Pour Delain, qui bénéficie aujourd’hui d’une notoriété et d’une confiance solides, 2016 restera une année marquante, chargée, et évoquant à la fois la nostalgie et le futur. Nous nous sommes entretenus avec la chanteuse Charlotte Vessels afin d’évoquer le tumulte de cette année entre une tournée importante, le nouvel album Moonbathers et l’imminent concert célébrant le dixième anniversaire du groupe hollandais.
C’était donc l’occasion d’avoir le ressenti de Charlotte quant à la carrière du groupe. Et, nouvel album oblige, nous lui avons demandé de nous parler de comment se sentait Delain aujourd’hui en termes de processus de composition, notamment concernant les choix d’arrangements et l’équilibre entre deux des aspects principaux de sa musique : la guitare et les orchestrations. Car s’il est habillé d’arrangements plus cinématiques que jamais, le disque s’inscrit dans une nette continuité musicale et sonore avec le disque précédent.
« J’étais tellement prise par mes enregistrements et l’écriture qu’il restait à faire, qu’il y avait des jours où je ne prenais même pas de douche et j’oubliais de manger. »
Radio Metal : 2016 est une année très chargée pour Delain, avec la sortie de l’EP Lunar Prelude, votre cinquième album Moonbathers, la célébration des dix ans du groupe. Tout ceci pendant que vous vous embarquez dans votre plus grosse tournée à ce jour. Comment parvenez-vous à vous concentrer sur ce que vous faites avec un emploi du temps aussi chargé ?
Charlotte Wessels (chant) : C’est une bonne question ! Bon, il faut effectivement avoir en tête que ça a été très chargé, au point que c’était vraiment dingue. Donc ça a clairement été une année étrange par rapport à ça. Je ne veux même pas imaginer comment nous allons pouvoir faire mieux l’année prochaine ! Mais surtout, je pense que c’est une satisfaction qu’après tout ce temps à travailler dur, nous puissions autant tourner, que nous puissions jouer dans de merveilleux festivals. Donc le sentiment qui prédomine est celui d’être récompensé pour notre dur labeur, et ça fait plus facilement passer les moments où c’est un peu trop chargé.
Est-ce que tu apprécies avoir un emploi du temps chargé ? Est-ce que ça peut-être inspirant ?
Sur le court terme, oui, car maintenant je vois que le groupe est en train de décoller, nous avons du succès, nous recevons plus de demandes, donc je pense que c’est assurément une bonne chose à court terme. Sur le long terme, évidemment, je ne pense pas que nous puissions avoir trois ou quatre sorties par an, car tu ne veux avoir à trop solliciter ta propre créativité. Tu veux que chaque nouvel album vienne d’un processus de composition très sincère, et pas seulement de « oh mon Dieu, nous avons fait tellement d’albums l’année dernière, il faut que nous en fassions un à tout prix. » Donc, comme je l’ai dit, je pense que c’est très bien de garder cet équilibre en tête parce que je suis du genre à travailler dur par nature et j’aime vraiment tout donner pour ce que nous faisons, mais j’ai aussi remarqué qu’au cours des derniers mois, et surtout avant la deadline pour finir notre album, il y a eu des semaines où j’étais tellement prise par mes enregistrements et l’écriture qu’il restait à faire, qu’il y avait des jours où je ne prenais même pas de douche et j’oubliais de manger, car j’étais du matin au soir sur la musique. Et ceci, je pense [petits rires], c’est à la limite de n’être plus tout à fait sain. Donc je mentirais si je disais que c’est du gâteau, car ça représente en réalité énormément de travail. Et ouais, nous devons faire attention à nous pour rester en bonne santé lorsque nous avons un emploi du temps de dingue comme ça.
Penses-tu que le fait d’avoir enregistré avec un emploi du temps aussi serré a apporté une urgence à l’album ?
Je pense que nous avons cette urgence avec chaque album qui sort, indépendamment du temps passé à le concevoir. Je pense que pour cet album, la principale différence était que nous n’avons pas enregistré d’une traite mais en différents blocs de composition. Car nous n’avions pas de fenêtre de temps suffisante pour y caler tout le processus de composition et de production. Et je pense en effet que ça a influencé le son de l’album. Si tu considères le fait que nous avons écrit l’album dans différents endroits, à différents moments, dans différents états d’esprit, sous différentes humeurs, alors je pense que ça explique un peu la grande variété de cet album. Au niveau style, il prend différentes directions. Evidemment, nous avons notre propre production qui est typique, donc tu entends toujours le son de Delain mais pour ce qui est des chansons en tant que telles, c’est énormément varié.
Vous avez une nouvelle fois travaillé avec Ted Jensen pour cet album. Quelle a été son implication cette fois ?
Ted a réalisé le master de l’album. Donc pour ce qui est de son apport, l’album était déjà terminé lorsqu’il a commencé à travailler dessus. Mais la façon dont nous avons choisi notre mix et notre master, c’est en gros en laissant plusieurs personnes faire le mix et le master et ensuite prendre le son que nous préférions. Ted Jensen est l’un des plus grands noms pour ce qui est du mastering. Donc ce n’est pas très surprenant que nous nous soyons retrouvé à faire notre album par lui [petits rires]. Les étapes entre le mix et le master, l’amélioration, est vraiment grande en comparaison des autres étapes entre le mix et le master que nous avons vu. Il est vraiment capable de le faire monter d’un cran avec le master. Donc c’est clairement un énorme gain !
Les orchestrations ont une part importante dans le son de cet album. Penses-tu que cet album nécessitait un son plus grandiloquent ?
Dès que nous décidons de faire un nouvel album, en général nous voulons qu’il soit plus heavy et plus fort et plus rapide… La moitié du temps, c’est ce qu’il se passe, et l’autre moitié du temps, non. Je ne pense pas forcément que ce soit notre album le plus puissant mais je pense effectivement que c’est probablement notre plus filmique et grandiloquent. Il a un côté très dramatique, ce que j’adore. Et je pense que les orchestrations en sont pour beaucoup responsables. Martijn [Westerholt] a travaillé sur les arrangements classiques avec Mikko Mustonen, avec qui nous avons travaillé pour la première fois sur notre précédent album ; nous aimons beaucoup son travail, donc nous avons continué à travailler avec lui sur celui-ci. J’aime vraiment le résultat, ça lui confère un côté filmique, ce dont je raffole.
« Nous travaillons à partir de ce que la chanson réclame. Personnellement, en tant que chanteuse, je ne suis pas du genre à vouloir montrer à quel point je sais chanter aiguë ou avec puissance sur chaque chanson. Je ne crie que lorsque la chanson le demande. »
D’où vient ce côté filmique pour toi ?
Je pense que l’orchestre possède véritablement un son hollywoodien. Donc je pense que c’est un grand facteur. Aussi, pour la première fois, j’ai puisé de l’inspiration pour les paroles dans des scripts de film. Deux chansons ont été directement inspirées par le même script de film d’un ami à nous de Los Angeles qui est scénariste. C’était un peu un nouveau truc pour nous mais je pense que, lorsqu’on parle d’à quel point ça sonne filmique, ça peut aussi sonner filmique lorsque ce n’est pas forcément des paroles basées sur un film mais juste via les orchestrations des compositions en soi.
Est-ce pourquoi vous avez inclus les versions orchestrales des chansons, pour permettre aux auditeurs de mieux entendre cet aspect de l’album ?
En gros, beaucoup de gens ont un vrai truc pour les orchestres, tu sais, et ont une vraie envie d’entendre ce qui se passe dans la musique, souvent en fond, et l’entendre de façon isolé. Nous l’avons fait avant et nous avons reçu de très bonnes réactions par rapport à ça. Donc nous avions besoin de musiques bonus sur cet album et, puisque les gens l’ont réclamé… Tu sais, nous sommes vraiment du genre à faire plaisir aux gens [petits rires], donc nous avons ajouté à nouveau ça en morceaux bonus.
Lorsqu’on écoute l’album, certaines chansons semblent déterminées par les riffs de guitares et d’autres plus par les mélodies orchestrales. Comment équilibrez-vous ces deux aspects de votre musique ?
Ça dépend un peu aussi d’où nous commençons dans le processus d’écriture. Parfois nous commençons vraiment en écrivant les riffs et parfois nous commençons en écrivant les principales mélodies de chant, et nous avons tendance à… Souvent, lorsque nous commençons à écrire un morceau, nous avons une idée du type de chanson que nous voulons mais ensuite, la chanson prend la direction qu’elle veut prendre. Nous ne sommes vraiment pas des compositeurs qui cherchons à trop changer ou manipuler ça. Donc tout dépend vraiment du type de chanson, si nous la focalisons sur la guitare ou bien sur la symphonie. Je pense que c’est l’une des choses que nous avons en commun, tous les gens dans ce groupe, le fait que nous travaillons à partir de ce que la chanson réclame. Personnellement, en tant que chanteuse, je ne suis pas du genre à vouloir montrer à quel point je sais chanter aigue ou avec puissance sur chaque chanson. Je ne crie que lorsque la chanson le demande. Et je pense que ça fonctionne pareil sur tous les fronts. Nous regardons simplement la base des chansons que nous avons et ce qu’elles réclament pour les arrangements… Surtout les chansons qui démarrent vraiment à partir des riffs, elles ont tendance à être des chansons basées sur les guitares, la plupart d’entre elles, mais comme je l’ai dit, c’est un peu différent pour chaque chanson et nous voulons permettre que ça le soit.
Tu as fait remarquer comme cet album était varié et tu as aussi noté en interview que « sur le dernier album, il n’y avait pas de vraie ballade, alors qu’il y en a une sur cet album. » Penses-tu que The Human Contradiction manquait de ce genre de diversité ?
Je ne pense pas qu’il lui manquait ce genre de diversité, je trouve qu’il était suffisamment varié en soi. Je pense simplement que si tu regardes cet album, le contraste est plutôt extrême. Par exemple, si tu considères une chanson comme « Chrysalis », qui est une vraie ballade sensible et traditionnelle, nous n’avons pas fait ça depuis très longtemps. A la fois, si tu considères une chanson comme « Pendulum » ou « The Glory And The Scum », celle-ci sont nos chansons les plus heavy à ce jour, je pense. Mais à la fois, encore, il y a aussi « Fire With Fire », qui a un côté très hymne rock. Donc je ne pense pas qu’un album a forcément besoin de ce type de variété afin d’être intéressant mais j’ai vraiment le sentiment que c’est très intéressant sur cet album d’avoir tant de chansons aux styles différents, un tel tout éclectique avec le son de Delain.
La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous as dit que tu avais vraiment apprécié le son de The Human Contradiction et que tu voulais avoir une production similaire pour cet album. Et au final, lorsqu’on écoute les guitares ou le mix entre les guitares et les orchestrations ou même la musique en soi, on peut clairement entendre un lien entre les deux albums. Du coup, qu’est-ce que The Human Contradiction représentait pour vous en termes de son ?
C’est juste que nous adorons la qualité de production de cet album. Nous avons aimé le mix, nous avons aimé le master, nous avons aimé l’arrangeur classique avec qui Martijn a travaillé, Martijn a à nouveau produit… Et toutes ces choses se sont bien agencées avec cet album. Donc lorsque nous avons décidé d’écrire un nouvel album, même si, bien sûr, nous voulons innover dans les chansons que nous écrivons, nous avons pensé qu’une portion de cette équipe… Tu sais, ne change pas une équipe qui gagne. Nous voulions en conserver certaines parts. Du coup, nous avons travaillé avec le même master, le même mix, le même arrangeur et Martijn a encore une fois produit. Et je trouve que ça a bien marché !
« D’un côté, tu veux te poser et réfléchir sur ce que nous faisons et ce que nous avons fait et, d’un autre côté, nous avons tellement de projets en cours que nous ne pouvons pas vraiment prendre le temps pour ça. »
C’est la seconde fois qu’Alissa White-Gluz chante sur une de vos chansons. Quelle est votre relation avec elle ?
C’est une amie. Nous nous sommes rencontrés sur une tournée avec Kamelot que nous avons faite aux US et elle a rejoint Kamelot sur cette tournée. Nous avons passé de supers moments et nous lui avons demandé à l’époque déjà pour l’apparition qu’elle a faite sur The Human Contradiction, c’était « The Tragedy Of The Commons ». Elle a fait un boulot fantastique et nous nous sommes aussi éclatés en nous rencontrant plusieurs fois entre temps, lorsqu’elle a joué la chanson sur scène avec nous en live. Je suis une très grande fan de sa voix et sa musique, et j’ai beaucoup de respect pour elle en tant que personne également, avec son militantisme notamment. Donc je pense qu’elle est bien à tout point de vue [petits rires], donc c’est adorable de l’avoir à nouveau sur notre album et je trouve qu’elle a fait un super job sur « Hands Of God » !
2016 marque les dix ans du groupe. Qu’est-ce que ça te fait ?
C’est fantastique ! Je veux dire que j’ai vu des groupes apparaître et disparaître pendant que nous travaillons depuis nos débuts jusqu’à aujourd’hui. C’est une borne qui est merveilleuse et je suis très fière de ce que nous avons fait durant ces dix ans. C’est un privilège absolu de faire ce boulot et continuer à le faire après tout ce temps. Donc ouais, je suis très fière de ce jalon.
En décembre prochain, vous allez donner un concert pour célébrer cet anniversaire. Ce qui signifie que vous travaillez à la fois sur une expérience très nostalgique avec ce concert mais également sur le futur de votre carrière avec votre nouvel album. Ne te sens-tu pas déchirée entre ces deux sentiments contradictoires ?
Ouais, en fait, parfois un peu parce que, d’un côté, tu veux te poser et réfléchir sur ce que nous faisons et ce que nous avons fait et, d’un autre côté, nous avons tellement de projets en cours que nous ne pouvons pas vraiment prendre le temps pour ça. Mais je pense que la célébration en soi sera le moment où nous allons vraiment être absorbés [par la nostalgie] [petits rires]. Lorsque nous serons sur scène, pour célébrer ce moment, je pense que ce sera très spécial.
Que peut-on attendre de ce concert ?
Ce sera un concert spécial dans le sens où… Nous avons fait quelques concerts spéciaux déjà avec des effets spéciaux, une grosse production et des invités, donc je pense que tu peux l’imaginer dans la même veine que ces concerts, seulement, ici, il y aura en plus la signification de l’anniversaire de nos dix ans. Donc nous prévoyons de le rendre encore plus gros et pour ce qui est du thème, nous voulons vraiment en faire une soirée nostalgique, reflétant ce que nous avons fait durant ces dix dernières années. Pour ce qui est des détails, qui seront les invités et tout, je ne peux que recommander aux gens d’aller donner pour notre campagne PledgeMusic parce que ceux qui le font seront les premiers à obtenir toutes ces informations dans leur boite mail, et une partie de ces informations seront exclusives, donc je ne peux pas les mentionner dans une interview [petits rires]. Donc si les gens sont intéressés, s’il vous plaît, allez voir notre campagne Pledge parce qu’alors vous serez les premiers à savoir tout ce qui va se passer le 10 décembre.
Ton autre projet, Phantasma, a permis aux gens de te découvrir en tant qu’écrivaine. Est-ce quelque chose que tu comptes refaire ?
Oui, je le pense. Peut-être même pas lié à de la musique mais juste au sens littéraire. J’ai clairement apprécié écrire l’histoire avec la musique… Je veux dire qu’écrire la musique était la partie facile dans ce projet parce que, bien sûr, ça fait dix ans que je fais ça et ça devient quelque chose dans laquelle je suis entraînée. Ecrite le livre était très difficile, simplement parce que c’était la toute première fois et je n’avais pas l’assurance que j’ai [avec la musique]. Mais les réactions ont été vraiment super. C’est quelque chose qui sera relativement facile à faire en marge de l’emploi du temps ultra chargé de dingue [petits rires] parce que tout ce que ça requiert, c’est un ordinateur portable et un peu de rêves. Donc, en fait, j’espère peut-être écrire davantage, car j’ai remarqué que ça répond à un autre domaine de créativité que je n’avais même pas conscience d’avoir. C’était très satisfaisant d’écrire et avoir une histoire qui n’était pas là et que tu créés. D’une certaine façon, ça a été très similaire à l’écriture d’une chanson, ça offre une satisfaction similaire.
Mais es-tu actuellement en train d’écrire quelque chose, un livre ou une nouvelle ?
Je ne suis pas… Ok, comme l’année dernière a été assez chargée avec le projet parallèle en marge de toutes les choses que nous faisions avec Delain et cette année étant très occupée avec Delain, je me suis promise de ne pas m’imposer de deadline pour quoi que ce soit que je fais à côté de ça. Si j’écris maintenant, je vais le faire pour le fun et si, après une année, j’ai écrit la moitié d’un livre ou peut-être quelques courtes histoires, je ferais avec et continuerais sur ma lancée. Mais là maintenant, je ne vais pas me mettre la pression de commencer un nouveau projet avec une deadline et d’autres gens impliqués. Je dirais que tout ce que je fais maintenant est purement récréatif.
Interview réalisée par téléphone le 19 juillet par Philippe Sliwa.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Delain : www.delain.nl
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