C’est l’angoisse de nombreux groupes et artistes dits « historiques » : être ringardisé et se faire balayer par la jeune génération. Un « dégagisme » que le jeune Dee Snider chantait lui-même en 1984, dans la chanson « Stay Hungry » : « Si ton feu s’est estompé et que tu ne peux plus le ressentir, si tu es fatigué et surfait, laisse-moi te montrer la porte de sortie. » Trente-cinq ans plus tard, le chanteur est passé dans le camp des « vieux » et, après avoir mis Twisted Sister à la retraite il y a cinq ans, il s’est forcément posé des questions sur la suite de sa carrière.
Les réponses, il les a trouvées en deux temps. D’abord, avec sa collaboration avec Jamey Jasta qui s’est donné pour mission de prouver que Dee Snider avait sa place sur la scène metal contemporaine. Mission réussie avec un For The Love Of Metal (2018) unanimement salué. Ensuite, en réalisant en cette période troublée qu’il avait plus que jamais des choses à dire et une tribune que peu de gens ont. Il allait donc donner une voix à ceux qui ne peuvent pas se faire entendre.
Ainsi est né Leave A Scar, un album dans la continuité de son prédécesseur, mais avec un peu plus d’influences heavy classiques, histoire de tendre aussi la main aux anciens fans réfractaires au changement. Car après tout, lui-même a connu des réactions de rejet – à l’apparition du death metal, notamment – avant d’embrasser la grande famille du metal telle qu’on la connaît aujourd’hui, dans toute sa diversité. Nous discutons de tout ceci et plus encore avec un Dee Snider toujours aussi agréable et captivant.
« Le nouveau metal est une putain de fontaine de jouvence ! Vous avez envie de rester jeunes éternellement ? Continuez à écouter de la nouvelle musique, de nouvelles idées, de nouveaux groupes, ça vous rafraîchira et ça entretiendra votre jeunesse. »
Radio Metal : Tu as récemment révélé que fin 2019, pour toi, ta carrière dans l’enregistrement et la performance live était terminée, sans pour autant l’annoncer au monde. Mentalement, tu avais décidé que c’était fini. Qu’est-ce qui t’a fait ressentir ça, surtout après l’album For The Love Of Metal et son cycle qui avaient été particulièrement convaincants ?
Dee Snider (chant) : Plusieurs choses, mais avec le succès de For The Love Of Metal et mon retour au sommet de mon art, pour ainsi dire, et l’accueil que j’ai eu, je me suis dit : « For The Love Of Metal a été tellement bien reçu, pourquoi ne pas en rester là ? Peut-être que c’est le moment de se retirer. Ne fous pas tout en l’air [rires]. Tu as essayé un certain nombre de choses et maintenant, tu as enfin trouvé ta place et tu as ce super album qui s’est hissé au sommet des classements metal et du Billboard aux Etats-Unis. » J’avais de toute façon le sentiment d’être en fin de parcours, musicalement. J’ai écrit un roman, j’ai créé une émission pour enfants ici, j’ai réalisé mon premier film qui arrive bientôt, etc. Donc je fais tous ces autres trucs sur le plan créatif qui prennent du temps. Donc je me suis dit : « Ok, d’accord, je pense que je suis prêt à me retirer. » Dans ma tête, c’était le cas, mais en 2020, un paquet de trucs se sont passés, y compris le Covid-19, et ça m’a fait réaliser que je n’en avais pas fini.
Pour la composition de For The Love Of Metal, tu avais compté sur Jamey Jasta, les frère Bellmore et des gens de Lamb Of God, Killswitch Engage, Toxic Holocaust, Disturbed, etc. Avec Leave A Scar, tu poursuis dans une direction similaire, sauf que tu as déclaré : « Pour la première fois depuis les années 90, j’ai voulu – non, j’avais besoin de – prendre part au processus de composition. » D’où est venu ce besoin ?
C’est vraiment venu avec l’inspiration et l’envie de retourner en studio. A l’ère du Covid-19 et avec l’état de la politique partout dans le monde – pas juste dans mon pays, c’est la folie dans plein de pays aujourd’hui, de façon similaire, à bien des égards, à ce qui se passe en Amérique, même si nous sommes peut-être à un autre niveau – j’avais des choses à dire et je voulais les dire. Ce qui m’a fait basculer en partie, c’était un tweet que quelqu’un m’a envoyé. Ça montre comment un tweet peut affecter certaines personnes, pour le meilleur et pour le pire. J’étais en train de m’emporter sur les réseaux sociaux en disant que les gens devaient se dresser, repousser, riposter, ne pas laisser l’extrême gauche et l’extrême droite parler à leur place, qu’il fallait parler pour soi. Et quelqu’un a tweeté et a dit : « Dee, on n’a pas tous la tribune ou la voix que tu as. On n’a pas la même capacité à se faire entendre que toi. Qu’est-on censés faire ? » J’ai dit : « Eh bien, soutenez les gens qui parlent pour vous. » J’ai réalisé alors que j’étais une de ces personnes. Je suis de ces personnes à qui on a donné une tribune, une voix. Je parle pour les autres, je l’ai toujours fait, c’est mon boulot. Donc même si je réussis très bien dans ma vie, j’ai du succès, je suis heureux, je suis en bonne santé et ainsi de suite, ce n’est pas le cas de tout le monde. On m’a fait un don, la capacité de crier pour les autres, la capacité de retenir l’attention des gens avec ce que je dis. J’ai donc réalisé qu’il fallait que je m’exprime haut et fort à nouveau. Encore une fois, c’est la raison pour laquelle j’avais quelque chose à dire.
Est-ce que ça veut dire que tu n’avais pas grand-chose à dire durant les vingt années précédentes ?
Je suppose ! J’imagine que ça me convenait de ne pas m’exprimer. Je n’y pensais même pas vraiment, mais il y a aussi que je n’avais pas le sentiment d’avoir la bonne direction ou la bonne connexion musicale pour faire entendre ma voix. J’ai fait un album solo qui était constitué de chutes de Twisted Sister, Widowmaker et Desperado et qui s’appelait Never Let The Bastards Wear You Down. J’ai fait un album de reprises rock de morceaux de Broadway, avec des chansons d’autres gens. J’ai fait un album de rock mainstream qui s’appelait We Are The Ones sur lequel je n’ai pas composé. Puis on passe à For The Love Of Metal et je n’ai pas composé dessus. Donc je suppose que je n’avais pas l’impression d’avoir irrépressiblement quelque chose à dire ou d’avoir un moyen de le dire.
Jamey Jasta, qui t’a initialement poussé dans cette direction de metal contemporain, a une nouvelle fois produit et supervisé l’album. Les frères Bellmore, qui ont aussi été importants pour l’enthousiasme qu’ils ont apporté, sont aussi encore de la partie. Comment votre collaboration a-t-elle évolué sur Leave A Scar ?
Avec le premier album, j’avais besoin d’un jeu de confiance – c’est lorsqu’on se laisse tomber en arrière avec quelqu’un qui est là pour nous rattraper, il faut avoir confiance que la personne ne nous laissera pas tomber par terre. Avec Jamey, j’avais vraiment besoin de faire un jeu de confiance. Il était là : « J’ai le truc en main. Fais-moi confiance Dee, je sais ce qu’il faut que tu fasses. Je sais ce que Dee Snider doit faire maintenant. » J’ai dit : « D’accord, je vais te donner mon entière confiance » mais je ne savais pas ce qui allait se passer. Je veux dire que j’étais ami avec Jamey, mais la seule chose que je l’avais entendu faire, c’était Hatebreed, et il n’y a pas de mélodie. Je n’étais donc pas sûr de ce qui allait se passer. Mais ensuite, quand nous étions dans le processus en studio et que ça prenait forme, tout d’abord, j’étais scotché par le talent de Jamey Jasta et des frères Bellmore, mais aussi j’ai pu voir et comprendre son idée de que je devais faire. Ensuite, les frères Bellmore et moi avons passé deux ans sur la route. De même, Russ Pzutto [à la basse] et Nick « Taz » Petrino à la guitare sont tout d’un coup passés de musiciens live à membres à part entière d’un groupe soudé.
« Le problème est que ces gens moralisateurs qui veulent décider pour les autres ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire, dans leur esprit, ils pensent avoir choisi le côté du bien. »
Donc maintenant, j’arrive pour faire Leave A Scar… Soit dit en passant, c’est la toute première fois que je suis revenu vers la même équipe de production pour deux albums consécutifs, je n’avais jamais fait ça dans toute ma carrière. Donc je suis revenu vers Jamey, j’ai dit que je voulais faire un autre album, il est là : « Super. » J’ai dit : « Mais je veux m’impliquer dans la composition. » Et il dit : « Super ! » Mais là, j’ai dit : « Ecoute, on se comprend, on sait comment on travaille, j’ai capté, donc maintenant on est une équipe. Je veux mon groupe, pas juste des musiciens de session sur l’album, et je veux que toi, Charlie et moi fassions toute la composition. On n’a pas besoin… » Et merci Howard Jones, merci Mark Morton, merci Oli [Herbert] d’All That Remains – qu’il repose en paix – et tous ceux qui ont contribué à For The Love Of Metal, mais maintenant j’avais compris et je ressentais que nous avions une équipe au sein de notre famille rapprochée. Donc nous sommes retournés en studio, cette fois je n’étais pas en train d’apprendre et de faire confiance, nous nous connaissions tous, nous savions ce que nous voulions faire et nous savions ce que nous devions faire, donc nous l’avons fait.
Vous avez infusé un peu plus de heavy metal classique sur Leave A Scar, si on compare avec For The Love Of Metal. Penses-tu que ça crée un bon équilibre entre le metal moderne et la forme plus traditionnelle de metal pour laquelle tu es réputé ? Est-ce le meilleur des deux mondes ?
C’est ce que nous avons essayé de faire. Je dis toujours que le fait d’être sur cette corde raide et de ne pas tomber d’un côté ou de l’autre est difficile. C’est facile d’être dans le tout ou rien. Ça aurait été facile d’aller à fond dans la nouvelle école de metal ou à fond dans la vieille école, mais essayer de trouver un équilibre entre les deux est difficile. Mais l’idée était d’essayer de séduire le public plus jeune, le public plus contemporain, pour qu’il ressente, comme Jamey le ressent, que Dee Snider a sa place aujourd’hui, mais aussi séduire tous ces vieux fans qui, pour beaucoup, sont vraiment coincés dans le passé. Tu sais bien, Nicolas, les vieux fans ne veulent pas évoluer ! « Il n’y a pas de bonne musique ! » Ils se plaignent et n’écoutent que les vieilles musiques. Les vieux trucs sont super, mais suivez-moi sur cette aventure, laissez-moi vous emmener. J’ai donc pensé que peut-être si j’avais un peu plus d’influence heavy classique là-dedans, je pourrais emmener certains d’entre eux vers le futur, ou au moins vers le présent [rires], car je dis aux vieux fans : « Le nouveau metal est une putain de fontaine de jouvence ! Vous avez envie de rester jeunes éternellement ? Continuez à écouter de la nouvelle musique, de nouvelles idées, de nouveaux groupes, ça vous rafraîchira et ça entretiendra votre jeunesse, la nouvelle musique est vive et excitante. Ce n’est pas toujours les mêmes vieux trucs. »
C’est une frustration pour toi que les vieux fans ne veulent pas évoluer ?
Oui, mais d’autant plus… Si c’est ce que vous voulez faire, si vous voulez rester dans le passé et vivre avec la musique de votre jeunesse, pas de problème, mais ne restez pas plantés là à dire qu’il n’y a plus rien de bon ou que le « rock est mort » comme Gene Simmons. « Il n’y a plus de Bob Dylan, il n’y a pas de nouveau Jimi Hendrix… » Faux, faux, faux et archi-faux. Sortez de chez vous, ouvrez vos oreilles, regardez autour de vous. Quand vous étiez jeunes, vous aviez l’habitude de chercher de nouveaux groupes. Quand j’ai découvert AC/DC, j’étais là : « Oh mon Dieu ! » Ils sortaient tout juste d’Australie, avant même qu’ils ne sortent l’album américain. J’étais le premier fan de Queen, depuis le premier jour ! « Liar », « Keep Yourself Alive »… Personne ne connaissait Queen à ce moment-là. Mais quand on est jeune, on cherche la nouveauté, on cherche ces groupes. Quand on devient vieux, on a tendance à se fermer l’esprit. Donc oui, c’est frustrant, parce que mes quatre enfants sont tous des metalleux. Ils ont grandi et ils m’ont emmené avec eux dans leur aventure de vie avec le heavy metal, ils m’ont emmené à des concerts, ils m’ont fait découvrir de nouveaux groupes, ils m’ont tenu au courant, pour que je comprenne ce qui se passait avec le metal et comment il évoluait et changeait. Je suis donc connecté à cette scène et les autres vieux ont besoin d’ouvrir leurs oreilles et leur esprit.
Tu as dit que le but était de faire un album rempli de messages pour les voix silencieuses dans le monde qui ont besoin de quelqu’un pour parler en leur nom. Est-ce que, plus largement, ça a été le but du hard rock et du metal pour toi : de la musique bruyante pour faire entendre les voix silencieuses et mener des « combats silencieux », pour reprendre le titre d’une de tes chansons ?
Certainement quand on ressent le besoin de crier. Quand on est en colère et frustrés, le heavy metal est la meilleure musique sur laquelle crier. On ne peut pas vraiment crier sur de la pop, du disco ou du jazz. Il faut une forme de musique qui nous permet de crier. Donc le metal m’a toujours séduit pour cette raison. J’ai toujours soutenu que le metal était… au-delà de la fontaine de jouvence, c’est aussi un remède aux problèmes mentaux. La frustration, la colère, le chagrin, la tristesse, la dépression, toutes ces émotions sombres sont très bien libérées au travers du heavy metal. Regarde lors de n’importe quel concert ou festival de heavy metal, on voit les gens hurler, crier, pogoter, lever le poing, montrer leurs dents, et ensuite rire, suer, en joie, soulagés. Après, on se sent bien. Donc je suis un fervent défenseur du metal. Il n’y a rien de mieux que le heavy metal pour exprimer ça.
« Qu’on aime ou pas, c’est notre famille et on doit rester soudés et se soutenir les uns les autres. On n’est pas obligé d’acheter les albums si on n’aime pas, on n’est même pas obligé d’écouter les groupes qu’on n’aime pas, mais ne les démolissez pas. Ça ne fait qu’affaiblir notre communauté. »
La chanson « Time To Choose » traite du sujet du bien contre le mal, que tu as souvent abordé au cours de ta carrière. Penses-tu qu’on soit à un tournant, que plus que jamais, il est temps de choisir entre le bien et le mal ?
Oui et non. Prends « You Can’t Stop Rock ‘n’ Roll », par exemple. J’ai écrit ça à la fin des années 70 et maintenant la chanson est plus éloquente que jamais avec le Covid-19. Je l’ai chantée l’autre soir pour la première fois, elle a pris un tout nouveau sens après l’impossibilité de jouer du rock pendant presque deux ans, mais quand j’ai écrit cette chanson, je n’ai jamais pensé que c’était sa signification. Regarde « Sin After Sin », « Burn In Hell », un tas de chansons tout au long de ma carrière ont traité du sujet du bien et du mal, avertissant les gens que, peut-être même sans qu’ils s’en rendent compte, leurs actes choisissent à leur place et affectent leur vie, qui ils sont, ce qui les définit et ce qu’ils défendent. Mais oui, avec « Time To Choose », je rechante à ce sujet, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, plus que jamais, les gens sont au bord d’un précipice où ils font des choix, sans réaliser que ce sont des choix sombres la plupart du temps, qu’ils sont égoïstes et qu’ils font fausse route. Toutes ces chansons, comme « Burn In Hell », « Sin After Sin » et d’autres que j’ai écrites au fil du temps sur le bien et le mal ont plus de sens aujourd’hui que lorsque je les ai initialement écrites.
D’un autre côté, les notions de bien et de mal ne sont-elles pas plus brouillées que jamais de nos jours ? Je veux dire qu’il suffit de regarder la cancel culture : c’est une forme de censure comme celle contre laquelle tu t’es battu par le passé mais à une plus large échelle, et ils sont convaincus de faire le bien…
Oui. C’est drôle, quand tu as commencé à poser cette question, ça m’a fait penser à Ronnie Dio avec la pochette de l’album Holy Diver. Il débattait sur l’image et disait : « Qui peut dire quel personnage représente le bien et lequel représente le mal ? » Je disais : « Ronnie, ce qu’on voit là avec les cornes, c’est la représentation admise de Satan, et là c’est la représentation admise du prêtre qui se noie avec les chaînes. Donc tu peux te la jouer artiste et débattre de qui peut dire, mais c’est plus ou moins établi – le bon et le mauvais sont établis » [rires]. Mais pour parler de… Je n’aime pas le terme « cancel culture » parce que c’est mal employé et ça comprend trop de choses, mais oui, avec la censure… Ça a toujours été le cas, ceci dit. Les gens qui font passer les lois, censurent et essayent de contrôler les choses, que ce soit les conservateurs dans le temps ou maintenant les libéraux avec la culture du politiquement correct, ils pensent qu’ils font le bien. J’écris des scénarios et il y a un adage : tout le monde est un héros dans sa propre histoire. Ces gens à Washington qui ont prit d’assaut le bâtiment du Capitole, ils vont en prison, mais ils pensaient faire le bien. Tout comme Hitler ! Il pensait faire le bien. Le problème est que ces gens moralisateurs qui veulent décider pour les autres ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire, dans leur esprit, ils pensent avoir choisi le côté du bien.
Fais-tu plus attention aujourd’hui à ce que tu dis, écris ou fais par rapport aux décennies passées ?
Non, mais j’en ai conscience, or je ne devrais pas. Laisse-moi t’expliquer avec un parfait exemple. J’étais en train d’écrire la chanson « In For The Kill » et on y trouve une métaphore violente renvoyant aux armes à feu : « In for the kill, fire at will. » J’ai utilisé ces métaphores toute ma vie et tu es un rédacteur, je suis un rédacteur, la métaphore est outil qu’on utilise. C’est un outil important pour le rédacteur. Pourtant, maintenant, quand on utilise une métaphore, on nous interroge sur le choix des mots. Je n’ai pas changé les mots, mais rien que le fait que j’en étais conscient et que j’ai dû y réfléchir en tant que personne créative, ça craint. Ça fout en l’air le processus créatif, quand tu te retrouves à avoir conscience des mots que tu écris et à penser : « Oh, quelqu’un pourrait mal le prendre. Et si quelqu’un était contrarié par ci ou ça ? Tu ne peux pas dire ceci maintenant, tu ne peux pas dire cela. » Je dis quand même ce que je compte dire, mais encore une fois, je ne devrais pas avoir à y penser.
« Le metal ne devrait pas être grand public. Le metal survit parce qu’il est dans les ruelles, il est dans l’ombre. Ça ne devrait pas être de la musique pour tout le monde, et quand ça l’est devenu, il a presque péri. »
Dans « Crying For Your Life », tu chantes : « You did the crime, now do the time » (tu as fait le crime, maintenant purge la peine, NdT). Est-ce directement adressé à Jon Schaffer ?
Oh oui, mais pas seulement à lui. Il reflète l’époque. C’est l’exemple qui illustre parfaitement ce que sont un bon nombre des plus jeunes – quand je dis « plus jeunes », je veux dire plus jeunes que moi, les générations plus récentes. Je viens d’une époque où on assumait la responsabilité de nos actions. On ne montrait pas du doigt d’autres gens, on n’accusait pas d’autres gens ou on ne cédait pas quand ça nous arrangeait. On campait sur nos positions et on était fiers de qui on était. C’est ainsi que j’ai été élevé. Dans la famille de ma femme, ils sont presque tous morts aujourd’hui, mais ils étaient dans la mafia et ils ont passé beaucoup de temps en prison. Ils étaient de la vieille école, ils étaient là : « Tu fais le crime, tu purges la peine. » Tu ne fais pas le mouchard, tu ne balances pas, tu ne dénonces pas d’autres gens pour te sortir du pétrin. Tu as été arrêté ? Tu as perdu la bataille, pour ainsi dire, et tu vas en prison, tu purges ta peine, tu sors, et c’est tout. Donc maintenant, les plus jeunes aujourd’hui, c’est une génération – les millennials – où on désigne souvent des coupables, on accuse beaucoup, on raconte un tas de jérémiades, on se plaint, et c’est de ça vraiment que parle la chanson. Schaffer était un peu le fer-de-lance, mais ça reflète l’époque dans laquelle on vit où les gens ne veulent pas assumer la responsabilité de leurs propres choix.
L’album s’ouvre sur le morceau « I Gotta Rock (Again) ». Cette chanson fait directement écho à « I Wanna Rock » de l’album Stay Hungry, qui était l’un de tes hymnes rebelles. Dans le clip vidéo d’« I Gotta Rock (Again) », on voit un rockeur se libérer de ses chaînes. Penses-tu que le rock a le même pouvoir libérateur et peut-être rebelle en 2021 qu’en 1984 ?
La réponse à cette question spécifique, c’est oui, je le pense. En tant que compositeur, je travaille toujours à partir de titres de chansons et tout au long de ma carrière de compositeur, j’ai noté des idées de titres, puis un titre donné inspirait une chanson, et « I Gotta Rock (Again) » était juste une idée idiote qui m’était venue en tête. C’était une affirmation évidente. En regardant la télé pendant la pandémie de Covid-19, j’ai dit : « Purée, il faut que je refasse du rock ! » Puis j’ai ri en me disant que c’était un pur titre à la Dee Snider ! [Rires] Comme « Bad Boys (Of Rock ‘n’ Roll) », « I Believe In Rock And Roll », « You Can’t Stop Rock ‘n’ Roll », « I Wanna Rock »… Genre je suis toujours là : rock, rock, rock ! Donc je l’ai noté : « I Gotta Rock (Again) ». Donc je travaille à partir de titres, mais je me suis dit qu’à chaque fois que je recommence à écrire des textes, si je regarde mes paroles, historiquement, je suis toujours en train de parler de faire du rock d’une façon ou d’une autre. C’était donc mon inspiration, mais oui, je trouve vraiment que le rock n’ roll est une super manière de communiquer ces sentiments importants et rebelles.
La chanson « Time To Choose » voit la participation de George « Corpsegrinder » Fisher de Cannibal Corpse en tant qu’invité. Tu as vu cinquante ans de rock et de metal évoluer, tu as vu l’arrivée du black metal, du death metal, etc. Te souviens-tu de ta première réaction quand tu as entendu pour la première fois ces formes extrêmes de metal et de chant ?
Il se trouve que oui, je m’en souviens, et j’étais horrifié ! Je n’ai pas compris. J’ai trouvé ça choquant, et c’était étrange que je réagisse comme ça. Je venais de me mettre à la radio et j’avais ma toute première émission, ça s’appelait Metal Nation. C’était le début des années 90. Je diffusais les tout derniers groupes de metal, et quand le premier album de Cannibal Corpse est sorti, j’étais là : « Putain, mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?! » Maintenant, je remercie mes enfants qui sont tous des metalleux, ils sont tous adultes aujourd’hui, mais au fil des années, ils m’ont emmené dans leur aventure avec le metal et m’ont connecté, fait découvrir, montré, emmené aux concerts avec eux et aidé à comprendre. J’ai été béni de cette façon, car j’avais la réaction typique d’un vieux fan : « C’est quoi ce bordel ?! » Mais maintenant je respecte, j’apprécie et je vois la valeur de cette musique.
C’était mon idée d’inviter George Fisher sur cette chanson. Jamey Jasta a dit : « Je ne peux pas croire que tu sois en train de dire ça ! » J’ai dit : « Pourquoi tu ne peux le croire ? » Il a répondu : « Parce que personne dans ta génération n’apprécie et ne respecte cette génération. » J’y ai réfléchi et j’étais là : « En effet, je n’ai encore entendu personne du monde du metal traditionnel historique faire une chanson avec quelqu’un comme Corpsegrinder. » Mais j’adore ce qu’il fait et je trouve que c’est super sur cette chanson. Ca la rend encore plus puissante. Ensuite, quand Napalm Records l’a entendue, ils ont pété un câble. Cette chanson, d’ailleurs, était un titre bonus que nous avons composé une fois l’album terminé. Napalm Records a voulu un titre bonus, un extra. Donc nous avons commencé à travailler sur « Time To Choose » et le morceau, de titre bonus, est devenu l’un des morceaux principaux. C’est en grande partie grâce à ce côté unique, au fait qu’un gars du metal classique unisse ses forces avec un chanteur typé death metal, black metal.
« Quand je me rends à des concerts et que je vois ces jeunes groupes, ça me fend presque le cœur parce qu’ils n’ont même plus le rêve de devenir riches en faisant ce métier. »
Il y a cinquante ans, comment imaginais-tu la scène metal aujourd’hui ?
Tout d’abord, merci. Je ne sais pas si tu réalises que tu es la première personne à reconnaître que je suis l’un des metalleux originels. J’étais là quand le premier Black Sabbath, le premier Led Zeppelin, le premier Blue Cheer, le premier Mountain, le premier Grand Funk Railroad et tous ces premiers albums sont sortis, et je les achetais et les adorais. Ça s’appelait du hard rock à l’époque, ça ne s’appelait pas du metal. Puis, progressivement, c’est devenu une forme de musique – ce hard rock – que certaines personnes, la Woodstock Nation, rejetaient. Je détestais la Woodstock Nation ! [Rires] « C’est stupide ! Qui a envie d’entendre Richie Havens et Country Joe And The Fish ? Qu’ils aillent se faire foutre ! Donnez-moi les trucs qui envoient ! » J’étais donc l’un des premiers gamins heavy metal. Todd Rundgren avait une chanson qui s’appelait « Heavy Metal Kids ». J’étais donc là et je l’ai vu évoluer et se développer. J’ai adoré et j’en suis venu à l’embrasser sous toutes ses formes. Donc je suis un vrai fan de metal. Je le dis à la communauté metal, j’ai toujours soutenu tout le metal. Qu’on aime ou pas, c’est notre famille et on doit rester soudés et se soutenir les uns les autres. On n’est pas obligé d’acheter les albums si on n’aime pas, on n’est même pas obligé d’écouter les groupes qu’on n’aime pas, mais ne les démolissez pas. Ça ne fait qu’affaiblir notre communauté. On a une part du gâteau, avec tous les autres styles, comme le jazz, la pop, le hip-hop, etc. Tout ça ce sont des parties du monde musical. Nous avons la nôtre. Ce n’est pas bon pour nous de nous battre entre nous : « Ce n’est pas du vrai metal. C’est du hair metal. C’est… » On est une famille. On devrait s’aimer les uns les autres comme une famille. On n’est pas obligé de tout soutenir, mais reconnaissez au moins que tout ça c’est du metal sous toutes ses formes.
Je suis désolé, je reviens à ta question initiale. Je vais commencer par la fin. J’ai presque contribué à tuer le metal. Il faut le dire. En tant que fan de hard rock, j’estimais que ça devait être partout. Cette musique devait être pour tout le monde. Je voulais que le monde accepte le heavy metal et reconnaisse à quel point c’est génial, puissant, fort et important. C’était mon combat avec des émissions telles que Heavy Metal Mania, le Headbangers Ball original que j’ai créé, et je voulais exposer le grand public au heavy metal. C’est arrivé à la fin des années 80 et au début des années 90, le metal a franchi la frontière et est devenu grand public. Ensuite, il a failli mourir car il a été surexposé. Le metal ne devrait pas être grand public. Le metal survit parce qu’il est dans les rues. Il est dans les ruelles, il est dans l’ombre. Ça ne devrait pas être de la musique pour tout le monde, et quand ça l’est devenu et que c’est devenu du hair metal, il a presque péri. C’est là que le metal a failli disparaître, dans les années 90 quand le grunge est arrivé, mais il est revenu, il est fort à nouveau et il est là où il doit être. Il doit être dans l’ombre. Il ne doit pas être sur les radios grand public.
Comment comparerais-tu l’ambition et les objectifs des jeunes musiciens de rock aujourd’hui à ceux que tu avais quand tu as commencé ? A quel point est-ce que ça a changé ?
As-tu lu certaines de mes autres interviews, Nicolas ? Car tes questions me font vraiment dire que tu m’as déjà entendu parler avant et j’adore ça, car c’est le genre de question que j’ai envie qu’on me pose. J’ai voulu être une rock star toute ma vie. Je voulais être une star du rock n’ roll riche et célèbre. Je voulais être riche et je voulais être célèbre, or je n’avais aucun talent dans le sport, mais j’aimais chanter et j’aimais le rock n’ roll, donc je me suis dit que j’allais être une rock star. C’est ainsi que je voulais atteindre mon objectif de devenir riche et célèbre, en étant une rock star. Ceci n’est plus une option pour les nouveaux musiciens. Ils ne songent plus à devenir riches avec ça. Ils espèrent juste pouvoir gagner leur vie et faire ça pendant aussi longtemps qu’ils le peuvent. Donc le rêve est là, mais la passion est beaucoup plus réelle et authentique. Quand je me rends à des concerts et que je vois ces jeunes groupes, ça me fend presque le cœur parce qu’ils n’ont même plus le rêve de devenir riches en faisant ce métier. Ils le font en espérant simplement pouvoir payer les frais pour se rendre au prochain concert, et ils le font parce qu’ils adorent le faire, et c’est magnifique. Donc la passion n’a pas changé. L’amour de ce métier n’a pas chanté. Le désir n’a pas changé. Mais malheureusement, le rêve de devenir riche et célèbre en faisant ça, ça ne fait plus vraiment partie de l’équation. Ceci étant dit, ce que l’on obtient est très pur. Les jeunes qui jouent du rock n’ roll le font parce qu’ils ont besoin de le faire, tout comme je le chante dans « I Gotta Rock (Again) ». C’est ce que j’ai besoin de faire. Ça nous parle et on ne peut le faire sans le rock n’ roll.
« Les créatifs sont des gens abîmés. Nous sommes meurtris et c’est ce qui nous pousse à être créatifs. De façon intéressante, on vit dans un monde où, quand on découvre que ces créatifs sont abîmés, on les rejette et on rejette leur art, et je ne le comprends pas. »
L’album se termine avec la ballade très émotionnelle « Stand », qui est un appel aux auditeurs pour qu’ils prennent position et fassent entendre leur voix. C’est une chanson très valorisante pour finir l’album. Y a-t-il des chansons d’autres artistes qui ont fait ça pour toi ?
Tout d’abord, oui. Et c’était voulu après un album très agressif, puissant, rapide, intense. Il y a plein de messages dans toutes mes chansons, mais ça nous parvient comme si c’était tiré avec une arme à feu : « Boum, boum, boum, boum, boum, boum, boum, boum, boum ! » [Rires]. Ça s’arrête au dernier moment avec cette chanson et dans le premier couplet, je suis en train de parler : « Maintenant j’ai votre attention, écoutez-moi. Ceci est important. Vous devez savoir ça. » Et oui, il y a eu des chansons avec des messages… J’essaye de trouver un exemple précis, car il est clair que j’ai puisé mon inspiration chez différentes personnes et que sais-je encore. Alice Cooper, sa musique m’a vraiment parlé. Une chanson comme « I’m Eighteen ». Je crois que j’avais dix-huit ans quand elle est sortie ou dix-sept ans, quelque chose comme ça, mais c’était comme s’il me parlait directement, partageait avec moi ses sentiments et parlait pour moi. « Je suis un garçon et je suis un homme. » « Oh mon Dieu ! Ça me donne des frissons en pensant à mes putains de parents, ils attendent de moi que j’agisse comme un adulte, mais je suis encore un enfant. Ils me forcent à agir en adulte. Je suis un adulte, mais je suis aussi un enfant. » Une chanson comme celle-ci me parlait.
Il y a donc eu des chansons au fil des années qui ont vraiment communiqué… Judas Priest, Rob Halford est également très bon quand il s’agit d’exprimer des sentiments rebelles et de valoriser ses fans avec ses messages dans un certain nombre de ses chansons. Personnellement, c’est un peu ce que j’ai aussi décidé de faire. Je ne gâche pas une chanson. Je n’écris aucune chanson pour parler d’histoire fantastique. Je n’écris pas d’histoire imaginaire, comme « The Number Of The Beast », « j’ai fait un rêve… » Et j’adore « The Number Of The Beast », ne te méprends pas. De même, Led Zeppelin. J’étais fan de Led Zeppelin et Robert Plant a toujours chanté à propos de sujets presque spirituels, « we’re moving through kashmir », « remember laughter? », toutes ces conneries de hippy. Je n’ai pas le temps pour les rêves, le fantastique ou les conneries de hippy. Il faut que je dise des choses aux gens, « You Can’t Stop Rock ‘n’ Roll », « We’re Not Gonna Take It », « I Am (I’m Me) »… « Ecoute ce que je te raconte ! » J’essaye de communiquer avec mon public, de parler et d’écrire des mots qui leur permettent de s’exprimer.
Je sais que ce n’est pas forcément le sens que tu donnes au mot « cicatrice » dans la chanson (« Don’t leave your mark, leave a scar » – « Ne laisse pas ton empreinte, laisse une cicatrice »), mais on a toujours cette image des artistes comme étant des gens ayant des cicatrices et qui les utilisent pour créer leur art. Du coup, voici une question philosophique : les cicatrices font-elles l’artiste ?
Oui, c’est philosophique et très vrai ! C’est un très vaste sujet, je suis content qu’on ait le temps ! Tout d’abord, les créatifs sont des gens abîmés. Nous sommes meurtris et c’est ce qui nous pousse à être créatifs, curieusement. Ce sont nos cicatrices, nos cicatrices émotionnelles qui nous ont poussés à créer. De façon intéressante, on vit dans un monde – et tu parlais de la cancel culture, justement – où, quand on découvre que ces créatifs sont abîmés, on les rejette et on rejette leur art, et je ne le comprends pas. Les gens ne savent-ils pas que si Van Gogh a fait ses tableaux, c’était parce qu’il était perturbé ? Et Picasso ? Car ils étaient perturbés ! Tout comme les musiciens et les acteurs sont perturbés. Tous ces créatifs étaient des gens perturbés et abîmés ! Et pourquoi êtes-vous surpris quand vous découvrez que nous sommes perturbés et abîmés ? Nous sommes honnêtes à cet égard. Je pense que nous sommes très ouverts sur le sujet. Pourtant, des gens piquent une putain de crise parce que Dave Ellefson s’est masturbé devant une caméra. « Oh mon Dieu ! » Ce n’est pas ce qu’un paquet d’entre vous, les gens normaux, faites également ? « Oh non ! » Mais maintenant, on rejette son art parce qu’il a fait quelque chose de très humain.
J’ai des cicatrices, dont certaines sont méchantes, et elles sont ce qui me pousse à faire ce que je fais, et à le faire bien. Jusqu’à présent, je n’ai pas été rejeté à cause de mes cicatrices et je ne m’attends pas à ce que ça arrive, mais les gens doivent comprendre que les créatifs sont abîmés du fait de leur nature même. C’est pourquoi nous choisissons d’aller vers l’art et de prendre la direction que nous prenons. Je ne suis pas en train de dire qu’on doit nous pardonner pour nos blessures et nos cicatrices, mais ne soyez pas aussi surpris et ne nous rejetez pas quand vous découvrez que nous sommes abîmés. Êtes-vous choqués que Marilyn Manson ait des problèmes sexuels ?! Avez-vous écouté la moindre de ses chansons ? Pourquoi le regardez-vous comme ça ? Pourquoi êtes-vous si horrifiés que Marilyn Manson et Twiggy Ramirez soient des pervers ou bizarres ? Et je ne suis pas en train de dire que c’est bien qu’ils aient été physiquement violents ou je ne sais quoi, mais est-ce vraiment choquant ? Ça ne devrait pas l’être. Ça ne devrait pas vraiment être choquant [rires].
« L’extrême gauche et l’extrême droite sont des minorités, mais ce sont les gens qui parlent le plus fort dans la pièce et ils ne veulent pas la fermer. C’est pourquoi je dis à la majorité de prendre position, de laisser sa voix se faire entendre parce qu’autrement, ces minorités décideront à sa place, alors qu’elles ne devraient pas. »
Ton tube « We’re Not Gonna Take It » a été utilisé par diverses personnes au fil des décennies, y compris par des partis politiques et plus récemment par ceux qui sont contre le port du masque. Comment le jeune Dee Snider aurait réagi à la manière dont sa chanson est détournée ? L’aurait-il quand même écrite sachant ça ?
A cent pour cent, oui, je l’aurais quand même écrite. Et mon intention en l’écrivant était que ça soit une chanson pour que tout le monde puisse exprimer sa frustration. Maintenant, cela dit, c’était une époque où les jeunes, je pensais, étaient tous d’un côté et les vieux de l’autre côté, il y avait les conservateurs et il y avait les jeunes qui avaient l’esprit libre. A un moment donné au fil des années, ces lignes se sont brouillées et maintenant les libéraux agissent de manière très moralisatrice et cherchent des coupables. On a parlé de la cancel culture et ça vient des libéraux, principalement. Les conservateurs, sans grande surprise, sont devenus fous et utilisent maintenant « We Not Gonna Take It » comme leur cri de guerre, une chanson qui faisait partie des Filfthy Fifteen (liste établie au milieu des années 80 par le PMRC des quinze chansons de musique populaire jugées les plus répréhensibles, NDLR) et qu’ils voulaient interdire pour cause de paroles violentes.
Ce que j’ai appris au fil des années est que les gens n’écoutent pas les paroles [rires]. Ils écoutent seulement l’idée générale, genre : « Oh, on ne va pas l’accepter, ouais ! On ne va pas accepter ces vaccins ! On ne va pas accepter l’avortement ! » Et je dis : « Attendez une seconde, les premiers mots du premier couplet sont : ‘on a le droit de choisir’. Pro-choix, première phrase ! Et vous chantez la chanson ! Ne réalisez-vous pas que vous chantez une chanson pro-choix ? » Ils ne le réalisent pas parce que tout ce qu’ils entendent, c’est « on ne va pas l’accepter ». « Ouais, on ne va pas l’accepter ! » C’est malheureux que les gens n’écoutent pas les mots au-delà du refrain et c’est frustrant parfois, surtout quand les anti-vaccins de QAnon font une vidéo en utilisant « We’re Not Gonna Take It ». Et les anti-masques l’ont utilisé, et je n’aime pas ça parce que je trouve que c’est égoïste et extrémiste. L’extrême gauche et l’extrême droite sont des minorités, mais ce sont les gens qui parlent le plus fort dans la pièce et ils ne veulent pas la fermer. C’est pourquoi je dis à la majorité de prendre position, de laisser sa voix se faire entendre parce qu’autrement, ces minorités décideront à sa place, alors qu’elles ne devraient pas.
Cette chanson est clairement ton plus grand tube et l’un des plus grands classiques du rock. Te souviens-tu du jour où tu as composé « We’re Not Gonna Take It » ?
Oui ! C’était en 1980. Je ne peux pas te donner la date. J’avais de la chance de pouvoir constamment trouver des idées. En conséquence, comme je n’étais pas capable de me rappeler des idées, à moins de les noter, de les chanter sur une cassette ou quelque chose comme ça, je fermais mon esprit aux nouvelles idées, et quand j’étais prêt à créer, j’allais sur mon magnétophone ou mon bloc-notes, et je rouvrais mon esprit et je commençais à penser et à écrire des choses ou à enregistrer des idées. Comme je te l’ai dit, je travaille à partir de titres de chansons et « We’re Not Gonna Take It » en était un sur une liste. Il pouvait y avoir vingt, trente, quarante titres de chansons parfois là-dessus. Et je me posais avec un magnétophone et le titre me donnait une idée de comment devait être la chanson, comment je voulais qu’elle soit, et ensuite je commençais à chanter. J’ai chanté le refrain de « We’re Not Gonna Take It » en un seul morceau. C’est venu tout seul, rien que le refrain. J’ai arrêté le magnétophone et j’ai dit : « Bordel de merde ! D’où c’est venu ? » Ensuite, ce n’est que deux ou trois ans plus tard que j’ai pu terminer la chanson. Je suis donc resté très longtemps avec ce refrain, mais je me souviens quand je l’ai composé, je disais : « C’est un tube ! » Et je me souviens quand nous avons travaillé avec Eddie Kramer, nous avons fait notre démo – il a fait notre première démo et une chanson qui s’appelait « I’ll Never Grow Up, Now », que le groupe appelait « Série We’re Not Gonna Take It 1 », et ensuite j’ai composé une chanson qui s’appelait « Bad Boys (Of Rock ‘n’ Roll) », et ils l’appelaient « Série We’re Not Gonna Take It 2 », plus tard car au départ ils n’avaient pas encore entendu « We’re Not Gonna Take It », mais elles étaient similaires dans leur style hymnique – et Eddie Kramer a dit : « Elles sont vraiment bonnes. En as-tu d’autres comme ça ? » J’ai dit : « Je suis en train de travailler sur une chanson qui sera un énorme tube » et c’était « We’re Not Gonna Take It ».
Pour aller encore plus loin, l’an prochain marquera les quarante ans d’Under The Blade, le premier album de Twisted Sister. Quel est ton sentiment quand tu repenses à cette époque ?
Under The Blade a été durement gagné. Enfin, c’était il y a longtemps. J’ai rejoint le groupe en 76 et « Under The Blade » est l’une des toutes premières chansons que j’ai écrites pour Twisted Sister – je crois que c’est la troisième chanson que j’ai écrite pour le groupe. Durant cette période, entre 76 et le moment où nous avons signé un contrat – je pense que c’était en 81 ou 82, dans ces eaux-là – j’ai écrit énormément de chansons ! Je n’ai pas arrêté de composer, en essayant de trouver la clé qui nous ouvrirait la porte du monde et ferait connaître Twisted Sister. Donc Under The Blade, c’était enfin le moment où nous avions eu cette chance. Nous avions enfin suffisamment compris les choses pour être signés sur un label et sortir un album. C’était très important, mais c’était une combinaison d’un tas d’années à essayer. Ces chansons ont été écrites sur de nombreuses années.
« Je pensais que ma bienvenue au sein de la communauté avait atteint sa date d’expiration. Je pensais qu’il n’y avait pas de place pour moi, que je n’étais pas le bienvenu, et puis j’étais le gars qui avait écrit la chanson « Stay Hungry » qui disait : « Dégagez de me mon chemin, les vieux musiciens ! » J’avais l’habitude de tout le temps me plaindre d’eux, du fait qu’ils ne partaient jamais ! […] Je me retrouvais hanté par mes propres mots écrits dans ma jeunesse. »
La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous as dit que For The Love Of Metal était la preuve que tu avais encore de la valeur et une place sur la scène metal contemporaine, pas juste en tant qu’artiste rétro ou classique, mais en tant qu’artiste capable de proposer de la nouveauté. Etait-ce, en fait, une peur ou une inquiétude chez toi avant d’accomplir ça ?
Je ne sais pas si « peur » ou « inquiétude » sont les bons mots, mais je suppose qu’il y avait une inquiétude, et c’est pourquoi j’ai arrêté de composer après le second album de Widowmaker. Je pensais que ma bienvenue au sein de la communauté avait atteint sa date d’expiration. Je pensais qu’il n’y avait pas de place pour moi, que je n’étais pas le bienvenu, et puis j’étais le gars qui avait écrit la chanson « Stay Hungry » qui disait : « Dégagez de me mon chemin, les vieux musiciens ! » J’avais l’habitude de tout le temps me plaindre d’eux, du fait qu’ils ne partaient jamais ! Du fait que Genesis s’était transformé en quatre putains de groupes : Mike + The Mechanics, Phil Collins, Genesis et Peter Gabriel. « Merde ! Il n’y a pas suffisamment de temps dans une journée, on n’a pas besoin de quatre Genesis ! » J’avais l’habitude d’être très frustré à cause de ça et là je me retrouvais hanté par mes propres mots écrits dans ma jeunesse, en me disant : « Peut-être que je devrais dégager maintenant ? Peut-être que c’est à mon tour de partir ? » C’est ce que je pensais. J’étais donc inquiet de ne pas avoir ma place. Et quand Jamey Jasta a dit : « Non, on a besoin de toi, on a besoin de ta voix. On a perdu des grands. On a perdu Lemmy, on a perdu Ronnie, on a perdu Freddie. On a perdu de grands chanteurs. » Pas que je sois comparable à Freddie Mercury ou Ronnie Dio, ce n’est pas ce que je dis… Mais il a dit : « Tu es une de ces grandes voix du rock et il y a une place pour toi aujourd’hui. On a besoin de toi aujourd’hui. » J’étais content d’entendre ça, mais je n’étais toujours pas sûr comment ça allait marcher. Mais merci Jamey Jasta ! Il m’a montré et il est clair qu’il avait raison parce que l’accueil, avec les bonnes chansons, était incroyable.
Maintenant que tu vois à quel point ta nouvelle musique en tant que Dee Snider est bien reçu et même encensé, n’y a-t-il pas une part de toi qui regrette ne pas avoir sorti de nouvelle musique durant toutes ces années avec Twisted Sister ? Est-ce que ça n’a pas changé ton opinion sur le fait que les gens ne veulent entendre que les classiques et vont aux toilettes pendant les nouvelles chansons ? Les gens ne sont-ils pas prêts à embrasser les nouvelles chansons des artistes historiques du moment que ces chansons sont de très bonnes chansons ?
Je ne sais pas si ce que tu dis est totalement vrai dans le cas de Twisted Sister. Ça fait presque trente ans que je fais de la radio, je traite de plein de nouvelles et anciennes musiques. J’ai une émission qui s’appelle The House Of Hair qui diffuse aussi tous les groupes des années 80, et j’ai remarqué que quand ces groupes sortaient de la musique maintenant, ça ne marchait pas du tout. Les gens n’ont pas envie de les entendre. Ils ont des fans hardcore, peut-être dix, vingt, trente, quarante mille – peut être que Kiss en a cent mille – mais autrement, il n’y a pas des millions de gens qui achètent leur nouvelle musique, ils ne veulent pas l’entendre. Avec les groupes qui ont un nom, et pour qui ce nom et leur réputation les définissaient, j’ai remarqué une réticence des gens à accepter l’évolution et le changement. C’est l’une des raisons pour lesquelles c’était le moment pour Twisted Sister de prendre sa retraite, car si je voulais faire quelque chose de différent, si je voulais essayer quelque chose de nouveau… Je n’aurais pas pu faire Dee Does Broadway. Twisted Sister Does Boradway n’allait pas se vendre. Twisted Sister qui fait un album de rock mainstream, ça n’allait pas se vendre. Car quand nous essayions des choses, nous disions : « Twisted Sister doit sonner comme Twisted Sister. » Mais ensuite, quand ça sonne comme les vieux morceaux, les gens disent : « Ouais, ça sonne comme de vieux… » Genre, on ne pouvait pas gagner. Même si une part de moi se dit que peut-être j’aurais dû ne pas arrêter de faire de nouvelles musiques pendant tout ce temps, je ne sais pas si justement ce temps ne m’a pas donné une chance, d’une certaine façon, c’est-à-dire que parce que je n’avais rien fait, les gens ne s’y attendaient pas, et ils… Je ne sais pas ! Tu sais quoi ? Je n’ai pas la réponse à cette question ! [Rires] Mais je ne pense pas que Twisted Sister aurait pu faire For The Love Of Metal.
Interview réalisée par téléphone le 5 juillet 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Holden Jay Leeds & Paul McGuire (2).
Site officiel de Dee Snider : deesnider.com
Acheter l’album Leave A Scar.
J’écoute enfin Leave A Scar avec un peu de retard
Une véritable tuerie, je n’attendais pas à apprécier à ce point
En forme pour un papy, chapeau !
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bon ambassadeur de la musique » heavy-hard-métal »
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Le grand LEMMY , n’est plus de ce monde, mais je crois qu’on a là un l’équivalent .
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Cet artiste est décidément un bon client, quel plaisir de lire ce qu’il a dire, écouter son album pour l’entendre, limite début de ce monde et je crois que là on a bien un équivalent équivalent . Dee Snider elected
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