« Certes, on a une notoriété, mais on ne vend pas de disques. Les disques, ça ne vend pas. Ceux que nous vendons financent en gros l’enregistrement de l’album. C’est la réalité qu’il faut comprendre dans le business de la musique en général ; et le metal n’est pas le seul style à être touché. Nous n’avons pas eu l’occasion de vivre à la grande époque où les gens pouvaient se faire de l’argent sur les ventes de disques, ça n’existe plus. Maintenant, ce qui rapporte de l’argent, c’est vendre du merchandising et partir en tournée. » Joe Duplantier, chanteur/guitariste de Gojira.
Un grand groupe comme Gojira vend peu de disques et cela a bien entendu des conséquences directes – comme le précise le frontman dans notre récente interview – sur sa situation financière. D’ailleurs, beaucoup de faits prouvent que le métier d’artiste est de plus en plus précaire alors prenons le temps de nous intéresser concrètement à l’Economie de la Production Musicale en France pour comprendre pourquoi les choses sont de plus en plus dures pour les artistes en général, et plus particulièrement pour les musiciens de notre pays.
Le week-end dernier, je me suis justement penché attentivement sur le rapport 2011 (concernant l’année 2010) du SNEP – le Syndicat National de l’Edition Phonographique – dans le but d’avoir des chiffres précis sur la situation actuelle du monde de la musique en France. L’année dernière, le marché physique pesait donc 466,3 millions d’euros alors que le marché numérique représentait lui cinq fois moins, soit 88,1 millions d’euros. Le marché physique a baissé de 8,9% par rapport à 2009 alors que le marché numérique est pour sa part en hausse de 14,1%.
Le schéma ci-dessous montre d’ailleurs l’évolution de la situation depuis 2007.
Comme vous le voyez, si le marché numérique est en développement, son évolution se fait bien trop progressivement pour compenser la baisse des ventes physiques. Quand le marché numérique sera en France au même niveau que le marché physique alors peut-être que la situation financière des artistes commencera petit à petit à évoluer… Mais cela se fera très doucement et, surtout, dans combien de temps ? Bien malins ceux qui pourraient le dire ! En tout cas, il est totalement excessif d’affirmer comme Pascal Nègre que « le marché de la musique est reparti » alors que nous paraissons être dans une (très longue) période de transition où les artistes sont de plus en plus contraints de créer leur propre modèle économique pour sortir du tunnel…
Mais il est fort probable que quand le patron d’Universal parle de « marché qui repart » il pense avant tout aux perspectives économiques de son label et pas à la situation personnelle des artistes ce qui, à mon sens, est une erreur assez grave puisque la première chose évoquée dans ce paragraphe ne sera à terme plus possible si la seconde ne suit pas.
Une des conséquences de l’actuelle période de transition est qu’un groupe comme Gojira ne parvient pas à vivre correctement de son activité… Par vivre correctement, j’entends avoir un salaire, s’acheter une voiture, un appartement, une maison etc. Des choses « normales » de plus en plus éloignées du quotidien des artistes. Entre 2002 et 2010, le marché de la musique enregistrée a ainsi perdu 57% de sa valeur, soit près de 750 millions d’euros, et cela ne peut qu’avoir un effet catastrophique sur les finances des groupes.
Mais si on choisit de s’intéresser en profondeur au cas des artistes français via le rapport du SNEP, on prend également conscience que leur situation financière devient de plus en plus complexe à cause du système français dans sa globalité. Car si l’on vient d’aborder le contexte économique de notre domaine d’activité (qui peut s’appliquer par bien des aspects à l’échelle internationale), il n’en demeure pas moins qu’en France la non-médiatisation d’un style comme le metal laisse encore moins de chances aux artistes évoluant dans ce style de percer.
A ce titre, je vous laisse méditer le propos suivant extrait du rapport du SNEP : « Le deuxième enjeu qui retient l’attention reste l’absence de diversité dans la programmation des radios musicales. Pour mémoire, en 2010, 15 titres ont représenté 90% des diffusions des nouveautés francophones. Comment se satisfaire d’une telle indigence ? »
Pendant que les radios FM, comme le prouvent les données ci-dessus, se contrefichent de la diversité musicale avec leur 15 titres qui font bien rire (jaune) les musiques alternatives, il faut malheureusement noter que la musique (en règle générale) se fait de plus en plus rare à la télévision. A ce sujet, le rapport du SNEP insiste sur le fait que « l’exposition de chanson se fait très majoritairement à des horaires peu fédérateurs (entre minuit et 6 heures du matin) alors que la diffusion de chanson fait l’objet d’un transfert des chaînes généralistes à forte audience vers des chaînes confidentielles […] L’ensemble de ces facteurs a un impact négatif fort sur l’exposition de nouveaux talents – qui n’ont pas de place à l’écran – et au final sur la diversité musicale – les différents genres musicaux n’ayant pas d’espace d’expression donc peu de chance d’élargir leur public ».
Ainsi, en ce qui concerne le metal, comment les artistes français d’aujourd’hui et de demain peuvent-ils vivre correctement de leur activité si on ne leur donne quasiment pas d’espace d’expression dans leur propre pays ? Il faut être réaliste, c’est presque mission impossible ! Du coup, lorsque l’on y réfléchit, le vrai défi d’un artiste français qui souhaite réussir en faisant du metal passe peut-être par l’ambition nécessaire de vouloir toucher en premier le public étranger car en France il est très compliqué d’y arriver… même si Gojira a, lui, réussi.
Pour revenir au manque de musique à la télévision, France 2 avait d’ailleurs récemment assuré à Nagui que son émission Taratata ne serait pas diffusée trop tard dans la soirée mais Ozap.com nous apprend que dans un entretien accordé au Figaro, l’animateur-producteur a estimé que la chaîne publique n’avait pas tenu ses engagements. « La chaîne m’avait dit « Ce sera, promis, entre 23h et minuit ». Je me suis bien fait avoir, c’est 23h50-55. Je suis un peu bougon » affirme ce passionné de musique.
Au moment où j’écris la présente bafouille, j’ai une pensée pour Patrick Roy.
S’il était encore là, avec nous, qu’aurait-il fait ? Qu’aurait-il dit ? Comment s’y serait-il pris pour faire changer les choses ? Grâce à lui, le metal aura (au moins) eu un documentaire mais, au final, est-ce vraiment suffisant pour que le système et la situation des artistes de notre pays évoluent ? C’est d’ailleurs sur le volet politique que David El Sayegh, le Directeur Général du SNEP, conclut son éditorial : « En cette année pré-électorale, (redynamiser la production locale) est un défi auquel devra se confronter l’ensemble des partis politiques qui entendent déployer une véritable politique de soutien à la filière musicale ».
Le problème est que les politiques sont en partie responsables de la situation actuelle du monde de la musique. Notamment pour ne pas avoir pris de décision radicale au moment où le robinet gratuit du téléchargement illégal à été enclenché. Et ce sont donc ces mêmes politiques qui, maintenant, prendraient les bonnes décisions pour soutenir la filière ? Vaste programme…
Bilan : en étant confronté à des problématiques conjoncturelles, médiatiques et politiques, il est donc bien difficile pour un artiste français faisant du metal/rock de s’en sortir. Malgré tout, le succès de certains groupes prouve qu’il faut y croire. D’autant plus que la réussite d’un Gojira ou d’autres combos plus récents amène le même constat : à chaque fois, le son proposé par ces artistes était frais et original. Alors, malgré la situation difficile du monde de la musique – alliée au manque de diversité musicale sur les médias généralistes – il est tout de même rassurant de se dire que des combos français aussi talentueux (même s’ils rament encore financièrement) ont quand même réussi à toucher et séduire un large public grâce à leur talent et sans le matraquage des médias de masse.
C’est d’ailleurs pour cette raison que, selon moi, le renouveau de la filière musicale (et surtout des artistes) passe obligatoirement par le web, Internet facilitant l’échange, le partage et la fidélisation de son public. Désormais, il faut par conséquent que les artistes arrivent notamment à monétiser leurs actions sur le support numérique pour parvenir, un jour, à vivre de leur passion. Le disque va sans doute mourir commercialement mais ce n’est pas pour autant que les artistes ne vont plus pouvoir vivre de leur activité. En revanche, cela sera sans doute le cas le jour où les artistes n’auront plus d’outils à disposition pour fédérer leur communauté… et ce jour n’est pas près d’arriver grâce aux nouvelles technologies.
Sur ces bonnes paroles, je vous souhaite d’excellentes fêtes et vous retrouve avec plaisir la semaine prochaine pour le dernier Blog de l’année.
« René la Taupe » dans le top 3 des ventes de singles… Et si le problème se situait au niveau du public ? :S
Moi qui suis en stage dans une boutique spécialisée CD, neufs et occases ! Dont un rayon tout entier consacré au metal =) Je peux confirmer ce qui est dit, on n’en vend très très peu !! Heureusement que la boutique s’est élargie vers les dvd et autres merchandising quoi !
Mais le CD comme dirait le gérant « il mourra dans les prochaines années » les gens n’achètent plus, ou soi sur internet et là bah les boutiques … quel que soit le chemin emprunté !
Bref en tous cas personnellement j’achèterai tjr mes disques, j’en achète peu, ceux que j’apprécie le plus ou ceux où les albums ont de bonnes critiques … mais les gens en majorité s’en contre-fichent quoi !
Je trouve aussi qu’il est difficile de trouver des dates et dans ma région (Rhones – Alpes) il y a de moins en moins de salles de concerts
Je retiendrais du rapport surtout ça :
Les sommes versées aux artistes interprètes par l’ADAMI ont progressé de 122 % en 8 ans (23 millions d’euros en 2002 et 51 millions
d’euros en 2010,
Les sommes versées aux auteurs/compositeurs par la SACEM ont
progressé de 19 % en 8 ans (672 millions d’euros en 2002 et 803
millions d’euros en 2010).
Aucune mention du vinyle (certe marginale, mais qui montre aussi que le public cherche aussi du bel objet.
Des diagramme apposé l’un à l’autre (CA des FAI contre CA des labels) juste LOL (il avait fait la même avec le téléchargement).
Les chiffres c’est beau, on peut leur faire dire ce qu’on veut.
Et perso, je pense que pas loin de 100% de mes achats n’est dans leurs calcul (groupe indés en direct, achat à l’étranger, …). Donc quand on enlève la frange la plus impliquée ça doit quand même faire de belles sommes non comptabilisée.