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Interview   

Dead Lord : la science du rock


Après les dérives de la digitalisation, la tendance actuelle est clairement au retour à l’analogique et aux méthodes de composition et d’enregistrement des années 70, années de référence pour le rock. Et s’il y a une scène qui a adopté ce retour aux sources du rock, c’est bien la scène scandinave, et en particulier suédoise. En témoigne un groupe comme Dead Lord qui revient avec son troisième album In Ignorance We Trust. Mais attention de ne pas les qualifier de rétro, ce serait presque une insulte pour eux. Non, pour le frontman Hakim Krim, ils ne font que renouer avec l’essence intemporelle du rock et de la guitare électrique dans son son le plus pur.

Et preuve que Dead Lord n’est pas bloqué dans le passé : In Ignorance We Trust, au-delà de la myriade d’influences qui ont participé à sa création, à commencer par un amour certain pour la musique soul, est un commentaire très contemporain sur l’état du monde, touchant à des sujets foncièrement politiques mais aussi et surtout avec une conscience humaniste, fustigeant l’ignorance dont on peut aujourd’hui être témoin qui pousse à remettre en question jusqu’à la science. Entretien.

« De nos jours, les gens s’intéressent à plein de choses différentes et je pense que ça affecte vraiment les compétences des gens dès qu’il s’agit de savoir jouer de leurs instruments. »

La biographie promotionnelle déclare que vous êtes « nés trop tard » et vous sentez « clairement chez [vous] en 1976 [lorsque le Jailbreak de Thin Lizzy est sorti] plus qu’en 2017. » Est-ce que vous avez l’impression de ne pas être à votre place à notre époque ?

Hakim Krim (chant & guitare) : Pas vraiment. J’aime beaucoup la musique des années 70 mais elle est toujours là, tu peux encore acheter les albums. J’aime l’époque dans laquelle nous vivons pour ce qui est de ce qui se passe en science, ce que nous connaissons du monde aujourd’hui, ce que nous avons accompli avec notre ingéniosité, et internet est plutôt sympa aussi, ça n’existait pas dans les années 70, donc… Je n’ai pas vraiment l’impression de ne pas être à ma place, c’est juste que j’aurais aimé que la musique sonne mieux [rires]. Une grande partie de la musique moderne est un peu surproduite et pourrait être meilleure si elle ne sonnait pas moderne dans sa production. Pour ce qui est de la musique, je ne suis un peu pas à ma place mais le reste du monde, ça va, je trouve.

Ne penses-tu pas que la scène rock manque de cet esprit et cette insouciance qu’il y avait dans les années 70 ?

Peut-être. Je veux dire que, je suppose, c’était l’apogée du classic rock, c’était là où il était au plus haut avant que tout le mouvement AOR des années 80 prenne le relais, avec les hair bands, etc. Il y avait quelque chose qui se passait, une certaine façon de jouer des instruments. Il n’y avait aucun moyen de tricher. Tu pouvais peut-être découper une bande en studio mais ça prenait plus de temps de jouer la chanson une fois de plus, donc être capable de jouer l’instrument était tout à fait autre chose. Et à l’époque, il y avait moins de distractions. Je veux dire que les jeux vidéo étaient nuls à chier, donc jouer d’un instrument était sans doute un très bon passe-temps. De nos jours, les gens s’intéressent à plein de choses différentes et je pense que ça affecte vraiment les compétences des gens dès qu’il s’agit de savoir jouer de leurs instruments et ce genre de choses. Donc j’admire le savoir-faire de toute la scène rock des années 70, leur façon de jouer, leur façon de composer, et sans s’inquiéter d’avoir des chansons qui font quinze minutes avec rien qu’un solo de guitare – c’était quelque chose qu’ils faisaient et qui ne posait pas de problème – et de sortir des albums qui n’étaient qu’une session où ils se sont posés en studio et qu’ils sortent le lendemain. Ce genre de choses m’impressionne, et ça se produisait souvent dans les années 60 et 70.

Tu as déclaré que votre musique est « intemporelle, pas rétro ». Qu’elle est la différence, d’après toi ?

La différence est que tu peux chercher à sonner d’une certaine façon, tu peux essayer d’ajuster tous tes trucs, égaliser tous tes enregistrements, essayer d’obtenir quelque chose que tu as entendu sur un album, ou alors tu pourrais juste repiquer tes amplis et ta batterie et les faire sonner comme ils sonnent vraiment. Comme je le dis généralement lorsque les gens nous qualifient de rétro : je pense que la musique moderne d’aujourd’hui sonnera datée dans quinze ans, alors que ce type de production que nous choisissons est un peu plus à l’épreuve du temps, j’en suis plutôt convaincu, j’espère, on verra !

Est-ce que « retro » est un gros mot pour toi ?

Ouais parce que ça veut dire simuler. C’est être quelque chose qui correspond à ta propre vision romantique de ce que c’était, plutôt que d’accepter ce que tu fais aujourd’hui pour ce que c’est. Donc ouais, c’est un peu… « naaah… »

Depuis quelques années, il semble y avoir une vague de groupes revival des années 70, particulièrement en Suède. Comment tu l’expliques ?

Je ne sais pas vraiment. Je pensais qu’il y avait aussi un retour aux années 80 il y a dix ans en Suède. J’imagine que c’est peut-être les gamins qui ont grandi au début des années 80 qui forment des groupes aujourd’hui, et c’est une réaction aux trucs modernes. Je ne sais vraiment pas mais il y a plein de super groupes qui ont cette vieille façon d’approcher la musique, plein de super groupes suédois qui font vraiment ça bien, sans que ce soit un gimmick ou quelque chose qui sonne simulé. C’est bien ! Et il y a aussi des groupes qui donnent vraiment l’impression qu’ils ont fait un effort pour que ça sonne plus étouffé ou vieux, mais certain groupes ont un son, je ne dirais pas « moderne » mais plus… Tu peux te rendre compte que ce n’est pas enregistré dans les années 70 mais il y a ce feeling parce qu’ils jouent peut-être live en studio et ils ont la bonne façon de voir ce qui est important, ils ne cherchent pas à ce que tout soit parfait, ils laissent peut-être quelques erreurs parce que la prise était bonne et ce genre de choses pour rendre la musique plus vivante. Je suis content qu’il y ait ça. En fait, j’aime la bonne musique et je me fiche qu’elle ait été composée aujourd’hui ou il y a quarante ans.

Tu as dit que « la musique moderne d’aujourd’hui sonnera datée dans quinze ans ». Qu’est-ce qui rend un son obsolète après quelques années lorsqu’une guitare brute reste intemporelle ?

Le son Les Paul-Marshall, le son médium bluesy classique de Led Zeppelin ou AC/DC, c’est ça pour moi le son d’une guitare, de la même façon qu’un violon sonne comme un violon, c’est ça la guitare électrique pour moi. Et je pense que, lorsqu’il s’agit de classic rock, c’est un standard d’avoir cet ampli qui sonne comme ça et ne pas avoir trop de distorsion, parce que ça a tellement été utilisé et dans tant de styles différents au fil des années, ça a survécu aux années 80, Guns N’ Roses avait encore ce genre de son même si c’était un peu de la musique des années 80, etc. Donc pour moi, ce genre de son survivra à travers l’histoire du rock et ça le rend intemporel, je trouve. Il semble y avoir des modes et tout. Dans les années 80 lorsque les effets sont devenus pas chers et abordables, tout le monde pouvait les utiliser, comme les reverbs : tout le monde devait avoir une longue reverb sur sa caisse claire… Toutes les petites modes ont tendance à devenir obsolètes et tu fais la grimace quinze ans après lorsque tu l’entends, genre « oh, ça sonne tellement années 90 avec cette guitare sursaturée. » Ce genre de choses qui essaye trop de réagir à ce qui a toujours été, c’est ce qui rend les choses datées, je trouve. Donc tant que… [Petits rires] Je ne sais pas où je vais à partir de là. Mais ouais, c’est ça, en gros.

« Le son Les Paul-Marshall, le son médium bluesy classique de Led Zeppelin ou AC/DC, c’est ça pour moi le son d’une guitare, de la même façon qu’un violon sonne comme un violon, c’est ça la guitare électrique pour moi. »

Est-ce que ça signifie que vous n’utilisez même pas du tout de technologie moderne pour l’enregistrement, par exemple ?

Nous utilisons de la technologie moderne. En fait, nous avons tout enregistré sur bande mais ensuite il faut que ça passe dans un ordinateur quoi qu’il arrive parce que c’est comme ça qu’on masterise les choses aujourd’hui, et aussi c’est plus facile d’enregistrer des trucs supplémentaires avec un ordinateur. Toute la base et les fondations des chansons sont faites en live sur un enregistreur à bande pour obtenir ce genre de son, il casse et compresse d’une façon qui est vraiment jolie. Aussi ça te pousse à ne pas tout refaire parce que tu ne peux pas, ce qui est une autre bonne chose avec l’enregistreur à bande. Mais ensuite, en mettant ça dans un ordinateur, tu peux obtenir différentes reverbs ou de petites choses qui ne font pas vraiment une énorme différence dans le son, c’est plus une saveur différente, c’est bien plus facile à faire avec un ordinateur, surtout si tu dois juste rajouter un truc, tu n’as pas à rembobiner la bande, tu peux le faire directement. Donc nous ne sommes pas étrangers à ce genre de pratique. Mais nous enregistrons toujours les fondations en live et si nous avons un enregistreur à bande à disposition, nous l’utilisons.

En termes d’influences, j’ai vu des mentions de Led Zeppelin, Metallica, Venom et même ABBA. C’est un panel très large d’influences. Comment mélangez-vous tout ça pour en faire le son de Dead Lord ?

Nous écoutons beaucoup de musiques différentes. Par exemple, j’aime beaucoup la soul, nous aimons tous beaucoup ça… En gros, nous aimons les bonnes chansons, nous nous fichons du style ou de savoir si ce n’est pas assez heavy. Donc toutes ces chansons que nous avons écoutées et que nous aimons, nous les avons inconsciemment dans nos esprits, donc dès que nous faisons nous-même des chansons, nous utilisons ces influences. Peut-être que quelque chose sonne d’une certaine façon et genre : « Ouais, on pourrait arranger de cette manière et on pourrait utiliser cette astuce qu’ils utilisent dans la soul avec cette chanson. » Et ce n’est pas trop évident, tu ne peux pas vraiment mettre le doigt sur ces choses mais au moment de la composition, elles viennent subconsciemment du fait que nous ayons une grande collection de disques et que nous ne soyons pas étrangers à plein de genres musicaux différents. Mais d’un autre côté, tu as deux guitares, une basse et une batterie, alors ça sonnera rock. Donc même si tu es influencé par un pianiste ou un violoniste, ça sonnera toujours comme un groupe de rock.

Y a-t-il des groupes modernes que tu écoutes ?

Bien sûr ! J’adore Amy Winehouse, même si elle ne fait plus grande chose, parce qu’elle est morte… Et il y a des tonnes de nouvelles musiques qui sont bonnes. Charles Bradley, c’est un mec qui fait de la soul, il a commencé sa carrière il y a dix ans lorsqu’il était vieux, soixante ans ou quelque chose comme ça, et il fait de la super musique soul qui est faite aujourd’hui et que j’aime beaucoup. Cependant, certaines choses sont vraiment gâchées par la production et je suis vraiment allergique à la mauvaise production qui ruine une chanson, et j’essaye vraiment de faire attention avec notre groupe de ne pas tomber dans ce piège.

Tu as déclaré que cet album contient vos chansons les plus heavy, et certaines de vos chansons les plus calmes et étranges. Qu’est-ce qui vous a poussé à élargir votre musique cette fois ?

Je ne sais pas, peut-être parce que ça semblait ennuyeux de faire à nouveau le même album. Nous pouvions nous contenter d’écrire des chansons standards de rock et jouer la sécurité. Mais nous n’en avons pas vraiment discuté. C’est juste que lorsque nous avons rassemblé toutes nos chansons et que nous écrivions pour cet album, personne ne s’est vraiment arrêté pour dire « hey, attendez, ça sonne trop bizarre, cette chanson est trop calme… » Tout le monde était à fond, ce qui était vraiment sympa, parce qu’en fait, j’y ai réfléchi lorsque nous étions en studio : les autres gars semblaient vraiment ne pas être dérangés par le fait que telle chanson était acoustique ou autre, et c’était très intéressant et ça paraissait sincère, donc nous avons continué, et on verra ce que les gens en pensent !

Vous composez les chansons collectivement en répétition. Comment l’alchimie fonctionne ? Peux-tu nous parler du processus ?

C’est principalement moi et Olle [Hedenström] qui trouvons les idées pour les chansons. Olle aime faire des démos et ensuite nous les jouons tous, genre nous les écoutons et les essayons en salle de répétition, et ensuite j’essaie de trouver quelques lignes de chant, peut-être que je change un truc ici et là, Adam [Lindmark] ajoute sa batterie… Au final, on se retrouve avec quelque chose qui vient de nous tous, nous arrangeons tous les chansons. Mais maintenant, lorsque j’écris des chansons, je ne fais plus de démos parce que j’ai découvert que la chanson est meilleure si je ne dis pas aux autres gars ce que j’ai en tête. Donc nous nous retrouvons en salle de répétition, je leur montre peut-être un riff et je leur dit juste « suivez, jouez quelque chose ! » Et ensuite Adam commence à jouer un rythme de batterie auquel je n’aurais peut-être jamais pensé, et Martin [Nordin] joue une partie de basse à laquelle je n’aurais peut-être jamais pensé. C’est toujours la même idée de chanson mais elle devient bien plus « nous » en tant que groupe plutôt que « moi » en tant que compositeur, ce qui, pour moi, est une manière plutôt sympa de composer parce que, tout d’abord, le fait d’interagir et demander leur opinion aux gars est bien plus rapide et marrant que de se poser à la maison et enregistrer avec un ordinateur. Donc parfois, j’ai quelque chose d’enregistré sur mon téléphone, il se peut que je leur fasse rapidement écouter mais ensuite nous essayons de construire tout ça ensemble en salle de répétition. Cette fois, j’étais un peu à la bourre sur les paroles, alors j’ai écrit certains des textes en studio, ainsi que certaines mélodies de chant. Chaque chanson se fait différemment.

« La science est la science et sera toujours la science, et choisir de ne pas l’admettre, ou ne pas vouloir la comprendre, ou ne pas vouloir comprendre le monde ou ce qui se passe, et essayer de trouver des réponses faciles à des problèmes difficiles, ça me dérange parce que ça montre que tu es réticent à apprendre et c’est très, très dangereux. »

Apparemment, l’album a été composé entre 2015 et 2017. Est-ce que ça signifie que ça vous a pris deux ans pour faire cet album ? Je veux dire que les groupes comme vous dans les années 70 faisaient parfois deux albums par an…

Non, c’est juste que nous avons beaucoup trop joué ! [Petits rires] Une tournée et ensuite une autre tournée… Et tout d’un coup, deux ans étaient passés. Le temps passe vraiment très vite lorsque tu es en tournée. Mais ouais, ces groupes dans les années 70 étaient dingues. Comme Kiss, ils ont sorti trois albums une année… J’admire ça ! J’ai eu du mal à trouver la motivation pour composer des chansons, j’ai eu le syndrome de la page blanche pendant plus d’un an parce qu’il y avait plein de choses qui se passaient dans ma vie, donc je n’arrivais pas vraiment à trouver la tranquillité d’esprit pour composer. C’était un peu étrange pour moi, c’était la première fois que ça m’arrivait. Mais dès que nous avons réservé le studio et que les choses sont devenues un peu plus sérieuses, je me suis remis dans la composition. Donc je pense que c’est une question d’attitude. Aussi, c’est ce sur quoi tu te concentres. Dans les années 70, les groupes enregistraient plus d’albums parce que tu devais constamment être à fond sur les choses, alors qu’aujourd’hui, tu décides : « Ouais, tu veux essayer de tourner pour cet album pendant tant de temps ou bien est-ce que tu veux enregistrer un nouvel album ? » Et très franchement, cet album a été retardé parce que nous pensions l’enregistrer en janvier pour le sortir au printemps, mais nous n’avons pas pu le faire parce que nous avons trop tourné et nous étions épuisés, donc nous avons dû le repousser un peu. Mais ouais, c’est dur parfois, tu sais. La créativité n’est pas quelque chose que tu peux vraiment forcer, en tout cas pas pour moi. Parce que si tu la forces trop, ça devient quelque chose qui n’est pas aussi honnête et authentique.

Vous avez été en Espagne pour enregistrer l’album. Pourquoi avoir été là-bas plutôt que de le faire en Suède comme vos précédents albums ?

Parce qu’il y fait chaud et que les gens sont beaux, et c’est sympa, la bière n’est pas chère, c’est génial ! [Petits rires] Et aussi notre ami et producteur Ola [Ersfjord] vit désormais là-bas et il y a un studio. Nous voulions enregistrer avec lui, il vivait là-bas et il n’y avait pas à réfléchir pour y aller pendant dix jours et faire une coupure avec la Suède et toutes les responsabilités que nous avons chez nous.

Est-ce l’atmosphère chaleureuse avec les gens qui sont beaux, etc. en Espagne qui vous a inspirés ?

Eh bien, j’étais assis dans un sous-sol sans fenêtres [rires] mais ouais, je pense. Evidemment, tout t’influence, que tu le veuilles ou non. Si tu es quelque part où il pleut, peut-être que tu t’énerves plus facilement ; s’il fait beau, peut-être que tu te sentiras un peu plus joyeux. Donc ouais, ça se peut.

Comme tu l’as dit, vous avez enregistré à la manière old school, en analogique et live. Qu’est-ce que ça implique de procéder ainsi ? Est-ce qu’il faut être mieux préparé avant d’entrer en studio ?

Ouais, tout le monde dois être capable de jouer de leurs instruments. C’est malheureusement quelque chose qui n’est pas si… Il y a plein de groupes qui ne sont pas très bon sur leurs gros instruments et si vous n‘êtes pas capables de jouer correctement ensemble, alors vous ne pouvez pas enregistrer en live, évidemment. Que les chansons aient été bien répétées et qu’elles soient en place, c’est le plus important. Aussi le fait de savoir quelle guitare va où, même si tu as ajouté plus de guitares, tu dois savoir quoi jouer durant la prise live et quoi ajouter plus tard, ce qui peut faire une énorme différence sur le son global. Par exemple, si tu joues les leads dans une chanson et que c’est ce que tu joues durant la prise live, pour ensuite ajouter les guitares rythmiques plus tard, ça sonne complètement différemment de si tu joues d’abord les guitares rythmiques et puis ajoute les leads plus tard. Donc il faut réfléchir différemment. Car les choses mèneront d’un instrument à l’autre via les différents micros, et tu ne peux pas vraiment tricher avec quoi que ce soit bien plus tard parce que ce sera trop flagrant. Il faut vraiment décider avant d’enregistrer : « Ceci est l’arrangement final et on fera ça. » Donc c’est une autre façon de penser, alors que si tu enregistres instrument par instrument, tu peux retirer quelque chose, changer toute la tonalité de la chanson si tu veux, mais tu ne peux pas le faire si tu enregistres en live. Donc ça requiert un peu plus de planification mais ensuite, une fois que tu as tout prévu, ça va bien plus vite.

Tu as aussi déclaré que les « métronomes sont l’ennemi. » Est-ce que les métronomes sont une contrainte pour votre créativité et votre expression ?

Lorsque j’enregistre à la maison, j’utilise généralement un métronome pour garder le tempo, et lorsque j’étais plus jeune et que je m’entraînais comme un malade, je m’entrainais avec un métronome, mais ça tue le fun ! Avoir un métronome sur scène, genre avec un batteur qui joue tout le concert au clic, ce n’est pas marrant, selon moi ! En fait, c’est une question d’interaction humaine, ça n’a pas à être parfait, le tempo n’a pas à être régulier. Il peut un peu bouger, du moment que ça sonne bien. Et je pense que beaucoup de gens ne se font suffisamment pas confiance ou à leur propres oreilles pour ne pas enregistrer avec un métronome. Il y a des choses que tu ne peux pas faire, vraiment, si tu as un métronome. Si tu joues sans métronome, tu peux peut-être tenir une notre rien qu’une toute petite fraction de seconde de plus et la faire sonner bien plus vivante. Evidemment, des tonnes de super musique ont été enregistrées avec un métronome mais pour moi, ça tue le fun.

Tu as aussi déclaré que « la partie la plus frustrante est toujours le chant. » Pourquoi ?

Parce que l’Anglais n’est pas ma langue maternelle, donc je ne veux pas faire de bourdes et chanter quelque chose qui n’a pas de sens. Et aussi, c’est vraiment important pour moi ! J’en ai tellement marre des groupes qui ont de mauvais textes que je veux avoir de bons textes et des textes qui peuvent faire réfléchir les gens et qui parlent vraiment de quelque chose, et aussi quelque chose que je ne regretterais pas dans un an ou deux et que je peux défendre. Parce que ça sortira en quelques milliers d’exemplaires, donc autant que ce soit comme il faut. Voilà pourquoi c’est si important pour moi et pourquoi je m’en soucie autant, et ça fait que c’est très frustrant parfois.

« Ce n’est pas un album politique, c’est un album de rock. C’est un album de rock avec de la substance. »

Le titre In Ignorance We Trust détourne la devise américaine In God We Trust, et apparemment, le contexte politique en Amérique avec Donald Trump en tant que président a influencé tes thèmes. Du coup, quelles idées as-tu voulu transmettre avec cet album ?

Je trouve qu’il est vraiment frustrant de regarder le monde et voir à quel point les gens sont contre les faits, ils pensent que ce que les experts et scientifiques disent est une chose qu’ils peuvent combattre avec leurs propres opinions. Ce n’est pas comme ça que ça marche ! Je veux dire que la science est la science et sera toujours la science, et choisir de ne pas l’admettre, ou ne pas vouloir la comprendre, ou ne pas vouloir comprendre le monde ou ce qui se passe, et essayer de trouver des réponses faciles à des problèmes difficiles, ça me dérange parce que ça montre que tu es réticent à apprendre et c’est très, très dangereux. Regarde simplement ce qui se passe un peu partout. J’étais très content des élections françaises, de la tournure qu’elle a finalement prise, parce que tu ne sais jamais de nos jours, si tu regardes le reste de l’Europe ou l’Amérique. Je pense que le racisme, l’injustice et toutes ces choses, la frustration que les gens ressentent est souvent enracinée dans l’incompréhension, que ce soit des intentions politiques cachées derrière telle ou telle chose, de comment le monde fonctionne vraiment et ce qui motive les guerres, et de ce qui motive différentes choses politiques. Se contenter d’accuser les victimes, accuser les réfugiés, les voir comme étant le problème plutôt que de comprendre ce qui se passe vraiment, c’est de l’ignorance et c’est tellement, tellement dangereux et triste. Donc je pense à ces choses et je me suis dit pourquoi ne pas en parler ? Et surtout l’Amérique, ça bat tous les records. Donald Trump en tant que président, ils en ont plaisanté dans les Simpsons il y a longtemps parce que c’était inimaginable ! Maintenant, ça fait un an et demi qu’il est président, il a brisé chacune de ses promesses, évidemment, parce que ce n’est pas les gens qui l’intéressent, c’est autre chose.

Tu as mentionné la science, mais la base de la science est en fait de défier la théorie actuelle, jusqu’à ce qu’une nouvelle la remplace, donc peut-être qu’en science il n’y a pas de fait ultime parce qu’ils évoluent et changent, il y a toujours cette remise en question…

Ouais, je vois ce que tu veux dire. Isaac Newton avait raison jusqu’à ce qu’Einstein arrive, et c’est ainsi que la science fonctionne, et il y aura toujours une frontière derrière laquelle se tient la science. Mais ce qui est beau avec la science est qu’on a des expériences, on a des preuves hors de tout doute raisonnable, ce qui signifie que c’est la chose la plus vraie qu’on pourrait trouver, selon moi. Et je vais choisir ce qui est vrai, tant que c’est… Par exemple, ça ne me dérange pas de changer d’avis si quelqu’un paraît plus sensé que l’autre gars. Je ne suis pas obstiné, je n’ai pas peur de mieux comprendre et dire « oh oups, j’avais tort il y a cinq ans. » Mais la seule chose que nous ayons vraiment, la chose la plus proche d’une honnête vérité dans la compréhension de ce qui se passe autour de nous est la science, et c’est la même physique qui fait marcher nos ordinateurs et qui nous donne l’âge de l’univers ou que le big bang était vraiment quelque chose. Donc ceci, pour moi, est une meilleure théorie qu’un mec chauvin dans le ciel qui déteste quasiment tous les êtres humains et veut que tu brûles en enfer, à moins de lui montrer de la gratitude pour le restant de tes jours. Ça ne me paraît pas être une théorie raisonnable. Donc je fais confiance à la science. Comme Ricky Gervasi l’a dit dans une interview – je crois que c’était lui, soit lui, soit Neil DeGrasse Tyson, le physicien [petits rires] : « Si tu brûles tous les livres, toutes les religions et toutes les autres explications pour le monde, les livres religieux reviendront et seront totalement différents, mais les livres de science seront identiques. » C’est une belle pensée !

Est-ce que tu qualifierais cet album de politique ?

Non, il a simplement de la substance ! J’ai fait attention avec les chansons à ne pas donner l’impression que je suis juste là à essayer de pousser les gens à changer d’avis. Je veux que les chansons soient de bons morceaux de rock. En fait, chanter « tuez-les tous », c’est cool mais il y a un sens plus profond, donc j’essaie de faire les deux : « oh faisons la fête, oh ouais ! » et aussi quelque chose que je peux vraiment défendre et expliquer, mais ce n’est pas un album politique, c’est un album de rock. C’est un album de rock avec de la substance.

Tu as déclaré dans le temps qui sépare Goodbye Repentance et ce nouvel album, vous avez été dans plus de bagarres, êtes devenus moins beaux et avez pris encore plus de décisions regrettables. Quelles décisions avez-vous regrettées ?

Je ne les regrette pas vraiment sur le long terme. Peut-être que je peux me réveiller et être un peu anxieux à propos de quelque chose que j’ai fait, « oups, j’ai déconné avec ça », et ça fait partie de la vie, tu fais des choses et ensuite tu apprends en… J’appelle ça le principe de la clôture électrique : tu la touches et ensuite tu sais qu’il ne faut pas y retourner. Donc tu fais du mal à des gens et tu fais des choses stupides, et ensuite, tu essaies de ne plus jamais les refaire. Je suppose que ça fait partie du fait de grandir ou d’être un être humain. Et nous sommes un peu plus, je ne dirais pas fatigués, mais plus aussi chahuteurs. Tu sais, lorsque j’avais vingt-quatre ans, j’étais plus là à vouloir être partout et tout le temps bruyant. Désormais, j’ai tendance à réfléchir davantage aux choses avant de les aborder, quoi que ça puisse être. Donc, tu sais, nous vieillissons !

Interview réalisée par téléphone le 18 juillet 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jennika Ojala (1 & 2) & Sergio Albert (4 & 5).

Site officiel de Dead Lord : www.deadlord.com.

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