« Une nécessité ». C’est en ces termes que Joe Elliott explique pourquoi Def Leppard continue encore de faire des albums, alors qu’il est lucide et sait pertinemment qu’aucun album qu’ils produiront aujourd’hui n’atteindra le succès de leur âge d’or. Finalement, c’est peut-être aussi ce qui leur a donné une certaine liberté artistique sur leur nouvel album Diamond Star Halos, se détachant de la sempiternelle comparaison au mythique Hysteria (1987) et embrassant toutes leurs affinités, du rock alternatif avec ces arrangements ethniques déjà éprouvé sur Slang (1996) aux grooves funkisants, en passant par la country et évidemment, surtout, leur premier amour qu’a été le glam rock britannique.
De liberté il a également été question lors du processus même de conception du disque, puisque d’une session de seulement quelques semaines pour « voir ce qu’ils avaient », ils sont passés à une création d’album sans date butoir où chacun travaillait en parallèle tout en gardant un lien permanent. Une nouvelle méthode de travail rendue obligatoire par la pandémie. Nous nous sommes entretenus avec le chanteur afin qu’il nous parle de cet opus conçu dans des circonstances un peu particulières, mais aussi d’une variété de sujets qu’il prend le temps de développer, en nous donnant par exemple les ingrédients « secrets » pour créer un hymne rock…
« D’un point de vue composition, c’est la première fois que nous n’avons pas consciemment pris en considération notre propre musique comme point de référence. »
Radio Metal : Vous avez réalisé Diamond Star Halos au cours des deux dernières années sans la pression de dates butoirs et d’un emploi du temps figé, mais aussi à distance, simultanément dans trois différents pays. Les interactions physiques entre les membres du groupe ne vous ont pas manqué ?
Joe Elliott (chant) : En fait, non ! C’est ce qui était intéressant. Ce n’est pas que nous ne voulions pas être les uns auprès des autres, c’est que ça nous était physiquement impossible. Nous étions censés commencer une session d’enregistrement, ça n’était même pas prévu que ça aboutisse à un album, c’était juste pour voir ce que nous avions. Nous devions partir en tournée en juin 2020, ce qui voulait dire que les répétitions pour cette tournée allaient avoir lieu en mai. Nous avions prévu de nous réunir fin mars dans mon studio ici en Irlande, donc nous avions deux jours en mars et la majeure partie d’avril pour voir ce que nous avions. Nous n’aurions jamais pu obtenir un album en seulement quatre ou cinq semaines. Mais le jour où ils étaient censés prendre l’avion était celui où a débuté le confinement, quand plus personne n’avait le droit de voyager et d’interagir physiquement. Nous n’avions donc d’autre choix que de réfléchir à une autre manière de travailler. C’était soit ça, soit rien du tout. Nous ne voulions vraiment pas ne rien faire, car nous l’avons vu comme une opportunité d’essayer quelque chose de nouveau et de différent.
Nous nous étions déjà essayés par le passé à l’enregistrement à distance, mais seulement à toute petite échelle. En conséquence, nous avons décidé de nous engouffrer à fond là-dedans et de le faire à cent pour cent de cette façon, juste pour les quatre ou cinq premières semaines, c’est tout ce que ça devait être. En mars 2020, on ne savait pas le temps qu’allait durer le confinement. On pensait que ça durerait peut-être une semaine ou deux ou trois ou un mois. On ne se rendait pas compte à l’époque que ça allait prendre pratiquement deux ans. Initialement, nous étions souvent au téléphone, à s’envoyer des MP3 d’idées de chansons. Lors du premier coup de fil que j’ai eu avec Phil le jour du confinement, j’ai dit : « Bon, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? » et nous avons pris la décision de tenter le coup et d’essayer d’enregistrer par internet, et c’est essentiellement ce que nous avons fait. Et j’ai dit à Phil : « D’accord, alors tu as quoi ? » Il a dit : « J’ai écrit deux chansons tout seul. J’en ai écrit une avec un ami » et puis je l’ai supplié de déterrer « This Guitar » qui traînait depuis très longtemps. Il y avait donc quatre chansons du côté de Phil, j’en avais trois et Sav en avait deux. Nous avions donc neuf chansons pour démarrer.
Et quand le confinement a été rallongé et que nous prenions conscience que la tournée allait être reportée et donc qu’il n’y aurait pas de répétition en mai, tout d’un coup, notre session d’enregistrement était désormais une session ouverte. Il n’y avait pas de date de fin parce qu’il n’y avait rien qui nécessitait que nous nous préparions. La tournée était annulée pour au moins une année. C’était bien parce que nous nous retrouvions dans cette situation où nous étions en train d’enregistrer et pouvions continuer, donc plutôt que d’avoir trois ou quatre trucs que nous aurions peut-être à moitié finis au moment où nous aurions commencé les répétitions pour la tournée, nous avions maintenant neuf chansons et nous allions en faire d’autres. Et nous l’avons fait, Phil et moi, en particulier, avons composé cinq chansons rien qu’en s’échangeant des idées. Il m’envoyait de la musique et j’écrivais des paroles et des mélodies par-dessus. Nous nous les échangions pour obtenir l’approbation de l’autre, si tu veux. Ronan [McHugh], notre producteur, est le gars dont le boulot était de rassembler tous les enregistrements et de les coller ensemble. Ça a superbement bien marché, ce n’était pas un problème. En fait, je crois que c’est la conception d’un album la plus amusante que nous ayons jamais connue, parce que tout le monde était chez soi, à vivre sa vie, sans avoir à se rendre quelque part de précis pendant une courte période de temps et à essayer de tout caser dedans. Nous sommes parvenus à faire l’album très tranquillement, parce que nous n’avions pas d’obligation de le livrer à qui que ce soit, vu que nous n’avions pas de contrat avec une maison de disques quand nous l’avons commencé, ça allait venir plus tard. Nous composions juste pour nous amuser et nous nous enregistrions nous-mêmes. Nous trouvions que nous étions en train d’écrire et d’enregistrer des chansons vraiment super, donc c’était un vrai bonus super excitant pour nous.
Quand tout le monde est chez moi, c’est super, ça n’a jamais posé problème en trente ans, ça a toujours très bien fonctionné. Dans le fond, je suis un bon hôte et eux sont de bons invités. Mais si, disons, je suis en train de chanter l’une des nouvelles chansons et qu’ils sont tous là, pendant ce temps ils restent chez moi à ne rien faire au lieu d’être chez eux à avancer sur d’autres choses. Nous sommes tous un plus vieux maintenant, nous avons tous une famille et nous pouvions faire d’autres choses tout en faisant un album. Toute l’énergie a été dépensée dans l’album sur le plan musical et non pas sur le fait de voyager, à devoir se rendre quelque part où nous n’avons pas forcément envie d’être et à devoir essayer de tout finir en un mois ou deux. Nous étions totalement libres, à vivre, à dormir dans notre propre lit, à nous éclater quand nous n’étions pas en train de travailler sur l’album. Chaque membre du groupe, individuellement, pouvait travailler sur n’importe quelle chanson. Ce n’est pas comme si à un instant donné, nous faisions seulement une chanson. Phil pouvait faire les guitares sur une chanson, je pouvais chanter sur une seconde chanson, Vivian pouvait jouer la guitare sur une troisième chanson… C’était une situation créative et ça a très bien fonctionné.
« Ma musique, celle qui est vraiment rentrée dans mon âme, c’était les trucs anglais de 1971 à 1975. J’étais une éponge et ces musiques m’ont suivi toute ma vie et elles ne me quitteront jamais. J’ai soixante-deux ans maintenant et j’écoute encore ça comme si j’avais douze ans. C’est presque une obsession chez moi. »
Ce sont des chansons très exaltantes qui sonnent même parfois comme si elles avaient été faites pour les stades : comment êtes-vous parvenus à vous mettre dans cet état d’esprit quand le monde autour de vous générait autant d’angoisse et d’obscurité, et quand il y avait une telle incertitude par rapport à l’industrie musicale ? Ou bien en aviez-vous justement besoin, un peu comme une forme de méthode Coué ?
C’est une bonne question. Je pense qu’il faut voir ça de la même façon qu’on voit un comédien mis dans la même situation. Si un comédien raconte des blagues, même s’il doit le faire sur internet depuis sa propre chambre, il racontera des blagues et il essaiera de faire rire les gens, peu importe à quel point le monde extérieur est sombre. Nous sommes fondamentalement un groupe de rock n’ roll qui mise sur l’évasion. Nous écrivons des chansons à propos de la vraie vie du point de vue des êtres humains, et pas forcément dans une zone de guerre ou en temps de pandémie. En d’autres termes, nous écrivons des chansons qui sont là pour divertir les gens, pas pour les éduquer. Donc quand nous nous sommes posés pour écrire ces chansons, l’une des premières choses dont Phil et moi avons discuté était que nous voulions que ce soit un album détaché de la pandémie. Nous ne voulions pas faire un album où Def Leppard essaye d’avoir l’air intelligent à parler de politique, de santé ou je ne sais quoi, et qu’ensuite, quand ça fait deux ans que l’album est sorti, il sonne complètement dépassé parce qu’il ne parle que de 2020 et d’à quel point cette année a été affreuse. Nous voulons que les gens écoutent cet album dans dix ans et avec un peu de chance, ils auront oublié la pandémie. On ne peut pas oublier le fait qu’on a peut-être perdu des proches ou qu’on est tombé très malade ou peu importe, mais on peut passer à autre chose. Je ne pense pas qu’écouter un album qui va nous renvoyer à cette période aidera ce processus et ça ne rendra pas non plus l’album meilleur. En fait, ça le rendra moins bon parce qu’il va toujours nous rappeler une mauvaise époque.
Nous voulions juste faire un bon album classique. Nous voulions faire un album comme Hysteria a été fait. C’est juste un tas de super chansons, comme ces albums qui nous ont impressionnés quand nous étions des gamins et de jeunes adultes : Hotel California des Eagles, Rumours de Fleetwood Mac, A Day At The Races ou A Night At The Opera ou Sheer Heart Attack de Queen, Tattoo You des Rolling Stones ou n’importe quel album des Beatles… Nous voulions juste faire un super album et nous ne voulions pas que la pandémie ou le coronavirus en fassent partie. Nous voulions juste écrire de super chansons. Le fait d’être coincés en intérieur et d’avoir tout ce temps à notre disposition a clairement ouvert nos capacités de composition. Nous n’étions pas piégés ou enlisés dans la routine à nous dire : « D’accord, on doit faire un album qui sonne comme Def Leppard. » Si nous composions une chanson qui sonnait comme Def Leppard, super ! Et si nous composions une chanson qui sonnait tellement country que ça semblait être une bonne idée d’avoir Alisson Krauss dessus, ou si je composais une chanson au piano qui rappelait un peu Elton John ou David Bowie et que nous pouvions avoir Mike Garson pour jouer du piano dans l’album, super ! Nous élargissions nos horizons, et c’est exactement ce que cette situation nous permettait de faire, car nous ne faisions obstacle à aucune chanson. Nous ne disions pas : « Oh, il faut que ça sonne comme un certain type d’album. Def Leppard doit uniquement se concentrer sur les guitares. » Nous avons dit : « Non, le piano c’est bien. Le ukulélé c’est bien. Les orchestres c’est bien. Des musiciens et chanteurs invités c’est bien. » Ça nous a poussés à beaucoup plus sortir des schémas établis.
Il y a une intention claire de célébrer l’esprit classic rock, mais alors qu’il y a une tendance actuellement chez les groupes à faire de la musique rétro, vous êtes parvenus à faire que cet album sonne actuel. Démontrez-vous que le classic rock n’est pas qu’un truc des années 70 ou une question de sonner vieux ou rétro ?
C’est une remarque très intéressante parce que si on regarde cet album sous différents angles, tu as raison en un sens et tu as complètement tort en un autre sens. Du point de vue musical, je trouve que cet album renvoie directement aux années 70. Quand j’ai composé au piano « Angels » et « Goodbye For Good This Time », je n’essayais pas de copier, mais j’étais influencé par des gens comme David Bowie et Elton John, et plus particulièrement par leur musique des années 70, comme Hunky Dory ou Madman Across The Water. Une grande partie des chansons que Sav a composées est très influencée par Queen, donc là aussi ça renvoie aux années 70. La différence est que Ronan McHugh et nous-mêmes en tant que coproducteurs et arrangeurs utilisons beaucoup de sons et de processus d’enregistrement contemporains, car quand on enregistre à cent pour cent en confinement et à distance, on enregistre à cent pour cent en numérique. Malgré tout, nous faisons en sorte que le numérique sonne analogique car Ronan est un extraordinaire ingénieur et nous sommes très bons quand il s’agit de lui dicter ce dont nous avons besoin quand nous lui parlons et disons : « Je veux que ça sonne comme Jimi Hendrix. Je veux que ça sonne comme Brian May. Mais je veux que ça sonne comme ils auraient sonné s’ils jouaient encore sur des albums aujourd’hui. » C’est la différence.
« Il y a absolument des règles pour faire un hymne. Il y a un certain type de tempo qui fonctionne pour ça. Ce type de chanson ne peut pas être trop lent, ni trop rapide, il ne peut pas y avoir trop d’accords et il faut une énorme accroche qu’un stade complet pourrait chanter en chœur. »
Je pense que d’un point de vue production, l’album sonne parfaitement actuel. Mais d’un point de vue composition, c’est la première fois que nous n’avons pas consciemment pris en considération notre propre musique comme point de référence. Nous ne l’avons pas évité exprès, mais je parlais à Phil tous les jours pendant dix-huit mois… Nous avons fait cet album en environ sept ou huit mois, mais nous avons ensuite attendu avec cette musique sous le coude pendant plus d’un an. Nous aurions pu sortir cet album en 2021. Il pouvait arriver que nous revenions dessus tous les trois ou quatre mois et faisions un petit changement, mais de façon générale, tout a été fait en 2020. Quand Phil et moi nous posions pour travailler sur la musique et en parler, l’idée était surtout de saisir l’instant présent, et à ce moment-là nous devions être séparés l’un de l’autre, mais il fallait quand même que ça sonne comme si nous étions ensemble. Nous étions très qualifiés pour faire ça parce que nous travaillons ensemble dans ce groupe depuis très longtemps. Nous avons travaillé avec Mutt Lange qui était un génie quand il s’agissait d’utiliser la technologie et nous avons énormément appris de lui. Donc même livrés à nous-mêmes, nous étions en mesure de réussir.
Quand nous parlions des chansons, nous disions des choses comme « ça sonne un peu comme Queen » ou « ça sonne un peu comme les Eagles », mais nous nous référions rarement à nous-mêmes. Il y a quelques chansons qui sonnent clairement Def Leppard. Disons, par exemple, « Gimme A Kiss », « All We Need » et « SOS Emergency » sont des morceaux classiques de Def Leppard, mais je trouve que sur le reste des chansons, nous nous exprimons et nous repoussons beaucoup plus les frontières. Plus que tout, ce sont les directives de composition des années 70. Elles ne sonnent pas comme des chansons des années 80, elles sonnent comme des chansons de l’époque où nous nous sommes intéressés à la musique, c’est-à-dire tout ce qui va de Rod Stewart, Faces, Humble Pie, Deep Purple aux groupes de pop comme Slade, Sweet, Bowie et T. Rex. C’est là que la source d’inspiration est née, mais nous voulions que ça sonne comme un groupe qui a enregistré en 2021. L’album sonne comme s’il avait pu être enregistré la semaine dernière, alors qu’il a été enregistré il y a deux ans, mais c’est parce que Ronan est vraiment un super producteur qui utilise de vrais sons. Il a brillamment tout collé ensemble. Donc je dirais que tu as à moitié raison sur cette question en particulier.
Il y a clairement plein de clins d’œil à vos premières influences collectives dans Diamond Star Halos. Si on remonte le temps, peux-tu nous parler du jeune Joe Elliott qui absorbait toute cette musique au début des années 70 ?
C’est exactement ce que j’étais : j’étais une éponge. J’étais un énorme fan de musique bien avant les années 70. Je suis né en 1959, donc j’ai écouté les Beatles à l’âge de quatre ans. Je sais que les gens pensent que je n’en avais pas vraiment conscience à quatre ans, mais j’ai regardé ma fille de cinq ans chanter chaque mot de chansons qui ont été enregistrées avant que je sois né [rires]. On peut accrocher à des choses, les apprendre et les apprécier quand on est très jeune. Elle adore tout ce qui va de « Who Let The Dogs Out » de Baha Men à C+C Music Factory, à Def Leppard, aux chansons du film La Reine Des Neiges. J’étais à fond dans la musique à partir de quatre ou cinq ans, mais j’écoutais la musique qu’écoutaient d’autres gens. J’écoutais les Beatles, les Rolling Stones, les Kinks, les Who, les Small Faces et ce genre de chose, mais je ne savais pas à l’époque que ce n’était pas mes groupes. Ce n’est que lorsque je suis devenu un jeune adolescent, vers 1971-1972, que tout d’un coup j’ai découvert ma musique, c’est-à-dire la scène glam rock britannique, T. Rex, David Bowie, Roxy Music, Cockney Rebel, Sweet, Slade et Wizzard, et en particulier Roy Wood qui est extraordinaire et est là depuis les années 60. J’adore toujours les Beatles et les Stones et je les écoute tout le temps, mais ma musique, celle qui est vraiment rentrée dans mon âme, c’était les trucs anglais de 1971 à 1975.
Donc c’était ça, j’étais une éponge et ces musiques m’ont suivi toute ma vie et elles ne me quitteront jamais. J’ai soixante-deux ans maintenant et j’écoute encore ça comme si j’avais douze ans, car c’est très important pour moi, ça m’excite et ça me rend heureux. C’est ça le truc avec la musique, même si c’est une chanson triste, c’est là pour nous rendre heureux, pour nous faire nous sentir soi-même et pour créer un lien avec elle. C’est presque une obsession chez moi. C’est la seule chose qui ne met jamais en colère. Je m’énerve quand mon équipe de football perd. Il n’y a que lorsqu’un musicien meurt que je suis très triste pendant quelques semaines, que ce soit Taylor Hawkins récemment ou David Bowie il y a six ans. Mais j’ai toujours leur musique, elle est éternelle, c’est ce qui est beau et c’est une autre raison pour laquelle nous continuons à faire de la musique. Nous ne voulons pas que les gens aient juste notre musique datant d’il y a trente ans : essayez de poser une oreille sur nos nouveaux morceaux, car ils sont sacrément bons !
« Si nous n’avions pas fait Slang, toi et moi ne serions pas en train de nous parler parce que nous n’aurions pas survécu. […] Nous avions fait tout le reste tant de fois et tellement bien que nous ne pouvions plus vraiment aller plus loin. »
Tu as déclaré que vous essayez toujours de composer le prochain « Pour Some Sugar On Me » ou « We Will Rock You » ou « I Love Rock ‘n’ Roll ». Mais peut-on consciemment composer un hymne ? Y a-t-il une recette ou, au moins, des règles à suivre pour obtenir une telle chanson ?
Oh oui, il y a absolument des règles. Je pense que tu as employé un très bon terme : recette. Tous les chefs cuisiniers qui ont un jour fait une émission de télé ne font essentiellement que cuisiner un repas que quelqu’un d’autre a fait un jour il y a des centaines d’années, ils ne font qu’y ajouter leur propre grain de sel. Il n’y a rien de nouveau dans la nourriture, ce sont littéralement des légumes ou une forme de protéine animale ; la seule nouveauté, ce sont ces produits de substitution pour remplacer la viande qui n’ont de cesse de s’améliorer. Mais ça reste des fruits et des légumes qui existent depuis des millions d’années. La différence est juste la façon dont on travaille avec.
Si tu veux écrire une chanson comme « We Will Rock You », « I Love Rock ‘n’ Roll », « Pour Some Sugar On Me », « Let’s Get Rocked » ou « Rock Of Ages », il y a un certain type de tempo qui fonctionne pour ça. Ce type de chanson ne peut pas être trop lent, ni trop rapide, il ne peut pas y avoir trop d’accords et il faut une énorme accroche qu’un stade complet pourrait chanter en chœur. « We Will Rock You » est probablement le meilleur exemple dans le lot car il n’y a même pas le moindre instrument, à part la batterie. Il faut que ce soit simple, mais écrire ces chansons est très dur parce que toutes les bonnes ont déjà été écrites. C’est pourquoi Phil dit généralement que nous essayons toujours, mais qu’on n’y arrive pas toujours. Ce n’est pas facile à faire quand la plupart ont déjà été faites, mais on recherche quelque chose qui soit, au moins, hymnique. Et sur cet album, nous avons des chansons comme « Kick » et « Fire It Up » que je trouve très hymniques. Je pense que « Gimme A Kiss » est un autre super exemple, ça me rappelle les Rolling Stones. Ça ne sonne pas comme les Rollings Stones – ne te méprends pas – mais on retrouve l’esprit d’une chanson comme « Start Me Up », c’est très exaltant et positif, comme la majorité de l’album. Même des choses plus lentes comme « This Guitar » racontent une super histoire, tout comme les deux morceaux au piano qui ont aussi de super mélodies et cet autre ingrédient dont on ne parle pas beaucoup : le côté dramatique. Il y a beaucoup de drame dans « Angels » et « Goodbye For Good This Time ». Je pense que ça rajoute une saveur à cet album. Nous sommes un groupe qui aime faire des chansons sur lesquelles le public chante en chœur, donc elles ont un côté hymnique à cet égard.
« Liquid Dust » rappelle beaucoup l’album controversé Slang, d’un point de vue mélodique, des orchestrations orientales et des percussions world music. Je ne sais pas si tu ressens la même chose, mais est-ce une manière de montrer que vous embrassez et assumez tout ce que vous avez fait ? Que les changements de style ont toujours été une richesse et non un abandon des fans ?
Je pense que c’est une bonne remarque. Si on devait catégoriser les chansons dans cet album, « Liquid Dust » est-ce qu’on appellerait un morceau classique d’album. Nous ne nous attendrions jamais à ce qu’une radio pop le joue, c’est fait pour être écouté au sein de l’album. Comme tu n’essayes pas de le faire passer en radio, tu ne prends pas la peine de faire des choses simplistes, tu peux être plus expérimental, et c’est pourquoi nous utilisons les mélodies indiennes pour les orchestrations de cette chanson. C’est effectivement probablement la chanson la plus proche de Slang. Et oui, nous assumons vraiment Slang parce que nous aurions très facilement pu faire le fils d’Adrenalize, car nous étions doués pour faire ce genre de chose, mais nous l’avions fait sur trois albums et nous voulions faire autre chose à l’époque.
Slang correspond à une étrange période pour ce groupe. Nous entrions tout juste dans notre trentaine, voire dans le milieu de celle-ci, et nous vivions certaines émotions et certains cas de figure pour la première fois dans notre vie privée à tous dans lesquels nous pouvions puiser pour l’écriture. Par exemple, durant toute cette période du début au milieu des années 90, c’était la première fois que des membres du groupe avaient vécu la mort d’un parent, un mariage, un divorce ou la naissance d’un enfant, ça nous a donc placés dans un tout autre état d’esprit que quand nous étions dans la vingtaine et que nous avons fait Pyromania. Nous étions jeunes, nous sortions tout juste de l’adolescence, la vie était éternelle, c’était amusant, nous n’avions pas la moindre responsabilité. Avec Slang, nous étions des personnes différentes et ça commençait à ressortir dans notre écriture, ça l’a rendue un peu plus sombre, ce qui est une bonne chose parce que nous voulions faire un album différent. Nous avons toujours dit, depuis que des gens comme toi mentionnent ça à propos de Slang, que si nous ne l’avions pas fait, toi et moi ne serions pas en train de nous parler parce que nous n’aurions pas survécu.
« Ce que nous avons découvert au cours des années était que les artistes de country entendaient une chanson de Def Leppard et disaient : ‘C’est une harmonie de country !’ Nous n’en avions pas forcément conscience, mais Mutt Lange si. »
Faire Slang nous a permis, artistiquement, de revenir directement à l’épicentre et de littéralement recommencer, parce que nous avions fait tout le reste tant de fois et tellement bien que nous ne pouvions plus vraiment aller plus loin. Nous ne voulions pas faire ce que fait AC/DC, c’est-à-dire faire le même album à chaque fois qu’on en sort un nouveau. Ce n’est pas une critique, c’est le style d’AC/DC, c’est leur truc. J’ai toujours voulu que nous soyons plus comme Queen, où on trouve tous ces morceaux électriques purement à la Brian May, ceux plus calmes de Freddie Mercury, ceux plus à la Bowie de Roger Taylor et puis toutes les musiques pop que John Deacon écrivait. Je voulais que nous puissions partir dans différentes directions. Slang a fermé la porte pendant un temps à nos grosses productions glam pop et nous avons fait un disque qui était principalement constitué de morceaux d’album. Nous avions deux ou trois singles qui ont correctement marché, mais nous savions que ça n’allait pas être un album qui aurait un énorme succès car il n’allait jamais faire de percée dans le côté commercial comme l’ont fait nos œuvres précédentes.
Donc « Liquid Dust » et peut-être même la chanson qui suit, c’est-à-dire « U Rok Mi », sont des morceaux classiques d’album qui ont peut-être un peu plus de mélodie que n’en avait Slang et sont peut-être une version améliorée de ce qu’on trouve sur Slang, si tu veux. Mais Slang était un ingrédient très important pour que Def Leppard arrive là où il est aujourd’hui, où nous pouvons inclure des chansons qui sonnent comme « Hysteria » ou « Pour Some Sugar On Me » et des chansons qui sonnent comme si elles venaient de Slang, et faire en sorte qu’elles aillent bien ensemble dans le même album. C’est l’aspect important.
Alisson Krauss apparaît sur deux chansons. C’est drôle, parce que vous aviez Tim McGraw sur « Nine Lives » à l’époque de Songs From The Sparkle Lounge et vous avez même été nominés pour un prix country pour votre prestation en compagnie de Taylor Swift en 2008. C’est quoi le truc entre Def Leppard et la country américaine ? D’où vient le lien entre les deux ?
C’est intéressant. Mutt Lange, notre producteur originel qui a produit High ‘n’ Dry jusqu’à Adrenalize, est un énorme fan de country et il connaît la musique country et ses subtilités mieux que je ne le pourrais jamais. Quand nous étions en train de travailler sur les harmonies vocales sur les albums que nous avons faits avec lui, il lui arrivait de suggérer de changer la mélodie sur un mot spécifique pour le passer en mineur, ou en majeur si c’était déjà du mineur, et c’était un changement vraiment subtil qui créait une harmonie un petit peu moins standard dans le rock, nous trouvions ça cool. Ce que nous avons découvert au cours des années suivantes était que les gens comme finalement Taylor Swift, mais aussi Tim McGraw, Keith Urban, Faith Ill et évidemment Alisson Krauss entendaient une chanson de Def Leppard et disaient : « C’est une harmonie de country ! » Nous n’en avions pas forcément conscience, mais Mutt Lange si et eux aussi car ce sont des stars de la country. Ils se sont vraiment entichés de nos harmonies vocales, d’abord parce que tout le monde dans le groupe est capable de vraiment bien chanter et que nos harmonies vocales sont donc vraies, mais aussi parce que peut-être elles ont une petite teinte country qui séduit d’autant plus les artistes country. Je pense que c’est l’une des principales raisons pour lesquelles pas mal d’artistes de country écoutaient du Def Leppard.
En ce qui concerne Alisson Krauss, je la connais depuis l’album Slang. Elle m’a en fait interviewé pour le magazine Q – un vieux magazine anglais qui n’existe plus. Elle était la journaliste parce qu’elle voulait savoir de l’intérieur comment étaient construites nos harmonies. Ça fait donc bien vingt-cinq voire presque trente ans que nous connaissons Alisson. Quand elle a eu vent du fait que nous étions en train de faire un nouvel album – elle l’a su par le biais de Robert Plant, car Robert était en train de travailler avec elle sur leur second album, et il lui a dit car j’avais discuté avec lui d’autre chose, de football en l’occurrence, et il se trouve que j’ai mentionné que nous étions en train de faire ce nouvel album –, il est revenu à nos oreilles qu’elle était vraiment excitée par ça. Quelqu’un a suggéré que nous devrions lui demander si elle voulait chanter dessus, donc nous l’avons fait et elle a répondu qu’elle adorerait. Je lui ai envoyé les deux chansons parmi lesquelles nous pensions qu’elle pourrait choisir, c’est-à-dire « Lifeless » et « This Guitar », qui étaient les deux chansons un peu country de l’album, mais elle n’arrivait pas à se décider, elle aimait les deux. Alors j’ai juste dit : « Aimerais-tu chanter sur les deux ? » Elle a dit : « Super ! » Voilà comment nous avons impliqué Alisson Krauss et son travail dans l’album est super. Elle a transformé deux chansons très correctes en chansons fantastiques.
« Nous ne voulions pas du tout faire partie de la New Wave Of British Heavy Metal ou du mouvement hair metal parce que je me disais que lorsqu’un mouvement meurt, tous les groupes qui en font partie meurent. Il fallait donc que nous soyons un groupe qui évolue seul. »
« U Rok Mi » et « Open Your Eyes » sont des chansons très groovy, un peu dans la lignée de « All Night » et « Man Enough ». Est-ce que le funk, la soul et la musique groove ont eu un impact plus important sur Def Leppard que les gens ne le réalisent ?
Oui, probablement. En particulier Phil et moi avons toujours été fans de toutes sortes de musiques. Ce n’est pas parce que nous ne faisons pas un type de musique particulier que nous n’en sommes pas fans. Je me souviens avoir lu des tas de fois quand j’étais gamin que John Bonham de Led Zeppelin était un énorme fan de la Motown, tout comme moi et Phil. Phil est un énorme fan de Prince. Nous sommes aussi fans de bonne soul classique, que ce soit les Commodores, les Fourt Tops, Otis Redding ou les Temptations. Rod Stewart était un énorme fan des Temptations et des Four Tops, et pourtant il a toujours été un chanteur de rock. Des gens comme Paul Rodgers et Rod Stewart étaient des chanteurs de soul rock, et leurs racines sont dans les vieux trucs de R&B. Nous sommes fans mais nous n’avons jamais laissé ça beaucoup fuiter dans notre musique.
Il y a un titre bonus sur l’album Slang qui s’appelle « Move With Me Slowly », qui est le plus proche que nous ayons été de faire du R&B. Et même là, nous n’avons pas tout à fait réussi. Mais plus on essaye, plus on s’améliore, et nous étions plus ouverts d’esprit avec notre composition sur les deux derniers albums. Tu as mentionné « Man Enough », qui est un très bon exemple parce que quand Phil l’a mis sur la table, il a apporté une basse et a dit : « J’ai cette chanson, ça sonne un peu comme ‘Another One Bites The Dust’ de Queen. » Mais nous étions tous suffisamment grands pour dire : « Et alors ? » Je ne pense pas ce que soit grave. Nous sommes de grands fans de Queen, leur musique va forcément fuiter dans notre musique, c’est ainsi que ça fonctionne. Donc quand il s’agit de choses comme « Open Your Eyes » – la encore, un riff de basse – s’il y a un côté un peu funk, alors super, car je suis content si d’autres bouts de musique fuitent dans la nôtre ! Ça ne prendra jamais le dessus.
Pense aux deux chansons au piano, le pianiste est Mike Garson. C’est un pianiste de jazz avant-gardiste et non pas un pianiste standard, donc la couleur qu’il donne à ces deux chansons est grandement différente de celle que j’aurais donnée si j’avais utilisé le piano que j’ai enregistré sur la démo. Ce qu’il a fait avec ces deux chansons, c’est les colorer, et il les a colorées avec juste assez de jazz avant-gardiste pour apporter une autre saveur sans rebuter les gens. Donc nous avons ça et un peu de soul ou de funk qui fuite dans notre musique, et c’est ce qui arrivait avec Queen : ça restait un groupe de rock, mais ils élargissaient leurs horizons, et c’est exactement ce que nous essayions de faire ici.
Vous allez bientôt partir dans une tournée des stades avec Mötley Crüe, ainsi que Poison et Joan Jett. La première fois que vous avez vu Mötley Crüe était quand ils ont ouvert pour Def Leppard en 1983 au stade Jack Murphy de San Diego : qu’as-tu pensé de ce groupe à l’époque ?
Je n’ai pas vu grand-chose de leur prestation, pour être honnête. C’était le premier groupe à passer sur quatre. Il y avait nous, Uriah Heep, Eddie Money et ce tout nouveau groupe qui s’appelait Mötley Crüe a joué pendant trente minutes. Je ne suis même pas sûr que nous étions tous là [au moment où ils jouaient]. J’étais en coulisse parce que j’avais acheté ma toute première caméra, donc j’étais en train de tout filmer. Il y avait cinquante-cinq mille personnes, donc j’ai passé la majeure partie de mon temps à filmer le public depuis la zone des loges. On peut les entendre jouer dans le fond et les voir sortir de scène, mais nous ne les avons pas vus ce jour-là pour dire bonjour car ils étaient partis avant que nous montions sur scène, donc nous ne les avons pas connus avant… Dans les années 80, il arrivait que nous soyons à Los Angeles en même temps qu’eux et il se peut que nous ayons dit bonjour à quelqu’un si nous étions au Rainbow. Mais je n’ai pas eu l’occasion de connaître Mötley Crüe avant que nous tournions avec eux il y a onze ans au Royaume-Uni – ils avaient ouvert pour Def Leppard en 2011. J’ai fait l’émission de radio de Nikki Sixx une demi-douzaine de fois, que ce soit avec Def Leppard ou Down ‘n’ Outz, et j’ai beaucoup échangé avec lui par e-mail. Mais la première fois que nous les avons vus était sur MTV, comme tout le monde. Pour moi, la toute première fois, je crois que c’était « Home Sweet Home » en 1985. Ils ont diffusé cette chanson toutes les heures pendant un an, donc on ne pouvait pas passer à côté ! [Rires] Dr. Feelgood est devenu un très gros album qu’on entendait souvent à la radio. Mais je ne les avais jamais vus en live avant qu’ils ne fassent notre première partie ; je n’étais jamais là quand ils étaient en train de tourner et nous étions toujours occupés à faire d’autres choses, mais ils ont de super morceaux. Ça forme une très belle affiche d’avoir tous ces groupes, y compris Joan Jett qui a eu d’énormes tubes. Je veux dire qu’elle est en quatrième position sur l’affiche, mais elle est au Rock And Roll Hall Of Fame. C’est une grosse tournée.
« Nous n’avons pas laissé ces deux années être gâchées, nous avons travaillé très dur pour mettre en forme cet album et au-delà de ça, nous avons d’autres choses dont je ne suis pas encore prêt à parler, mais nous avons travaillé sur bien plus que cet album. »
Vous avez toujours revendiqué de faire partie d’aucun mouvement, ni la New Wave Of British Heavy Metal, ni le mouvement hair metal, en dépit des étiquettes que les journalistes ont essayé de vous mettre. Penses-tu qu’être à part est l’une des clés de la longévité dans cette industrie ?
Pour nous, c’est le cas. Peut-être que certains groupes aiment faire partie d’un mouvement. Je suppose que ça dépend du niveau de succès qu’on atteint. Si tu prends le mouvement ska, il n’y a pas véritablement un seul groupe majeur qui peut dire souhaiter être labellisé ska. Peut-être Madness, je suppose, mais ils sont arrivés vingt ans après le mouvement originel. Si tu prends le reggae, Bob Marely c’est du reggae, Peter Tosh c’est du reggae, et ensuite, il y a une centaine d’autres groupes de reggae qui ne sont pas très bons. Pareil pour la New Wave Of British Heavy Metal ou le hair metal dans les années 80 à Los Angeles. Nous ne voulions pas du tout en faire partie parce que je me disais que lorsqu’un mouvement meurt, tous les groupes qui en font partie meurent. Il fallait donc que nous soyons un groupe qui évolue seul. Nous avons pris notre position par rapport à ce que nous sommes et qui nous sommes en nous inspirant des gens que nous regardions en grandissant, comme les Beatles, les Rolling Stones, les Who, les Kinks, Led Zeppelin, Pink Floyd… C’était tous d’énormes groupes qui ne faisaient partie de rien du tout. Queen ne faisait partie de rien du tout, c’était juste Queen. Nous ne voulions pas être mis dans le même panier qu’un tas d’autres groupes.
Quand on pense à tous les groupes sortis de la New Wave Of British Heavy Metal, le seul qui a survécu, c’est Iron Maiden. Et je ne pense même pas qu’ils aiment être étiquetés comme faisant partie d’un mouvement. Ils étaient Iron Maiden et ils voulaient juste être Iron Maiden. Nous voulions être Def Leppard et ne pas être attachés à un quelconque mouvement. Donc pour nous, c’est absolument notre position, nous lui sommes restés fidèles et ce sera toujours le cas. Pour clarifier, je n’ai rien contre aucun de ces groupes. C’est juste que je ne voulais pas être catégorisé comme faisant partie de ça par des journalistes paresseux. Nous sommes Def Leppard, point final.
Dee Snider a qualifié les nouvelles musiques des artistes connus pour leur héritage de « chansons pour aller aux toilettes », parce que le public part pour aller aux toilettes dès qu’ils jouent une nouvelle chanson, c’est pourquoi il n’a jamais vraiment fait de nouvel album avec Twisted Sister depuis 1987. N’as-tu pas cette inquiétude avec les fans de Def Leppard pendant les concerts ou y a-t-il aussi une part d’égoïsme dans votre désir de créer de la musique ?
Ce n’est pas égoïste, c’est juste une nécessité. Dee Snider a le droit de faire tout ce qu’il veut. J’aime Dee, c’est un bon gars, je lui ai parlé lors de son émission. Je n’avais pas réalisé qu’il n’avait fait aucune nouvelle musique. Depuis 1987, tu dis ?
Pas de nouvel album avec Twisted Sister, mais il a fait des albums solos.
Voilà le truc. Peut-être que Dee n’a pas la tête remplie de chansons, donc il n’a pas la frustration d’aller dans sa tombe avec ces centaines de chansons qu’il ne s’embête pas à écrire. Personnellement, je ne peux pas faire ça. J’ai besoin de m’exprimer. Si je me réveille et que j’ai une mélodie dans ma tête, je vais l’enregistrer dans une sorte de machine, même si c’est juste mon iPhone, afin de ne pas l’oublier. Et ensuite, si elle trotte encore dans ma tête deux jours plus tard, je sais que c’est une graine de nouvelle idée et je vais vouloir travailler dessus, donc je vais soit prendre une guitare, soit m’asseoir au piano, et essayer de travailler cette mélodie pour en faire des paroles et une chanson. C’est ce que tout le monde a toujours fait dans Def Leppard. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions arrêter simplement parce que ce n’est plus à la mode. Elton John continuera à faire de la nouvelle musique. Paul McCartney vient de sortir un nouvel album il y a six mois. Les Rolling Stones sont activement en train de travailler sur un nouvel album. Springsteen fera toujours de la nouvelle musique. Aerosmith fera un nouvel album tôt ou tard. AC/DC et Bon Jovi ont sorti un nouvel album il y a deux ans… Certaines personnes adorent écrire de nouvelles chansons. Ce sont peut-être « des chansons pour aller aux toilettes » ou « des chansons pour aller au stand de merch acheter un t-shirt », mais si on n’essaye pas, comment peut-on gagner ? C’est comme acheter un ticket de loterie, on ne peut pas espérer et dire : « J’aimerais pouvoir gagner à la loterie » si on n’achète pas un putain de ticket. Il faut continuer à essayer.
« Nous acceptons qu’Hysteria est notre plus gros succès et qu’il le sera toujours. Nous ne ferons plus jamais d’album qui se vend à vingt-deux millions d’exemplaires. Nous ne sommes pas stupides, nous le savons. Mais ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas continuer d’essayer d’en faire un qui soit meilleur ou au moins aussi bon. »
Nous avons beaucoup de chance de ne pas être considérés comme des musiciens qui ne font que jouer live, même si nous adorons faire ça et que c’est la raison principale pour la quelle nous avons tous voulu intégrer un groupe. Mais une fois que nous avons reçu le livre de la composition, ça ne nous a jamais quittés. Si tu regardes l’histoire de ce groupe, individuellement, depuis le dernier album de Def Leppard en 2015, j’ai enregistré trois albums de Down ‘n’ Outz, dont un que j’ai entièrement composé moi-même. Phil a fait deux albums de Man Raze, je crois. Vivian a fait deux ou trois albums de Last In Line. Ce sont des exutoires pour des chansons qui n’auraient pas convenu au sein de Def Leppard, voilà à quel point ce groupe est créatif. C’était donc assez logique que, tôt ou tard, Def Leppard allait faire un nouvel album, nous attendions juste le bon moment, mais c’est arrivé par accident quand la pandémie a commencé et nous n’avions pas d’autre choix que de faire un album, car nous ne pouvions de toute façon pas faire de concerts. Le fait est que nous n’avons pas laissé ces deux années être gâchées, nous avons travaillé très dur pour mettre en forme cet album et au-delà de ça, nous avons d’autres choses dont je ne suis pas encore prêt à parler, mais nous avons travaillé sur bien plus que cet album. C’est sain de faire ça. Je ne pourrais pas éternellement tourner en rond et ne faire que jouer les tubes. On peut le faire pendant un an ou deux, on peut faire des concerts spécialisés comme la tournée Hysteria que nous avons faite en 2018 où nous avons joué l’album, mais c’était ponctuel, ce n’était pas à vie. Maintenant, nous sommes de nouveau dans une situation où nous nous apprêtons à faire une tournée des stades et où nous pouvons activement promouvoir le nouvel album, et c’est ce que nous faisons tous depuis 1980. Et j’aimerais croire que ça restera ainsi.
Tu viens de mentionner la tournée Hysteria de 2018. Cet album va avoir trente-cinq ans cette année, mais tu as déclaré que vous avez fait un pacte comme quoi vous ne ferez rien concernant Hysteria avant qu’il ait quarante ans. Evidemment, tout le monde vous parle toujours de cet album et la dernière fois que nous nous sommes parlé, tu nous as dit que les gens « jugeront toujours ce [que vous faites] sur la base de cet album ». Même si c’est votre plus gros album et que je suis sûr que vous êtes fiers de ce que vous avez accompli avec, est-ce qu’Hysteria est parfois devenu un fardeau pour le groupe ?
Oui, ça l’a été pendant longtemps. Ce n’est plus le cas. Les deux derniers albums de Def Leppard, c’est la première fois où nous n’avons jamais fait référence à cet album. Nous n’avons jamais dit : « Oh, cette chanson sonne trop comme quelque chose provenant d’Hsyteria » ou « Ça ne sonne pas assez comme quelque chose provenant d’Hysteria ». Nous l’avons effacé de notre mémoire. Et nous n’avons pas essayé de le faire exprès, ce n’était pas comme si nous étions allés chez un psychologue qui aurait dit : « N’y pensez pas », c’était parfaitement naturel. C’est juste que ça ne nous est pas venu une seule fois à l’esprit lors des deux derniers albums, donc je pense que nous avons tourné la page. En fait, je pense que nous sommes dans une bonne position maintenant où nous nous contentons d’être nous-mêmes et où nous acceptons qu’Hysteria est notre plus gros succès et qu’il le sera toujours. Nous ne ferons plus jamais d’album qui se vend à vingt-deux millions d’exemplaires. Nous ne sommes pas stupides, nous le savons. Mais ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas continuer d’essayer d’en faire un qui soit meilleur ou au moins aussi bon, au moins qui rivalise avec Hysteria. C’était difficile pendant un temps, mais avec l’âge et l’expérience, tu gères ces trucs et tu continues à vivre. Je suis content que nous l’ayons fait. Cet album nous a bien servis pendant des années et il continuera à le faire pendant encore longtemps. C’est notre Dark Side Of The Moon, c’est notre Sgt. Pepper, c’est notre Exile On Main Street… Je n’ai pas l’impression que ces groupes ont un problème avec ces albums, alors pourquoi devrions-nous en avoir un avec le nôtre ? Mais nous ne voulons rien faire de particulier avec cet album avant quarante ans parce que je ne pense pas que trente-cinq soit un anniversaire suffisamment important. Nous ferons quelque chose de très spécial dans cinq ans.
Interview réalisée par téléphone le 11 mai 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Anton Corbijn (1, 2, 4, 6, 8) & Nicolas Gricourt (3, 7, 9).
Site officiel de Def Leppard : www.defleppard.com
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