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Interview   

Deftones : l’art sous tension


Deftones 2016 - Photo credit Frank Maddocks

Bien que les Deftones aient fait partie intégrante du mouvement néo-metal dans les années 1990, ils ont vite perdu cette étiquette – dès White Pony en 2000 – pour incarner un univers avant-gardiste, éthéré et poétique, creusé entre vagues de violences et délices aériens. Gore, le dernier opus du groupe sorti deux décennies après leurs débuts continue d’incarner leur vision abstraite du rock, une perspective teintée de couleurs variées en fonction des élucubrations vocales d’un Chino Moreno au sommet de sa forme.

C’est avec lui, et un Sergio Vega désormais totalement intégré au groupe depuis l’accident et la disparition de Chi Cheng, que nous avons eu la chance de nous entretenir brièvement avant qu’ils ne foulent les planches parisiennes du Download pour un premier show français depuis les attentats de Paris de novembre 2015 qu’ils vécurent de très près (des membres du groupe étaient même présents au début du concert des Eagles Of Death Metal au Bataclan).

Nous sommes revenus sur cet épisode difficile avec eux, mais également sur ce qui est apparu de l’extérieur comme une collaboration peu évidente entre le guitariste Stephen Carpenter et le reste du groupe pour l’écriture du dernier album et également de manière plus générale sur le processus créatif du groupe. Quelques minutes plus tard, ils se montreront effectivement plus qu’enthousiastes et affûtés, sur la scène du Download, à retrouver ce public et ce pays qu’ils apprécient tant, comme ils nous l’avaient confié juste avant…

Deftones 2016 - Photo credit Frank Maddocks

« Ce n’est pas noir et blanc, ce n’est pas comme si Stephen aime la musique dure, j’aime la musique calme et c’est ça qui fait Deftones. […] Si tu me posais la question, je te dirais juste que j’aime la bonne musique ! »

Radio Metal : Stephen a dit dans une interview qu’ « au départ [il] ne voulai[t] pas jouer sur l’album » parce que « toutes les chansons […] était difficiles pour lui à rentrer dedans. » Et à ce sujet, Chino, tu as dit que « parfois les gens sont dans une mentalité différente et c’est aussi simple que ça. » Mais lorsque quelque chose de ce genre se produit, comment le gérez-vous ? Comment est-ce que vous le motivez et résolvez la situation pour pas que la musique n’en souffre ?

Chino Moreno (chant) : Il n’y a vraiment rien que nous puissions faire pour motiver quelqu’un. Ils doivent se motiver eux-mêmes, ce qui, au bout du compte, s’est produit. Il est très honnête à ce sujet, ça lui a pris du temps. Si tu veux ma sincère opinion, je pense qu’il était un peu… Je ne veux pas dire apeuré mais il était tendu à l’idée de se jeter à l’eau dans ce que nous faisions.

Sergio Vega (basse) : Car il se passait beaucoup de choses !

Chino : Car, honnêtement, nous avons commencé à travailler très vite. Les idées fusaient et ensuite il a dit : « Ok, je vais amener ça chez moi, travailler dessus et revenir avec quelque chose demain. » Ce qui n’a jamais été notre façon de travailler avant. Il allait donc chez lui, revenait et il devait encore [rattraper son retard parce que] les chansons commençaient à s’empiler. Avant qu’il ne s’en rende compte, nous avions déjà une poignée de chansons et je pense qu’il s’est senti dépassé et a juste levé les mains en l’air et dit : « Je ne… » Peu importe. Tu vois ce que je veux dire ? Et donc nous avons dû traverser quelques moments de ce genre. Mais au final, lorsqu’il a commencé à lentement rentrer dans le mouvement et s’impliquer, les chansons m’ont encore plus ébloui !

Sergio : Ouais, complètement ! Tu pensais qu’elles étaient finies mais ensuite il ajoutait quelque chose et ça les faisaient grandir ou ça les étendaient pour les emmener ailleurs où c’était super excitant. Et un autre truc qui n’a jamais été évoqué à ce sujet j’ai l’impression, c’est que malgré tout, il nous soutenait. Genre, il râlait ou disait ceci mais ensuite il se calmait et était là : « Je veux juste le laisser vivre et faire sa gestation, le temps que je comprenne le truc. » Ce n’était donc pas comme…

Chino : Car il a aussi écrit beaucoup de choses !

Sergio : Ouais, c’est un autre aspect de la question.

Chino : Les gens partent du principe… Ils entendent une chanson comme « Phantom Bride » et ils se disent : « Oh, je peux voir où Stephen… » Peu importe. Il a écrit cette chanson ! C’est la chanson la plus lente et la plus calme de l’album !

Sergio : Il a commencé avec cet arpège et nous avons construit à partir de ça. Donc même lorsqu’il y avait un truc comme ça, il était toujours…

Chino : Il en faisait quand même complètement parti. Et il était là, présent, tous les jours.

Depuis les tous débuts, la musique de Deftones a toujours été une question d’oppositions entre les parties agressives et metal, représentées par le jeu de guitare de Stephen Carpenter, et le côté plus mélodique et calme, caractérisé par les chants et atmosphères éthérées. Pensez-vous que la tension fait en fait partie intégrante de l’art de Deftones ainsi que son processus créatif ?

Je le crois mais je ne pense pas que ce soit tout noir ou tout blanc. Je pense qu’il y a beaucoup de couleurs et la moindre couleur est importante dans l’élaboration d’une recette.

Tu avais d’ailleurs expliqué que cet album avait des nuances de pourpre…

Ouais, en fait, ça c’est une question qu’on m’a posée par rapport à quelle couleur me venait à l’esprit pour cet album, mais là où je veux en venir, c’est que ce n’est pas noir et blanc, ce n’est pas comme si Stephen aime la musique dure, j’aime la musique calme et c’est ça qui fait Deftones. Stephen aime la musique calme… Et si tu me posais la question, je te dirais juste que j’aime la bonne musique ! Je n’en ai rien à foutre si c’est une chanson heavy, électronique, country, peu importe. J’aime les choses palpitantes à écouter. Et je pense que c’est ainsi que nous sommes. Ce n’est même pas tant « ce gars apportera tel ou tel type d’idée ». Tout le monde à différentes fluctuations d’humeur dans une journée. Tu pourrais nous croiser à n’importe quel moment et nous n’aurons peut-être pas la même mentalité mais lorsque tu nous mets ensemble à ce moment-là pour faire quelque chose, ça produit un truc unique rien que pour cette raison. Et ça vaut pour nous cinq.

Deftones - Gore

« Notre problème est que nous ne nous exprimons pas beaucoup vocalement. Parfois, ce n’est plus ou moins que de la communication avec nos propres instruments pour faire une chanson. »

Sergio : Ouais, parce que tu as cinq personnes dans une pièce et – j’y pensais tout à l’heure – pour moi, c’est surtout une question de comment ton esprit et tes pensées fonctionnent, c’est comme si tu avais tous ces gargouillements dans ton cerveau. Nous faisons tous du bruit dans une pièce et puis quelque chose ressort pour quelqu’un. Et un aspect cool avec tout le monde, en tant que musiciens, c’est qu’ils sont tous des auditeurs actifs qui savent rapidement compléter les idées des uns et des autres ou sauter sur quelque chose d’excitant ou signaler quelque chose que quelqu’un est en train de faire. Les gens ne sont donc pas forcément là à s’accrocher à leurs morceaux et riffs et dire : « Mec, t’es en train de foutre en l’air mon truc ! » Non, tout le monde est en train de chercher et d’aller à la pêche [aux idées], et ensuite il y a une étincelle et lorsque ça se produit, tout le monde se jette dessus. Ce qui explique pour beaucoup pourquoi nous nous retrouvons tous à tout le temps jouer sur différents accordages, ou que différentes choses se produisent, parce que nous ne faisons qu’aller à la pêche aux idées sans savoir ce qui va en ressortir ! Et nous ne nous disons jamais : « Oh, d’accord, tu vas jouer un La dièse maintenant, Sergio tu devrais prendre ça et sous-accorder ta basse. Stephen, ajoute une neuvième corde ! » [Petits rires]

Chino : Notre problème est que nous ne nous exprimons pas beaucoup vocalement. Parfois, ce n’est plus ou moins que de la communication avec nos propres instruments pour faire une chanson. Il y a quelque chose là-dedans qui est assez génial. Ça prend un peu plus de temps mais…

Sergio : Mais ça se base sur l’énergie. Et lorsque nous rentrons dans la phase où nous détaillons et arrangeons, nous sommes là « hey ! » Et c’est encore quelque chose qui structure [la musique] parce que chacun apporte son propre truc…

Chino : Chacun a son propre langage ou façon d’écrire des chansons. Donc nous nous disputons parce que quelqu’un va dire : « Hey, c’est huit fois ! » « Non mec, c’est quatre fois ! »

Sergio : Quelqu’un dira : « C’est trente-sept pulsations ! » Et on se dit : « C’est quoi ce bordel ?! » [Rires]

Chino : Nous avons différentes façons de voir les choses.

Et le processus d’enregistrement pour Gore a pris plus de temps que d’habitude. Vous vous êtes enfermés en studio, êtes retournés à la maison pendent un mois ou deux, et ensuite êtes retournés en studio…

Eh bien, pas pour réenregistrer mais simplement pour remixer. Mais l’enregistrement en soi a été fait assez rapidement, trois mois.

Sergio : Ouais parce que arrivé au moment d’enregistrer, les chansons sont très cadrées et ensuite elles passent par de derniers ajustements par rapport à la façon dont le chant va s’intégrer, pour voir si quelque chose doit être rallongé ou raccourcis ou changé de place, mais à ce stade, tu as une très bonne idée de ce qu’il se passe.

Gore comprend un solo de Jerry Cantrell. Vous n’avez pas si souvent des invités dans votre musique mais lorsque c’est le cas, ils semblent avoir une certaine importance pour vous et la chanson. Comment concevez-vous cette idée d’inviter un artiste à participer à votre musique ?

Chino : C’est généralement un truc de dernière minute. La chanson que nous avons ici existait déjà avant… Chaque chanson est différente. Je pense que chaque invité que nous avons eu a été quelque chose qui s’est fait un peu sur un coup de tête. Donc ce n’était pas quelque chose de tellement planifié. Comme avec Maynard [James Keenan] qui a chanté sur « Passenger » : à l’époque lui et moi étions seuls tous les deux, nous traînions à Los Angeles, et il glandait dans un studio, la chanson et la musique étaient déjà là et j’ai dit : « Hey, j’aimerais essayer une idée. Est-ce que ça te dirait que nous échangions des couplets ? » Il a écrit un couplet ou une phrase, j’ai écrit une autre phrase… C’était un peu expérimental, pour s’amuser, et je ne savais pas que ça allait devenir aussi génial que c’est devenu. Evidemment, je sais que c’est un excellent chanteur mais, tu sais… La chanson « Knife Prty », avec la fille, Rodleen [Getsic], qui chante, je l’adore. Elle travaillait dans le studio voisin, nous jouions au billard ensemble et avons commencé à discuter. Elle m’a fait écouter quelques chansons à elle et sa voix était dingue ! J’étais là : « J’ai cette petite section de chanson, ça te dirait de chanter dessus ? » Elle était [motivée] et elle l’a fait en un claquement de doigt. Pareil avec Jerry, la chanson était déjà écrite, nous avions une petite section où nous pensions que ce serait sympa que quelqu’un que nous savons être un bon guitariste soliste joue dessus. Et Jerry était l’une des premières personnes qui nous est venu à l’esprit. Son son est très distinct, son choix de notes, c’est très lui, c’est son expression.

Sergio : Ouais, il a une façon très puissante de s’exprimer en tant que musicien.

Deftones 2016 - Photo credit Frank Maddocks

« En voyant à quel point les Français sont résilients dans une situation aussi désespérée, je pense qu’en revenant en se sentant très forts et excités, c’est peut-être aussi thérapeutique pour nous d’être là et de donner un concert. »

Il l’a donc fait à l’instinct…

Chino : Un peu, oui. C’est le genre de chose où nous avons demandé et ça s’est fait. Et ça s’est fait très rapidement. Je veux dire que je lui ai envoyé la démo de la chanson et il me l’a renvoyée avec lui en train de jouer dessus, grosso-modo exactement comme ce qu’il a joué sur l’album. Et il est venu au studio et l’a fait.

Sergio : En fait, il est venu deux fois ! Il est venu une première fois et il était surexcité et à fond dedans ! Tu te souviens ? Il était comme un dingue ! Et ensuite, il est parti et nous a rappelé : « Yo ! Je me suis dit… » C’était tellement excitant parce que c’était Jerry Cantrell ! Et ensuite il est revenu, c’était toujours sur la même base mais il l’a un peu plus peaufiné, l’a doublé, et il était là : « Je veux aussi jouer la rythmique ! »

Chino : Et donc il a ensuite joué sur la fin de la chanson, le riff heavy…

Sergio : Ouais [rires] ! Il était là : « Comment ça se joue ce passage ?! » Et j’étais là : « Wow ! » C’était énorme ! Nous avons attrapé une guitare et étions là : « Voilà le riff ! » Et il disait juste : « Ok ! » C’était incroyable !

En novembre dernier, vous étiez à Paris pendant les attaques terroristes à Paris, certains d’entre vous ont même été au concert des Eagles Of Death Metal au Bataclan. Est-ce que c’est devenu plus difficile maintenant pour vous de revenir à Paris ou même ne serait-ce que monter sur scène à cause du traumatisme que ça a pu causer ?

Chino : Je dirais que c’est clairement dans nos esprits mais je pense que nous avons des sentiments positifs. En voyant à quel point les Français sont résilients dans une situation aussi désespérée, je pense qu’en revenant en se sentant très forts et excités, c’est peut-être aussi thérapeutique pour nous d’être là et de donner un concert. Car j’ai vécu certaines de mes expériences musicales préférées ici en France avec les publics français et je veux me souvenir de ça. Tu vois ce que je veux dire ? Donc aujourd’hui, j’espère que ça pourra me rafraîchir la mémoire, pour me souvenir de comment ça fait et à quel point le public est super ici. J’ai vraiment hâte.

Sergio : J’habite à New York et j’étais là durant les attaques sur le World Trade Center. Et ensuite, tu vois, lorsqu’il y a quelque chose comme ça qui se produit, qui est aussi lourd… Je marchais pour revenir d’une pizzeria et rentrer [à l’hôtel] et je descendais une rue où l’un des restaurants a été attaqué, tout était en train de se passer… Ce dont tu te rends compte dans ce genre d’endroits et dans les villes où il y a une grande concentration de gens, c’est que tu dois aller de l’avant, demain a quand même lieu et ensuite tu dois te lever et sortir. Les gens qui habitent ici doivent passer devant ces lieux et encore vivre des choses. Ça ne t’arrête pas. C’est lourd mais c’est bien de revenir ici, d’injecter de l’énergie dans cet endroit et en être une part positive.

Interview réalisée en face à face le 10 juin 2016 par Julien Peschaux.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Frank Maddocks.

Site officiel de Deftones : www.deftones.com



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  • Ces mecs sont des génies, et ce groupe est surement un des plus sous côté du monde musical actuel. On en parlera toujours moins que Limp Bizkit ou Korn qui ont largement moins apporté et sont d’une bien piètre qualité à côté.

  • Game-system dit :

    Passionnante interview, mais trop courte on n’en veut plus !^^

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