Le moins que l’on puisse dire c’est que l’ex-Slayer Dave Lombardo a su rebondir, ayant récemment rejoint les rangs de Suicidal Tendencies et joué avec la reformation des Misfits. Mais encore avant ça, à peine la situation avec Philm était arrivée au point de rupture qu’il s’était déjà trouvé une nouvelle formation, en partie grâce au producteur Ross Robinson : Dead Cross. Et lorsque le grand Mike Patton a pris le micro, le combo a forcément affiché un nouveau visage, détonant comme on peut l’entendre dans le premier album sans titre.
Nous avons échangé avec le batteur pour connaître la genèse de cette formation et son alchimie, mais aussi sur son expression en tant que batteur, Dead Cross étant pour lui un formidable moyen d’exorciser ses plus grandes colères et frustrations, évoquant avec lui autant les extrêmes du metal que la passion des percussionnistes cubains qui ont formé très tôt son sens du rythme, lui qui ne serait pas contre non plus de s’essayer aux musiques ambiantes…
« Une colère absolue. Pas seulement par rapport à ce qui s’est passé avec mon groupe mais aussi ce qui se passait dans le monde. Le Bataclan, cette tragédie qui est arrivée, ça m’a détruit. […] Je remarquais que je jouais plus fort, je voulais jouer de la musique plus dure, je voulais jouer de la musique plus rapide. »
Radio Metal : Tout d’abord, comment Dead Cross a vu le jour ?
Dave Lombardo (batterie) : J’avais un autre groupe avant Dead Cross et je m’apprêtais à entrer en studio, et ils ont décidé qu’ils ne voulaient pas aller en studio, ils ont eu tout un tas d’exigences, tout un tas de… Ils étaient juste… Je ne sais pas que ce qui ne tournait pas rond chez eux ! Mais bref, le groupe s’est séparé et j’avais réservé du temps dans un studio avec Ross Robinson, le producteur de plein de groupes, vraiment un très bon producteur, et je me suis excusé car je ne pouvais pas honorer le rendez-vous que j’avais calé. Il a dit : « Bon, viens demain. J’ai une session sur laquelle tu pourrais m’aider. » Donc je suis allé au studio et il y avait un guitariste et un bassiste qui s’appelaient Justin Pearson, venant de The Locust et Retox, et Mike Crain de Retox. En fait, je suis un grand fan de ces groupes, Retox et The Locust. Je leur ai parlé de ma situation et j’ai dit que j’avais des dates de calées et que je m’étais engagé à faire ces concerts. J’ai dit que je devais faire ces concerts parce que le groupe [Descartes A Kant qui ouvrait sur ces dates] venait du Mexique… Pour faire court, nous avons créé de la musique, nous avons joué les concerts pour le groupe qui avait déjà pris des billets d’avion et avait organisé des concerts en Californie du Sud, et puis avant même de s’en rendre compte, nous étions en train d’enregistrer un album avec Ross Robinson ! Le groupe a été créé du jour au lendemain ! Le groupe que j’avais avant s’est séparé, vingt-quatre heures plus tard j’avais un nouveau groupe, j’avais un nom de groupe, j’avais un logo, j’avais des affiches, j’avais… Tout a commencé à se développer très rapidement. C’était vraiment palpitant, et je suis toujours stupéfait de la vitesse à laquelle tout s’est mis en place.
Quel était votre état d’esprit lorsque vous avez créé ces chansons ?
Colère. Colère. Une colère absolue. Pas seulement par rapport à ce qui s’est passé avec mon groupe mais aussi ce qui se passait dans le monde. Le Bataclan, cette tragédie qui est arrivée, ça m’a détruit. J’avais vraiment mal pour les gens, pas seulement à Paris, mais avec tout ce qui se passe dans le monde. Je remarquais que je jouais plus fort, je voulais jouer de la musique plus dure, je voulais jouer de la musique plus rapide, et c’était une des choses vers laquelle le précédent groupe ne voulait pas aller, ils voulaient être plus alternatifs, et je suis là : « Non ! Je dois jouer plus fort ! Je veux jouer plus vite ! » [Rires] Et donc avec Dead Cross j’ai pu faire ça.
Tu avais de la négativité à évacuer…
Oui, exactement. Et ça m’a énormément aidé ! Il y a encore plein de colère en moi avec tout ce qui s’est passé. Donc il va probablement y avoir encore plus de musique ! [Petits rires]
Était-ce thérapeutique ?
Oui, mais je ne ressens pas encore de guérison. Je ne ressens encore rien parce que je suis toujours en rogne [rires]. J’espère que ça aide ! Lorsque nous partirons sur les routes et jouerons en live, peut-être que je me sentirais mieux.
Tu as mentionné l’attaque du Bataclan. Comment ceci t’as impacté personnellement et dans ta vie ?
Une attaque terroriste, ça te touche comme si c’était chez toi ! Et chez-moi, c’est la scène. Chez moi, c’est une salle de concert, c’est un spectacle. Et ça m’a touché directement chez moi ! Non seulement ça m’a rendu furieux mais ça m’a attristé pour les gens qui étaient là. Je ne sais toujours pas si des journalistes à qui j’ai parlé ne sont plus de ce monde, car qui sait qui était là-bas et qui a été tué ? Donc ça m’a impacté au point où je fais maintenant attention. J’ai conscience que s’il y a une fusillade, ça sonne comme des pétards, et je connais mon chemin pour m’échapper, je sais dans quelle direction courir si quelque chose se passe. Donc je suis préparé dans ma tête. A chaque concert où je me rends, je suis prêt. Il n’y a vraiment rien que nous puissions faire, sauf essayer de faire autant attention que possible et espérer que plus rien de ce genre ne se produise.
Tu dis que tu es préparé mais est-ce que ça veut dire que tu as peur lorsque tu montes sur scène aujourd’hui ?
Non, je n’ai pas peur parce que j’y pense une ou deux fois, genre : « Ok, où est ma sortie ? » Je scrute la salle. Alors qu’avant, je ne me préparais à rien, je ne pensais à rien de ce genre mais aujourd’hui, j’y pense. Mais je n’ai pas peur. Je ne vais pas arrêter de voyager, je ne vais pas arrêter de jouer sur scène. Je n’arrêterai jamais.
Des nouvelles de vous enregistrant votre premier album sont apparues dès 2015 mais ce n’est qu’un an et demi après que l’album sort. Expliques-tu ce délai uniquement par le changement de chanteur ou bien y a-t-il d’autres raisons à ça ?
C’était clairement le changement de chanteur. Ça a pris du temps pour que le chanteur d’origine enregistre le chant. Donc ceci a pris du temps, et ensuite il a décidé qu’il ne voulait pas continuer. Il venait d’avoir un bébé, une petite fille, et voulait passer plus de temps avec elle. Ce que je comprends. Pas de problème. Il a dit : « Dave, je ne peux vraiment pas le faire, je dois rester à la maison avec ma petite. » Et j’ai dit : « Absolument ! Pas d’inquiétude. On fera avec. J’ai été dans d’autres situations pires que ça. Là, c’est rien. On a la musique… » Car toute la musique était écrite et donc à l’époque, il était en train d’écrire les paroles et faire le chant pour l’album. Donc ouais, c’était compréhensible. Donc, alors, nous avons dû rechercher un autre chanteur, ce qui n’a vraiment pas pris longtemps. Nous avions quelques idées sur lesquelles nous avons réfléchis, mais toute l’idée d’intégrer [Mike] Patton au groupe était… Je ne pensais pas que ça allait arriver. Car je sais que Patton fait d’autres boulots, il a plein de travail avec ses musiques de film, il est occupé avec Faith No More, etc. Mais lorsqu’il a entendu parler de l’album, il m’a appelé et a dit : « Hey, Dave, si ça te dit, j’adorerais sortir l’album sur Ipecac. » Et, évidemment, j’ai dit : « Merci, j’adorerais le sortir sur Ipecac mais pour le moment, on ne sait pas où on va aller. » Et je crois que quelques heures plus tard, je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais je lui ai envoyé un texto – car on communique beaucoup par texto -, j’ai dit : « Hey Mike, Gabe est parti, il ne veut plus le faire, ça te dirait de chanter dans le groupe ? » Et je pouvais voir sa joie dans son texto [petits rires], il était là : « Quoi ? Moi ? Bien sûr ! J’adorerais le faire ! » Nous avons envoyé les morceaux de musique à Patton et il a enregistré ses parties lui-même dans son studio. Gabe, le chanteur originel, a enregistré le chant avec Ross mais il n’a fini, je crois, que la moitié du chant et ne pouvait pas poursuivre. Donc nous avons envoyé les pistes à Mike, et ensuite Mike a pris ça en main et commencé à faire le chant et a terminé probablement en deux ou trois mois. Ça n’a pas du tout pris longtemps. Et nous voilà avec cet album dont je suis très, très fier. Je suis soufflé de ce que cet album est devenu et surexcité !
« Je veux être tout sauf traditionnel. […] Car j’écoute la radio ou certaines stations de metal et j’entends tellement de similarités que ça me décourage. »
Comment la musique et le son ont évolué lorsque Mike a fait partie de l’équation ?
Comme je l’ai dit, toute la musique était écrite, donc tout était prêt pour lui, musicalement. Donc le groupe a évolué de deux façons. J’ai l’impression qu’il a évolué dans une direction musicalement et ensuite, maintenant, la musique a encore évolué avec le chant. Maintenant, j’ai le sentiment qu’avec le chant de Patton, les chansons ont pris une toute nouvelle vie, c’est complètement différent de ce qu’il y avait au départ. Au départ, il y avait de super parties que Gabe avait écrites mais, évidemment, Gabe est un batteur. C’est aussi un chanteur mais à la base, c’est un batteur. Maintenant, nous avons un chanteur professionnel de carrière qui fait les chansons.
Sans le chant dingue de Mike, ça aurait pu presque être un album de hardcore traditionnel. Est-ce que ça signifie que c’est tout simplement impossible de faire quoi que ce soit de traditionnel avec ce mec ?
[Petits rires] Je ne veux pas être traditionnel. Je veux être tout sauf traditionnel. Je veux que ce soit hardcore mais je ne veux pas que ça sonne comme qui que ce soit d’autre, donc je suis content que lorsque Mike est arrivé, il a totalement changé ça et l’a fait sonner comme quelque chose d’unique et original. Je trouve ça bien que ce ne soit pas traditionnel [petits rires]. Car j’écoute la radio ou certaines stations de metal et j’entends tellement de similarités que ça me décourage.
Vous lui avez donné une liberté totale ?
Oui, absolument. « Vas-y, fonce ! » Je lui fais confiance, j’ai enregistré… je ne me souviens plus, quelque chose comme quatre ou cinq albums avec Mike, et je pense que celui-ci pourrait bien être le sixième. Je sais que c’est absolument un professionnel et je lui fais confiance.
Comme tu l’as mentionné, vous avez travaillé avec le producteur Ross Robinson pour cet album. Il est responsable de tant d’albums qui sont devenus des classiques. Du coup, quelle a été son approche pour Dead Cross ?
Je pense que son approche est d’être aussi créatif que possible, tout du moins c’est la porte qu’il nous a ouverte, la créativité et la liberté, et ne rien laisser nous freiner musicalement, mentalement, spirituellement – car c’est un gars très spirituel. En gros, nous voulions faire un album qui ne ressemblait à rien d’autre, qui était différent. Il aide, il est très bon pour ça parce qu’il t’inspire, pas seulement avec ses paroles, mais aussi avec son attitude, il est très positif, et donc ça créé un environnement très facile et confortable pour écrire de la musique et enregistrer. C’est assurément un producteur unique. J’ai travaillé avec lui plusieurs fois, il est super !
Comment vous-êtes vous retrouvé à reprendre la chanson de Bauhaus sur l’album de Dead Cross ? Je veux dire que ce n’est pas du hardcore, c’est de la musique gothique, donc sur le papier, cette chanson ne semblait pas appropriée, et pourtant si !
Tu vois, lorsque nous avons écrit toute cette musique pour les concerts… Lorsque le groupe a commencé, nous avons écrit la musique pour ces concerts que j’avais calé, nous composions et créions, nous étions là : « Wow, ces chansons sont super mais on a encore besoin de plus de musique pour faire un concert. » Donc nous avons ajouté « Bela Lugosi » parce qu’elle était un peu plus longue et mid-tempo, ce n’était pas rapide, donc nous pouvions rallonger la chanson pour rattraper le temps sur scène, parce que toutes les autres chansons étaient courtes. Mais ce qui est intéressant est que, désormais, en écoutant tout l’album, lorsque tu arrives à la chanson numéro cinq, lorsque tu arrives à « Bela Lugosi », c’est presque comme une pause, tu prends une respiration, et après « Bela Lugosi », ça repart. Donc je trouve que ça s’intègre vraiment bien parce que c’est presque ce moment où tu peux te reposer un peu et ensuite repartir dans l’excitation. Il me semble que l’originale est très longue et celle-ci, nous avons pu la raccourcir pour qu’elle reste concise et pas trop longue. Nous ne voulions pas qu’elle prenne tout l’album. Et si nous voulons la jouer plus longue en live, alors nous avons aussi cette possibilité. Mais nous avons décidé de la garder courte et simple.
Cet album ne fait que 28 minutes, et tu as fait la remarque que Reign In Blood faisait 29 minutes. Vois-tu un parallèle à faire entre ces deux albums ou avec l’état d’esprit de Slayer à l’époque, d’une certaine façon ?
Pas forcément l’état d’esprit… Il y a des parallèles, évidemment, en raison de la longueur de l’album. Sur l’album de Dead Cross, il y a dix chansons mais elles sont courtes, elles font une minute et demi, deux minutes. Je crois que la chanson la plus longue doit faire trois minutes. J’ai le sentiment que dans la musique hardcore, les chansons parfois nécessitent d’être courtes. Il n’y a pas besoin de mettre un long solo de guitare dans une chanson de hardcore, il n’y a pas besoin de répéter certaines parties d’une chanson, c’est comme : « Ok, la chanson doit se terminer maintenant. Ça suffit ! » Je pense que c’est le producteur en moi qui dit « moins c’est mieux », et c’est vrai parce que cet album, même s’il fait 28 minutes, j’ai le sentiment qui est complet. Il n’a pas de trous ou de vide. Ce n’est pas ennuyeux. Du début à la fin, c’est palpitant. Parfois lorsque les chansons sont trop longues, le niveau d’excitation tombe. Tu es là : « Ok, j’ai déjà entendu ce riff. Pendant combien de temps je vais devoir encore écouter cette partie ? » Donc le parallèle, c’est que c’est plus droit au but, genre « la voilà ! La chanson ! » Et il n’y a pas de flou, il n’y a pas tellement de décoration, c’est brut. Je pense que c’est la meilleure façon de le décrire. Et c’est comme ça qu’était Slayer, c’était brut. Il y avait des solos mais les parties et sections musicales n’étaient pas longues et couvertes, c’était très direct.
« Je ne peux pas m’empêcher de jouer fort et vite. […] Je ne pourrais pas jouer de la musique calme trop longtemps, ça me frustre et je voudrais frapper fort la batterie. »
Est-ce que ça t’a manqué ce niveau d’agressivité et ce côté brut dans la musique depuis que tu as quitté Slayer ?
Si ça m’a manqué ? Pas vraiment. Parce que je trouve ça dans d’autres manières de jouer. Je ne peux pas m’empêcher de jouer fort et vite. J’aime jouer lentement, je joue de la musique à tempo modéré, mais pour jouer tous les jours, je ne pourrais pas jouer de la musique calme trop longtemps, ça me frustre et je voudrais frapper fort la batterie. Mais non, ça ne me manque pas. Evidemment, j’ai Suicidal, je suis avec eux depuis un an et demi, et j’ai pu m’exprimer de façon dure et heavy avec d’autres musiques que j’ai fait.
Etant connu pour ton travail par le passé dans un des premiers groupes de thrash qui a poussé le metal vers des extrêmes, que penses-tu de cette recherche constante d’extrêmes dans le metal – avec des groupes de plus en plus brutaux, jouant de plus en plus vite, etc. ?
Je trouve ça super que les gens explorent autant qu’ils le peuvent dans plein de directions différentes. J’adore ça, j’adore la créativité et j’adore que les musiciens continuent de repousser les limites. Mais arrive un moment où ce n’est plus humain, où c’est l’ordinateur qui prend le relais. Je pense qu’arrivé à ce stade, tu perds le feeling. Et je pense que c’est là où ça ne m’inspire plus vraiment. Mais ça ne veut pas dire que la musique industrielle ne m’inspire pas, car j’aime la musique industrielle et le fait que ça ressemble à des machines, mais c’est parce que cette musique est faite avec des machines depuis le début. Mais lorsque tu commences à amener des boites à rythmes et toutes sortes d’autres choses dans le metal, alors ça change, et donc ce n’est plus vraiment du thrash. Donc je pense qu’il y a une frontière derrière laquelle le mot « thrash » devrait rester. Dès que ça rentre dans le monde des ordinateurs et que ce n’est pas humain, alors c’est autre chose. Je veux dire, comme je l’ai dit, ce n’est pas mauvais, j’aime bien mais ce n’est pas mon truc.
Est-ce qu’être plus extrême était quelque chose que tu visais lorsque tu étais jeune musicien ?
Ce n’était pas ce que je visais ; c’était là où mon corps allait naturellement. C’est là où étaient mes instincts musicaux. Lorsque j’étais jeune, j’adorais écouter de la musique qui était un peu plus rapide, un peu plus heavy. Tu sais, il y avait des chansons de Led Zeppelin qui étaient, pour moi, bien plus heavy que toutes les autres, et je préférais celles-ci lorsque je grandissais. Il y avait des chansons de Jimi Hendrix que je trouvais plus heavy que d’autres de ses chansons qui étaient plus mélodiques. Donc j’appréciais davantage les versions heavy de ces chansons. Ça, c’était quand j’étais gamin et puis, lorsque j’ai découvert le heavy metal, comme Judas Priest, Motörhead, Iron Maiden, j’étais vraiment content d’avoir découvert ce type de musique parce que ça satisfaisait ce style que j’appréciais. Et ensuite je me suis mis au punk rock et c’est là que j’ai voulu que tout aille plus vite, c’est là où j’avais l’impression de me développer musicalement et que j’ai commencé à comprendre le type de musique et la direction que j’aimais.
Tu as déclaré que les « groupes de metal ont découvert une formule ». Est-ce que Dead Cross est ta façon de casser cette formule ?
Oui. Je veux casser la formule. J’entends la formule à la radio, sur les radios internet, les stations de metal. C’est exactement comme la country, comme la pop, j’entends des parallèles et des similarités. Je crois fermement dans le fait d’aller à contre-courant. J’aime essayer des choses différentes. Si quelqu’un me dit : « Oh, tu n’es pas censé faire ça ! » Je dis : « Ah ouais ? Eh ben regarde-moi ! » Je prouverais que les choses peuvent être faites différemment. Et ce n’est qu’une question d’être créatif. J’adore être créatif et faire différents projets avec des feelings et styles différents.
On a parlé du fait que tu avais de la colère à exprimer, et évidemment, tu t’exprimes via la batterie. Dirais-tu que la batterie peut être un instrument tout aussi expressif qu’une guitare ?
Oui, absolument ! Absolument ! Je pense que c’est ce qui distingue mon jeu de celui d’autres batteurs. J’ai le sentiment que, quand je joue, je vois la batterie comme étant davantage un instrument musical qu’un simple instrument rythmique, un instrument qui ne fait que frapper et qui fait partie d’un rythme ou d’un cycle. Je trouve que la batterie possède de la dynamique, de l’expressivité. C’est à la personne qui joue la batterie de faire ressentir cette expressivité. Tout du moins, c’est ce que j’entends. Plein de gens m’ont dit que je joue de la batterie très différemment, comme aucun autre batteur, et j’ai l’impression que c’est parce que j’essaie de la faire chanter, j’essaie de faire danser et chanter la batterie [petits rires].
Y a-t-il eu des chansons, que ce soit avec Dead Cross ou d’autres projets et groupes à toi, qui ont été initiées avec un riff de batterie ?
Oh ouais ! « Church Of The Motherfuckers » a commencé avec un riff de batterie. Je crois que la première chanson « Seizure And Desist » a commencé avec un riff de batterie. A l’époque de Grip Inc., « Hostage To Heaven »… Oh, c’est quoi cette chanson déjà ? C’est la première chanson du premier album… “Savage Seas”! Cette chanson a commencé avec un riff de batterie. Il y a plusieurs chansons dans ma carrière qui ont commencé, disons, je suis dans la pièce où il y a la batterie ou dans la salle de répétition avec un groupe, je commence à jouer et ils m’accompagnent. Il y avait plein de choses avec Slayer qui ont commencé comme ça. Donc ouais, ça arrive ! Et ça change un peu l’approche parce que les cordes doivent trouver un riff qui aille par-dessus le rythme de batterie, alors que si j’entends un riff de guitare, c’est moi qui doit trouver un rythme de batterie qui aille avec. Donc ça les mets dans cette situation créative où ils doivent suivre la batterie.
« Je veux casser la formule. […] Si quelqu’un me dit : ‘Oh, tu n’es pas censé faire ça !’ Je dis : ‘Ah ouais ? Eh ben regarde-moi !’ Je prouverais que les choses peuvent être faites différemment. »
Y a-t-il une déclaration au sujet de la religion derrière le nom du groupe, Dead Cross [« Croix Morte », NDT], mais aussi derrière la dernière chanson, « Church Of The Motherfucker » ?
Ouais, absolument. Evidemment, je veux dire « L’église des enfoirés » ! Ça parle de tout ce qui se passe au sein des églises à travers le monde, pas seulement l’église catholique mais toutes les églises. Dès qu’il y a une personne religieuse qui essaye de contrôler un groupe de personnes, il y a toujours une sorte de corruption ou quelque chose comme ça. C’est dégueulasse ! C’est inquiétant. Et Dead Cross, de bien des façons, ça peut vouloir aussi dire : je suis complètement en colère, genre au-delà de la colère, je suis mortellement furax, car « cross » [en anglais] veut aussi dire « colère » ou « fâché ». Donc lorsque tu es « dead cross », tu es au-delà de la colère, tu es furieux [petits rires].
Tu as joué dans la reformation des Misfits. Comment était cette expérience pour toi ?
C’était super ! Je veux dire que les deux concerts étaient fantastiques, c’était une expérience sensationnelle. J’apprécie beaucoup travailler avec Glenn, Jerry et Doyle, et toute l’équipe. C’était historique ! J’espère qu’ils feront d’autres concerts, parce que c’était très spécial et les chansons sonnaient excellemment bien avec tous les gars. Je trouve qu’ils devraient faire d’autres concerts. C’est un concert que tout le monde doit voir, je pense.
Ça fait tellement d’années que ces gars n’ont pas joué ensemble, du coup comment était l’atmosphère au sein du groupe ? Ont-ils réussi à raviver la flamme en termes de relations, etc. ?
En fait, je ne sais pas ce qui s’est passé avant, car je suis arrivé après coup, mais il y avait de bonnes ondes en répétition, sur scène, tout était bien ! Je suppose que toute la colère, ou peu importe ce qu’il y avait entre les gars dans le groupe, a été écrasé, parce que je n’ai rien remarqué et j’ai ressenti que l’amitié était complètement là. Maintenant, je ne sais pas si Glenn irait sortir dîner avec les autres gars dans le groupe, mais au moins ils se parlent, au moins ils jouent ensemble et répètent ensemble. Je pense que c’est ce qui compte.
Comme tu l’as mentionné, tu as aussi rejoint Suicidal Tendencies. Mike Muir m’a raconté comme il était timide de te demander de rejoindre le groupe et à quel point il était surpris que tu acceptes. Qu’est-ce qui t’a fait dire oui ?
C’est marrant parce que c’est exactement comme ça que je me suis senti par rapport à Mike Patton ! Lorsque je lui ai demandé, je me disais : « Non, je ne veux pas lui demander ! Je ne vais pas lui demander ! » Et puis : « Il va refuser ! » Et puis soudainement, il dit oui ! C’est exactement pareil. C’est parce que nous nous respectons tous. Nous nous tenons en haute estime. J’étais honoré lorsque Mike Muir m’a appelé, et lorsqu’il m’a demandé ça, j’ai dit : « Absolument ! Allez, on y va ! » Lorsque je les ai rejoints, j’étais dans Dead Cross. Lorsque Mike Muir m’a appelé, je m’apprêtais à monter sur un bateau pour faire le 70000 Tons Of Metal avec Dead Cross. Donc j’étais prêt à partir en croisière et Mike était en Europe. Il m’appelle et dit : « Ok, je m’apprête à quitter l’Europe, nous venons de donner un concert et… » J’ai dit : « Eh bien, je suis content que tu m’ais appelé parce que je suis sur le point de monter sur un bateau ! » Et une fois que tu pars sur ces bateaux de croisière, tu n’as plus aucune réception. Et comme je l’ai dit, je ne pouvais pas refuser. Ça semblait si naturel parce que Suicidal et Slayer, nous avons joué ensemble dans les années 80 et 90. Donc je pense qu’il n’y avait pas à réfléchir. Donc j’ai immédiatement accepté le job et ça a été génial de travailler avec Mike et le nouveau groupe.
Est-ce que ça t’a permis d’explorer un peu plus le côté groove de ton jeu de batterie ?
Absolument ! J’ai un amour pour le RnB, la funk et le bon vieux rock, et il y a plein d’éléments empruntés à ces styles dans la musique de Mike Muir et celle de Suicidal, ce qui me permet de poser un petit rythme funk et lui apporter ma propre patte. Il est clair qu’il y a plein de grooves différents que je n’avais jamais joués en live et que je joue désormais avec Suicidal.
La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous avais dit que tu écoutais tout le temps de la musique cubaine – et c’est d’ailleurs tes origines car tu es né là-bas. Qu’as-tu en fait appris de la musique cubaine ?
Je pense que ce que j’ai appris, c’est la passion avec laquelle la batterie était jouée. J’étais très jeune lorsque j’ai vu mon premier batteur jouer sur un kit de batterie, et puis avant ça, il y avait les percussions à la main, comme les congas ou les bongos, et je devais vraiment être tout petit. Donc j’ai vu la passion avec laquelle ils jouaient, l’agression… Lorsque tu vois un conguero, genre un batteur de latin jazz, jouer, et jouer de musique cubaine rapide pour danser, tu vois à quel point il est passionné et comment il s’exprime sur ces percussions. Donc j’ai l’impression que ça m’a montré les complexités dans les rythmes et qu’en comprenant la musique cubaine, j’ai pu apprendre le rock, le metal, le punk, très facilement. C’était facile pour moi d’apprendre le rock parce que je comprenais la musique cubaine, car c’est très complexe. Donc je pouvais donner un swing différent au rock, au metal, au punk, peu importe. C’est ce qui me rend différent.
Quels sont tes plans pour le futur avec Dead Cross ?
Déjà, laisse-moi te dire que j’ai une très longue tournée qui arrive, quatre ou cinq semaines en Europe, [avec Suicidal Tendencies], nous faisons le Hellfest, nous faisons le Download Festival, pas seulement à Paris mais aussi en Angleterre, partout. Et après ça, j’ai quelques semaines de pause, et puis je commence les répétitions et une tournée avec Dead Cross. Nous faisons deux parties de tournée aux US. Et je ne suis pas certain de ce qui va se passer après ça ! Nous allons voir comment tout ceci se passe, pour ce qui est des tournées. Je sais que Patton ne veut pas trop tourner, donc si nous tournons, ce sera court et spécial. Et nous sommes également en train d’écrire d’autres musiques en ce moment. Je pense que nous allons ajouter d’autres musiques au set, vu que nous n’avons que trente minutes et que notre contrat en prévoit quarante. Donc nous devons probablement écrire quatre chansons supplémentaires pour les ajouter au set. Nous allons sans doute faire ça pendant que nous répétons.
« Plein de gens m’ont dit que je joue de la batterie très différemment, comme aucun autre batteur, et j’ai l’impression que c’est parce que j’essaie de faire danser et chanter la batterie [petits rires]. »
Sans compter que l’album a déjà plus d’un an pour vous, donc je suppose que vous avez hâte de vous remettre en mode créatif, surtout avec Mike Patton à bord…
Oui ! Là, nous venons de répéter il y a une semaine. J’ai répété avec le guitariste et le bassiste, et nous avons enregistré certaines des répétitions, et dans ces répétitions, il y a plein de bonnes idées. Et nous avons improvisé et avons trouvé des idées pour de nouvelles chansons, ce qui est pour moi la meilleure façon d’écrire, collectivement, lorsque tout le monde est rassemblé dans une salle de répétition à être créatif. Donc nous avons quelques bonnes idées mais rien n’est encore mis en place. Et Mike va clairement être impliqué dans la composition.
Mike a mentionné l’idée d’avoir trois skinheads en tant que choristes. Avez-vous parlé de ça ?
[Rires] Ouais, nous y avons réfléchi ! Je ne sais pas où il a eu cette idée ! Et je me souviens lorsqu’il l’a mentionnée, il a commencé à nous envoyer des photos de skinheads et a dit : « Allons embaucher quelques skinheads, les gars, et mettons les sur scène pour être nos choristes ! » [Rires] Je trouvais que ça aurait été super. Mais je ne pense pas que ça marchera. Je trouvais ça marrant, mais je pense que le guitariste et le bassiste pourront faire les chœurs.
Est-ce que ça ne va pas être compliqué d’entretenir ce groupe, Mike ayant Faith No More et plein de projets, et toi avec Suicidal Tendencies, tu joues avec les Misfits, etc. ?
Ce qui est bien est que Mike Patton a un très bon manager, et moi-même j’ai un très bon manager qui est très flexible, et avec Mike Muir, tous mes gens, tout le monde est en lien et communique, donc je pense que si je ne peux pas faire un concert, alors ok, bon, dans ce cas je vais devoir rester avec Suicidal. Si Suicidal a un truc en cours et que Dead Cross m’apporte une offre, c’est genre : « Euh, je ne peux vraiment pas le faire les gars parce que j’ai déjà des engagements. » C’est difficile parce que tu dois refuser des concerts mais tu essaies de faire en sorte que ça fonctionne du mieux possible, tu essaies de donner aux gens suffisamment d’avertissements, de temps pour anticiper, genre : « Regarde, on a ça qui arrive, s’il te plait ne cale rien la dernière semaine de juillet. » Et donc, ils savent qu’il ne faut rien caler et si quelque chose arrive, nous essayons de trouver une solution. Tu sais, il y a une bonne coopération et j’ai de très bons professionnels qui travaillent pour moi.
Tu as eu une grande diversité de projets artistiques dans ta carrière. Qu’aimerais-tu explorer à l’avenir, en tant que musicien, que tu n’aurais pas déjà exploré ?
J’aimerais juste explorer davantage de diversité. Même si je suis réputé pour la musique hardcore – je vais toujours aimer jouer du hardcore -, j’adore plonger dans la musique de film, les BO. J’apprécie beaucoup la musique ambiante, où tu te dis : « Quoi ?! Lombardo qui joue de l’ambiant ? » J’aime vraiment ça ! Il y a un artiste qui s’appelle Lustmord que j’apprécie beaucoup. J’apprécie les musiques de film où il y a de la musique ambiante, et je trouve ça intriguant et stimulant parce que c’est un style de musique avec lequel je ne suis pas familier. J’adore ça. J’adore la musique cubaine. J’adore tâter la musique cubaine. Un jour ça arrivera mais là tout de suite, je me focalise sur Dead Cross et Suicidal, les trucs hardcore.
Comment approcherais-tu la musique ambiante en tant que batteur ?
Eh bien, je me procurerais une très, très bonne unité de réverb [rires]. J’approcherais ça de façon à ce que la batterie, évidemment, ne soit pas rapide, qu’elle soit éparse, très espacée. Il est possible qu’un jour je fasse quelque chose comme ça. Ce serait intéressant. Je n’ai honnêtement pas de réponse parce que parfois tu ne sais pas ce que les choses deviennent. Je ne savais pas ce que Dead Cross allait devenir. Je pense que c’est la beauté et la magique de la musique : tu crées, c’est dans ta tête, mais ensuite, comment ça se traduit sur CD ou lorsque tu l’as enregistré, c’est une toute autre personnalité qui émerge, et je trouve ça vraiment palpitant, le fait de voir la musique, des bouts d’œuvres que tu crées, se développer.
Interview réalisée par téléphone le 31 mai 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Page Facebook officielle de Dead Cross : www.facebook.com/deadcrossofficial.
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