ENVOYEZ VOS INFOS :

CONTACT [at] RADIOMETAL [dot] FR

Chronique Focus   

Dark Fortress – Spectres From The Old World


Véritables orfèvres du black mélodique, les Allemands de Dark Fortress jouissent d’une discographie aussi variée que maîtrisée, forgée par une volonté permanente d’évoluer. Cet élan s’était d’ailleurs pleinement incarné avec Venereal Dawn (2014) – scintillant de méandres progressifs et de circonvolutions stylistiques – qui représentait jusqu’ici la pleine propension du groupe à déplacer l’horizon d’attente. Inévitablement, sa réception fut polarisée, et l’opus reçut un accueil partagé. Si certains encensèrent ses abstraites expérimentations, d’autres regrettèrent invariablement les ambiances théâtrales qui firent la sève de Seances (2006) ou les explosions mélodiques d’Ylem (2010).

A bien des égards, Spectres From The Old World se présente comme la continuité directe de Venereal Dawn. Pourtant, le premier contact, avec « Nascence » et « Coalescence », semble très directement faire écho aux compositions les plus classiques – ou à tout le moins attendues et entendues – du groupe. Entité duelle qui fut le premier matériel que V. Santura composa en 2015, les deux morceaux, tout comme « The Spider In The Web » qui leur succède, sont menés par une force d’accroche, des riffs et des mélodies en cascade, qui se veulent immédiats et percutants. Le groupe se permet toutefois une incartade atmosphérique finement brodée, qui appuie la dynamique de « The Spider In The Web » et permet au solo qui suit d’exploser. La démarche est en revanche quasi régressive durant « Spectres From The Other World » qui est le lieu d’un déferlement primaire de brutalité black metal.

Peu à peu, cependant, de « Pali Alike » à « Pulling At Threads », l’album dessine une progression savamment distillée et établit une charnière entre deux horizons majeurs : d’un côté les fulgurances mélodiques et de l’autre les aspects novateurs davantage orientés vers les abstractions. A ce titre, l’enchaînement « Isa » et « Pulling At Threads » est exemplaire. Le premier démontre la capacité de Dark Fortress à ciseler des ambiances graves, pesantes et éminemment prenantes, tandis que le second représente finement la capacité du groupe à surprendre et à déconcerter, puisque les explosions vocales de Morean – les lignes de chant clair jaillissent littéralement entre les riffs – n’hésitent pas à arpenter de nouveaux champs de tonalités. Une exploration que la brièveté du titre semble cependant entraver. En effet, si le groupe est habitué à proposer des offrandes de plus d’une heure, Spectres From The Old World se place parmi les albums les plus courts. Presque un paradoxe lorsque l’on sait l’éclectisme et la diversité qui fracturent en arrière-plan chaque composition. Néanmoins, le caractère déséquilibré que cela entraîne est éphémère et, rapidement, les nouvelles écoutes affirment l’harmonie et la pondération distinguées que Dark Fortress met en œuvre.

Assurément, les années de genèse ne furent pas vaines, car près de six années après Venereal Dawn, Spectres From The Old World s’affirme comme un album pensé et repensé. De fait, si V. Santura affirme lui-même que les multiples activités des membres expliquent en partie ce long enfantement, la diversité de ses divers travaux s’impose comme une force certaine, et fut autant une richesse et une impulsion créatrices, propres à transcender leur propre univers. En cela, d’ailleurs, l’artwork préfigurait l’évolution stylistique entreprise au sein de Spectres From The Old World, puisque si la photographie – issue des voyages de Morean, notamment au Chili – ancre le visuel dans une réalité, elle chasse aussi toute présence humaine, et cette expurgation de l’humanité n’est pas sans signification. Ce visuel qui demeure bien éloigné des représentations artistiques et des illustrations fantastiques utilisées jusqu’alors fait en réalité un parallèle avec la problématique immanente de l’album. Car Spectres From The Old World est un plongeon dans les ténèbres, celles de l’inconnu où gisent, tapis, les germes d’un chaos primordial, d’un temps ou l’homme n’avait pas encore souillé le monde de sa présence et de ses interprétations. En jetant un regard vers les temps passé et les temps à venir, en contemplant le monde dans ses recoins où l’humanité est absente, Dark Fortress entend proposer un horizon de progression et d’évolution qu’ils incarnent eux-mêmes dans leur musique. Détruire pour mieux reconstruire, s’appuyer sur les acquis pour les dépasser, voilà finalement l’objectif intrinsèque de cette nouvelle offrande musicale.

Incarnant merveilleusement les aspects les plus sophistiqués et expérimentaux du black metal, Spectres From The Old World est un écrin tantôt difficile d’accès, tantôt d’une accessibilité confondante. Les riffs captent immédiatement l’auditeur tandis que, dans le même temps, chaque écoute permet de dévoiler de subtiles constructions. Simultanément unique et parfaitement intégré à l’œuvre du groupe, Dark Fortress prouve la maîtrise absolue de son propos et de son art. Et si la postérité se chargera de confirmer ou non la prééminence de cette création, il semble que Spectres From The Old World constitue d’ores et déjà l’un des albums les plus aboutis et accomplis de la formation. Car, si cet album sait se dévoiler au fil des écoutes minutieuses, il ne se réserve pas pour autant aux seuls auditeurs inquisiteurs et démontre une exemplarité dans sa composition qui lui permet de rester élaboré sans jamais s’épancher dans l’hermétisme élitiste. Ainsi, quoique protéiforme, la concordance entre le propos de l’album et sa réalisation fait de Spectres From The Old World une œuvre subtilement immanente et délicieusement étourdissante.

Clip vidéo de la chanson « Pali Aike » :

Chanson « The Spider In The Web » :

Chanson « Isa » :

Chanson « Pulling At Threads » :

Album Spectres From The Old World, sorti le 20 février 2020 via Century Media Records Records. Disponible à l’achat ici



Laisser un commentaire

  • Arrow
    Arrow
    Metallica @ Saint-Denis
    Slider
  • 1/3