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Interview   

Deep Purple : le crime parfait


Deep Purple aurait-il fait une cure de jouvence ? Déjà, la collaboration avec le producteur Bob Ezrin sur les trois derniers albums studio semblait avoir revitalisé le groupe et ravivé son enthousiasme, mais les voilà désormais de retour, à peine un an après Whoosh!, avec Turning To Crime, un album de reprises, le genre d’exercice qu’on voit plutôt chez les jeunes formations qui font généralement leurs premières armes sur le répertoire de leurs idoles. En réalité, comme nous le fait remarquer Ian Gillan, il ne s’agit pas tant de jouvence que d’énergie et de passion. Car autrement, Deep Purple assume son âge et son expérience, et en tire parti, sans chercher à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

Turning To Crime a été conçu simplement pour le plaisir, histoire de s’occuper et d’entretenir la flamme le temps d’une pandémie ayant mis le groupe en « vacances » forcées. Un album intéressant à plus d’un titre, pour cette manière habile qu’a Deep Purple de s’approprier les morceaux tout en les respectant, mais aussi pour ce que ça dit sur les influences et la philosophie musicale du groupe. Le chanteur, dont le premier album studio avec Deep Purple – le classique Deep Purple In Rock – a passé l’an dernier la barre des cinquante ans, nous raconte.

« Nous avons toujours été un groupe de garage, car nous passons énormément de temps à jouer ensemble sans réfléchir à ce que nous allons faire avec la musique. C’est une seconde nature pour le groupe. »

Radio Metal : Cette période étrange avec le Covid-19 a été très difficile pour les groupes de petite et moyenne envergure qui ont besoin de tourner pour vivre, mais comment Deep Purple a-t-il vécu ça ?

Ian Gillan (chant) : Tout dépend comment on regarde ça. Pour moi, ça a été de longues et fantastiques vacances. C’était super, ça m’a donné plein d’occasions de terminer d’autre projets et de faire du rattrapage sur plein de choses relaxantes. J’ai apprécié chaque moment, mais je dois admettre que ça commence un peu à tirer en longueur maintenant. Donc j’ai hâte de repartir sur la route l’année prochaine, si les circonstances le permettent. Mais globalement, ce n’était pas si mal. J’ai eu de la chance.

Vous n’avez toujours pas pu tourner pour promouvoir Whoosh!. N’avez-vous pas eu peur qu’il tombe dans l’oubli ?

Je suppose que c’est ce qu’il s’est passé, mais il est toujours disponible. Nous n’avons même pas encore joué une seule chanson de Whoosh! en live, donc j’imagine que nous ferons deux ou trois morceaux de cet album et deux ou trois de Turning To Crime quand nous repartirons sur la route. Ce sont des choses qui arrivent. J’ai eu plein d’albums qui sont tombés dans l’oubli au fil des années pour diverses raisons, y compris des raisons pas terribles. Il faut faire preuve de souplesse.

Vous sortez désormais Turning To Crime, un album de reprises – c’est d’ailleurs une première pour Deep Purple. Ce sont toutes des chansons datant de la fin des années 50, des années 60 et du début des années 70, donc avant que Deep Purple ne soit formé ou autour des premières années du groupe. Est-ce important, même après cinquante ans de carrière, de ne pas oublier d’où on vient ?

Je suppose, oui. Ceci dit, ce n’est pas l’idée derrière cet album. Evidemment, quand on parle de reprise, c’est un peu un gros mot de nos jours. Tout le monde enregistre des reprises au début de sa carrière. Deep Purple a commencé avec trois hits qui étaient des reprises. Mais comme tu dis, nous n’avions jamais fait d’album de reprises ensemble avant. La raison pour laquelle nous avons choisi ces chansons – d’après mes souvenirs – n’était pas clairement décidée au début. On nous a juste demandé de balancer quelques idées et nous avions une longue de liste d’environ cinquante chansons. Je suis très content de dire que pas une seule de ma sélection a été enregistrée pour l’album. Mais avec le temps, nous avons réalisé ce que nous recherchions. Nous avons commencé à comprendre qu’on ne peut jamais améliorer l’original. L’original est sacro-saint. Tout le monde sait comment ça sonne. C’est un peu arrogant de vouloir le changer, donc il faut faire avec et faire preuve de beaucoup de respect pour ces chansons. Il s’avère que ce nous recherchions était des morceaux qui permettaient aux gars de les « purple-iser ». Les parties des chansons en tant que telles, c’est-à-dire les mots et la musique, n’ont pas tellement changé. La seule différence, c’est que, par exemple, ça sonne comme moi au lieu du chanteur original, mais le traitement est respectueux. C’est le jeu des instruments, le développement et les arrangements qui, pour moi, rendent ce lot de reprises vraiment excitant. C’est probablement pourquoi je l’ai écouté plus souvent que, probablement, n’importe quel autre album de Deep Purple, parce qu’il me procure énormément de plaisir. Pour répondre à ta question, ce n’est pas vraiment lié aux chansons, à la période, à l’âge ou à une quelconque forme de nostalgie, ça n’a rien à voir. Il s’agissait vraiment d’utiliser les chansons pour les « purple-iser » – c’est un mot que je viens d’inventer !

Votre collaboration avec Bob Ezrin sur les trois derniers albums a vraiment donné un coup de jeune au groupe. Maintenant, vous revenez avec un album de reprises, ce qui, comme tu l’as dit, est quelque chose que les groupes font généralement au début de leur carrière : as-tu l’impression que vous êtes redevenus un « groupe de garage », d’une certaine façon ?

Non, rien de tout ça. Deep Purple est avant tout un groupe de live. Nous ne faisons pas un album pour ensuite prendre trois ans de vacances. Nous sommes un groupe de scène. Nous faisons constamment ça. C’est notre philosophie. C’est exactement ce que nous avons fait pendant cinquante-cinq ans – ou plus dans mon cas. Pour composer, il nous faut être dans une pièce ensemble. Et à cause de cette crève tant redoutée, nous n’avions pas le droit de nous réunir dans une pièce. C’est donc Bob Ezrin qui a dit : « Oublions le processus de composition et constituons un répertoire de chansons que l’on peut au moins enregistrer à distance. » Nous avons donc fait ça pour la première fois, même si tous les autres groupes en ont l’habitude. Je sais que c’est courant aujourd’hui, mais même si nous ne pouvions pas être physiquement ensemble, l’idée était d’essayer de faire en sorte que ça sonne comme si nous l’étions. L’expérience de Purple, au fil des années, s’est développée en une alchimie humaine. Nous travaillons ensemble, c’est assez instinctif maintenant. Bref, nous n’avons pas cherché à être un groupe de garage ou quoi que ce soit de ce genre. D’ailleurs, je pense que nous avons toujours été un groupe de garage, car nous passons énormément de temps à jouer ensemble sans réfléchir à ce que nous allons faire avec la musique. C’est une seconde nature pour le groupe. Quoi qu’il en soit, nous nous somme drôlement amusés !

« Je trouve ça embarrassant d’essayer de se comporter comme un gamin de vingt ans quand on en a quarante ou cinquante. Il faut embrasser la vie et utiliser les expériences. »

Justement, on ressent vraiment à l’écoute des chansons que vous avez tous la banane. Il y a un authentique sentiment de plaisir qui transparaît, encore une fois, un peu comme si vous étiez un jeune groupe qui débutait. Penses-tu que le fait de conserver cette jeunesse est l’une des clés de la longévité pour un groupe ?

Non, pas du tout. La jeunesse est probablement la mort d’un groupe. La clé pour ça, c’est l’énergie. Je suppose que la plupart des gens associent ça à la jeunesse, mais à mesure que la vie avance, on vieillit, et je trouve ça embarrassant d’essayer de se comporter comme un gamin de vingt ans quand on en a quarante ou cinquante. Il faut embrasser la vie et utiliser les expériences. Quand nous étions gamins, nous écrivions à propos de voitures de course, de femmes faciles, de boire, de fumer, de faire la fête et de détester le monde, les gouvernements et toutes ces choses. Quand on vieillit, on change un peu de refrain. On a des enfants, une famille à nous. Notre musique se développe, on commence avec trois simples accords, puis ça devient quelque chose d’un petit peu plus plaisant, coloré, texturé et dynamique. C’est comme ça quand on grandit. La vie est elle-même comme ça quand on grandit et ça se reflète dans la musique, je pense. Si tu restes en contact avec la réalité, et notamment ton âge, ta musique peut s’épanouir et durer une vie entière, et être bonne. Très peu de groupes peuvent conserver le même style toute leur vie. Heureusement, Deep Purple a un style vaste grâce aux influences que nous avons apportées quand nous étions en train de nous former à nos débuts, au travers de compositions orchestrales, jazz, blues, rock n’ roll, country, tout ce que tu veux. Tout était là avec les influences de Jon Lord et Ian Paice. Les big bands de swing et toutes ces choses ont toujours fait partie de Deep Purple. Ça se manifeste dans un groupe de rock, mais je pense que ça allait un peu plus loin que le simple fait d’envoyer trois accords et d’être des rebelles. Ça s’est développé pour devenir un petit peu plus.

D’un autre côté, n’est-ce pas parfois difficile de conserver cette passion, cette énergie et cet authentique plaisir dans une industrie qui peut apporter beaucoup de désillusions ?

Oui, mais la réponse à ta question est non, pas du tout. Je pense qu’il faut se dissocier de la partie business et de cette sorte de machine qui dit : « Tu dois faire ci et ça. C’est à la mode. Voilà le style. C’est la tendance. Voilà les vêtements à porter. » J’ai remarqué qu’avec Deep Purple, dès le début nous avons pris la décision d’essayer d’éviter à tout prix les modes. En parlant de mode, je parle de toutes sortes de choses, mais par définition, si tu es à la mode aujourd’hui, demain tu seras démodé. C’est de la pure logique. Nous avons donc décidé d’être nous-mêmes et de laisser la musique évoluer naturellement. Nous n’avons jamais écouté les fans. Nous n’avons jamais écouté les manageurs. Nous n’avons jamais écouté le business, les maisons de disques, la presse, les critiques, parce que, qu’allons-nous faire ? Anticiper ce qui sera la prochaine mode ou quelque chose comme ça ? Non, il faut creuser profondément en nous. Ensuite, quand nous avons fini l’album ou achevé de composer les chansons, nous nous agenouillons, joignons nos mains, regardons vers le ciel et prions pour que les fans, le business et les critiques aiment. Et très souvent, ils n’aiment pas. Mais au moins, c’est un produit honnête, ça vient du groupe. Nous ne nous en lassons pas. Ce n’est même pas un boulot. Peux-tu imaginer faire quelque chose que tu aimes toute ta vie, et avec lequel tu gagnes en expérience et t’améliores ? Je connais plein de gens qui adorent le jardinage. Ce sont de bien meilleurs jardiniers aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Je pense que ça vaut pour les enseignants, les scientifiques et tous ceux qui aiment ce qu’ils font. Avec un peu de chance, on s’améliore et on se fait vraiment plaisir.

Il y a évidemment de l’humour derrière le titre de l’album Turning To Crime, mais vous êtes-vous déjà sentis comme des hors-la-loi, de manière figurée, rien que parce que vous jouiez du rock ?

Je ne vois pas beaucoup d’autres professions, en dehors peut-être de la politique, où on se fait autant injurier par des gens qui nous détestent parce qu’on ne fait pas ce qu’ils veulent et parce qu’on ne cadre pas avec leur idée de la mode, du style, de la créativité ou peu importe. Donc on développe très vite une épaisse carapace face à toute cette absurdité. Nous sommes tous devenus des pachydermes. Je crois que personne ne s’est senti comme un hors-la-loi. Nous n’avons perdu aucun de nos amis. En fait, notre communauté de fans a grandi. Ça a fluctué, le groupe a connu des problèmes internes et les choses n’auguraient rien de bon, mais Deep Purple est une solide bâtisse, donc nous avons juste fait un peu de re-décoration et nous étions repartis. Tout va bien maintenant, et ce depuis un quart de siècle. Nous ne nous sommes pas sentis comme des hors-la-loi, il reste encore un peu de civilisation dans ce monde.

« Je ne vois pas beaucoup d’autres professions, en dehors peut-être de la politique, où on se fait autant injurier par des gens qui nous détestent parce qu’on ne fait pas ce qu’ils veulent. »

Penses-tu que le rock continue d’avoir cette aura de musique dangereuse ?

Je pense que rock se doit d’être tout le temps exigeant, mais aussi, la première responsabilité de n’importe quel artiste, qu’on soit un écrivain, un peintre, un danseur ou un musicien, si on veut se prétendre comme tel, c’est d’être expressif. Ça vaut en partie pour la contestation naturelle envers les choses avec lesquelles on n’est pas d’accord. Être anti-establishment, dans une certaine mesure, c’est fatigant au bout d’un moment, parce que ça ne fait pas appel à la raison. Si c’est une attaque en bloc contre l’autorité, ça devient vide de sens au bout d’un moment. Je pense que, dans une certaine mesure, avec l’âge, quand on gagne en maturité, on prend les choses avec un peu plus de philosophie. A commencer par la vie et la mort. Quand on est gamin, on a vingt ans, on est immortel, on est jeune et on nous pardonne nos erreurs. Mais ce n’est plus le cas après un certain âge. La vie et la mort se rapprochent. On fait face à la mortalité, on affronte la réalité, on apprend les pièges de la vie. On choisit ses cibles et ses combats avec un peu plus de précision et on peut toujours s’attaquer à des sujets mais d’une autre manière qu’avant. Avant c’était juste : « Oh, je déteste ça. Ils sont tous stupides » et ce genre de chose. Quand on est gamin, c’est notre façon naturelle d’écrire. C’est sans retour, on fait juste des déclarations du genre : « C’est de la merde », « C’est bien », « C’est nul », mais je pense que la vie est plus nuancée que ça. Il faut continuer à affuter son sens musical. Dieu merci, Deep Purple est d’abord un groupe instrumental, puis je prends le train en marche et je rajoute ma partie par-dessus. Je pense être un rebelle, contre les choses qui, à mon avis, ne vont pas. Ce n’est pas toujours le gouvernement. Ça l’est souvent, mais de nos jours, la situation est tellement bordélique que ça n’a pas beaucoup de sens de parler d’eux, car de toute façon, ils ne font que s’adapter aux circonstances. Bon, je crois que je vais arrêter là [rires].

Deep Purple est à l’origine un groupe de rock anglais, mais curieusement, une majorité des chansons reprises sur Turning To Crime viennent d’artistes américains. Quel était votre regard sur la scène américaine au début, et l’impact qu’elle a eu sur Deep Purple ?

C’est assez fascinant. Très naturellement, tout ce que nous apprenions venait d’Amérique. Quand nous étions gamins, nous n’avions rien. Nous avions un poste de radio accroché au mur qui était contrôlé par nos parents, donc nous devions écouter leur musique, qui était diffusée par la BBC. Il n’y avait rien d’autre jusqu’à ce qu’arrive les radios pirates. Tout d’un coup, nous entendions du blues et Chuck Berry, des big bands de swing, de la folk, du hillbilly, du bluegrass, et tous ces trucs palpitants que nous n’avions jamais entendus avant. Il y avait des maisons de disques qui importaient Chuck Berry. Nous n’en avions jamais entendu parler avant et tout d’un coup, nous nous retrouvions assis avec une guitare d’occasion n’ayant que trois ou quatre cordes, à essayer de jouer trois accords et de copier ces trucs parce que c’était vraiment excitant. Je pense qu’après la guerre, pour la génération post-guerre, il y avait une sorte de vide. Chaque génération d’adolescents arrive et, normalement, procède à cette espèce de vandalisme psychologique pour faire place nette, virant tout ce que leurs père et mère ont fait, de façon à laisser le champ libre à leurs idées faites maison et aux nouvelles graines qui pourraient se transformer en quelque chose de brillant. Sauf que nous, nous n’avons pas été obligés de faire ça, la place était nette à l’époque. Nous étions encouragés par nos parents à sortir et à nous éclater, à être créatifs et à voir ce que ça donnait. Je suppose que c’était naturel, dans cette sorte de vide. Donc tout ce que nous entendions pour nous influencer, en dehors de nos backgrounds classiques, était l’apport américain.

Certaines de ces chansons sont totalement notre rayon. Par exemple, la chanson de Ray Charles « Let The Good Times Roll » était un arrangement de Quincy Jones. Ian Paice a grandi en jouant du swing façon big band. C’est l’un des seuls batteurs de rock – si ce n’est le seul – à avoir un don pour le swing. « The Battle Of New Orleans » est ce qu’on appelait du bluegrass, mais en Angleterre il y avait un mouvement qu’on appelait le « skiffle », juste avant le rock n’ roll. Il y a un gars qui s’appelait Lonnie Donegan qui était le roi du skiffle. Il a enregistré un tas de chansons de bluegrass, comme « Gamblin’ Man », « Cumberland Gap » et « The Battle Of New Orleans », qui est une très vieille chanson. Nous nous sommes amusés avec ça parce que Steve Morse, notre guitariste, a dit : « Vous êtes sérieux, les gars ? Vous voulez vraiment enregistrer cette chanson qui parle des Britanniques qui se font battre par les Américains durant la guerre d’Indépendance, à La Nouvelle-Orléans ? » J’ai dit : « Eh bien, Steve, il faut que tu apprennes quelque chose à propos des Anglais. D’abord, nous rions de tout. Mais surtout, avant ça, nous rions de nous-mêmes et nous sommes humbles. Nous aimons nous chambrer nous-mêmes. Et l’autre chose est que nous apprenons vite. Je sais bien que marcher en ligne droite, en portant des vestes rouges, les fusils sur les épaules, avec un gars qui souffle dans un clairon, en brandissant des drapeaux et en frappant des tambours, tandis que vous vous cachiez derrière des ballots de coton à nous dégommer à la carabine, était forcément voué à l’échec. Donc nous ne faisons plus ça [petits rires]. Nous faisons autrement. » Nous en rions et ça nous amuse bien. Nous avions pour habitude de jouer cette chanson dans un groupe qui s’appelait Episode Six. Roger Glover la chantait en 65 ou 66, donc ça coule dans nos veines.

« J’ai décidé il y a longtemps que je n’allais plus crier comme un dingue passé soixante-dix ans. Je pensais que ça aurait l’air de manquer de dignité autrement et que je développerais mon rock d’une autre façon. »

Mais pour répondre à ta question, l’influence de la musique américaine était vitale parce que nous n’avions pas l’apartheid radiophonique qu’avaient les Etats-Unis, avec les stations noires, les stations blanches… Les Américains n’avaient, étrangement, presque jamais entendu ou absorbé le blues. C’est pourquoi en Angleterre, après avoir fouillé dans le blues, le rhythm and blues et le rock n’ roll – enfin, pas tellement le rock n’ roll qui faisait sensation aux Etats-Unis – mais surtout la musique noire, nous avons pris ça et nous nous en sommes délectés, nous nous en sommes imprégnés. Nous avons tellement aimé que nous avons utilisé cette énergie. Une bonne partie du blues est très relax. Le rhythm and blues est décontracté et n’est pas forcément joué avec les instruments plus lourds que nous avons commencé à utiliser. Que Dieu bénisse Jim Marshall et tous ces gens. L’Amérique nous a énormément influencés parce qu’il n’y avait rien d’autre.

Turning To Crime vous ramène évidemment à vos premières années et influences en tant que musiciens. Il se trouve que l’année dernière marquait les cinquante ans de ton premier album « traditionnel » avec Deep Purple : Deep Purple In Rock – si l’on met de côté le Concerto For Group And Orchestra. Quels sont tes souvenirs de tes tout premiers pas dans ce groupe ?

C’était fantastique. Absolument super. Quand j’ai rejoint le groupe avec Roger Glover, c’était inespéré. Le timing était parfait. Nous avions travaillé ensemble en tant qu’équipe de composition pendant quelques années au sein d’Episode Six. Donc quand nous sommes arrivés, ce n’était pas juste un bassiste et un chanteur, c’était un véritable tandem d’écriture. L’autre chose est que c’était le bon moment. J’ai grandi dans une famille musicale. Mon grand-père chantait de l’opéra. Mon oncle était un pianiste de jazz, il jouait du boogie-woogie et du piano stride. Cet esprit de vandalisme adolescent dont je parlais tout à l’heure est intervenu quand j’ai ramené Deep Purple In Rock à la maison et mon oncle, vu qu’il était musicien, me soutenait beaucoup et était très enthousiaste. J’ai dit : « Nous venons de faire ce nouvel album. Laisse-moi te le faire écouter. » J’ai mis « Speed King » et il est sorti de la pièce en courant, en criant, en se tenant les oreilles et en disant : « Oh, c’est épouvantable ! C’est horrible ! Je ne peux pas écouter cette musique ! » Il est passé à côté et je dois admettre qu’à l’époque, j’étais secrètement assez content qu’il n’aime pas, parce qu’il était de la génération précédente, et ce n’était pas les personnes auxquelles nous nous adressions. Je pense que c’est normal pour chaque génération ou demi-génération. Mais ce qui s’est passé lorsque nous sommes partis sur les routes, c’était cette incroyable liberté de jeu, où tout était possible et nous nous suivions les uns les autres quand quelqu’un partait en solo ou sur un rythme ou commençait à improviser avec les morceaux. Nous composions des morceaux dans le bus en allant au concert et nous les jouions le soir même, puis nous les laissions tomber et les ressortions une semaine plus tard, complètement réécrits avec des paroles différentes. C’était un pur bonheur. En parallèle, c’était une fête durant probablement trois ou quatre ans. La vie était belle pour des jeunes hommes à l’époque. Je n’aurais pas pu rêver mieux. C’est éternellement gravé dans ma mémoire. Même si certaines choses ont été oubliées à cause des fêtes excessives.

Deep Purple In Rock était l’un des tout premiers albums sur lesquels le légendaire producteur Martin Brich – qui nous a malheureusement quittés l’an dernier – a travaillé. Il n’était qu’ingénieur à l’époque…

J’ai de super souvenirs de Martin. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aux funérailles de Jon Lord, donc nous n’avons pas été proches au fil des années. Il était ingénieur dans mon studio à Londres, c’était un super ingénieur et un homme très drôle. Il était l’ingénieur pour Deep Purple In Rock et toutes les albums jusqu’à Who Do You Think You Are et Made In Japan. J’ai donc un grand respect pour lui et tout ce qu’il a fait. Je crois qu’il a fini par travailler pour Iron Maiden pendant de nombreuses années.

La chanson « Child In Time », qui apparaît sur cet album, est une des préférées des fans, mais tu ne l’as pas chantée depuis 2002 parce que – et je te cite – elle « pourrait [t’]envoyer à l’hôpital aujourd’hui ». Es-tu parfois jaloux du jeune Ian Gillan qui était capable de chanter ces notes haut perchées ?

Jaloux de moi ? Non, pas vraiment [rires]. Je peux la chanter à peu près un ton plus bas, donc ce n’est pas une énorme réduction, mais je ne pense pas que la chanson sonnerait très bien un ton plus bas. Elle n’aurait pas le même impact. J’ai aussi décidé il y a longtemps que je n’allais plus crier comme un dingue passé soixante-dix ans. Je pensais que ça aurait l’air de manquer de dignité autrement et que je développerais mon rock d’une autre façon. Ce n’est qu’à quarante ans que j’ai trouvé une tonalité médium dans ma voix qui me plaisait. Mon héros en matière de chant était un gars qui s’appelait Cliff Bennett, un chanteur de l’ouest de Londres dans les années 60. J’ai toujours essayé de retrouver ce son de voix. Le haut de mes médiums – pas le passaggio – a toujours été une partie difficile de mon spectre. Ce n’est que plus vieux que j’ai tout d’un coup trouvé cette voix plus riche, plus ample, plus profonde, plus puissante, donc je ne suis pas jaloux. Je pense aux choses que j’avais l’habitude de faire quand j’étais gamin ou quand j’avais vingt ans. Je faisais du saut à la perche. J’étais un athlète. Je n’étais plus capable de faire ça à quarante ans, alors encore moins maintenant. Il y a plein de choses auxquelles il faut s’adapter en vieillissant. Si tu essayes de t’accrocher à ta jeunesse aussi longtemps, je pense que tu vas avoir des problèmes. C’est bien d’en être fier, je pense, d’avoir des souvenirs, de les apprécier et de se dire : « Ouah, c’était cool ! » J’ai justement écouté cet album hier soir. Je l’écoute pour le plaisir, pas pour l’analyser. J’ai écouté ce que les gars faisaient et je pense aujourd’hui exactement la même chose qu’à l’époque, même s’il y a de légers changements. Mais je me dis que je suis sacrément chanceux d’être dans un groupe comme celui-là, ou d’être dans ce groupe en particulier.

Interview réalisée par téléphone le 24 novembre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Simon Emmett (1, 5) & Ben Wolf (2, 4).

Site officiel de Deep Purple : deeppurple.com

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  • Très belle interview : derrière le chanteur,il y a l’homme, tout en nuances et humilité… pour un vieux fan comme moi ( trop vieux sans doute !)le Deep est dans le coma depuis le début des 90’s, l’aventure sans Blackmore n’ayant plus la même saveur.. pour le reste,respect mister Gillan…!!.

  • jolie interview pour le chanteur du groupe qui a su bien vieillir par son long parcours musical , avec des derniers albums moins brut et démonstratifs que les 1ers mais avec des nuances qui swinguent parfaitement.Ian Gillan a la lucidité de ne plus chanter Child in time qui ferait regretter ses fans du « Ian Gillan année 70 » et c’est tant mieux!

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