On ne présente plus Darkthrone, les pionniers du black metal norvégien dans ce qu’il a de plus brut et minimaliste reconvertis dès le début des années 2000 – depuis toujours, en réalité – en fervents apôtres du metal des années 80 voire 70. Black de la première vague, heavy, doom ou punk, rapide ou lent, peu importe : il s’agit surtout de revisiter ses sources pour ne pas avoir à se répéter soi-même, faire du surplace, ou être condamné à l’auto-parodie. Avec leurs deux derniers albums, Old Star et Eternal Hails, sortis de manière très rapprochée en 2019 et 2021, c’était une facette plus lente de leurs décennies fétiches qu’exploraient Fenriz et Nocturno Culto. Un an plus tard seulement, Astral Fortress, leur vingtième opus, enregistré au Chaka Khan Studio d’Oslo comme son prédécesseur, s’annonce dans la même lignée, soit ce que le groupe lui-même décrivait comme de l’« epic black heavy metal »…
Et en effet, c’est exactement dans ces termes qu’on pourrait décrire « Caravan Of Broken Ghosts », qui ouvre l’album. Tout en méandres, après son ouverture à la guitare acoustique, elle est portée par un riff lent mais menaçant, et traverse une accélération très black metal avant de ralentir à nouveau. On y retrouve la production organique old-school dont les musiciens se sont faits les ayatollahs, et son naturel insuffle de la vie dans les paysages glaciaux et désolés qu’ils dépeignent. Car si des éléments déjà utilisés sur Eternal Hails – le doom à la Trouble voire à la Black Sabbath, les touches de claviers et de Mellotron qui donnent une couleur pensive ou rêveuse à « Stalagmite Necklace » et au cosmique « The Sea Beneath The Seas Of The Sea » – semblent familiers, ils paraissent cette fois-ci recouverts d’une pellicule de givre, d’une froideur qui ankylose. La pochette, qui respecte scrupuleusement le cahier des charges de l’artwork BM établi par le groupe lui-même il y a quelques décennies (photo en noir et blanc d’un membre du groupe, paysage enneigé et folklore norvégien façon Theodor Kittelsen) et le déjoue en même temps, le suggère déjà avec son backpatch Panzerfaust : on pense souvent à cet album, aussi bien sa vénération revendiquée de Celtic Frost (dans « Impeccable Caverns Of Satan » notamment, où Nocturno Culto n’a jamais sonné autant comme Tom G Warrior, « Ough ! » inclus) que la lenteur et le côté primitif, presque caverneux de « Quintessence ». Si le groupe est toujours aussi réticent à mythifier sa propre carrière, il n’est jamais vraiment ironique pour autant, et persiste dans sa tendance à la dédramatisation, entre affection et autodérision : des clins d’œil émaillent tout le disque, jusqu’au titre final, « Eon 2 », avec son ouverture triomphante et son côté NWOBHM qui répond à « Eon » de Soulside Journey et ses premières tentatives au synthé.
Darkthrone a sa propre temporalité, que le rythme ralentisse ou qu’il accélère, avec ses effets de boucle et sa tendance à l’anachronisme. Vingt albums, ça se fête ? Sans doute, mais comme souvent, Fenriz et Nocturno préfèrent célébrer la musique qui les fait vibrer, la source de leur art – un metal réduit à ses fondamentaux : des riffs de choix, une tendance à prendre les choses à rebrousse-poil et un son organique –, plutôt que leurs propres accomplissements. Moins immédiat qu’Old Star, moins franchement 70s qu’Eternal Hails, Astral Fortress a quelque chose de plus froid et de plus retenu, une patine qui se révèle lancinante voire addictive au fil des écoutes. Avec l’obstination qu’on leur connaît, Darkthrone fait sur Astral Fortress ce qu’il fait le mieux : une musique qui se revendique simple, brute et authentique (on entend même un téléphone vibrer pendant « Kolbotn, West Of The Vast Forests », un instrumental au clavier dépouillé, répétitif et un peu inquiétant, très Darkthrone, finalement) mais pas désinvolte pour autant, qui accomplit beaucoup en termes d’accroche et d’atmosphère avec des moyens volontairement réduits, et surtout une passion et une conviction qui ne semblent pas près de tarir.
Lyric vidéo de la chanson « Caravan Of Broken Ghosts » :
Album Astral Fortress, sorti le 28 octobre 2022 via Peaceville Records. Disponible à l’achat ici
Je viens de me l’acheter, un peu déçu finalement, peut-être me faudra t’il plusieurs écoutes, je le trouve mollasson.
Ça c’est de l’humour comme j’aime !!!