Il est des villes qui, dans la grande Histoire du Rock, mériteraient qu’au moins un volume entier leur soit consacré. Ainsi en est-il de Detroit, ville de musique autant que peuvent l’être des métropoles comme Londres, Berlin, New York ou San Francisco, qui a fait autant pour les musiques Noires pour avoir été le berceau de la Motown, que pour les musiques dures, que ce soit le hard rock, le punk ou le metal, dès les fondations de celles-ci. Alice Cooper, Grand Funk Railroad, MC5, The Stooges, et on en passe, ont tous leurs racines plantées dans la Motor City. Et c’est aussi en eux que les musiques que vous aimez, vous qui lisez ces lignes, ont leurs propres racines.
Et quand Metallica avait annoncé qu’il planterait son prochain festival Orion dans la capitale du Michigan, on pouvait parfaitement s’attendre à ce que les Californiens fassent preuve de piété en rendant hommage à ces fondations. Mais surprise ! Agréable surprise quand on a finalement découvert le nom retenu. Un groupe peu connu (pour ne pas dire quasi inconnu) mais au nom qui parle pourtant aux oreilles des metalleux : Death. Un nom qui a tout de suite intrigué les fans de metal dont les réactions furent, généralement : « Death se reforme ?! Sans Chuck Schuldiner ?! ». Ou encore, découvrant la réalité : « C’est un autre groupe qui s’appelle Death ?! Ils ont le droit ? ».
Oh oui, ils ont le droit ! Et il faudrait plutôt poser la question dans l’autre sens : est-ce que Schuldiner avait le droit d’appeler son propre groupe ainsi alors qu’un autre portait déjà ce nom dix ans avant la formation de celui que vous connaissez ? (1) Mais cette question est parfaitement inutile et ce point mérite plus d’être traité comme une anecdote curieuse et amusante. Ce qui compte, c’est que vous sachiez qui sont ces homonymes.
Tout comme l’album de reprises Garage Inc de Metallica était l’occasion de découvrir quelques groupes restés en deuxième ligne de l’Histoire du Rock (la majorité des fans des Four Horsemen connaissait-elle des groupes comme Budgie ou Diamond Head, étaient-ils sensibilisés à la qualité des chansons de Nick Cave & The Bad Seeds avant de les entendre sur ce disque ?), le festival Orion permettra sans doute au public des Mets de faire une intéressante découverte.
Death est un cocktail de particularité et d’originalité, déjà bien avant qu’on en vienne au chapitre de sa musique. C’est d’abord une fratrie qui est à la base de cette formation. On a déjà vu dans le rock des groupes comptant dans leurs rangs deux frères, mais un trio qui ne serait composé que de trois frères, David (guitare), Bobby (chant et basse) et Dannis Hackney (batterie), c’est beaucoup moins banal. Ajoutez à cela le fait qu’ils sont Noirs et vous obtenez un phénomène unique : le premier groupe punk rock 100% Noir.
C’est quasi gênant d’avoir à le souligner mais, même si le noir n’est pas étranger au rock, étant à la base même du genre, dans ses excroissances les plus dures et les plus métalliques, on a vite fait de recenser les musiciens noirs dans le hard rock et le metal aujourd’hui (à moins d’aller les chercher au Botswana). Et plus encore dans les Seventies où, depuis la mort d’Hendrix, il ne restait plus que Phil Lynott (un métis d’ailleurs) pour rajouter un peu de couleur aux musiques saturées. Au moins dans les sphères les plus en vue. Car même si Death a de quoi attirer les regards, il n’est pas absolument isolé dans sa singularité. D’autres formations totalement afro-américaines font aussi parler les watts à cette époque mais on les compte sur les doigts d’une main estropiée. Celles-ci s’appellent Black Merda (joli nom, mais ça se prononce « Black Murder ») et Demon Fuzz, mais sont tout aussi proches de la funk, alors que Death est certainement le seul groupe qu’on pourrait qualifier de proto-Bad Brains (2).
Les frères Hackney, dès leurs premiers enregistrements en 1974 et 1975 (jamais sortis à l’époque et réunis depuis sur l’album …For The Whole World To See), furent à l’avant-garde du punk/hardcore US. Ayant bien digéré les bibles proto-punk que sont Raw Power et Kick Out The Jams, ils n’ont assimilés que la haute énergie, directe, sans concession de leurs auteurs, les débarrassant de toute l’ivraie des années psychédéliques qui les enrobaient encore, les trempant seulement dans le sens du groove imparable du R’n’B. Ainsi seuls persistent quelques organes atrophiés des décennies passées et en cours du rock : toute ébauche d’intro, de solo (un seul solo de batterie, pétarade de quarante secondes, des soli de guitares morts-nés), de progression n’est que vestige, appendice minuscule hérité de leurs ancêtres (pourtant pas si éloignés).
Tout juste sacrifient-ils à la bonne vieille tradition de la ballade sur « Let The World Turn » mais non sans y cacher un attentat rock au milieu qui vient exploser cette accalmie, la replaçant dans ce qui préfigure la furie punk qui va se déverser deux à trois ans plus tard dans les rues de New York et Londres. Une forme d’urgence qui se traduit par des morceaux de moins de trois minutes, des courses de basse, guitare et batterie qui offrent l’élan à la voix qui envoie ses paroles comme des pavés, répétant ses slogans à tue-tête comme s’il n’y avait rien de plus à dire : « Keep On Knockin' », « Where Do We Go From Here? ». Des boulets d’électricité tirés sur l’ordre d’un « One, two, three, four » proto-ramonesque (« Rock’n’Roll Victim », « Politicians In My Eyes »), ou d’un simple cri aussi fou que bref et soudain en guise d’introduction à « Freakin’ Out ».
Mais c’est probablement cette avance qui a, en partie, maintenu les artilleurs Death à la remise d’armes. Comment une maison de disques allait-elle pouvoir vendre ça ? Surtout dans les années 70. Un groupe du nom de Death, après les vagues punk nihilistes, NWOBHM et thrash metal, on pouvait intégrer cela dans le années 80. Mais seulement cinq ans après la mort du Flower Power et alors que les Sex Pistols têtent encore leurs bières sur les bancs de l’école, avec un nom et une musique pareille, c’était sans doute trop radical, trop sec, trop d’un coup.
Surtout un groupe noir, comme le racontent au New York Times les gens du studio Grooseville où ils avaient enregistrés ces chansons : « Je savais que ces gamins [ils avaient alors entre 17 et 21 ans, ndlr] étaient géniaux, mais tenter de se faire une place en tant que groupe noir dans le rock’n’roll était dur à l’époque. […] Tout le monde butait sur leur nom. C’était vraiment un inconvénient. Quand on disait à quelqu’un le nom du groupe, les gens ne comprenaient pas pourquoi on appellerait un groupe Death. » Et bien sûr, il n’était pas question pour eux de se trouver un autre nom de baptême, il y avait un concept là derrière. Raison pour laquelle, ces enregistrements ne furent jamais distribués à l’époque, si ce n’est un single, en indépendant, sans succès.
Par bonheur, pour tous les collectionneurs et les amateurs d’histoire du rock et de ses recoins obscurs, le label Drag City a finalement sorti ces premiers enregistrements de frères Hackney en 2009, eux qui ne pensaient pas revenir un jours à leurs premières œuvres. Après l’échec de Death, ils étaient revenus à leur bases : un groupe plus orienté soul / gospel rock du nom de 4th Movement, avant que Bobby et Dannis se mettent au reggae dans les années 80 dans un groupe du nom de Lambsbread (toujours actif). Et aujourd’hui, Death est de retour. Mais sans David, décédé en 2000, remplacé par Bobbie Duncan à la guitare, venu de Lambsbread, suivant les deux frangins. Aujourd’hui, ils sont à l’affiche de l’édition 2013 du festival fondé par le plus grand groupe de metal en activité, ils préparent un nouvel album, et un documentaire sur leur histoire n’attend plus que de sortir. Alors, après 2013, quand vous parlerez de Death à quelqu’un, il ne faudra plus vous étonner s’il vous demande : « le groupe de death metal ou de punk ? ».
Notes :
1) On peut aussi souligner qu’un Iron Maiden sévissait déjà en Angleterre à la fin des années 60, et que, pendant un temps, le groupe que vous connaissez depuis sous le nom de Pink Floyd, à ses débuts, s’est appelé The Megadeaths à une époque où Dave Mustaine était encore au jardin d’enfants.
2) Un petit conseil bibliographique au passage, car cette découverte n’aurait pas été possible pour moi sans le livre « Hard ‘n’ Heavy, 1966 – 1978, Sonic Attack » de Jean-Sylvain cabot et Philippe Robert, aux Éditions Le Mot Et Le Reste.
putain,énorme
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merci, super intéressant.
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Merci pour ces decouvertes musical !
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