Avant d’interviewer un groupe de la stature de Deep Purple on peut s’imaginer tout un tas de choses à leur sujet, et notamment avoir une forme d’appréhension face à, compte tenu de leur place dans l’histoire du rock, ce que l’on peut considérer comme des superstars. Mais en réalité, pas de diva aux exigences extravagantes, pas d’égo surdimensionné. Face au dictaphone se tiennent des hommes simples, humbles, réfléchis, mûrs, pleins d’humour. Ce serait donc ça, le secret de leur longévité : la simplicité. Eux-mêmes ne se considèrent pas comme des stars, et sont visiblement heureux d’échapper à ce statut !
Conscients de la force que leur confère leur expérience, sans pour autant pêcher par excès de confiance, le combo s’apprête à sortir un vingtième album studio, Infinite, qui a fait couler beaucoup d’encre quant au possible sens caché de ce titre et à l’avenir du groupe. Roger Glover et Ian Paice, qui forment la célèbre section rythmique du combo, eux, s’en tiennent aux précautions d’usage, le conditionnel et le « peut-être » sont de mise quand on évoque avec eux le futur de Deep Purple, et surtout il font bien comprendre que la passion brûle plus fort que jamais.
Mais pour l’heure, cet Infinite vient avec un vent de fraîcheur sur la musique du quintette, et ça ne vient pas uniquement de la glace sur la pochette de l’album. Les deux britanniques nous expliquent dans cet entretien combien le producteur Bob Ezrin leur a, à nouveau, insufflé confiance et audace pour ce nouvel opus.
« Si tu crois en la magie, alors c’est de la magie. Sinon, alors peut-être que ce n’est que du talent [rires]. »
Radio Metal : Vous avez une nouvelle fois travaillé avec Bob Ezrin pour ce nouvel album. Pourquoi avoir choisi de revenir auprès de lui ? Pensez-vous que cette collaboration n’avait pas encore montré tout son potentiel avec Now What?! ?
Roger Glover (basse) : L’une des choses qu’un album doit faire, c’est bien sonner, et avant que nous rencontrions Bob, nous souffrions un peu de l’album avant ça qui, pour moi, ne sonnait pas si super. Il n’avait pas été enregistré ou mixé particulièrement bien, et je reçois des démos de groupes qui sonnent mieux que nous, et c’est gênant. Donc je pense que nous avions tous le sentiment qu’il nous fallait faire un album qui sonnait bien. Nous nous sommes mis avec Bob Ezrin, et ça a fonctionné. En fait, Now What?! est un album qui sonne vraiment bien. Donc le choix de faire un autre album ou pas avec lui n’était pas un choix, c’était une évidence. Et de son point de vue aussi, il a apprécié travailler avec nous.
Ian Paice (batterie) : Parfois, faire des albums implique beaucoup de travail, parfois ce n’est pas plaisant, parfois ça prend beaucoup de temps. Chacune de ces choses te rend fou. Lorsque nous nous sommes réunis avec Bob, Now What?! était un album très rapide à faire. Nous avons fait les pistes de base en dix jours ; sur Infinite, ça nous a pris sept jours. Donc le processus est très rapide avec Bob. Nous avons tout fait correctement, nous avons calé des dates de composition de façon à prendre dix, douze jours, et écrire des idées, puis sur une autre session nous avons écrit des idées supplémentaires, puis nous avons fait deux semaines de pré-production avant d’aller en studio. Donc tout a été fait comme il faut, et Bob n’aurait pas permis de faire autrement. Lorsque tu passes la porte du studio, tu as intérêt à être prêt à enregistrer, et en dix, quinze minutes, tu es déjà en train d’enregistrer ; tu es là pour enregistrer et faire le boulot.
Roger : C’est une dynamo, c’est une source d’énergie et il prend des décisions très rapidement, alors que nous, nous pouvons prendre une après-midi à débattre sur un truc particulier. Il dira : « Non, comme ça, tu fais ça comme ça, pas comme ça. » « Oh, d’accord ! » Et tu lui fais confiance. Tout est une question de confiance. Nous lui faisons confiance pour dire les choses qui fonctionneront, et il nous fait confiance pour être vraiment capable de les jouer. Ce n’est donc que de la confiance.
Ian : Donc c’était rapide, c’était plaisant et c’était une réussite. Donc, avec ces trois choses, il faudrait être stupide pour ne pas essayer de reproduire cette aisance et ce plaisir d’enregistrement. C’est vraiment amusant de travailler avec Bob. Il peut parfois te rendre fou, mais d’un autre côté, son boulot est de tirer le meilleur de nous, aussi vite que possible, et il le fait.
Roger : Fin de l’histoire.
Plein de groupes aujourd’hui travaillent à distance sur leur composition. Mais lorsque l’on regarde le documentaire sur la conception de l’album, on vous voit tous avec Bob dans une pièce à construire les chansons ensemble. Pourquoi est-ce si important pour vous de le faire ainsi à la manière de la vieille école ?
Ian : C’est la seule manière de travailler que nous connaissons. Il y a une interaction entre les musiciens lorsqu’ils jouent ensemble, et si tu veux les traiter par couches, un gars à la fois, tu obtiendras de la perfection, mais il n’y a aucune interaction, et donc aucune humanité. Et le seul mot que l’on peut employer en musique est « sentiment », et la seule façon de l’obtenir, c’est en jouant ensemble. Car dans les limites strictes du tempo, tu peux pencher en avant ou tu peux pencher en arrière, et si vous le faites tous ensemble, ça donne un swing. Si vous ne faites pas ça, ça fait carton, ça devient comme une machine, et ce n’est pas bon. Donc nous créons les morceaux de musique ensemble, nous les apprenons ensemble, et nous les enregistrons ensemble. Pour nous, c’est la seule façon de faire.
Roger : Lorsque Bob est venu nous voir à Toronto, avant Now What ?!, je crois qu’il était un peu sceptique à l’idée de produire un vieux groupe comme nous, jusqu’à ce qu’il nous entende jouer ! Ce que Deep Purple a et que beaucoup de groupes n’ont pas est un degré d’habilité musicale, de spontanéité, de fun et d’humour. Bob l’a vu et ça l’a épaté. Le jour suivant, il était très enthousiaste, et il nous a dit quelques mots bienveillants, il a dit : « Oubliez ce que vous pensez être, oubliez l’idée de réussir, faites ce que vous avez fait sur scène. Amusez-vous, soyez spontanés et sortez des sentiers battus. » Et ces mots, « sortez des sentiers battus », signifient qu’on nous donnait une sorte de permission pour écrire des chansons que nous n’aurions même pas tenté avant. Et la fraîcheur qui vient avec le fait de le faire si rapidement, si nous ne rentrons pas une chanson en deux prises, nous l’oublions, jusqu’au lendemain peut-être. Je pense que c’est l’une des clés de ce que Bob a apporté au groupe, c’est de nous redonner foi en nous.
Vous êtes évidemment dans le circuit depuis un bon moment vous savez ce que vous faites. Mais lorsque vous travaillez avec Bob, en fait, il vous dit parfois quoi faire, il vous donne des directives. Du coup, n’est-ce pas difficile, pour les égos et pour les hommes d’expériences que vous êtes, d’entendre que ce que vous faites ne va pas et voilà ce que vous devriez faire à la place ?
Question intéressante ! Je pense que la moitié du temps, nous ne savons pas ce que nous faisons. Nous suivons un peu notre instinct et nous sommes dans le brouillard…
Ian : Nous trébuchons, les yeux fermés, en remontant le chemin qu’il nous fait suivre, simplement en sachant que nous faisons ce qu’il faut, mais c’est à peu près tout ce que nous savons.
Roger : Bob a une connaissance musicale et un talent en tant que compositeur ainsi que technicien qui lui permet de voir les choses objectivement et dire : « Oui, c’est super, mais ce petit bout gâche tout. Oubliez ça, écrivez autre chose ! » Et c’est une partie très importante du processus de composition, ce qui explique pourquoi il est aussi partiellement crédité sur l’album. Nous écrivons des mots, il peut regarder les mots et dire : « Ce couplet est faible, n’importe qui pourrait écrire ça, trouvez quelque chose de mieux, » c’est ça le challenge [quand tu travailles avec lui].
Ian : Il se concentrera sur ces points. Bien sûr, si tu as un passage qui est vraiment super, il viendra et dira : « Fantastique ! Il nous faut plus de turcs comme ça ! Faites ça ! » Donc lorsque tu n’as pas à réfléchir à autre chose que la musique, ça devient bien plus facile.
« Le groupe a vécu des moments de pure démence où nous avions le sentiment d’être enfermés. Mais maintenant, c’est ennuyeusement le bonheur ! »
La dernière fois que nous avons parlé à Ian Gillan, il nous a expliqué à propos du processus que tous les deux, vous commencez « à jammer et à jouer pendant une heure non-stop afin d’essayer des grooves et certains rythmes. » En tant que section rythmique du groupe, comment décririez-vous votre relation et dynamique lorsque vous jouez et jammez ensemble ?
Roger : Nous ne pouvons pas nous pifer ! [Rires]
Ian : La façon la plus simple pour moi de le dire, c’est que lorsque nous jouons ensemble, nous ne réfléchissons pas, nous faisons, tout simplement. Il y a une compréhension qui s’est installée au fil des années passées à faire ça. Mais notre compréhension devait déjà être là au départ. Soit ça fonctionne bien ensemble, soit pas. Ca a tout de suite fonctionné pour nous et avec les années, ça s’est amélioré, car nous comprenons les inflexions de nos jeux respectifs. Nous pouvons presque prévoir ce qui va se passer, rien qu’avec un regard, un hochement de tête, un accent rythmique… Ce n’est pas un langage que tu peux définir, il y a une compréhension, et généralement, les grandes sections rythmiques sont comme ça. Il y a un lien subliminal. Ce n’est qu’en jouant fréquemment et… Une compréhension ! Tu le sais quand c’est bon.
Roger : Être empathique l’un envers l’autre. C’est vraiment ça la clé. C’est un plaisir ! Je me souviens, j’ai quitté Purple en ’73, et en ’84, nous avons commencé à réfléchir à une reformation. La première chose que nous avons décidée de faire était de mettre en place une session de jam, pour voir si nous avions encore de la musique à produire. Et il faut que je te dise, après onze ans sans jouer avec Ian, dès que nous avons commencé, c’était tellement bien ! Ca donnait l’impression d’être de retour auprès de la famille, et ça a rendu la vie bien plus facile.
Ian : Pas seulement nous, mais tous ces mecs, en fait, ont bien marché ensemble. Si tu crois en la magie, alors c’est de la magie. Sinon, alors peut-être que ce n’est que du talent [rires].
L’album s’ouvre avec la chanson « Time For Bedlam ». Est-ce que ce groupe donne parfois l’impression d’être une maison de fous (traduction de « bedlam », NDT) ?
[Rires] A une époque, oui ! Le groupe a vécu des moments de pure démence où nous avions le sentiment d’être enfermés. Mais maintenant, c’est ennuyeusement le bonheur ! Nous sommes à un stade de nos vies où nous comprenons que nous ne serons pas forcément toujours d’accord sur tout, pas seulement par rapport à la musique, mais simplement sur ce qu’est la vie et ce qu’on pense que le monde devrait être. Mais tu es franchement content de laisser quelqu’un avoir sa propre opinion aussi. Et si c’est quelque chose de relativement important pour chacun, n’en parlez pas, soyez d’accord pour ne pas être d’accord, et continuer à vous faire plaisir dans ce que vous faites. Donc nous sommes vraiment bien aujourd’hui.
Roger : Je pense que tu as tort [rires].
Ian : Exactement, tu vois… [Rires].
Et l’album se termine avec « Roadhouse Blues » de The Doors. Comment vous êtes-vous retrouvés à enregistrer cette chanson ? Qu’a-t-elle de spécial ?
C’est incroyable l’intérêt que cette chanson récolte ! Lorsque nous avons fait Now What?!, pour s’amuser un peu, nous avons fait un morceau de Jerry Lee Lewis qui s’appelait « It’ll Be Me », car ça fait partie de la musique avec laquelle nous avons grandi lorsque nous étions gamins. Ça aurait pu être du Little Richard, ça aurait pu être du Elvis Presley, il se trouve que c’était un morceau de Jerry Lee Lewis. Donc c’était amusant, les gens ont aimé, donc nous avons décidé de choisir une autre chanson que nous aimions pour voir ce que nous pouvions faire avec. J’ai joué avec un très bon groupe de reprises qui s’appelle Purpendicular, et ce soir-là, nous jouions « Black Night », et le volume a baissé vers la fin, et le chanteur s’est avancé devant le microphone et a commencé [à chanter] « Roadhouse Blues ». Même tempo, même feeling, directement enchaîné. Et tout le groupe a commencé à se sourire les uns aux autres et faire groover la musique, regardant le public qui avait la banane, car tout le monde connaissait la chanson, et tout le monde l’adorait. Donc lorsque nous étions au studio, j’ai dit aux gars : « J’ai joué ça, c’est très simple, c’est marrant, essayons ! » Ezrin était là : « C’est ça ! C’est le bon morceau ! » Il a marché jusqu’à la salle de contrôle, se préparant à ce que nous commencions à jouer. Nous avons pris quelques minutes pour mettre en place un arrangement simple, Ian Gillan a téléchargé les paroles sur internet, et nous avons commencé. Une prise, tout était là, le chant live, le solo live, il n’a pas fallu plus que le temps de la chanson pour la faire, et à la fin, tout le monde souriait. Ca semblait être une charmante chose à faire. Et ce n’est pas parce que nous faisons un album que nous sommes obligés de n’y mettre que nos propres chansons, et ce n’est pas ce que nous avons toujours fait. Certains de nos plus vieux albums avaient plein de musiques d’autres gens. Donc nous avons tous les droits de nous mettre dans la position de fans et de jouer une musique de quelqu’un d’autre que nous apprécions. Tant que nous le faisons bien et que nous y apportons quelque chose, il n’y a pas de mal à ça.
Roger : Le mot à retenir c’est « fun ». Nous nous éclatons !
Ian : Et il n’y a rien que nous ne puissions faire, parce qu’il n’y a aucune règle ! Plus maintenant, pas de règle.
Dans le documentaire sur l’album, le narrateur dit que vous avez enregistré votre vingtième et possiblement dernier album studio. Est-ce que vous l’avez abordé en ayant conscience que ce pourrait être votre dernier album ?
Le mot le plus important que tu as prononcé est « possiblement ».
Roger : Nous n’avons pas écrit ce qui est dit dans le film. Mais non, je ne pense pas du tout que nous l’avons pensé comme notre dernier album, nous l’avons simplement pensé comme un autre album.
Ian : Mais ce pourrait très bien être le dernier ! Car nous n’allons probablement pas penser à faire un autre album avant trois ou quatre ans, et c’est dans longtemps. Qui sait ce qui va nous arriver dans trois ou quatre ans ?
Roger : Don Airey a dit : « Je pensais que l’album précédent allait être le dernier ! » [Rires]
Ian : Faire un album n’est pas excessivement intense physiquement, on peut le faire. On pourrait le faire par petits bouts, écrire un peu, prendre quelques jours, écrire encore un peu, prendre quelques jours… Quelques semaines de répétition, le faire, et assembler le tout pour faire un album complet. Quelques jours en studio, c’est très facile, tu ne vois pas ça de la même manière qu’une tournée mondiale. C’est un tout autre animal. Donc oui, pour le moment, tout le monde adorerait se dire que dans trois ou quatre ans nous ferons un autre album, mais il faut prendre ça pour un « peut-être ».
Roger : C’est entre les mains du destin.
« Peut-être qu’il arrive un moment donné où tout ce que tu as à dire a été dit, tout ce que tu veux faire a été fait, et puis il faut laisser quelqu’un d’autre prendre ta place. Nous avons toujours des choses à dire, nous avons toujours des choses à faire. Donc nous n’y sommes pas encore. Mais plus tu fais de choses, moins il en reste à faire. »
La tournée à venir s’appelle The Long Goodbye Tour and l’album s’appelle Infinite, ce qui a fait beaucoup spéculer les fans. Et tout ce qu’ils ont obtenu, c’était une dissertation nébuleuse de Ian Gillan sur le concept d’infini. Etes-vous en train de jouer avec les nerfs des fans ?
[Rires] Si on avait appelé ça « The Final Farewell Tour »… Ça aurait été vraiment difficile de décider, et où est-ce que ça se terminerait ? Dans quelle ville ça se finirait ? Il y a trop de choses à penser. Aucun de nous n’a vraiment envie d’arrêter, nous apprécions trop ce que nous faisons.
Ian : Il n’y a aucune volonté de stopper ça. Mais c’est juste qu’on se rend compte que ce jour n’est probablement pas pour dans tant d’années que ça. Ça vaut la peine d’y réfléchir et peut-être que les fans sont aussi dans nos têtes. Mais nous n’allons pas arrêter demain, et ce Long Goodbye Tour pourrait bien durer un bon bout de temps ! Tu vas peut-être me parler dans trois ans et dire : « Bon, la tournée est bientôt finie… »
Pourrait-elle être sans fin ?
C’est aussi une possibilité, mais la musique est infinie, pas les musiciens.
Roger : C’est super que l’infini n’ait pas de fin, et pourtant tout le monde pense que c’est la fin. C’est étonnant, non ? Peut-être parce que le mot « fini » en fait partie. Mais ce n’est pas notre intention. Le titre Infinite est vraiment venu de la maison de disques, car ils cherchaient un joli symbole, comme pour Now What?! avec le point d’interrogation.
Ian : Mais là, tu as presque le signe de l’infini.
Roger : Donc la maison de disque a dit : « On n’a pas pu trouver un meilleur titre, alors on part sur celui-là. » Et c’est stupéfiant comme les gens y voient différentes choses, et en fait j’aime ça, j’aime le fait qu’il y ait plusieurs niveaux d’interprétation. Qui est le mec sur son bateau ? Est-il coincé ou bien va-t-il continuer à briser de la glace ?
Ian : Ou va-t-il à reculons ?
Roger : Ou est-il perdu ? [Rires]
Ian : Mais c’est une imagine forte, et c’est tout ce que tu peux demander à une illustration d’album, et c’est une image très plaisante. Il y a un truc avec la pureté de la glace et du ciel.
Roger : Et c’est différent. Nous avons toujours réussi à éviter les clichés typiques des pochettes de groupes de rock avec la mort, les démons, les écritures gothiques et le côté sombre… Nous n’avons jamais été tentés par ça.
Ian : Ce n’est pas pour nous.
Roger : Car nombre de ces pochettes se ressemblent, tout comme les photos. Si tu regardes dans les magazines de rock, chaque groupe fait soit [il pose les bras croisés], soit [il fait une tête de méchant]. C’est tellement cliché, et nous voulons éviter les clichés. Nous avons nos propres clichés, mais ça ne regarde que nous [rires].
Certains voient Deep Purple comme un genre de collectif qui change et évolue constamment et qui perdurera indéfiniment. Ian, tu es par exemple le seul membre actuel à avoir connu les line-ups de ‘74 et ‘75. Et vous avez survécu au départ de Ritchie Blackmore en 1993. Du coup, ne pensez-vous pas que Deep Purple pourrait durer indéfiniment, avec des membres qui se renouvelleraient constamment ? Quelle serait la limite ?
C’est drôle, quelqu’un a suggéré l’idée que lorsque nous seront morts et enterrés, nos enfants pourraient être dans Deep Purple [rires].
Ian : Il faut revenir sur terre par rapport à ça. Oui, rien ne dure éternellement. Même si on aimerait, non, ce n’est pas le cas, et peut-être est-ce bien ainsi, peut-être qu’il arrive un moment donné où tout ce que tu as à dire a été dit, tout ce que tu veux faire a été fait, et puis il faut laisser quelqu’un d’autre prendre ta place. Nous avons toujours des choses à dire, nous avons toujours des choses à faire. Donc nous n’y sommes pas encore. Mais plus tu fais de choses, moins il en reste à faire.
Roger : Nous trouvons encore de nouvelles choses à faire. Cet album et le précédent étaient une révélation pour moi, par rapport à la façon dont nous pouvions écrire et faire des choses dans la veine de Purple mais sans copier quoi que ce soit que Purple ait fait avant. L’un des grands dangers à être dans un groupe qui a une longue histoire, c’est que tu deviennes une parodie de toi-même. Et essayer de recréer des chansons comme « Smoke On The Water » ou « Highway Star », parce que nous avons rencontré du succès grâce à elles, c’est une énorme erreur parce que ce n’est pas honnête, d’une certaine façon.
Ian : Ouais, de temps en temps, tu trouves une idée qui a un rythme à la « Highway Star », mais ça ne fonctionne pas aujourd’hui. Ça fonctionnait avant mais ça ne colle plus aujourd’hui, pas pour la façon dont nous jouons, pas pour ce qui nous entoure, pas pour les gens qui écoutent, ça ne va pas. Ça sonne démodé. « Highway Star » ne sonne pas démodé parce qu’elle a été faite à l’époque. Mais essayer de trouver quelque chose qui ferait ce que cette chanson faisait, c’est presque impossible, c’est une époque différente, et la façon dont nous concevons les chansons est différente. C’est juste que ça ne marche pas.
Roger : Nous n’écririons plus des paroles de ce genre, « Nobody gonna take my car… » [Petits rires] Pas que ce ne soit pas bien, c’était notre jeunesse à l’époque. Et Ian et moi nous sommes posés pour déterminer de quoi allaient parler les chansons, ce qu’allaient être les paroles, pendant environ une semaine à chaque fois, et l’une des choses que nous avons décidée est que, à nos âges, peut-être que nous ne devrions pas écrire ce genre de paroles, que nous devrions écrire des paroles qui soient plus matures ou plus intéressantes ou plus intellectuelles, et des histoires plutôt que des sortes de fausses chansons d’amour, que ce soit sur un amour perdu ou retrouvé, ou un amour étrange, ou peu importe.
Ian : Voilà qui devient intéressant ! [Rires]
Roger : Il n’y a aucune sorte de chanson d’amour dans l’album, il est très peu mention de relations, sauf peut-être sur quelques chansons. Et je pense que ça aussi c’est rafraichissant. Il y a autre chose à propos de Purple dont je suis assez fier, c’est qu’il y a un niveau de frivolité, il y de l’humour en nous.
Ian : Du fun, ouais !
Roger : Nous ne sommes pas un groupe qui se prend au sérieux ou fait la morale aux gens pour leur dire quoi croire ou penser, nous avons toujours eu une sorte de légèreté, même à la vieille époque. Lorsque tu regardes « Space Truckin’ », ce n’est qu’un jeu de mots, ça ne veut rien dire, c’est juste marrant ! J’ai écouté beaucoup de groupes plus sérieux et c’est un peu du théâtre, c’est un numéro de cabaret, d’une certaine façon, à se recouvrir de tatouages et de cuir, avoir l’air méchant… Ça ne nous a jamais tentés.
Ian : C’est comme un uniforme, n’est-ce pas ?
Roger : Nous ne sommes que des musiciens, nous aimons jouer de la musique. Fin de l’histoire.
« Il n’y a vraiment que deux types de musique dans ce business : il y a la pop et il y a le rock, et il y a un gouffre qui sépare les deux. »
Le narrateur dans le documentaire dit : « Encore largement ignoré par les médias mainstream, Deep Purple est probablement le plus gros des groupes underground. » Est-ce ainsi que vous vous considérez encore à ce jour, comme un groupe underground ?
Ian : Nous ne pensons pas en ces termes mais les médias, les chaînes de télévision et la presse nationale, les stations de radio pop, ils ne savent pas du tout quoi faire avec le rock n’ roll. Ils n’ont jamais su ! Et ils ne le sauront jamais. Car ça ne cadre pas avec l’idée de ce qu’ils veulent transmettre ou ce dont ils veulent parler. Donc selon cette définition, oui, c’est underground, même s’il y a des centaines de milliers de gens, des millions de gens, qui aiment ça. Les médias ne s’en occupent pas du tout parce que ça n’a rien à avoir avec les médias, ça a tout à voir avec les gens qui jouent et les gens qui écoutent. C’est hors cadre du show business. Même si c’est un peu lié, ça n’a rien à voir avec ça.
Roger : Il n’y a vraiment que deux types de musique dans ce business : il y a la pop et il y a le rock, et il y a un gouffre qui sépare les deux. Les journalistes, les médias en général, sont plus intéressés par les aspects liés au succès, à la gloire et à l’argent que la musique.
Ian : La célébrité.
Roger : Ca a même empiré, la célébrité est tout aujourd’hui. Andy Warhol avait vraiment raison. Tout le monde doit devenir célèbre à un moment donné. On ne nous mentionne pas dans les potins, on ne nous mentionne pas dans les tabloïds…
Ian : Nous n’allons pas en boite de nuit…
Roger : Nous n’avons pas de société de relations publiques, nous n’avons personne qui dit à la presse quoi dire à notre sujet. Donc d’une certaine façon, nous nous sommes toujours gardés pour nous-même. Et à cet égard, je suppose que nous sommes underground. Et je préfère qu’il en soit ainsi. Je me souviens avant que je ne me marrie avec ma seconde femme, elle était en train de divorcer, et elle était mariée à un musicien de rock assez éminent, et les photographes étaient devant le portail de la maison, à trainer là toute la journée en attendant de pouvoir faire une photo… Je suis content que nous n’ayons jamais eu à supporter ça ! Nous avons toujours évité ce type de célébrité. Nous ne cherchons même pas la célébrité. La célébrité n’est pas quelque chose que tout le monde devrait avoir. Ça peut être un vrai problème.
Ian : Ca peut changer la vie et pas dans le bon sens.
Roger : Je connais des gens qui sont très célèbres qui ne peuvent pas vivre une vie normale. Ils ne peuvent pas sortir, ils ne peuvent pas aller acheter un journal ou aller à l’épicerie ou essayer une paire de chaussures, et c’est pour ça qu’ils s’enferment dans des manoirs entourés de clôtures en barbelés et tout. Nous n’avons jamais eu à faire ça, ce qui, je trouve, est un vrai plus pour nous.
Ian : Être un peu célèbre, c’est bien, ça peut ouvrir quelques portes et te permettre d’avoir une table à un restaurant ou un billet d’avion parfois, mais c’est à peu près tout. Mais être une énorme célébrité ça représente un compromis monumental. Ce que tu dois abandonner dans ta vie pour ça… Tu es reconnu par tout le monde tout le temps. Je travaille pour des gens comme ça et ils doivent avoir une autre vie, ils doivent circuler incognito, ils doivent avoir une équipe de sécurité qui les entoure quand ils se déplacent. Ce n’est pas une vie.
Dans le documentaire, on voit Bob dire : « C’est un très bon album Roger, les fans vont être heureux. » Est-ce quelque chose que vous gardez en tête lorsque vous faites un album, rendre les fans heureux ?
Roger : Pas pour moi.
Ian : Non, nous nous rendons heureux. Si tu essayes de faire ça, ce serait pour de mauvaises raisons. Nous serions alors obligés de copier ce que nous avons fait avant parce que c’est la seule garantie que tu as pour essayer de contenter quelqu’un. Tu ne peux pas faire ça, non. Si nous sommes nous-même heureux, il y aura suffisamment de fans qui suivront, et puis, c’est tout. C’est tout ce qu’il y a à faire. Mais tu ne peux pas… C’est comme, il y des fans qui te disent ce qu’ils veulent entendre sur scène, dans la setlist. Je suis désolé mais nous ne pouvons pas faire ça. Nous vous disons ce que nous jouons dans la setlist. Tu ne peux pas contenter tout le monde.
Roger : Il faut être un leader, pas un suiveur. Pour avoir ce genre de succès… « Succès », je déteste le mot « succès »… Mais pour être qui nous sommes, nous devons ne pas écouter les sources extérieures ou quoi que ce soit de ce genre. Nous devons vraiment juste nous faire plaisir à nous-même. Et jusqu’ici, ça a bien fonctionné ! Peut-être qu’un jour nous ferons les choses comme il faut [rires].
Ritchie Blackmore a surpris tout le monde en formant une nouvelle version de tournée de Rainbow. Quel est votre sentiment par rapport à ça ? Est-ce que vous vous attendiez à ce qu’il revienne au rock un jour ?
Bonne chance à lui !
Ian : J’espère qu’il sortira un vraiment très bon album de rock. Il se peut que Ritchie ne soit pas d’accord aujourd’hui mais ça, pour moi, c’est ce qu’il est, c’est un super guitariste de rock.
Roger : Un guitariste fantastique !
Ian : Et très inventif. C’est sa force, c’est mon sentiment par rapport à ce que j’aimerais voir se produire. Après, à savoir s’il veut le faire, je n’en sais rien du tout.
Interview réalisée en face à face le 24 février 2017 par Aline Meyer.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt & Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jim Rakete.
Site Internet officiel de Deep Purple : www.deeppurple.com
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47 ans que je les écoutes à totalité de leurs albums sont à la maison et chaque fois qu ils passent en France je vais les voir j ai beaucoup de respect pour eux mon plus grand bonheur serai de les rencontre cars ils ne peuvent savoir à quel point il me donne la pêche quand je les écoutes encore bravo et merci pour ce bel interwiun herve
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interview riche d’intelligence d’un groupe mythique toujours dans le vent pour notre grand plaisir à écouter et réécouter
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« Il nous faut plus de turcs comme ça ! » 😉
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