Cela fera trente ans l’année prochaine que Dark Funeral – l’un des membres de la « trinité noire de Suède » avec Dissection et Marduk, pour reprendre les termes de son leader Lord Ahriman – œuvre pour les forces obscures d’un black metal satanique. Certainement l’un des groupes les plus brutaux du genre, il n’en est pas moins capable de nuance comme l’a démontré Where Shadows Forever Reign (2016), qui entérinait l’intégration du chanteur Heljarmadr, et comme le confirme le nouvel opus We Are The Apocalypse. Un album qui se veut dynamique voire cinématographique – après tout, ils rendent hommage à Nosferatu, le film de 1922, adaptation du célèbre roman de Bram Stoker Dracula, qui inaugurait le genre cinématographique de l’horreur et de l’épouvante et qui fête ses cent ans cette année.
Dark Funeral fait du black metal à sa manière, où l’agressivité extrême peut être contrebalancée par la mélancolie, composé initialement en acoustique pour mieux travailler les atmosphères, avant de remettre la distorsion et garantir l’intensité, maître mot de son œuvre. Nous en parlons avec Lord Ahriman qui explique en outre son antichristianisme persistant et revient sur la scène du début des années 90.
« Le côté technique est toujours présent, mais maintenant, j’essaye de le laisser venir naturellement. C’est aussi peut-être parce que j’ai plus confiance en ma composition. Avant, quand je travaillais sur une mélodie ou un riff, je sais que je pouvais me bloquer dans ma tête, genre : ‘Merde, ce n’est passez technique. Il faut que je rende ça plus technique.' »
Radio Metal : Where Shadows Ferever Reign avait mis six ans à sortir, et We Are The Apocalypse a également mis six ans : est-ce que ça veut dire que tu as aujourd’hui besoin de faire mûrir ta musique ?
Lord Ahriman (guitare) : C’est plus ou moins toujours la même raison qui explique pourquoi il faut du temps entre les albums. Quand nous sortons un album, normalement, nous tournons environ quatre ans et la plupart du temps, le planning est assez chargé. Bien sûr, pendant ce temps, quand je trouve des idées, je les enregistre dans mon home studio, histoire de les mettre de côté. Quand je travaille sur de la musique, j’ai besoin de me focaliser totalement là-dessus. Je ne peux pas avoir plein de tournées qui arrivent et être tout le temps en train de voyager, à essayer de me mettre dans le bon état d’esprit pour écrire de la musique. Ça n’a jamais fonctionné pour moi et je suppose que ça ne fonctionnera jamais. Ce n’est que lorsque nous décidons au sein du groupe que le cycle de tournée de l’album est terminé que nous nous focalisons sur un nouvel album. Quand j’en arrive là, ça prend du temps pour que je me mette dans le bon état d’esprit, mais quand j’y suis, ça avance assez bien.
N’es-tu pas inquiet que les gens oublient Dark Funeral dans ce monde qui va toujours plus vite ?
Je ne sortirais jamais un album forcé juste parce qu’il le faut. Ça ne serait pas la bonne chose à faire. Je ne suis pas ce genre de compositeur. J’écris de la musique quand je me sens de le faire et quand j’ai quelque chose à dire avec la musique. Comme je l’ai dit, nous tournons beaucoup. Peut-être qu’en Europe nous n’étions pas très actifs durant les deux dernières années avant la pandémie, mais nous avons été très occupés en Amérique du Sud et surtout aux Etats-Unis. Le monde est grand et nous avons tourné pratiquement partout dans le monde. Nous avons eu des concerts à guichet fermé presque partout. Donc je ne suis pas inquiet.
Tu as commencé à composer pour We Are The Apocalypse il y a quatre ans. Est-ce que la pandémie a accéléré le planning créatif, d’une certaine façon ?
Par coïncidence, la pandémie est arrivée relativement au bon moment, car je crois que le dernier concert que nous avions prévu était le 8 février. Après ça, tout le monde dans le groupe avait décidé de prendre quelques vacances et ensuite de finir la composition de l’album et de se concentrer dessus jusqu’à ce qu’il soit fini. La pandémie a frappé et le monde s’est fermé pendant que nous étions tous en vacances. Je me suis retrouvé coincé à Cancun, au Mexique, par exemple. Il a fallu un petit peu de temps avant que je trouve un vol pour rentrer en Suède. Ça ne m’a pas dérangé de traîner là-bas un petit peu plus longtemps. Donc quand je suis rentré à la maison, le plan était de toute façon tel que nous l’avions prévu, c’est-à-dire de terminer le processus d’écriture et de nous concentrer totalement sur l’album.
Tu as dit avoir été coincé à Cancun. Ce n’est pas très black metal…
[Rires] Non, en effet. Mais nous avons tourné au Mexique. Nous avons une grande communauté de fans là-bas et j’aime beaucoup ce pays. Il y a une très grande scène black metal là-bas. J’apprécie beaucoup y aller. Nous y avons tourné, je ne sais pas, peut-être une dizaine de fois, mais je n’y avais jamais passé du temps juste pour me détendre et visiter le pays. Cette fois je trouvais que c’était le bon moment pour faire ça, quand toutes les tournées étaient finies. J’étais juste en vacances, je n’y ai pas travaillé sur de la musique. Ce n’est que lorsque je suis rentré que j’ai essayé de me remettre dans le bon état d’esprit pour finir le processus de composition. J’ai besoin d’être dans un certain état d’esprit spirituellement quand je compose. Ce n’est pas toujours facile de me mettre dedans, mais il faut juste que je me coupe de tout et vagabonde dans mon for intérieur, et quand j’y suis, que j’essaye de construire quelque chose.
Where Shadows Forever Reign était votre album le plus varié et dynamique. We Are The Apocalypse poursuit dans cette direction, en étant un album peut-être encore plus dynamique et très immersif. Même des chansons brutales comme « Beyond The Grave » possèdent des parties qui apportent de la nuance : est-ce une forme de sagesse que tu acquiers avec le temps ou est-ce simplement la maturité du compositeur ?
Pour chaque album que nous composons, nous trouvons de nouvelles choses à améliorer ou sur lesquelles nous voulons essayer de travailler davantage. Lorsque Where Shadows Shadows Forever Reign était terminé, j’avais une vision assez claire de la direction que je voulais prendre avec cet album. Le résultat s’avère au final assez fidèle à cette vision. Pour une fois, je voulais travailler un peu plus sur les parties de batterie, afin de les rendre plus rythmiques et de les faire suivre un peu plus les guitares. Je voulais aussi travailler plus sur la dynamique des chansons et rendre les mélodies de guitare à la fois plus tordues et plus rythmiques. Il y a donc plein de choses que j’ai voulu améliorer par rapport au dernier album. Si on regarde le tableau d’ensemble, l’idée était de tout rendre plus dynamique, tout en conservant cette intensité implacable que j’adore quand le compose des chansons et qui, je trouve, est une part importante de Dark Funeral. Même si dynamiquement ça oscille, ça reste agressif.
« Quand j’écris de la musique, je construis toujours tout comme un film. Je vois des histoires et des images quand je crée des chansons. […] La musique et les films ont toujours été une part importante de ma vie. Donc je suppose que j’ai tout réuni au sein de ma créativité et de ma composition dans Dark Funeral. »
A propos de l’album précédent, tu avais déclaré que « cette fois [tu jouais] plus sur le feeling, plutôt que d’essayer de [te] pousser à jouer aussi vite et/ou technique que possible ». J’ai l’impression que c’est pareil pour ce nouvel album. Est-ce que ça veut dire que ta relation à la musique et à la composition a changé avec le temps, que tu ne prends plus en compte les mêmes paramètres que par le passé, et que tu te concentres moins sur le côté physique de la musique et plus sur l’atmosphère ?
Oui, mais le côté atmosphérique a toujours été quelque chose que j’ai voulu développer dans la musique. Avec chaque album, nous trouvons de nouvelles manières de le faire. D’un côté, je suis un peu primitif dans ma composition, mais d’un autre côté, je veux quand même apporter de nouvelles choses et me développer en tant que compositeur et musicien. Autrement, ce serait extrêmement ennuyeux de continuer à faire ça. J’ai besoin que ça reste stimulant. Tant que je trouverai la direction que je veux donner à la musique, en tant que défi, autant sur le plan du jeu que de la composition, ce sera un moteur important pour moi. Sur ce nouvel album, nous avons vraiment repoussé les limites sur plusieurs chansons. « Nightfall » est la chanson la plus rapide que nous ayons jamais faite. C’est un gros cran au-dessus de la chanson la plus rapide que nous avions faite précédemment. Certaines mélodies dans d’autres chansons sont assez difficiles, rythmiquement et à jouer. Donc le côté technique est toujours présent, mais maintenant, j’essaye de le laisser venir naturellement. C’est aussi peut-être parce que j’ai plus confiance en ma composition. Avant, quand je travaillais sur une mélodie ou un riff, je sais que je pouvais me bloquer dans ma tête, genre : « Merde, ce n’est passez technique. Il faut que je rende ça plus technique. » Alors que si ça sonne bien, ça sonne bien. J’ai essayé de me convaincre que tout ne doit pas forcément être super technique, même si une grande partie l’est. Tant que le feeling que je veux apporter est là, je ne devrais pas faire ce genre de blocage. Avec le temps, je pense avoir appris un peu mieux à gérer ça.
Et puis, quand un album est plus dynamique, comme celui-ci, les passages brutaux font encore plus effet.
Oui. C’est ce que les gens disent. Je ne sais pas. Tant que je sens que l’intensité que je veux avoir dans la chanson est là, j’ai l’impression d’avoir atteint mon objectif ; c’est l’aspect le plus important pour moi. Mais plein de gens à qui j’ai parlé et qui ont écouté l’album m’ont dit que les parties rapides paraissaient encore plus rapides et que les parties heavy paraissaient plus heavy que jamais. Peut-être que c’est le cas. Je ne sais pas. Je veux dire que ce n’est pas forcément l’effet que je cherche à obtenir. Ce n’est pas mon intention. Encore une fois, je veux que la musique soit dynamique tout en conservant l’intensité. C’est ce sur quoi je me focalise à cet égard. Mais je pense que les parties heavy sur ce nouvel album sont super heavy. C’est un petit peu différent en termes de jeu aussi par rapport aux albums passés. C’est plus centré sur le riff que sur le jeu en trémolo. Je trouve que ça convient vraiment bien aux chansons.
Tu as mentionné « Nightfall » comme étant la chanson la plus rapide, mais à l’autre bout du spectre, on a « When I’m Gone », qu’on pourrait presque qualifier de ballade de Dark Funeral !
Moi-même je la qualifie de ballade ! [Rires] C’est notre type de ballade. Mais ce n’est pas nouveau. Nous avons ce type de chanson sur presque tous les albums. On a « As I Ascend », « In My Dreams », je mettrais aussi « My Funeral » dans la même catégorie, et il y en a quelques autres. Il y a deux choses quand je compose un album : je veux emmener les trucs rapides à un autre niveau, en les basant plus sur un sentiment agressif, mais je veux aussi le côté mélancolique que j’ai en moi et que j’ai besoin de faire ressortir quand j’écris de la musique. Ce genre de chansons a tendance à être meilleur quand je les fais en mid-tempo. C’est là que j’obtiens le côté mélancolique que j’ai vraiment envie de faire ressortir dans ces chansons. Il y a donc différentes choses que j’ai envie de faire dans différents types de chansons et avec différents sentiments que j’ai envie de communiquer, tout en restant Dark Funeral et très atmosphérique.
D’où vient la mélancolie que tu as en toi ?
Ça a toujours fait partie de moi. Je viens de la partie nord de la Suède, donc je suis né avec de la mélancolie. On est comme ça. Heljarmadr vient d’encore plus au nord que moi, donc nous nous comprenons à cet égard. Si vous viviez en Suède, vous comprendriez parfaitement ce que je veux dire, car dans le nord de la Suède, on a cette manière mélancolique d’aborder la vie et les sentiments qui est très différente du sud de la Suède.
« Certes la grande organisation chrétienne est sur le déclin, en revanche de nombreuses personnes sont en train de se transformer en une petite secte de chrétiens intégristes, et ça c’est en train de monter […]. Le satanisme sera toujours un mode de vie et on a toujours besoin d’un pendant à l’autre camp. Tant qu’il y a un camp qu’il m’est impossible de soutenir, j’aurai envie d’être dans le camp opposé. »
Apparemment, le fait d’avoir un côté cinématographique plus présent et plus de profondeur était l’un de tes objectifs pour cet album, et tu as dit avoir eu plein d’images en tête pendant que tu travaillais dessus. Quelles images est-ce que c’était ?
Il y en avait plein ! Quand nous avions fini cet album et que j’ai commencé à analyser les choses, j’ai réalisé… Quand j’écris de la musique, je construis toujours tout comme un film. Je vois des histoires et des images quand je crée des chansons. C’est devenu encore plus fort sur cet album. Quand j’étais gamin, je m’intéressais beaucoup aux films d’horreur ; j’ai commencé à collectionner les films d’horreur en version intégrale quand j’étais très jeune. Et j’ai toujours joué de la musique, je viens d’une famille de musiciens. La musique et les films ont toujours été une part importante de ma vie. Donc je suppose que j’ai tout réuni au sein de ma créativité et de ma composition dans Dark Funeral. Je n’en suis pas sûr, mais c’est ce que je me suis dit, car on dirait vraiment que tout ce que j’ai en tête quand je compose de la musique vient de toutes ces choses qui remontent à mon enfance, aux centres d’intérêt que j’avais à l’époque. J’ai juste emmené ça à un autre niveau, si tu veux. Mais pendant que nous étions en train de travailler sur cet album, je pense que tous les deux, Heljarmadr et moi, ressentions un côté très cinématographique dans la manière dont les chansons se développaient, avec les paroles, les arrangements de chant et tout. C’est juste que ce côté s’est renforcé cette fois.
D’ailleurs, Heljarmadr s’est mis à revisiter l’ancêtre des films d’horreur avec la chanson « Nosferatu »…
Oui, nous en avons discuté quand nous étions en train d’écrire cette chanson. Il avait revu le film original et nous avons commencé à en parler. Il disait avoir plein d’images en tête dont il voulait imprégner la musique, et il voulait raconter la vraie histoire, ramener le côté obscur et froid du film original, à la place de l’approche plus romantique qui est apparue plus tard. Il était là : « Il faut qu’on retrouve l’atmosphère du film d’origine. » A la fois, c’est un peu une coïncidence, mais nous avons réalisé que le genre cinématographique de l’horreur célébrait ses cent ans cette année, et donc que le film Nosferatu original avait cent ans. Plusieurs choses convergeaient, donc nous trouvions que c’était une super idée. Quand il m’a envoyé des extraits de paroles et que j’ai commencé à arranger la chanson, c’était vraiment bien. Ça collait très bien avec l’atmosphère de la musique, donc nous avons décidé de continuer à travailler sur ce thème.
As-tu parfois l’impression que les films d’horreur ont perdu quelque chose, peut-être une atmosphère justement ?
C’est comme comparer le vieux black metal et le black metal d’aujourd’hui. C’était plus cru et sale dans le temps, mais c’était pour une bonne raison, car les productions d’enregistrement et ce genre de choses n’étaient pas très avancées à l’époque. C’est pareil avec les films. Bien sûr, ça apporte un certain charme. A la fois, tout dépend de quelle génération on vient. Pour ma part, j’aime les vieux films des années 70 et 80, quand il y avait cette atmosphère très sombre et froide, alors que la plus jeune génération a peut-être grandi avec Jason, Helloween, etc. qui avaient une atmosphère un petit peu différente, même si j’aime beaucoup ces films aussi. C’est différent, mais ça ne veut pas dire que je n’aime pas aussi les nouveaux films d’horreur. Il y en a plein qui sont bien aussi. Mais oui, j’ai grandi avec les vieux films italiens, les slashers, etc. des années 70 et 80, et j’aime toujours ces films.
On retrouve des guitares en son clair (sur « When I’m Gone » et « Leviathan »). Il se trouve que tu composes pratiquement tous les riffs en acoustique, car tu as besoin d’entendre les sons au naturel afin de retrouver les harmonies que tu as en tête. Dirais-tu que le travail harmonique est plus important dans le black metal que ce que les gens peuvent penser ?
J’ai toujours composé la musique comme ça. Même pour le mini-CD, Blackmoon et moi étions posés à la maison et en salle de répétition avec les guitares débranchées, à chercher des accords. Chaque compositeur procède à sa façon, comme ça lui convient, et ceci est notre façon de faire et c’est ainsi que j’ai toujours fait. Je ne sais pas faire autrement. Plein de groupes utilisent des claviers pour créer des atmosphères dans les chansons, mais je n’ai jamais pensé que les claviers conviendraient à Dark Funeral, donc j’ai toujours cherché à créer cette atmosphère en utilisant la guitare. C’est ma manière de jouer et de composer. D’autres groupes font autrement pour obtenir certaines choses dans la musique, y compris les atmosphères, et comme je l’ai dit, la majorité d’entre eux utilisent des claviers pour créer ça, mais pour moi, les claviers n’ont rien à faire dans Dark Funeral.
« Il y a un type de personne qui a peur de son obscurité et de ses démons intérieurs, et qui essaye de se convertir, de trouver Jésus ou je ne sais quoi. Ce n’est qu’une manière forcée d’essayer de gérer quelque chose qui ne s’en ira jamais et qui fait partie de sa personnalité. »
L’album s’intitule We Are The Apocalypse. L’apocalypse étant un concept chrétien, que mets-tu personnellement derrière ce terme ? Et qui est le « nous » du titre ?
Toute l’idée vient à l’origine de Heljarmadr, mais quand on parle d’apocalypse, on imagine un grand truc épique. Enfin, si tu veux une explication plus profonde des paroles, tu devrais parler à Heljarmadr, mais je sais que quand nous en avons discuté tous les deux, nous nous sommes dit que l’album paraissait tellement imposant que le titre devait aussi exprimer ce sentiment. C’est pareil quand nous en avons discuté avec Necrolord qui, à l’origine, a travaillé sur la pochette de cet album. Tous les trois, nous avons trouvé que tout l’ensemble était en symbiose et collait très bien à ce titre.
Il y a toujours une forme de satanisme et d’antichristianisme dans la musique de Dark Funeral. Mais en fait, quelle est la place du satanisme dans le monde à notre époque où le christianisme semble être en perte de vitesse ?
D’une certaine façon, tu as raison. D’un autre côté, si on regarde bien ce qui se passe, certes l’Eglise normale et la grande organisation chrétienne sont sur le déclin, en revanche de nombreuses personnes sont en train de se transformer en une petite secte de chrétiens intégristes, et ça c’est en train de monter, apparemment. Il y a deux facettes à ça : une partie des chrétiens sont en train de devenir des putains de psychopathes, pendant que l’organisation chrétienne « normale » est sur le déclin. Je suppose que de plus en plus de gens commencent à réaliser que ce ne sont que des balivernes et une histoire fictive. Mais le satanisme, pour moi, sera toujours un mode de vie et on a toujours besoin d’un pendant à l’autre camp. Tant qu’il y a un camp qu’il m’est impossible de soutenir, j’aurai envie d’être dans le camp opposé. Je crois que personne soutenant ce type de philosophie ne devrait forcer qui que ce soit à y adhérer, or c’est la base du christianisme et de toute religion. Si nous pouvons servir de sonnette d’alarme pour attirer l’attention de certaines personnes qui sont un peu perdues, en disant : « Eh mec, peut-être qu’on peut réfléchir un peu plus à ça avant de votre notre âme », alors ça me va bien.
Est-ce que le côté spirituel du black metal a évolué pour toi au fil des années depuis les débuts ?
C’est dur à décrire. Je pense que vous pouvez le percevoir en grande partie à travers la musique. L’expérience de la vie nous sert de plein de façons différentes. J’ai à peu près les mêmes valeurs que j’ai toujours eues, mais peut-être que je vois les choses avec un peu plus de recul, en étant moins étroit d’esprit que, peut-être, quand j’étais plus jeune.
Dans l’album précédent, vous aviez une chanson qui s’appelle « Beast Above Man », et maintenant on a « A Beast To Praise ». L’idée de faire ressortir la bête qu’on a en soi est un thème récurrent chez Dark Funeral. L’homme a évolué de façon a réprimer ses instincts et donc la bête en lui. Penses-tu qu’au contraire, l’homme devrait davantage écouter son côté animal ?
Oui ! C’est toujours ce que j’essaye de faire personnellement. Il y a un type de personne qui a peur de son obscurité et de ses démons intérieurs, et qui essaye de se convertir, de trouver Jésus ou je ne sais quoi. Ce n’est qu’une manière forcée d’essayer de gérer quelque chose qui ne s’en ira jamais et qui fait partie de sa personnalité. C’est l’inverse pour moi. J’ai toujours eu l’impression que c’était une force dont on pouvait tirer profit et qu’on pouvait utiliser pour créer des choses au lieu d’essayer de la repousser, car ça fera toujours partie de soi quoi qu’il arrive. C’est mieux d’essayer d’être en paix avec et de l’utiliser à notre propre avantage. Et bien sûr, écouter la bête en moi est ce que je fais quand j’écris de la musique pour Dark Funeral.
« C’était une époque où il y avait nous, Marduk et Dissection, et nous faisions vraiment avancer la scène black metal en Suède, et l’esprit de l’époque me manque vraiment. Je garde encore énormément de bons souvenirs de ce temps-là. »
Avec cette place plus importante accordée à la mélodie, le parallèle avec Dissection est d’autant plus fort aujourd’hui, tandis que vous partagez votre côté brutal avec Marduk – tout en restant très Dark Funeral – et je sais que tu considères ces trois groupes – Dark Funeral, Dissection et Marduk – comme était la « trinité noire de Suède ». Peux-tu nous parler du lien qui a existé – et peut-être existe toujours – entre ces trois groupes ?
Nous étions très bons amis dans le temps, et surtout nous trainions beaucoup avec Jon [Nödveidt] et Johan [Norman] de Dissection. Avec Marduk, nous étions en contact, mais nous n’avons jamais trop traîné ensemble. Quand je croisais Morgan, bien sûr, nous nous parlions et trainions un peu ensemble, mais jamais comme nous le faisions avec Dissection à l’époque. Je me souviens que Jon et Johan étaient venus me voir à Stockholm une fois – enfin, ils sont venus de nombreuses fois – je crois qu’ils venaient de sortir The Somberlain (c’était probablement plutôt Storm Of The Light’s Bane, NDLR), qui était un album extraordinaire. Nous venions d’enregistrer The Secrets Of The Black Arts – ou peut-être que c’était quelque part entre ça et Vobiscum Satanas, je ne me souviens pas exactement. J’ai dit à Jon : « Mec, votre album est vraiment génial ! Il faut vraiment que tu comprennes à quel point il est bon. » Il était là : « Ouais, mais vous, vous faites quelque chose dont je ne suis pas capable. J’aimerais jouer plus vite et de manière plus agressive comme vous le faites. » J’ai dit : « Ne réfléchit pas en ces termes parce que ce que vous faites est vraiment excellent. Nous faisons notre truc et vous devriez continuer à faire le vôtre, parce que vous êtes des maîtres dans le domaine. » Nous venions du même monde, d’une certaine façon, mais malgré tout, nous approchions la composition et ce que nous voulions faire ressortir dans la musique de façon totalement différente. Et nous avions quand même un respect mutuel pour la musique de l’autre. Puis plein de choses se sont passées, il est allé en prison et nous avons perdu contact. Je suis resté en lien avec Johan. Nous nous parlions de temps en temps, mais c’est à peu près tout. Morgan, je l’ai croisé il y a deux ou trois ans, mais je ne lui ai pas parlé depuis longtemps. Mais j’aime toujours l’esprit qui régnait à l’époque. Les choses se sont un petit peu dégradées après, pas entre nous et un quelconque autre groupe, mais entre certains autres gars. C’était une époque où il y avait nous, Marduk et Dissection, et nous faisions vraiment avancer la scène black metal en Suède, et l’esprit de l’époque me manque vraiment. Je garde encore énormément de bons souvenir de ce temps-là.
Tu parais très nostalgique…
Oui. Quand j’y pense… Il y a eu plein de choses personnelles et des gens m’ont raconté comment ils se sentaient avant de mourir. Plein de gens se tournaient vers moi parce qu’ils savaient que j’étais toujours respectueux. Donc nous parlions de choses profondes. Maintenant tout est totalement différent, et je sais que cette époque ne reviendra jamais, car tant de ces personnes ne sont plus de ce monde et ça craint un peu.
Quelle était la relation entre les scènes suédoise et norvégienne ?
Personnellement, j’ai toujours eu un bon contact autant avec la scène finlandaise qu’avec la scène norvégienne des années 90. Je sais qu’il y avait une forme de rivalité entre des groupes ici et là un peu partout, mais ce n’est pas quelque chose qui a vraiment affecté mon amitié avec ces groupes. Je n’ai jamais pris part à ces comportements, si tu veux. J’étais en contact avec Samoth d’Emperor tout au long des années 90 et avec plein d’autres groupes norvégiens. J’ai pu connaître les mecs de Mayhem et pratiquement tous les groupes de black metal norvégiens du début des années 90, comme Dimmu Borgir mais aussi des groupes qui ne sont jamais rien devenus. Nous échangions des lettres. Puis quand nous avons commencé à faire des concerts… Je veux dire que nous avons fait notre premier concert à Oslo en 94. Nous traînions avec Frost et Satyricon, nous avons emprunté le kit de batterie de Hellhammer… Nous avons croisé tous ces gens au tout début et nous sommes devenus plus que des correspondants. Nous sommes devenus des amis qui se voyaient et je reste ami avec nombre de ces groupes aujourd’hui.
L’année prochaine, Dark Funeral passera la barre des trente ans : es-tu toujours en phase avec les aspirations de Lord Ahriman à vingt-et-un ans ?
C’est la raison pour laquelle je continue à faire ça : j’ai toujours la motivation et la passion pour ce que je fais. Bien sûr, c’était différent à bien des égards quand on était jeunes, tout était plus chaotique et fou. Ça fait partie de la vie. Je ne suis pas du genre à trop regarder en arrière. J’essaye de regarder l’avenir. Ce qui est fait est fait. Je ne reste pas trop coincé dans le passé. J’essaye d’avancer. Mais gérer un groupe pendant autant d’années n’est pas facile pour qui que ce soit. Ce n’est pas une industrie facile. Il y a un côté amour-haine. Mais si c’est ta passion, tu dois continuer à avancer dans la tempête. J’ai l’impression que rien ne peut m’arrêter. Il y a des jours où je me dis : « Ah, et puis merde, j’en ai assez », mais le lendemain, je suis de retour, car ceci est qui je suis et ceci est ce que je fais. Mais ce n’est jamais facile ; ce n’est pas facile de gérer un groupe pendant trente ans, mais je ne me plains pas. C’est comme ça. Je suis toujours là, toujours passionné, et c’est le plus important.
Interview réalisée par téléphone le 9 février 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Bartosz Szydlowski.
Site officiel de Dark Funeral : www.darkfuneral.se
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