Danko Jones joue du rock, chante du rock, parle de rock, écrit à propos du rock… Ça fait plus de vingt ans que Danko Jones incarne le rock dans sa forme la plus pure. Alors on est tout sauf surpris de voir débarquer un neuvième album – le troisième de la formation actuelle – mettant le rock à l’honneur, intitulé A Rock Supreme. Mais si on gratte un peu sous la surface, derrière les clichés et les idées reçues qu’on peut se faire d’un personnage comme Danko Jones et sur le rock, en général, la réalité d’un tel groupe est plus complexe et moins insouciante qu’on peut le croire.
Au-delà de nous parler de ce nouvel opus et de sa passion pour le rock, évoquant certaines de ses premières fois et préférences, Danko Jones expose la réalité d’un groupe, son groupe, entre questionnements sur sa place dans l’industrie, le regard biaisé des gens extérieurs à ce monde et ce que cela implique de tourner de manière aussi intensive. Reste qu’à ce jour, rien n’est parvenu à altérer l’indéfectible passion pour le rock qui le porte depuis son adolescence.
« Nous n’avons jamais eu un tube classé numéro un. Nous n’avons jamais été dans le top dix ou eu un disque d’or ou de platine, ou gagné un Grammy ou une quelconque récompense. […] Nous ne sommes jamais au top, mais nous ne sommes jamais au fond du trou non plus. Ça te donne un faux sentiment de sécurité, mais ça te fait également faussement croire que tu ne réussis pas. C’est cet étrange entre-deux. »
Radio Metal : Après avoir travaillé sur deux albums avec Eric Ratz, vous avez cette fois changé de producteur et avez opté pour GGGarth Richardson, avec qui vous n’aviez jamais collaboré avant. Pourquoi avoir changé maintenant et qu’a-t-il apporté au groupe ?
Danko Jones (chant & guitare) : Eric est un super producteur – il est même carrément génial et a été primé pour son travail. Nous avons fait deux extraordinaires albums et nous avons franchi un nouveau palier en travaillant avec Eric. Nous avons commencé à faire des albums de rock vraiment solides du début à la fin. Je suis très fier et content de tous les albums précédents, mais il y a toujours un morceau où je suis là : « Mouais… » Avec Eric, c’était solide d’un bout à l’autre, et nous avons vraiment ouvert un nouveau chapitre avec le groupe quand nous avons commencé à travailler avec lui, et ainsi que Rich Knox, à la batterie, qui a également débuté avec nous sur Fire Music et a continué sur Wild Cat. Ça faisait des années que nous entendions dire que GGGarth Richardson voulait travailler avec nous. Nous étions assez stupéfaits et impressionnés. Nous adorons ses albums et ses productions, comme le premier album de Rage Against The Machine, évidemment, vu que c’est celui qui lui a donné sa renommée mondiale. Mais il y a aussi ses albums avec les Melvins, et son album avec Jesus Lizard, que le groupe a reconnu comme étant celui qui sonnait le mieux parmi tous ceux qu’ils ont réalisés. Il y a aussi Biffy Clyro, Rise Against… Il y a une dizaine d’autres groupes dont je ne me souviens pas ; ce sont toujours ceux-là que je cite. Donc nous avons dit : « Pourquoi pas ? » Eric vit à Toronto également, donc c’était facile de faire les albums avec lui, et nous avons toujours fait nos albums là-bas, à l’exception de Never Too Loud. Donc, pour A Rock Supreme, nous avons dû nous rendre à Vancouver, qui est à cinq heures d’avion de Toronto. Mais au final ça a super bien marché.
C’était un peu un rendez-vous à l’aveugle. Nous ne savions pas à quoi nous attendre avec GGGarth ; parfois les producteurs peuvent être égocentriques, on a tous entendu des histoires cauchemardesques. Nous n’avons jamais travaillé avec quelqu’un comme ça, mais nous avons entendu les histoires, et nous ne voulions vraiment pas finir dans une situation où nous aurions été piégés dans un studio avec un gars avec qui ne soit pas sur la même longueur d’onde, c’est-à-dire qui aurait pensé que le groupe devait faire l’album de telle façon, alors que voulons faire tel autre type d’album à la place. Mais c’était super ! Nous nous sommes très bien entendus, nous avons le même sens de l’humour, et nous n’avons pas arrêté de rigoler tout du long. Dans le studio d’enregistrement, à aucun moment nous n’avons eu besoin de faire une réunion, ou de parler, de nous poser pour régler un souci parce que l’ego de quelqu’un était froissé. Nous avons connu des moments par le passé où nous avons dû nous asseoir en studio et régler des conneries parce que quelqu’un se sentait blessé, ou offensé, ou ne croyait pas en quelqu’un, ou ne pensait pas que telle personne était suffisamment bonne pour quelque chose. Quand ceci se produisait, j’étais là : « Mon Dieu, ça nous pompe tellement d’énergie qui ne va pas dans la session, et ça se sentira dans l’album. » Et sans surprise, que les gens le ressentent ou pas, il y a des albums qui, selon moi, auraient été dix fois meilleurs si nous nous étions contentés de travailler. Mais avec Fire Music, Wild Cat, et maintenant A Rock Supreme, avec Rich dans le groupe, nous savons ce que nous avons à faire, nous jouons tous en équipe, nous recherchons tous en l’autre la meilleure prestation possible, que nous enregistrions la batterie, la basse ou le chant. Nous ne parlions de rien d’autre que des chansons ; nous riions et blaguions, nous donnions de la légèreté à la session et permettions à tout le monde de mieux respirer et de faire ce pour quoi nous étions là, c’est-à-dire simplement faire que les chansons sonnent du mieux possible.
L’album s’intitule donc A Rock Supreme. Est-ce que tu vois cet album comme un recueil de chansons rock parfaites, ou tout du moins, était-ce l’intention ?
Oh, non. Nous n’essayons pas de composer dix « Bohemian Rhapsody ». Nous voulons juste écrire une poignée de chansons qui sonnent bien à nos oreilles. Si nous nous faisons confiance – et c’est le cas aujourd’hui –, si ça sonne bien pour nous, il y a des chances que ça sonnera bien pour les gens qui connaissent le groupe ou qui aiment le rock. J’aimerais croire que beaucoup de gens aimeront ce que j’aime. Je n’ai pas des goûts raffinés au point où je n’écoute que du noise rock, ou de la musique bruitiste, ou de la musique expérimentale, et tout le reste ne m’intéresse pas. Mes goûts ne vont pas chercher très loin. Donc, ce que j’aime personnellement, c’est ce que je mène à bien, et c’est un effort collaboratif de groupe. Donc si ça sonne super pour nous tous, alors il y a des chances qu’un bon nombre de personnes apprécieront aussi. La plupart du temps nous avons eu raison !
Tu as le Official Danko Jones Podcast où tu parles de rock n’ roll. Tu as écrit au sujet du rock n’ roll dans le livre I’ve Got Something to Say: 10 Years Of Rock And Roll Ramblings. Et ça fait maintenant plus de vingt ans que tu chantes du rock n’ roll. Est-ce que tout dans ta vie tourne autour du rock n’ roll ? Y a-t-il de la place pour autre chose ?
Oh, ouais. Comme on dit : « Ecris sur ce que tu connais. » Et ces trois médiums sont ceux pour lesquels on me demande d’écrire à différents niveaux de capacité, que ce soit en écrivant un article, en composant une chanson ou en faisant un podcast. Je ne vais pas parler d’un sujet avec lequel je ne suis pas familier, à moins que ce soit le thème du podcast. Mais je me sens très à l’aise dans le monde du rock. Je vis publiquement dans ce monde, mais en privé, évidemment, je fais toutes sortes de choses. C’est juste que je n’aime pas en parler. Les gens n’ont pas forcément besoin de savoir tout ça. J’en donne suffisamment. Je fais des podcasts, j’écris le livre, je chante les chansons, et nous les jouons en concert. Je pense avoir mon mot à dire par rapport à ce que je partage avec le public. Je ne suis pas une célébrité de première classe dans le rock. Dave Grohl est une célébrité de première classe ; moi, je suis plus de quatrième classe. Je n’ai pas l’impression que ce que je fais dans ma vie privée soit incroyablement intéressant pour les gens. Il est possible que quelques personnes soient curieuses, mais ça ne justifie pas d’examiner ça. Je ne suis pas au niveau de Dave Grohl, Gene Simmons ou James Hetfield. Etonnamment, je n’écoute pas beaucoup de rock n’ roll dans ma vie personnelle de nos jours. Ce qui ne veut pas dire que je n’en écoute pas du tout. J’en écoute toutes les semaines. Il n’y a pas une semaine sans que j’en écoute. Mais je ne me réveille pas sur « Back In Black », pour ensuite enchaîner sur les Rolling Stones. Ce n’est pas comme ça, jamais. C’est probablement plus du jazz et du rap, et de temps en temps, un album que j’ai envie de découvrir depuis un moment sans avoir encore pu le faire, qu’il s’agisse de me mettre à la page sur un vieil album d’un groupe que j’ai toujours voulu écouter ou de découvrir un nouveau groupe dont j’ai entendu parler. C’est là, généralement, que j’écoute du rock. Et quand j’écoute vraiment du rock, comme un vieil album que je connais bien, je le fais une fois par semaine, je le fais même sans y penser. Peut-être n’est-ce qu’une phase, mais en ce moment, je n’écoute pas beaucoup de rock.
« Je suis relativement convaincu que nous pourrons continuer à tourner et faire des albums au niveau où nous le faisons aujourd’hui. Et ça, pour moi, c’est déjà une réussite. C’est un succès suffisant, car je sais à quel point c’est dur pour les groupes d’en arriver là et je sais comme le monde du travail est difficile. »
L’album démarre et tu chantes : « Je suis dans un groupe et j’adore ça / Tout ce que je veux faire, c’est jouer de ma guitare et du rock and roll. » En fait, cette chanson n’est rien d’autre qu’une chanson d’amour sur le fait d’être dans un groupe de rock n’ roll. Mais comme on le sait tous, toute relation a ses hauts et ses bas. On peut facilement imaginer quels sont les hauts, mais quels ont été les bas, pour toi, dans cette histoire d’amour avec le rock n’ roll et avec ton groupe ?
Je pense que les pires moments dans le groupe ont été lorsque nous avons dû changer de batteur et de membres, ou plutôt, les mois, et parfois les années, qui ont précédé le changement. Ça n’a jamais été marrant. A chaque fois, ça aurait dû arriver deux fois plus vite. C’est-à-dire que si le batteur a été dans le groupe pendant deux ans, il aurait dû partir un an plus tôt, ou s’il a été là pendant cinq ans, il aurait dû partir deux ans et demi plus tôt. Ça signifie que la moitié du temps, nous avons dû nous supporter, et c’était tumultueux. Et puis l’arrivée d’un nouveau membre est toujours stressante. Maintenant, je crois que Rich Knox est le batteur qui a passé le plus de temps de tous dans le groupe, ça fait six ans, et il n’est clairement pas près de partir. C’est quelqu’un avec qui nous nous entendons vraiment bien. Nous rions sincèrement ; il n’y a jamais de problème du style il faut faire attention à ce qu’on dit quand il est là. Il n’y a rien de tel. Simplement, nous rions et nous passons des moments agréables. Il joue en équipe, il n’y a pas d’ego, nous donnons tous notre avis. C’est une démocratie. Que mon nom soit sur le fronton ou pas, le groupe est un groupe. Je suis dans ce groupe avec ces gars. La chanson en soi est clairement devenue mon hymne. Le texte m’est très personnel, et je trouve que les solos de guitare sont les meilleurs que j’ai jamais faits. Donc, pour moi, c’est un petit peu plus personnel, mais c’est une déclaration forte pour ouvrir l’album. Et ça fait du bien, car il y a de l’harmonie dans le groupe. Nous avons vraiment le sentiment d’être sur la même longueur d’onde. Mais ces moments que nous avons vécus dans le groupe sont ceux qui ont été un petit peu effrayants.
Et aussi, le fait que, globalement, nous n’avons jamais eu un tube classé numéro un. Nous n’avons jamais été dans le top dix ou eu un disque d’or ou de platine, ou gagné un Grammy ou une quelconque récompense. Nous n’avons jamais rien eu de tel. Ce n’est pas « des hauts et des bas », comme tu dis ; c’est plutôt ce côté constant dans le groupe qui fait que nous ne sommes jamais au top, mais nous ne sommes jamais au fond du trou non plus. Ça te donne un faux sentiment de sécurité, mais ça te fait également faussement croire que tu ne réussis pas. C’est cet étrange entre-deux. Je me demande toujours : « Où est notre place ? » Les Rolling Stones savent exactement quelle est leur place, idem pour les Foo Fighters. Tout le monde connaît un groupe qui existe depuis vingt ans, mais n’a jamais joué dans un club au-delà du bar du voisinage. Ils savent quelle est leur place. Mais ensuite, tu as cette zone intermédiaire, où on continue à tourner, on peut sortir des albums, je peux faire une tournée promo à Paris et ensuite aller à Stockholm, comme je le fais en ce moment. Il y a donc quelque chose qui bouillonne, mais pas au point de… C’est étrange, je me dis toujours : « On est où maintenant ? » Cette dernière tournée que nous avons faite en novembre et décembre en Europe était peut-être celle qui a remporté le plus de succès. Nous avions les plus gros publics ; à certains endroits, c’était plein à craquer ! Tu te dis que peut-être que les choses bougent, mais j’ai ressenti ça des tas de fois. Et pour contrebalancer, il y a aussi des tournées où tu te demandes : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Donc, je ne sais pas ! C’est juste cette constance, où nous avons maintenu le cap, et les gens connaissent notre groupe. Je pense que nous allons évoluer pour aller vers ce truc – si ce n’est pas déjà le cas après vingt-trois ans, dont dix-huit à tourner en Europe – où nous serons une sorte de référence. Les gens savent à quoi s’attendre avec nous, et c’est à eux de décider si c’est ce qu’ils veulent sur leur menu du soir – ou pas. Je crois que nous allons continuer sur cette lancée.
Espérons qu’autre chose vous attend dans le futur. Et pourquoi pas un Grammy grâce à cet album !
Ouais, on ne sait jamais. Mais nous faire miroiter ça comme un âne devant une carotte est une folie. J’ai depuis longtemps arrêté de courir après ce type de rêve – si tant est que j’ai déjà couru après. A l’origine, ce que je voulais faire quand j’ai démarré ce groupe, c’était juste de tourner aux Etats-Unis avec notre groupe préféré et enregistrer avec Doug Easley. J’ai arrêté de vouloir ça. Je n’ai pas envie de tourner avec le groupe avec lequel je voulais tourner, et je n’ai pas envie d’enregistrer avec Doug Easley ; j’ai d’autres chats à fouetter. Donc tu changes tes marqueurs. Je n’ai même jamais pensé qu’un Grammy serait possible et ça n’a pas changé. Donc mes attentes par rapport à ce groupe… Je suis relativement convaincu que nous pourrons continuer à tourner et faire des albums au niveau où nous le faisons aujourd’hui. Et ça, pour moi, c’est déjà une réussite. C’est un succès suffisant, car je sais à quel point c’est dur pour les groupes d’en arriver là et je sais comme le monde du travail est difficile. Donc je suis simplement content de pouvoir faire ça.
Dans la chanson « Dance Dance Dance », tu chantes : « J’aime regarder ton corps bouger / Je pourrais le regarder tous les jours. » Est-ce l’un des plus grands plaisirs que tu éprouves en étant sur scène : voir l’effet que ta musique a sur les gens, et la façon dont elle les fait bouger et réagir ?
Bien sûr, j’aime le fait que les gens s’investissent dans le concert. Mais si on devait analyser le texte de cette chanson et d’où ça vient, ça vient du fait que j’aime regarder les gens danser ! Mais pas forcément pendant que je joue. J’ai déjà été en boîte avec des amis, et ils dansent, et moi je reste assis. Je ne danse pas vraiment, j’aime juste regarder.
L’illustration d’Ulf Lunden dépeint un adolescent construisant des maquettes dans une chambre en désordre, avec plein de choses partout. Est-ce à ça que ressemblait la chambre de Danko Jones adolescent ?
Eh bien, je suis incapable de construire quoi que ce soit, donc non ! Mais il y avait des posters et autres partout sur les murs, donc en ce sens… Mais ce n’est pas censé être moi. C’est une fille, soit dit en passant. Ulf avait une esquisse de l’illustration avec différents personnages centraux, et cette fille était l’un d’entre eux, et nous avons bien aimé. J’aime le fait que l’on ait une rockeuse en premier plan, car il existe des rockeuses qui ne sont pas forcément la petite amie au bras d’un gars ou la fille dans un groupe. Il y a aussi cette entre-deux où c’est juste une fan, tout comme il y a un paquet de gars qui ne sont pas dans des groupes et qui aiment sincèrement aller à des concerts de rock. C’est comme ça que je la vois. C’est une fan de rock ; c’est une rockeuse. Il y a plein de gars comme ça ; pourquoi n’y aurait-il pas plein de filles comme ça aussi ? J’aimais bien cette image quand il nous a donné cette option. Il y en avait même une où il y avait un crocodile, mais je trouvais que ça faisait trop prog ! J’aime l’image. C’est la chambre d’une fan. C’était sympa de s’auto-référencer avec des illustrations d’anciens albums, la guitare SG sur laquelle je joue sur scène, etc.
« Les gens n’aiment même pas quand on appelle ça un boulot, comme si c’était un hobby. Si c’est un hobby, alors il n’y a rien de sérieux là-dedans, or je prends très au sérieux le fait de jouer du rock n’ roll. […] Ce n’est pas un hobby ; c’est mon boulot et je l’aime ! C’est la seule différence. Peut-être est-ce ça qui pose problème aux gens, car ils n’aiment pas leur boulot, et ils projettent ça sur moi. »
Tu joues du rock n’ roll depuis que tu es adolescent. Est-ce que cet adolescent est toujours en toi ?
Oui, mon amour pour la musique est toujours aussi vif que quand j’étais adolescent. Cependant, en vieillissant, tu n’as plus le même émerveillement et la même admiration que tu avais quand tu as entendu pour la première fois des groupes et des albums. Mais ce qui a remplacé ça, c’est la recherche ; le fait de toujours être en quête de groupes et d’albums qui te procureront ce sentiment que tu avais quand tu étais enfant et que tu te mettais à écouter de la musique.
Dans « I’m In A Band », tu chantes : « Il se peut que vous pensiez que je suis fou / Vous pourriez bien avoir raison ! » Et ensuite, il y a une chanson intitulée « We’re Crazy ». Tu as déjà un petit peu abordé le sujet avant, mais penses-tu qu’il faille être fou pour aller vers ce type de carrière ?
Tu es fou si tu sais ce qui t’attend, et heureusement, je n’en avais aucune idée quand j’ai commencé. Je ne me doutais pas que ce serait comme ça. Surtout de nos jours, il faut être un peu audacieux pour être à plein temps dans un groupe de rock et faire ça à une époque où le rock n’est pas la forme de musique la plus populaire. Ça ne t’assurera rien ; il n’y a aucune sécurité d’emploi avec ça. Les gens n’aiment même pas quand on appelle ça un boulot, comme si c’était un hobby. Si c’est un hobby, alors il n’y a rien de sérieux là-dedans, or je prends très au sérieux le fait de jouer du rock n’ roll. Ça fait vingt-trois ans que j’ai ce groupe avec J.C., donc si ce n’est pas un boulot – si c’est un hobby –, alors je suis théoriquement sans emploi. Je n’ai pas envie de me voir comme étant sans emploi. Ce n’est pas un hobby ; c’est mon boulot et je l’aime ! C’est la seule différence. Peut-être est-ce ça qui pose problème aux gens, car ils n’aiment pas leur boulot, et ils projettent ça sur moi. Donc j’aime qualifier ce que je fais de travail parce que je le prends très au sérieux. Et je ne le prends pas non plus pour acquis. Je ne crois pas qu’il faille être fou – c’est l’interprétation littérale de ce qui est dit dans la chanson – mais je pense effectivement qu’il faut être assez audacieux et courageux, et un petit peu ignorant de ce qui nous attend vraiment et de ce qu’est vraiment ce business. Il faut être un petit peu ignorant pour passer le pas de la porte, car si tu savais ce qui t’attend, tu ne le ferais jamais. J’étais un petit peu naïf – je ne devrais pas dire ignorant mais plutôt naïf – quand nous avons commencé, car j’étais assez jeune. Je n’en avais aucune idée. J’ai juste vu un groupe sur scène et j’ai dit : « Je veux faire ça ! » Mais tu ne sais pas ce qu’il y a derrière tout ça, et ce que ça implique de ne serait-ce que monter sur scène dans ta ville. C’est dur. Mais l’ayant fait, ayant passé l’épreuve du feu, pour ainsi dire, c’est satisfaisant. Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant, je le referais probablement. Car je connais aussi les bons côtés, et ça contrebalance clairement tout le reste.
J’imagine que les gens ne prennent en compte que les concerts et ton nom en haut de l’affiche, sans réaliser ce que ça nécessite d’arriver là. On a d’ailleurs vu pas mal de musiciens avoir des burn-out dernièrement…
Il y a beaucoup de gymnastique intellectuelle derrière les tournées et je pense que beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte. Il faut souvent se tromper l’esprit pour rester sain d’esprit et tenir le coup. Il y a plein de groupes que je connais qui sont devenus fous en tournée, et ensuite c’était la fin du groupe, car ils n’arrivaient pas à gérer ; j’ai connu ça. J’ai connu des moments où je voulais juste rentrer à la maison, parce que quelque chose se passait là-bas, et il faut continuer. Donc c’est dur, et je connais ce sentiment. Bien sûr que tu peux avoir un burn-out si tu ne planifies pas bien ton emploi du temps. Ça fait presque vingt ans que nous tournons mais nous y sommes parvenus en organisant notre emploi du temps et en nous assurant que nous ayons des pauses. Il faut se ménager.
C’est probablement la raison pour laquelle les gens s’offusquent quand tu dis que c’est un boulot, car ils ne voient que les bons moments : ils vont à un concert, et ils voient que tu es super sur scène et que tu t’éclates, et eux aussi s’éclatent, et c’est tout ce qu’ils peuvent imaginer.
Ouais, c’est tout ce qu’ils connaissent. C’est dur de se plaindre publiquement de la difficulté d’être dans un groupe. Personne ne compatira, et personne ne devrait ! Mais c’est dur. Je ne vais pas bassiner les gens avec ça ; je préfère discuter de ça avec des gens qui connaissent ces expériences. Car quelqu’un qui n’a jamais fait ça ou le voit de l’extérieur dira : « T’es une petite nature ! » Il faut donc se berner pour rentrer dans des gymnastiques intellectuelles afin de pouvoir continuer et finir ce qu’on a dit qu’on allait faire.
Quelle est la chose la plus folle que tu aies faite avec le groupe ?
Ce n’est probablement pas ce que les gens imagineraient. Je pense que ne pas être intéressé pour aller faire la fête est sans doute ce que la plupart des gens trouveraient dingue, mais pour moi c’est totalement normal.
« I Love Love » est une autre chanson d’amour, mais une chanson d’amour sur… l’amour ! Penses-tu que le monde manque d’amour en ce moment ? Même si ça peut paraître naïf et banal, est-ce important de chanter à quel point l’amour est précieux ?
Je ne sais pas si le monde manque d’amour, mais le monde manque de compassion. Je pense que le monde aujourd’hui est de partout alimenté par la haine et la négativité. C’est vraiment terrible aujourd’hui. C’est étrange comme toutes les mauvaises personnes sont en train de gagner, ainsi que je vois les choses ; c’est ma vision du monde. C’est vraiment très bizarre, et presque effrayant. On dit que les choses sont cycliques, et c’est presque comme si quelqu’un poussait délibérément les gens à se comporter d’une certaine façon afin de faire le tour de la boucle et clore le cycle. C’est presque délibéré ; il y a une sorte de main invisible qui fait que tout ça se produit, car vraiment, le bon sens nous dit d’éviter ces gens et ces comportements.
Le bon sens se perd de nos jours !
C’est le sentiment que j’ai. Je ne comprends pas où les gens veulent en venir avec leurs points de vue. C’est bizarre, c’est vraiment fou.
« Nos chansons parlent peut-être de sexe mais elles ne sont pas sexistes. Les hommes doivent comprendre la différence. S’il faut passer par le mouvement #metoo pour éduquer les hommes, qu’il en soit ainsi. »
Tu as toujours parlé au sujet des femmes et de sexe dans tes albums. Depuis Wild Cat, on a vu l’avènement du mouvement #metoo. Quelle est ta position par rapport à ce mouvement ?
Je n’ai jamais chanté à propos des femmes de façon vulgaire. Je n’ai jamais chanté à propos des femmes de façon désobligeante. Nos chansons parlent peut-être de sexe mais elles ne sont pas sexistes. Les hommes doivent comprendre la différence. S’il faut passer par le mouvement #metoo pour éduquer les hommes, qu’il en soit ainsi. J’ai eu la chance de côtoyer et d’avoir pour exemples des femmes féministes fortes étant gamin. C’est pourquoi je n’ai pas besoin de remettre en question mes textes de chanson ou ma vision des femmes. Mes paroles évoquant les femmes sont toujours écrites en mettant les femmes sur un pied d’égalité et ayant le contrôle.
Vu que l’album s’appelle A Rock Supreme et est une sorte d’hommage au rock, quel est le premier album de rock que tu as écouté ?
C’était Kiss Alive!. Je l’ai eu quand j’avais six ans. J’ai supplié ma mère de m’acheter un album de Kiss quand j’avais six ans, et elle a fini par le faire ! Elle en a eu marre que je le lui demande et lui en parle. C’était Alive!, car c’était le disque le plus épais dans le rayon. Il y avait le mot « livret », et je pouvais le voir dans la pochette. J’avais une seule occasion pour ça, car je savais que ma mère n’allait pas m’en acheter un autre. Même si Rock And Roll Over, Destroyer et Love Gun avaient l’air plus jolis, et plus dans la veine d’un comic book, et que la pochette d’Alive! n’était pas aussi géniale, il y avait la promesse d’un livret. Et c’était un double album, donc j’avais deux albums pour le prix d’un ! C’était mon premier album.
Et quel est le premier groupe de rock que tu as vu en live ?
C’était Metallica. J’étais hyper-nerveux mais j’ai adoré !
J’allais te demander quel album avait changé ta vie, mais c’était peut-être l’album live de Kiss ?
Il y a eu plusieurs moments dans ma vie qui ont été des tournants à droite et à gauche. Ça, c’était clairement un tournant à droite. Un tournant à gauche, c’était quand j’ai découvert Rock For Light des Bad Brains. Je voulais acheter I Against I, mais j’ai fini par ressortir du magasin avec Rock For Light. Les Bad Brains ont changé ma perception de la musique, parce qu’on pouvait passer d’une chanson aussi dingue que « Coptic Times » ou « Riot Squad », à « Rally ‘Round Jah Throne », qui est une chanson à fond reggae. Je ne comprenais pas comment un groupe pouvait faire les deux à la fois. Mais il y avait aussi It Takes A Nation Of Millions de Public Enemy, où ils ont samplé « Angel Of Death » de Slayer dans « She Watch Channel Zero?! » J’écoutais constamment Reign In Blood. Ensuite j’ai eu l’album de Public Enemy, et j’étais là : « Qu’est-ce qu’une chanson de Slayer fait sur un album de rap?! » Je ne pensais pas que ces deux mondes pouvaient se rejoindre. Ce genre d’album a vraiment changé ma façon de voir la musique à un âge facilement impressionnable, quand je rentrais au lycée. Et ensuite, le fait de me mettre en punk rock, surtout les Bad Brains, ou Black Flag avec l’album My War, ça a vraiment changé ma vision de la musique.
Tout à l’heure tu as mentionné « Bohemian Rhapsody » de Queen. La considères-tu comme étant la meilleure chanson de rock jamais écrite ?
Ouais, je le crois. Je pense qu’aucun groupe ne s’est rapproché de quelque chose comme ça. Même si je pense aussi que « Live Wire » de Mötley Crüe est probablement la meilleure chanson de rock jamais écrite ! Donc il y a deux facettes.
Quel est le meilleur riff rock, selon toi ?
Celui d’« Highway To Hell ».
Le meilleur solo rock ?
Celui de « Shock Me » de Kiss.
La meilleure ballade rock ?
« Alone Again » de Dokken mais je n’écoute pas vraiment les chansons lentes.
Le meilleur guitariste rock ?
Billy Gibbons.
Le meilleur chanteur rock ?
Il y a plein d’excellents chanteurs ! Dio, John Garcia, Ozzy Osbourne, Rob Halford, Ian Gillan…
Interview réalisée en face à face le 4 mars 2019 par Tiphaine Lonbardelli.
Introduction et fiche de questions : Nicolas Gricourt.
Retranscription : Tiphaine Lonbardelli.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Linda Akerberg (1), Jens Nordstroem (2, 4) & Dustin Rabin (5).
Site officiel de Danko Jones : www.dankojones.com
Acheter l’album A Rock Supreme.
Personne pour faire le lien avec A Love Supreme de Coltrane ?