique relation, et si ça ne marchait pas, ça ne marchait pas. Aujourd’hui, les gens sautent sur des applications de rencontre et changent leurs relations aussi souvent qu’ils mettent à jour leur téléphone, et les gens recherchent constamment la relation parfaite, c’est ce que ces applications sociales promettent – « on peut trouver la relation parfaite parce qu’on peut vous mettre en contact avec des gens qui sont tellement dans le même état d’esprit que vous que vous pourriez tomber sur la bonne personne avec qui vous mettre en couple. »

Ma femme et moi sommes aux antipodes. Nous sommes très différents et je pense vraiment que les opposés s’attirent, et ça peut fonctionner, car je vis ce type de relation. Donc, pour ma part, c’est très intéressant de voir comment les gens développent leurs propres relations à notre époque. Je n’ai jamais fait ça, mais je pense que les gens renoncent… Je veux dire qu’il y a des problèmes, de sérieux soucis dans les relations entre les gens. Parfois on fait d’énormes erreurs. J’ai été témoin de maltraitances physiques et mentales, de compulsions et d’addictions, j’ai vu tout ça durant ma vie en tant qu’officier de police. Je me suis rendu sur les lieux d’incidents domestiques, des centaines et des centaines de fois j’ai dû gérer des relations sinistres et violentes, et j’ai vu à quel point ça pouvait être horrible ! C’est une autre raison pour laquelle je voulais travailler sur une relation : pourquoi n’ai-je pas voulu renoncer quand l’envie de le faire était là ? Et grâce à ça, j’ai désormais la plus incroyable des vies avec ma partenaire et nous avons deux magnifiques enfants. J’ai le sentiment qu’il faut travailler sur les relations pour qu’elles fonctionnent parfois. On peut trouver cet amour victorieux et passionné dont je parlais si on y travaille, à mon avis.

Ce que tu as dit à propos des réseaux sociaux et des applications de rencontre me rappelle une discussion qu’on a eue la dernière fois ; on a parlé de la déconnexion en termes d’interactions personnelles par rapport aux interactions virtuelles. Penses-tu que l’on est progressivement en train de perdre notre capacité à nouer des relations ? Je veux dire que j’ai récemment lu une étude parue dans le Wall Street Journal disant qu’un Américain sur quatre préférait regarder Netflix plutôt que de faire l’amour…

[Rires] En fait, j’écoutais un podcast, c’était un professeur italien qui avait étudié les relations en termes de modèles de sommeil et par rapport au fait de dormir ensemble. Apparemment, les résultats de son étude disaient que, la plupart du temps, les couples faisaient l’amour uniquement parce que c’était pratique et parce qu’ils dormaient ensemble [petits rires]. La moitié du temps, le romantisme de la relation se perd parce qu’on est constamment avec notre partenaire. Et il expliquait comment des relations très fructueuses pouvaient être ravivées en dormant séparément, donc en ayant une bonne nuit de sommeil dans son propre lit sans notre autre moitié qui bouge et nous réveille tout le temps pendant la nuit, et ensuite, lorsque le côté romantique de la relation se fait sentir, c’est souvent naturel et très passionné parce qu’on ne fait pas l’amour juste parce que c’est pratique [petits rires]. C’est un sujet très intéressant !

« J’ai toujours fait ça toute ma vie, me mettre en position d’inconfort pour voir ce qui se passe. »

Mais pour revenir à ta question : oui et non. Je suis allé à une fête récemment et j’étais avec plein de personnes plus jeunes, plein de jeunes gars, et la conversation a en fait dévié sur les relations. Les gens me montraient leur compte Tinder et à quel point c’était facile de sélectionner quelqu’un qu’on apprécie sur la base du critère superficiel qu’est le physique. [Petits rires] Je trouve ça absolument fascinant. Enfin, évidemment, l’attirance est très importante dans les histoires d’amour, il faut être physiquement attiré, je le comprends, mais c’est tellement dingue de penser qu’on pourrait constamment rencontrer des gens sur la seule base de leur physique et ensuite avoir toutes ces interactions étranges lors desquelles, instantanément, on sait qu’on a pris de mauvaises décisions, car on ne s’entend pas bien lors de cette première réaction. Tout est basé sur cette première décision, c’est-à-dire « est-ce que j’aime le physique de cette personne ? », plutôt que d’apprendre à connaître la personne. D’un côté, c’est une très bonne chose parce qu’on se met face à des gens et on fait tomber cette barrière initiale à laquelle on peut souvent être confronté pour rencontrer des gens, mais d’un autre côté, personnellement, je ne m’identifie pas du tout ça. Il est clair que j’ai grandi à une tout autre époque.

Plus qu’un concept, c’est une histoire que tu racontes. Peux-tu nous la résumer ?

Je dirais que c’est un voyage mais ce n’est pas forcément une histoire en tant que telle du début à la fin, car chaque chanson représente différents moments dans une relation. Par exemple, la chanson « Limitless » parle de la solitude et du désespoir qui peut suivre une rupture. Dès l’instant où tu romps avec quelqu’un avec qui tu as longtemps été et vécu, pendant des années, toutes ces soirées passionnées et pleines de désir, tous ces aspects vraiment intenses de l’amour disparaissent soudainement. Le clip vidéo, toute l’histoire et la narration parlent d’une personne qui est totalement vidée émotionnellement et est prête à s’apitoyer sur son sort à cause d’une décision qu’il ou elle a peut-être prise et qui l’a mené à cette séparation, mais au final, il s’agit d’aller de l’avant, d’essayer de changer cette attitude mentale et être là : « Peut-être qu’on s’est séparés pour une bonne raison, peut-être que j’ai besoin de me redécouvrir, peut-être qu’à la base c’était moi le problème dans cette relation et que j’ai besoin de voir ma vie et ma façon d’être avec un regard neuf, et essayer de changer pour le meilleur. » Il s’agit de faire peau neuve et aller de l’avant pour un avenir meilleur, car arrive un stade où il faut prendre une décision dans une relation. On peut travailler dessus jusqu’à un certain point, et je crois fermement au fait d’y travailler, mais il peut arriver un moment où on se rend tous les deux compte que ça ne va nulle part. J’imagine qu’il s’agit d’essayer de sortir de ça et de se souvenir que les liens humains sont très importants. Car je pense que beaucoup de gens peuvent vivre ce genre de très longues relations et tout d’un coup se retrouver seuls pendant un long moment.

Qu’est-ce que le mot « Castles » (châteaux, NdT) signifie dans ce concept ?

Quand Eddie et moi étions en train d’écrire l’album, les mots « rois et reines » n’arrêtaient pas de nous venir à l’esprit, afin en quelque sorte de symboliser la situation et l’importance de ce que ressentent les partenaires – homme et femme, ou homme et homme, ou peu importe le sexe – à propos de l’un et l’autre dans une relation. C’était simplement la traduction naturelle de notre point de vue et « châteaux » colle très bien à tout ce thème des rois et reines et des relations. C’est vraiment de là que ça vient. Je n’ignore pas que l’on soit tous très différents et qu’il n’y a pas que des relations homme-femme dans la vie, car il y a plein de sexualités différentes, mais de mon point de vue, je n’ai rien connu d’autre que des partenariats avec une femme. Voilà pourquoi nous avons eu tendance à aller dans cette direction avec l’idée des rois et reines.

Est-ce que le fait d’écrire cet album t’a aidé à améliorer tes propres relations au cours de ces quatre ans depuis que tu as originellement conçu cet album ?

Oui et non. Je pense que ça a mis en évidence plein de domaines où les relations peuvent tourner au vinaigre et ça a renforcé ma propre conviction que la clef d’une bonne relation, c’est la communication. Je connais plein de couples qui avaient l’air d’être des couples parfaits, qui n’avaient jamais eu de désaccords ou de disputes, et qui trois ans plus tard ont divorcé ou se sont séparés. Dans mon cercle d’amis, j’ai aussi vu des situations où les gens ne parvenaient pas ou ne voulaient pas communiquer les frustrations émotionnelles ou dire ouvertement ce qu’ils ressentaient vraiment, et j’ai l’impression que ceci peut générer beaucoup d’émotions négatives et que ça peut amener des problèmes au sein des relations. C’est une chose qui, au cours de l’écriture du concept de l’album, a renforcé ma conviction que la communication est la clef d’une relation parfaite.

Certains disent que l’amour va de pair avec la douleur. Quel est ton avis ?

Je pense que c’est une bonne façon de voir les choses. Je veux dire, comme je l’ai dit précédemment, ma femme et moi avons connu de nombreux hauts et bas, mais nous avons toujours triomphé en trouvant le moyen de nous en sortir. Il y a eu beaucoup de douleur. Il y a eu des moments où nous avons failli nous séparer mais nous sommes parvenus à régler ces problèmes. Encore une fois, pour revenir à ce que je voulais initialement dire, c’est là où plein de relations échouent : les gens n’ont pas la volonté d’affronter les problèmes.

Cet album est très orienté pop et électronique. Où se situe cette direction musicale parmi tes goûts ? Est-ce ce qui représente le mieux qui tu es en tant qu’artiste et auditeur ?

Pas forcément. C’est juste que j’aime être créatif et faire de la musique aussi variée que possible. Mais au bout du compte, il s’agit de ce qui paraît être bien et de ce qui sonne bien. Je ne sortirais rien dont je ne serais pas content. Je veux dire que plein de gens sont frustrés parce que j’ai été dans des groupes de metal pendant des années, et pourtant, quand je fais mes trucs solos ou mes projets parallèles, ça penche plutôt du côté de la pop contemporaine que du rock et du metal, or les gens veulent m’entendre tout le temps faire du metal. Je ne suis pas le genre de gars à faire ça. J’ai une collection de CD très variée et éclectique, j’écoute plein de formes de musique, et j’ai le sentiment que pour s’exprimer, il faut être créatif et varié dans la façon dont on veut le faire. Ça ne veut pas dire que le prochain album ne pourrait pas être metal. Il pourrait l’être. C’est ce qui beau avec le fait d’être un artiste solo maintenant et d’avoir le soutien d’un label : je peux faire ce que je veux. Je ressens une indépendance par rapport à ça. J’ai aussi envie de travailler avec une variété de producteurs, des producteurs de metal, de pop, de rock, tout ce qui me conviendra. Je vais commencer à partager des idées avec les gens, et si quelque chose ressort, je suivrai cette voie. Si ça me donne la chair de poule ou si ça me fait ressentir quelque chose de particulier et que ça me fait du bien, je vais probablement suivre ça. Je ne dirais pas forcément que je commence à écrire un album en ayant un style en tête.

« ‘Détester’ est un verbe tellement fort, et les gens ont vite fait de critiquer et ne se rendent pas compte de la quantité d’efforts et d’amour qu’on peut mettre dans la musique. On a cette relation symbiotique avec les fans. Les fans et les artistes vont de pair. L’un n’existe pas sans l’autre. En conséquence, on devrait être plus respectueux des uns et des autres. »

Enfin, on est tous influencés par ce qu’on écoute à côté et j’ai une vraie passion pour les artistes de pop moderne et progressive, et l’une de mes plus grandes inspirations pour tout ce projet solo est probablement David Bowie. J’ai eu trente-six ans hier, ça fait dix ans maintenant que je suis un artiste, et j’en suis aujourd’hui à un stade où je ne peux m’imaginer arrêter un jour [petits rires]. J’admire vraiment les artistes qui continuent alors qu’ils ont plus de soixante-dix ans. Je vois des gens incroyables autour de moi, des pairs, qui sont toujours là et qui ont l’air et sonnent mieux que jamais, et j’ai envie d’être ce genre de personne. J’ai choisi d’être un créateur et ça a fait de moi un homme meilleur, ça a rendu toute ma vie meilleure, ça m’a permis de voyager dans le monde et d’aider les gens grâce à la musique. J’ai le sentiment de faire beaucoup de bien avec la musique et je n’ai pas envie que ça s’arrête. J’ai envie de continuer à créer.

Cet album contient plein de sonorités électroniques, comme dans la chanson « Kiss ». Comment les as-tu façonnées ? Est-ce le résultat direct de ta collaboration avec le producteur Eddie Head ?

Ouais. Je veux dire que la majorité des idées initiales ont été créées par Eddie et il a une très bonne oreille pour l’électronique. Il adore tous ces trucs et nous aimons les artistes comme Björk, Nine Inch Nails, Massive Attack, etc. Tout, allant du chillstep à la drum and bass. Si tu écoutes les albums de Haji’s Kitchen, il y a plein d’influences et de sons électroniques dedans qui s’entremêlent avec le metal. Je crois avoir utilisé ça comme exemple quand je parlais à Eddie des types de sons que je voulais explorer, c’est-à-dire le fait de prendre les éléments électroniques de Haji’s Kitchen pour voir où ça pourrait mener et où nous pourrions emmener ça. Donc, ouais, j’ai clairement été influencé en faisant cet album, c’est certain.

L’album a été enregistré dans deux studios. Le chant a été fait au Celestial Sound Studio au Royaume-Uni, alors que la musique a été faite aux The Color And The Sound Studios aux Etats-Unis. Pourquoi avoir travaillé à deux endroits ?

C’est juste une question de lieux géographiques. Je veux dire qu’Eddie est basé en Amérique, et moi je suis basé au Royaume-Uni. Nous avons tous les deux notre propre studio personnel, donc c’était vraiment une collaboration parfaite. Chaque album que j’ai fait durant les douze ou treize dernières années ont été des collaborations sur internet, à partager des fichiers, tout le temps. C’est naturel pour un artiste qui fait tout soi-même de construire son studio personnel et de l’organiser de façon à être autonome. Enfin, j’ai quand même hâte d’arriver au moment où je pourrai laisser tomber cette approche et aller dans un studio, mais les gens avec qui je travaille sont éparpillés partout dans le monde, donc faire ça a jusque-là été difficile d’un point de vue logistique à cause de problématiques financières et ce genre de choses. Mais je me rapproche du stade où je pourrai être dans la même pièce avec quelqu’un et écrire un album complet avec lui.

Tu as déclaré que ce projet t’a permis de repenser ton approche de la création musicale. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

C’est le fait de travailler avec des producteurs, le style des textes, l’approche vocale, tout l’ensemble. Je veux dire que si tu écoutes cet album, il est drastiquement différent de tout ce que j’ai sorti, vocalement. Toute la production du chant est très différente également, c’est très mis en avant, très compressé et rentre-dedans, mais c’est aussi très ample et ça s’intègre bien dans le mix. J’ai vraiment l’impression que c’est quelque chose que je n’avais pas réussi à obtenir comme il faut jusqu’à aujourd’hui, or la production vocale est super bonne sur cet album et j’aimerais faire la même chose sur mes futures musiques, que ce soit avec Tesseract, White Moth Black Butterfly ou autre. Je ne pense pas avoir un jour eu une production vocale exactement comme je la voulais, mais je n’ai jamais été aussi proche qu’avec cet album.

Tu l’as déjà mentionné plus tôt : l’album contient six versions alternatives de chansons avec divers invités, dont trois de la chanson d’ouverture « Saved ». Il y a presque autant de versions alternatives qu’il y a de chansons originales : au final, est-ce que cet album était autant une question de créer un voyage personnel que d’expérimenter et collaborer ?

Ouais. Enfin, il y a aussi une volonté d’y impliquer des amis. Tous les noms impliqués dans les remix sont des amis proches, ce sont des gens avec qui j’ai travaillé pendant quelques années, au moins, et avec qui j’ai une bonne relation de travail. Mais la raison pour laquelle je les ai choisis est aussi parce qu’ils viennent de différents backgrounds et projets, donc j’avais vraiment envie d’entendre ce que ça donnerait s’ils prenaient le chant lead et créaient de la musique autour de ça. Après, si tu sais un peu comment j’écrivais la musique par le passé, on m’a toujours présenté de la musique et ensuite j’écrivais du chant par-dessus. Cependant, j’ai toujours trouvé qu’écrire de la musique et la mixer autour du chant était un bien meilleur processus, car c’est ainsi qu’on parvient à bien intégrer la voix, à mon avis, dans un mix et un master finaux impeccables. Mais ouais, je les ai attirés dans ce projet parce que ça les branchait bien, parce que ce sont des amis et parce que je voulais étendre l’album, évidemment, mais aussi pour mettre en valeur leurs compétences. Des gens comme Paul, Acle, Randy, Dmitry et Eddie sont tous des gens extraordinaires et ils méritent qu’on les mette sur un piédestal, car ils ont fait un incroyable boulot sur ces chansons. Même si c’est un projet solo, il n’y a pas que moi. Des gens m’ont aidé à créer ceci. Je n’étais pas tout seul dans ma chambre à écrire, mixer et masteriser l’ensemble du produit. C’était un effort commun. Donc je voulais célébrer ceci en amenant ces gens.

« Je ne me comparerais en aucun cas à Devin Townsend mais c’est un gars très prolifique, c’est un bon exemple de quelqu’un qui sort constamment des albums gorgés de musique. J’aspire à devenir comme lui un jour. »

Comme premier clip, tu as en fait choisi la version de « Saved » avec Acle Kahney, avec qui tu travailles déjà dans Tesseract. Comment c’était de travailler avec Acle en dehors du contexte de Tesseract ?

Ouais, en fait, c’était très intéressant pour nous en tant que compositeurs, car… Pour revenir à ce que j’ai mentionné dans ma dernière réponse : je crois fermement qu’écrire de la musique autour du chant peut mener à une bien meilleure chanson, en général, et Acle est toujours le gars qui va écrire de la musique, il est très musique et pas forcément chant, et je pense qu’il l’admettrait. Il adore le son, il adore les guitares, c’est dans sa nature. Donc, faire ceci, lui donner du chant et lui demander d’écrire de la musique autour de ce chant, c’était aussi une expérience pour nous, en tant que compositeurs pour Tesseract. Il se peut que nous fassions davantage ceci sur le prochain album, je l’espère.

Comme le noyau de l’album a été élaboré il y a quatre ans, penses-tu que ton travail créatif en solo a un impact sur les autres albums que tu as faits après, y compris avec Tesseract ?

Non, je ne crois pas. J’ai clairement tout séparé. J’ai toujours séparé autant que possible Tesseract de ce que je faisais à côté. Enfin, ça va forcément déteindre, c’est naturel, mais j’ai le sentiment que Tesseract doit être quelque chose à part. Quand je me plonge dans un nouvel album de Tesseract, j’essaye d’oublier tout le reste autour de moi, et j’essaye de faire quelque chose de nouveau et de différent. Je ne sais pas quelle direction prendra le prochain album. Je ne dirais pas forcément que cet album a influencé ce qui a suivi, mais qui sait ? J’ai cependant vraiment l’impression d’être en train de me recréer et potentiellement… C’est trop tôt pour le dire mais il se peut que je veuille me caler sur un style, en termes d’approche vocale, mais je n’en suis pas sûr. Je veux dire que dès que j’entends de la musique, ma réaction à cette dernière est à chaque fois différente, donc c’est dur à dire. J’aime l’idée et la notion de se figer dans un style, mais je suis juste trop créatif [rires]. Je ne sais pas ce qui va se passer.

L’artwork est riche et beau, il participe à l’expérience de l’album en soi. Comment as-tu travaillé avec l’artiste pour implémenter visuellement l’univers musical que tu as créé ?

Initialement, tous le visuel était prêt avant la dernière version et c’était bien plus simple. Si tu regardes les yeux au centre de la pochette, à l’origine c’était juste une peinture de mes yeux réalisée par une artiste qui s’appelle Jone Bengoa, c’est une artiste espagnole qui a pour spécialité de peintre les yeux des gens à l’aquarelle. Elle a donc peint mes yeux et il y avait des gouttes d’eau créant l’apparence de larmes, mais j’avais l’impression que ce n’était pas suffisant, que ça ne représentait pas la variété et l’atmosphère de l’album. Donc, comme je le fais naturellement, je vais sur internet et je cherche différents artistes, partout, j’ai les yeux toujours ouverts, et j’ai trouvé une artiste qui s’appelle Lenore et se fait connaître sous le nom d’ANI Artworks. Elle avait de magnifiques images sur sa page Instagram et j’avais en fait travaillé avec elle sur la revisite d’Atone de White Moth Black Butterfly ; elle a fait la nouvelle version de l’artwork de ce dernier. J’étais tellement impressionné que j’avais envie de retravailler avec elle. Nous avons donc discuté des couleurs, des différentes images, afin de symboliser la nature variée de l’arc des relations. C’était le sujet que je lui avais donné, le fait que ça devait représenter l’arc des relations. Honnêtement, elle est tellement douée qu’elle est revenue avec quelques idées qui ont tout de suite parfaitement collé. Je ne sais pas si tu as un exemplaire physique de l’album, mais tout le visuel est très cohérent et magnifique.

Tu as repensé non seulement ton approche de la création musicale mais aussi ton image, comme on peut le remarquer en regardant les photos de toi avec le maquillage et les vêtements stylisés que tu portes. Est-ce plus qu’un projet musical pour toi ?

Oui, c’est largement plus. J’ai toujours envie de repousser les limites, de faire quelque chose de différent et de me dépasser. Je pense que ça sera reflété dans le clip qui sort aujourd’hui, car pour la toute première fois, je suis parti en Amérique pour filmer un long clip dont le tournage a duré six jours. C’est une narration complète où j’ai vraiment dû faire l’acteur. J’ai dû réviser mes compétences d’acteur [rires] et je ne suis même pas un acteur ! Ce n’est pas mon point fort. J’étais complètement hors de ma zone de confort. J’ai toujours fait ça toute ma vie, me mettre en position d’inconfort pour voir ce qui se passe. Pour revenir sur David Bowie, il a dit quelque chose qui me reste en tête durant chaque cycle d’album. En gros, il a dit que la façon dont il aimait voir son travail dans l’industrie musicale et sa création était de s’imaginer en train de marcher, quittant une plage et rentrant dans l’océan, jusqu’au moment où on commence à perdre pied et à nager sur place. Ça crée un sentiment d’insécurité mais aussi d’excitation. Il avait l’habitude de se mettre mentalement dans ce contexte où il ne savait jamais ce qui allait se passer, c’était dangereux, c’était excitant. C’est pour ça que j’ai créé ces images promotionnelles, car elles sont barrées, elles sont très différentes de ce que je ferais normalement. Tu sais, à l’origine je suis du genre à porter des T-shirts et jeans noirs et à faire des shooting photos typiquement metal. Alors que là, j’ai fait appel à un photographe génial, qui s’appelle Steve Brown – Steve Brown Creative – qui travaille pour la BBC et fait plein de trucs promotionnels extraordinaires. J’ai simplement dit : « Traite-moi comme un livre ouvert et voyons ce qui se passe. » J’ai impliqué une styliste qui s’appelle Lucille Dee, qui vient du Royaume-Uni et travaille dans un théâtre musical, et elle a aidé à concevoir tout l’aspect visuel, la coiffure avec les plumes, le maquillage, etc. Elle s’est lâchée.

« Voir des gens tués dans des situations de violence domestique est quelque chose qui me hante. J’ai trouvé des victimes de meurtre et ce genre de choses. C’est vraiment horrible. Ça me reste donc toujours quelque part en tête et […] cet alter ego en particulier que je sacrifie dans le clip de ‘Limitless’, c’est une tentative de ma part de lâcher prise sur le passé car il me hante. »

Certaines personnes n’aiment pas, elles trouvent ça étrange et très curieux, d’autres adorent parce que je fais quelque chose de différent et je repousse les limites. Personnellement, j’adore totalement. Le simple fait de faire quelque chose d’aussi différent m’a également donné une nouvelle confiance en moi en tant qu’artiste. Ça a aussi commencé à soulever des questions au sein de ma propre communauté de fans. Par exemple, il y a plein de personnes ignorantes qui ont vu certaines de ces images et font des commentaires désobligeants, et je trouve que ça met en lumière la nature des gens, à certains égards. Le respect est important pour moi, je cherche constamment à ce que les gens soient respectueux de ce que font les artistes. Les critiques disent vite : « Je déteste cet artiste » ou « Je déteste cet album ». « Détester » est un verbe tellement fort, et les gens ont vite fait de critiquer et ne se rendent pas compte de la quantité d’efforts et d’amour qu’on peut mettre dans la musique. On a cette relation symbiotique avec les fans. Les fans et les artistes vont de pair. L’un n’existe pas sans l’autre. En conséquence, on devrait être plus respectueux des uns et des autres. Si quelqu’un n’aime pas un album ou un artiste, alors il faut qu’il repense sa façon d’écrire ces commentaires. Je crois que la critique est bonne mais je crois aussi que le ton et le langage utilisés sur internet sont vraiment ignares et agressifs parfois. Le respect est important pour moi. Je crois simplement que les gens devraient avoir de meilleures manières dans la vie. Je n’ai pas envie d’être un guerrier du clavier mais j’ai vraiment l’impression que, afin de changer l’environnement, afin d’enclencher un changement sociétal dans la façon dont les gens interagissent sur internet, on doit remettre en cause ce genre de comportements et de paroles injurieuses. Aussi, les gens n’aiment pas voir des artistes défier les fans ou contester les comportements négatifs mais, personnellement, j’ai le sentiment – et je le fais de temps en temps – qu’on doit prendre position et élever les consciences sur la façon dont les gens agissent ou s’expriment. Mais je dois dire qu’en général, les gens adorent tout le côté visuel. Je suis content de l’avoir fait.

Est-ce que ces photos représentent la façon dont tu te vois intérieurement ? Ou bien est-ce plus comme un alter ego ?

Je ne dirais pas forcément que je crée un alter ego que je vais conserver parce que, encore une fois, j’ai tout le temps envie de faire quelque chose de différent et de super créatif. C’est très étrange, et il y a des photos que nous n’avons pas incluses parce qu’elles étaient trop barrées, elles étaient tellement bizarres que les gens ne les auraient pas comprises. Mais, en fait, si tu as vu la photo avec le fond orange et la coiffure à plumes, ce type d’image représente effectivement ma part sombre, et dans le clip que nous sortons aujourd’hui, en gros, je tue cet alter ego [rires]. Je l’enferme dans une voiture et je lui mets feu. Ce n’est pas seulement un album sur les relations, ce n’est pas seulement un album de chansons d’amour, c’est un album de réalisation de son potentiel et d’auto-amélioration, sur le fait de vouloir aller de l’avant dans la vie et d’entretenir sa créativité.

Tu as réalisé et produit chaque aspect de ce projet. Tu l’as qualifié de « projet extrêmement libérateur » et tu as même considéré ça comme « un nouveau départ en tant qu’artiste ». Est-ce que ça veut dire que tu as été frustré de travailler sous les contraintes d’un groupe et des compromis qui vont avec ?

Pour être honnête, oui. Je pense que c’est psychologique car j’ai renoncé à beaucoup de choses quand j’ai choisi de devenir musicien. Je me sens parfois frustré de ne pas forcément avoir… pas nécessairement une voix au chapitre ou une participation parce que c’est le cas de tout ce que j’ai fait, mais j’ai l’impression que l’image que j’ai dans ma tête n’est souvent pas la bonne image pour le projet ou celle que les autres personnes aiment. Il se passe tellement de choses dans ma tête que j’ai envie de faire sortir et utiliser pour moi-même que ça m’est naturel de le faire. Tout découle de cette décision que j’ai prise à un moment donné de renoncer à la vie que j’avais pour être un musicien. Car j’ai traversé tellement de galères et j’ai une vie tellement créative maintenant que je n’ai pas envie de la laisser filer, et j’ai cette volonté de manager des projets et d’être créatif. C’est un sentiment très fort que j’ai constamment, et c’est probablement la raison pour laquelle j’ai sorti autant d’albums par le passé. J’ai vraiment l’impression de m’être dilué. Il y a des artistes qui font très attention à quand et comment ils sortent des albums. Or je sens que j’ai été très prolifique. Je ne me comparerais en aucun cas à Devin Townsend mais c’est un gars très prolifique, c’est un bon exemple de quelqu’un qui sort constamment des albums gorgés de musique. J’aspire à devenir comme lui un jour. Il est plus âgé que moi, il a bien dix ans de plus, et j’adorerais faire ce qu’il fait à son âge. Pour revenir à ta question, j’ai été frustré, ouais. Donc c’est un grand soulagement pour moi.

Puisque cet album a été fait il y a quatre ans, as-tu déjà commencé à plancher sur le suivant ?

[Rires] Oui, j’ai déjà presque fini le second album. Mais je ne veux pas trop en dire, c’est trop tôt pour ça. Je n’ai même pas encore sorti le premier [petits rires]. Je pense que ce sera plus varié en termes d’instrumentation, pas forcément varié en termes de son global et de style. J’essaye de rester attaché à une palette sonore relativement fixe, mais sur quelque chose qui sera thématique sur l’ensemble de l’album plutôt qu’un éventail varié de chansons.

Plus généralement, comment vois-tu l’avenir de ta carrière solo ? Peut-on s’attendre à ce que tu tournes avec ça ?

Il y a quelques chansons qui sont orientées groupe, donc elles ont des guitares saturées, de la vraie batterie, de la basse, etc. J’aimerais ressortir les guitares et jouer avec de la guitare. Actuellement, ce n’est pas le bon moment parce que Tesseract a un emploi du temps de dingue, mais je pense que durant les prochaines années, j’aimerais en faire un projet live et porter ça sur scène. C’est un peu un rêve fou, on verra si ça se fait, mais je ne dirais pas non.

Tu viens de mentionner l’emploi du temps de Tesseract : as-tu des nouvelles à nous donner ?

Il suffit de regarder tous les festivals d’été que nous avons cette année [rires]. Nous prévoyons de tourner à nouveau à la fin de l’année, je ne peux pas dire quand ni où, mais oui, nous serons constamment sur la route. Il faudra aussi que nous réalisions un nouvel un album à un moment donné, donc nous allons être très occupés. Nous sommes constamment en train de faire des démos et enregistrer de la musique. C’est juste que nous devons trouver une période où nous pouvons fermer la porte, éteindre internet et simplement créer. Le problème avec les tournées est que ça perturbe. Nous devons tourner, c’est une nécessité, et les opportunités n’arrêtent pas de prendre de l’ampleur, et c’est de là que vient la vraie croissance pour un groupe, des tournées et du développement d’une solide communauté de fans, mais il faut bien lâcher du lest. Nous ne savons pas exactement comment ni quand, mais nous sommes constamment en arrière-plan en train de faire des démos.

« Je dis aux gens que j’ai été officier de police et certains ont une authentique haine de l’autorité. […] Une chose que j’ai très vite apprise en tant qu’officier de police, c’est de connaître ton public [petits rires], d’adapter ton langage à la situation, pas forcément de ne pas être toi-même, mais d’être attentif à qui tu t’adresses, d’être réfléchi, et aussi de te protéger. »

Pour conclure cette interview, tu as mentionné le fait que tu travaillais auparavant dans les forces de police avant d’abandonner cette carrière pour devenir chanteur. Ce n’est pas banal. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Ouais, j’ai travaillé huit ans dans les forces de police à Nottinghamshire, au Royaume-Uni. J’ai fait ça à partir de dix-huit ans et demi jusqu’à vingt-six ans. Tout au long de ma carrière dans la police, j’étais dans des groupes, à me faire un réseau, donnant des concerts, me développant en tant que chanteur. C’est donc une autre raison pour laquelle ma relation avec ma femme Emma est si importante, car elle m’a soutenu tout du long. Pour mettre les choses en perspective, si je travaillais de jour de six heures du matin à quatre heures de l’après-midi, souvent je voyageais ensuite jusqu’à Londres, tout de suite après le boulot, pour répéter et faire des concerts, puis revenir très tôt le matin suivant et être direct au boulot à six heures. J’ai fait ça pendant quelques années [rires]. Être dans la police, c’est un boulot sérieux, comme on peut s’y attendre. On gère toutes sortes de vies criminelles et tu t’exposes à une communauté très explosive chaque jour. Il est arrivé qu’on m’envoie des briques et des bouteilles, je me battais avec des gens, j’arrêtais des criminels, des violeurs, des cambrioleurs, etc. J’avais une carrière très variée, en fait. Je ne prenais pas ça à la légère, j’étais très bon dans mon boulot et je le faisais pour les bonnes raisons, je voulais aider les gens.

Aussi, j’étais spécialisé dans les violences domestiques. J’aidais des victimes vulnérables et sérieuses de violence domestique. J’étais très proche des histoires explosives dont je parle dans Castles. J’ai été témoin aux premières loges de la méchanceté dans les relations. Ces expériences ont aussi fait leur chemin sur l’album One de Tesseract, et elles ne m’ont jamais quitté. Elle te laisse des cicatrices. Voir des gens tués dans des situations de violence domestique est quelque chose qui me hante. J’ai trouvé des victimes de meurtre et ce genre de choses. C’est vraiment horrible. Ça me reste donc toujours quelque part en tête et je suppose, pour revenir sur l’artwork, les photos, cet alter ego en particulier que je sacrifie dans le clip de « Limitless », c’est une tentative de ma part de lâcher prise sur le passé car il me hante. La clef pour expliquer les clips est qu’on essaye de passer à autre chose mais les décisions que l’on prend dans les relations créées forment et influencent les personnes qu’on devient, mais on ne peut jamais vraiment se débarrasser du passé, il est toujours là et on ne l’oublie jamais. Donc ouais, avoir été policier me hante [rires] ; il y a tant de trucs que j’ai vus ! Mais, tu sais, est arrivé un stade où je n’arrêtais pas de demander un break dans ma carrière et ils refusaient, puis j’ai eu mon premier contrat avec une maison de disque pour le cycle de One avec Tesseract. Donc j’ai décidé de démissionner et c’est là que tout est arrivé.

Tu as de toute évidence beaucoup à dire en tant qu’artiste. Du coup, comment t’es-tu décidé à devenir policier au départ plutôt que d’essayer tout de suite de faire carrière en tant que chanteur ?

Je viens de l’East Midlands au Royame-Uni. Je pense qu’il serait juste de dire que j’avais peu d’opportunités quand j’étais plus jeune. Je suis allé à un collège très standard, je n’avais pas les meilleures qualifications, je ne savais pas ce que je voulais faire, je ne voulais pas rentrer dans un cursus universitaire. J’ai juste trouvé un boulot et ça reflète la manière dont on m’a éduqué : trouve un boulot et range-toi, et bosse dur ; ça fait partie de moi, en toute honnêteté. Je n’ai jamais étudié la musique, j’étais très naïf en tant que jeune adulte, et je pense que le fait que je me sois enrôlé dans les forces de police était un peu un heureux hasard, pour être franc, j’ai eu beaucoup de chance, mais ça m’a vraiment donné une grande expérience de la vie et j’ai très vite mûri après ça. Je n’ai donc jamais eu la capacité ou le coup de main pour étudier la musique. Je me suis développé tout seul en tant que chanteur, compositeur, producteur… Tout s’est passé au cours des dix dernières années. Je suis autodidacte. Je ne connais pas la théorie musicale. Mais j’ai étudié la pédagogie vocale et je suis coach vocal, et ça fait de nombreuses années que je fais ça. Si je n’étais pas devenu un coach vocal ayant étudié, à cet égard, je ne pourrais pas entretenir une vie d’artiste, car les toutes premières années étaient très pauvres. Enfin, voilà. Je suis un peu tombé par hasard dans les forces de police.

Je ne sais pas comment c’est au Royaume-Uni mais la police est dans une position difficile aujourd’hui en France et la relation entre les gens et la police semble se détériorer dans de nombreux pays, comme aux Etats-Unis. Qu’en penses-tu ?

Je ne peux pas faire de commentaire sur la façon dont les forces de police dans le monde fonctionnent, mais d’après mon expérience, j’ai vu beaucoup de corruption et d’officiers de police qui abusaient de leur position. Au Royaume-Uni, je dois dire que les personnes avec qui j’ai travaillé étaient des personnes vraiment extraordinaires qui voulaient aider les gens, et je pense, de façon générale, que les forces de police au Royaume-Uni sont bien plus paisibles que, par exemple, les forces de police en Amérique [petits rires], ou en Russie, ou en Inde, où il y a beaucoup de corruption. J’ai l’impression qu’il y a un petit peu plus de respect envers la population de la part de la police britannique. Et on ne porte pas aussi souvent des armes à feu. Un officier de police classique ne porte qu’un minimum d’équipement d’autodéfense. Pour ma part, j’ai rejoint les forces de police, d’un, pour l’argent mais aussi, de deux, parce que j’avais l’impression d’aider les gens de ma communauté. J’ai fait de mon mieux pour ne jamais abuser de ma position. J’étais un officier de police vraiment honnête. Mais malheureusement, le pouvoir vient avec des responsabilités mais aussi des gens qui en abusent et donnent aux forces de police, en général, une très mauvaise réputation. Il suffit d’une seule personne qui abuse de son pouvoir pour que les gens pensent que tout le monde fait la même chose et les mettent tous dans le même sac. Je dis aux gens que j’ai été officier de police et certains ont une authentique haine de l’autorité. J’imagine qu’il s’agit de faire tomber les barrières et montrer aux gens quelle personne on est vraiment, car au bout du compte, être un officier de police, ce n’est qu’un uniforme et derrière cet uniforme, il y a une personne. Je suis sûr que les gens peuvent le voir, mais souvent, la plupart d’entre eux ne voient que l’uniforme et s’énervent.

As-tu toi-même rencontré des problèmes avec des gens qui savaient que tu as été officier de police par le passé ?

Pas forcément dans la communauté musicale mais avec le grand public, ouais. Quand j’étais chez moi, c’était rare que je me présente comme étant officier de police à la mauvaise personne. Une chose que j’ai très vite apprise en tant qu’officier de police, c’est de connaître ton public [petits rires], d’adapter ton langage à la situation, pas forcément de ne pas être toi-même, mais d’être attentif à qui tu t’adresses, d’être réfléchi, et aussi de te protéger.

Interview réalisée par téléphone le 26 avril 2018 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Steve Brown.

Site officiel de Daniel Tompkins : fr-www.danieltompkinsvocalist.com.

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