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Interview   

Delain et ses ambivalences


Quand on s’appelle Delain et que son objectif est d’être toujours plus « heavy et plus fort », à accumuler une quantité d’éléments parfois contradictoires, le challenge c’est pour beaucoup l’équilibre. Il suffit d’écouter leur nouvel album – dont le titre Apocalypse & Chill, au-delà de la thématique, symbolise bien les contrastes présents dans la musique – pour s’en rendre compte, entre riffing heavy, mélodies pop, orchestrations et chœurs opulents, électronique, inspirations années 80, 90 et actuelles… A ce stade, et malgré le côté très avenant et en apparence « facile » de la musique de Delain, ça devient une vraie science pour savoir comment agencer tout ceci et savoir quoi mettre en avant et à quel moment.

Une « science » qu’ont développée la chanteuse Charlotte Wessels et le claviériste-producteur Martijn Westerholt en quinze ans de carrière, ajustant progressivement la formule, comme avec désormais l’intégration du guitariste Timo Somers à l’écriture, l’apport d’un vrai chœur, une philosophie affinée quant à l’utilisation des orchestrations… Ceci, c’est pour l’aspect technique dont nous parlent les deux musiciens ci-après. Pour l’aspect thématique, ils nous font part de leurs observations sur le monde actuel – réseaux sociaux, environnement, surpopulation… –, et en notamment ses contradictions.

« Il y a plein d’orchestrations, mais il y a aussi plein d’électronique, et il y a beaucoup de riffing. D’une certaine façon, il y a une forme de tension quand il faut décider à quel département on donne de l’espace. »

Vous avez sorti l’an dernier l’EP Hunter’s Moon, qui est la dernière partie d’une trilogie qui comprend également l’EP Luna Prelude et l’album Moonbathers. Quelle était l’idée originelle derrière cette trilogie ?

Charlotte Wessels (chant) : Comme de nombreuses choses que nous publions, ça s’est développé de manière organique. Quand nous étions en train de planifier la sortie de Lunar Prelude, nous savions déjà que le titre de l’album qui suivrait serait Moonbathers. Donc nous cherchions un titre qui indiquerait que ce serait un précurseur à l’album, sans pour autant dévoiler le titre de l’album. Donc Lunar Prelude collait très bien. Puis, évidemment, nous avons sorti Moonbathers dont, comme je l’ai dit, le titre était déjà décidé. Quand nous avons enregistré la musique qu’on retrouve sur Hunter’s Moon, lors de la tournée Danse Macabre, nous avons en fait enregistrer ce concert durant la lune du chasseur. Donc nous avons pensé que ce serait le titre parfait pour clore ce chapitre. Etape par étape !

Pour autant, l’EP Hunter’s Moon démarre avec la chanson « Masters Of Destiny », dont on retrouve une nouvelle version sur le nouvel album Apocalypse & Chill, ce qui établit un lien direct…

Ce que nous avons fait avec Hunter’s Moon c’est qu’en gros, nous avons commencé à écrire pour l’album, et durant ce processus, l’idée nous est venue de refaire un EP. Donc je ne pense pas que « Masters Of Destiny » soit forcément très lié au cycle de Hunter’s Moon. C’est plus la partie live du disque qui renvoie à Moonbathers. Nous voyons la chanson « Masters Of Destiny » comme étant annonciatrice de ce que l’on retrouve sur Apocalypse & Chill, plus que comme renvoyant à l’album d’avant.

Vous avez tourné presque tout l’an dernier sur les tournées Hunter’s Moon et Masters Of Destiny, et 2018 a également été une année assez chargée niveau tournée. Du coup, comment avez-vous ne serait-ce que trouvé le temps de composer et enregistrer un album au milieu de tout ça ?

Bonne question !

Martijn Westerholt (claviers) : En effet. Nous l’avons un peu fait entre les tournées. Nous avons aussi commencé plus tôt ; nous avons commencé dès 2017, et peut-être même un tout petit peu avant, donc ça aussi ça a aidé. Certaines choses, comme les ajustements du mix, nous les avons faites en tournée, mais la majorité s’est faite à la maison entre les tournées.

Apocalypse & Chill ouvre donc un nouveau chapitre pour Delain et se distingue par de nouvelles influences et de nouveaux éléments. Vous avez même déclaré qu’il « surprendra [vos] auditeurs ». Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche de cet album et le processus pour étendre votre son ?

C’était aussi un processus organique, parce que pour moi, l’approche ne m’a pas parue= si différente en termes de composition. Cependant, ce qui était différent était la manière d’enregistrer. La manière traditionnelle de faire est qu’on écrit d’abord tout, puis on enregistre tout, puis on mixe tout. Alors que là, nous avons un peu tout morcelé. Ce qui veut dire que nous avons écrit quelques chansons, puis nous avons enregistré quelques chansons, puis nous nous sommes remis à écrire, certaines chansons étaient également mixées pendant ce temps. Nous avons fait exprès d’opérer ainsi, parce que ça offre plus de flexibilité, ça permet de revenir sur une chanson, par exemple, si on veut changer, améliorer ou ajouter quelque chose. Normalement, quand on écrit d’abord, puis enregistre et ensuite mixe, il n’y a pas vraiment moyen de revenir en arrière quand on a atteint la phase de mixage. Imagine, par exemple, que nous avons une semaine de prévue pour le chant, et Charlotte attrape la grippe, elle perd sa voix ou je ne sais quoi, ou bien je me blesse à la main et je ne peux pas jouer de clavier, normalement ça poserait problème, alors que notre manière de faire cette fois-ci permet de contourner ces problèmes ; à bien des égards, c’est très flexible, surtout en termes créatifs. Une autre chose qui est différente, c’est qu’avant, le rôle de Timo [Somers] était plus d’arranger les guitares, alors que maintenant il a vraiment pris part à la composition. Il a donc aussi apporté de la musique pour les chansons. L’équipe habituelle dans Delain pour la composition, c’est Charlotte, Guus [Eikens] et moi, mais maintenant Timo a également un peu été impliqué. Ça change un peu du passé.

L’album contient certains de vos riffs les plus agressifs et se focalise davantage sur le riffing qu’avant. Est-ce que la participation de Timo vous a poussés à mettre l’accent sur cette partie de votre son ?

Oui et non, parce qu’au final, je reste le producteur et c’est moi qui prends ces décisions, tout en en discutant avec Charlotte.

Charlotte : N’oublions pas que Guus est une sacrée machine à riff aussi !

« Je compare toujours la création musicale à une rivière de créativité, ce qui veut dire que nous suivons le cours de cette rivière, peu importe où il nous emmène. »

Martijn : Exactement ! Il y a plein de riffings qui viennent de Guus. Par exemple, dans le troisième morceau, « Chemical Redemption », le riff à la Rammstein, c’est typique de Guus. Nous avons aussi une chanson qui s’intitule « Creatures », et son titre de travail était « Amon Amarth », parce qu’il y a ce riff très lent et un peu doom qui nous rappelait un peu Amon Amarth, et c’est aussi Guus qui l’a amené. Il y a aussi un riff dans « Legions Of The Lost » que j’ai écrit, qui est également un peu doom.

Charlotte : Il est clair que ça ne fait pas de mal d’avoir deux personnes dans l’équipe qui soient vraiment spécialisées dans ce domaine au lieu d’une seule.

Martijn : Oui, exactement. Et bien sûr, Timo a lui-même contribué avec du chant dans l’album. Ça aussi c’est nouveau.

En parlant de riffs, l’année dernière Merel Bechtold a annoncé son départ amical du groupe. Delain a presque toujours été un quintet, du coup vous revenez à votre configuration initiale. Pensez-vous que Delain ait besoin d’un second guitariste ? Allez-vous essayer de la remplacer ?

Charlotte : Non. Comme tu l’as dit, nous avons été un quintet durant la majorité de notre histoire, donc ça revient à retourner à un état que nous connaissons déjà très bien et dans lequel nous avons longtemps été. Même si ça s’ajuste toujours quand un groupe change, c’est devenu plus facile qu’il y a quelques années de nous produire en live avec seulement un guitariste grâce aux dernières avancées technologiques. C’est bien plus facile d’obtenir un son de double guitare vraiment ample en live. Donc oui, nous préférons revenir au quintet que nous étions avant plutôt que de repartir dans tout le processus consistant à trouver un nouveau membre pour notre famille.

Sur cet album, certaines chansons font appel à un vrai chœur. Vu que les lignes vocales et les orchestrations sont des éléments importants dans votre musique, ça paraît naturel pour le groupe de faire ça. D’un autre côté, n’est-ce pas dur parfois pour toi, Charlotte, de te « battre » contre toute une chorale, comme tu le fais, par exemple, dans « Masters Of Destiny » ? Comment gères-tu ça ?

[Petits rires] Je ne l’ai jamais vu ainsi. J’ai l’impression d’avoir toute mon équipe de pom-pom girls ! Quand tu as toute une chorale derrière toi, ça doit te donner l’impression d’être portée, pas que tu galères à te battre contre elle. Si ça donnait cette impression une fois mixé, ça serait moche. On veut que tous les éléments d’une chanson se complètent, pas qu’ils fassent la compétition. Tu sais parfois, il faut tuer son chéri : si des éléments dans la musique se battent pour attirer l’attention, alors c’est probablement mieux de retirer quelque chose que de rester comme ça. Aussi, je me suis beaucoup amusée à écrire les textes de la chorale. J’ai enregistré une bonne partie des partitions quand Mikko [Mustonen] nous a aidés avec le chœur, quand il créait les arrangements. Donc c’était un processus super amusant, et pour moi, ce n’est que du bonheur. Je n’ai pas du tout l’impression de me battre contre quoi que ce soit. J’ai plutôt le sentiment que c’est un luxe.

Martijn : Aussi, ça évolue, car j’ai plus ou moins écrit la partie avec de faux chœurs, et de fausses paroles. Puis Charlotte a écrit les vraies paroles, et ensuite notre arrangeur les a arrangées et enregistrées avec un vrai chœur. Je trouve que le résultat est super grâce à la contribution et à l’aide de chacun. Dans le cas de « Masters Of Destiny », c’était un élément très important pour la chanson, et comme Charlotte l’a dit, tout se complète.

Puisqu’on parle de chant – et vous l’avez déjà mentionné – le guitariste Timo Somers fait un duo avec toi, Charlotte, sur la chanson « One Second ». C’est une première pour le groupe, le fait qu’il prenne le lead au chant. Comment ça s’est passé ?

Charlotte : En fait, Timo m’a donné des paroles pour cette chanson, et il les a chantées lui-même. Ça sonnait vraiment super bien. Il y avait l’accroche suivante : « It takes one second just to fall in love », c’était déjà là-dedans. Je trouvais que c’était irremplaçable. Donc nous avons décidé que ça pourrait très bien marcher en tant que duo, et nous avons continué à écrire la chanson dans cette optique pour voir si ça fonctionnait. Je trouve que son chant est extraordinaire dans cette chanson ! Ses cris sont très puissants. Justement parce qu’il a lui-même écrit ces parties, on peut entendre qu’il est très à l’aise quand il chante et que c’était ainsi qu’il les imaginait. Parfois je ne ressens pas le besoin de remplacer quelque chose pour l’améliorer [petits rires], c’était super tel quel.

C’est aussi lui sur « Vengeance » ?

Non, c’est Yannis [Papadopoulos] de Beast In Black.

Martijn : Oui, et en matière d’invités dans l’album, il y a lui et puis nous avons une violoniste. Elle est par exemple présente sur les chansons « The Greatest Escape » et « Ghost House Heart ». Elle fait un boulot fantastique, avec de magnifiques lignes solo. Elle a aussi beaucoup joué avec Eluveitie, par exemple – je crois qu’elle a tourné avec eux, mais je n’en suis pas certain.

« C’est juste dingue à quel point les logiciels de musique sont bons de nos jours. […] Je suis même parfois troublé, j’ai du mal à distinguer ce qui réel de ce qui ne l’est pas. »

Les orchestrations ont aussi gagné du terrain, surtout dans des chansons comme « Legions Of The Lost » ou « Vengeance », rendant cet album encore plus grandiloquent que Moonsbathers, qui était déjà assez grandiloquent. La dernière fois qu’on t’a parlé, Charlotte, tu nous as dit que vous voulez que « ce soit plus heavy, plus fort et plus rapide ». Pensez-vous vous rapprocher d’une forme d’idéal avec Apocalypse & Chill à cet égard ?

En tant que producteur, à chaque album, je dis : « Fais que ce soit plus fort et plus heavy. » Je crois que nous avons dit la même chose cette fois [petits rires]. C’est aussi une sorte de défi et d’ambition. Je trouve que ça a très bien fonctionné. Oui, il y a beaucoup d’orchestrations, et j’ai aussi vraiment composé des parties, comme dans « Legions Of The Lost » ou « Masters Of Destiny », dans ce but, parce que j’avais très envie de ce type de parties. J’ai aussi eu une fantastique collaboration avec l’arrangeur classique Mikko Mustonen, un Finlandais qui fait toujours du merveilleux travail. Quand je lui ai envoyé mes parties, il les a arrangées, me les a renvoyées, je les ai réajustées, et puis ça a pris de l’ampleur. Il a aussi travaillé sur les chœurs. Ça fait que tout le département orchestral est vraiment imposant et luxuriant, mais aux bons moments. Je pense que ça participe à la grande diversité de l’album : il y a plein d’orchestrations, mais il y a aussi plein d’électronique, et comme tu l’as mentionné, il y a beaucoup de riffing. D’une certaine façon, il y a une forme de tension quand il faut décider à quel département on donne de l’espace. Je suis très content de la façon dont ces choses ont fonctionné !

En fait, ça me rappelle quelque chose que Ruud Jolie de Within Temptation nous a dit. Il a dit que ce qu’il n’aime pas « dans de nombreux groupes de metal symphonique est qu’ils emploient des éléments symphoniques grandiloquents rien que pour être grandiloquents. C’est la solution de facilité. » Je ne sais pas si tu es d’accord avec ça, mais comment vois-tu la partie symphonique grandiloquente de Delain ?

Absolument. Il y a des orchestrations dans l’album simplement parce que nous adorons les orchestrations, et puis j’ai aussi envie d’entendre ces orchestrations à certains endroits, là où elles sont importantes. Donc elles ressortent à certains endroits dans le mix, mais dans bien des passages, elles ne ressortent pas, parce qu’elles n’ont aucune fonction. Et en effet, si tu as des orchestrations partout et fortes dans le mix, alors ça perd de son intérêt et le contraste, pour ainsi dire. Il faut bien choisir leur place. Donc je suis totalement d’accord avec lui.

Du coup, quelle serait la prochaine étape ? Pensez-vous que vous pourriez atteindre un plafond à vouloir être toujours plus « heavy, fort et rapide » ?

C’est une bonne question. Je compare toujours la création musicale à une rivière de créativité, ce qui veut dire que nous suivons le cours de cette rivière, peu importe où il nous emmène. Quand nous disons « faisons en sorte que cet album soit plus dur et plus heavy », c’est en fait la seule chose que nous visons. Pour le reste, nous ne visons rien du tout et nous voyons où la créativité nous emmène, ce que nous avons envie de composer et de créer à tel instant. Donc nous ne planifions pas tellement les choses. En ce sens, il n’y a pas vraiment d’ambition pour un prochain album de faire les choses de telle ou telle manière. Ça se fait juste de manière organique, peu importe où la rivière nous emporte, pour ainsi dire.

De nombreux groupes maintenant ont joué ou même tourné avec un orchestre. Ce n’est un secret pour personne que vous aimeriez aussi le faire, ainsi que votre public. Mais le fait que ça ait été fait tant de fois vous fait-il hésiter, ou au moins vous met-il une certaine pression ?

Ça me fait hésiter, parce que je ne veux pas tourner avec un vrai orchestre juste pour avoir un vrai orchestre. De plus, nos fans aiment les orchestres, mais d’une certaine façon, ils comprennent aussi que… Personne n’est surpris s’il n’y a pas d’orchestre. C’est aussi parce que si tu veux emmener un orchestre avec toi en tournée, alors il faut que les gens payent trois cents euros pour un ticket – évidement, je fais exprès d’exagérer, mais c’est très cher. Financièrement parlant, c’est très compliquer à faire, car il faut payer tout le monde, tout le monde doit être transporté, tout le monde doit manger, etc. D’une certaine façon, j’ai toujours été agréablement surpris par la compréhension des gens et par le fait qu’ils apprécient la musique même s’il n’y a pas la présence d’un vrai orchestre. Mais bien sûr, j’adorerais jouer avec un vrai orchestre une fois, parce que ça donnerait encore plus vie aux morceaux. Qui sait ? Mais jamais je n’en ferais la pub en disant : « Nous allons faire quelque chose, c’est hyper spécial ! », simplement parce que ça a déjà été fait maintes et maintes fois avant, donc ça n’a rien de spécial – la seule chose qu’on peut dire, c’est que ce serait spécial pour cette musique, parce que Delain n’a jamais tourné avec un orchestre.

Penses-tu qu’un album pourrait bénéficier d’un orchestre ?

De moins en moins, pour être honnête, parce que c’est juste dingue à quel point les logiciels de musique sont bons de nos jours. Quand je fais ça à la maison, ça sonne extraordinairement bien. Je me souviens quand nous avons fait Mother Earth avec Within Temptation, à l’époque où j’étais encore dans ce groupe, j’ai vu l’arrangeur utiliser des modules en studio, genre des machines de cinquante centimètres contenant des sons. Si j’écoutais ces sons aujourd’hui, ça me paraîtrait nul. Et si j’avais à l’époque le logiciel que j’utilise aujourd’hui, ça aurait sonné démentiel ! Ça a donc de moins en moins de sens… Evidemment, ça apporte toujours quelque chose, car le côté humain reste le côté humain, mais ça coûte ridiculement cher, et aujourd’hui je suis même parfois troublé, j’ai du mal à distinguer ce qui réel de ce qui ne l’est pas. C’est comme le chœur, si tu prends « Masters Of Destiny » sur l’EP, on n’entend pas un vrai chœur. Seule la version de l’album a un vrai chœur. Sur la version YouTube, c’est un logiciel. Donc j’ai tapé ce que le chœur devait dire – dans ce cas précis, c’était du latin – ensuite je l’ai joué, et c’est ce qu’on entend. J’ai donc un chœur à ma disposition ! Les gens n’entendent même pas si c’est réel ou pas. Mais ensuite, évidemment, quand nous avons travaillé avec un vrai chœur, ça nous a permis de lui donner une place plus importante, car ça peut être bien plus précis. Je peux programmer des mots, mais un vrai chœur qui chante ces mots sonne toujours mieux, et ça c’était fantastique. C’était super, donc j’étais très content de la chorale, et je trouve qu’elle apporte quelque chose à l’ensemble. Par contre, c’est un autre exemple qui montre que financièrement, c’est très cher ; je crois que tout le truc a coûté dans les huit mille euros.

« Tu regardes les infos et tu vois [tous les problèmes], puis tu ouvres ton Instagram et tu vois uniquement de la perfection dans la vie de tout le monde. Le contraste entre notre situation et la manière dont on se représente est énorme. »

Apocalypse & Chill (apocalypse & détente, NdT), ce sont deux termes contradictoires qu’on imagine mal être associés. Au-delà du lien thématique, dont on parlera un peu plus tard, est-ce que ça ne représente pas aussi ce qu’est Delain, c’est-à-dire un mélange de styles et en particulier cette dualité entre le metal et la pop qui est probablement encore plus appuyée sur cet album ?

Charlotte : Oui, c’est intéressant. Evidemment, Apocalypse & Chill, de manière littérale, fait référence à la situation du monde aujourd’hui, mais en tant que groupe, tu as absolument raison. Ce qui caractérise Delain, en grande partie, c’est le contraste entre la dureté et le côté pop, et entre les parties puissantes et les parties douces, et entre les riffs heavy et les ballades. Ceci a également toujours été très présent dans l’univers visuel du groupe, dans nos illustrations et ainsi de suite. Donc oui, tu as complètement raison. Ça colle aussi bien en tant que commentaire sur la situation actuelle qu’au groupe en tant que tel.

Une autre dualité qu’on peut voir dans votre musique, c’est que l’on trouve des éléments hérités des années 80 (« We Had Everything », « Let’s Dance ») et 90 mais injectés dans un contexte moderne. Aimez-vous jouer avec les paradoxes ?

Clairement, oui ! C’est ce qui fait que c’est intéressant.

Martijn : Mais ce qui est drôle aussi, je pense, c’est que je suis un gars des années 80, je suis né en 79…

Charlotte : Alors que moi je suis une fille des années 90 ! [Rires]

Martijn : Donc nous avons tout. Il y a des parties là-dedans que Charlotte a écrites et ce sont les parties les plus années 90, ce qui est génial. Alors que moi, je suis plutôt responsable des parties années 80. Donc c’est très drôle à entendre [rires].

Charlotte : Ceci dit, je crois vraiment que les parties année 80 et 90 dans certaines chansons se fondent de manière très intéressante. Je n’ai jamais vraiment eu l’impression qu’on se retrouvait avec ces feelings années 80 et 90 dans la même minute dans la même chanson de Delain. Dans certaines chansons, c’est très saillant, mais je ne les ai jamais vus comme contrastant l’un avec l’autre, je trouve qu’au contraire les deux fonctionnent bien ensemble.

Martijn : Je suis totalement d’accord !

Thématiquement parlant, l’album parle de tragédie imminente et de l’indifférence humaine. Pensez-vous que nous allons vers une apocalypse, mais que ce ne sera pas forcément quelque chose de spectaculaire, mais plutôt un processus qui nous détruira sans qu’on s’en rende compte ?

Charlotte : Apocalypse & Chill, ce sont deux choses à deux extrémités opposées du spectre. L’apocalypse, dans ce cas, représente un tas de choses que l’on voit, que ce soit les feux de forêt partout – en Australie, en Californie et en Amazonie rien que cette année –, le réchauffement climatique, tout ce que vous voulez. Le côté « détente » fait référence à… Tu regardes les infos et tu vois ce dont je viens de parler, puis tu ouvres ton Instagram et tu vois uniquement de la perfection dans la vie de tout le monde. Le contraste entre notre situation et la manière d’on se représente est énorme. C’est donc à ce contraste que fait référence le titre. Malheureusement, nous n’avons pas de date exacte ou de moment prédit pour l’apocalypse…

Martijn : Heureusement, plutôt ! [Petits rires]

Charlotte : Oui, malheureusement ou heureusement. Je ne suis même pas sûre de vouloir le savoir si c’était en train d’arriver à vive allure.

Le manque de prise de conscience est souvent dénoncé ces derniers temps. Comment votre propre prise de conscience s’est-elle faite, surtout compte tenu de la quantité d’informations – et parfois d’informations fausses ou contradictoires – à laquelle on est confrontés de nos jours ?

Martijn : Je pense qu’on choisit ce qui nous intéresse en général parmi la surcharge d’information, et je m’intéresse toujours à la politique et à l’histoire. Donc j’aime regarder les informations, par exemple, ce qui ne me rend pas toujours heureux. Aussi, l’histoire n’est pas marrante, mais c’est fascinant, je trouve. Donc je suis toujours au courant de ce qui se passe, ainsi que de la façon dont les choses sont arrivées, en ce sens, y compris les problèmes auxquels on fait face avec l’environnement. Je pense que l’environnement est notre plus gros défi aujourd’hui, avec la surpopulation. Je ne comprends pas pourquoi la surpopulation n’est pas dans l’agenda politique, c’est comme si c’était un tabou ou je ne sais quoi. Il y a énormément de gens dans le monde. D’autres diraient… J’ai entendu dire que le monde pourrait statistiquement accueillir quarante-cinq milliards d’humains. D’accord, je ne dis pas qu’ils ont tort ou quoi. Je ne sais pas. Le truc, c’est que je ne crois pas que ce sera très marrant [petits rires], car chaque personne dans le monde met un poids sur l’environnement. Je n’ai jamais compris pourquoi ce sujet n’est jamais abordé. Bien sûr, en Chine, par exemple, ça l’a été, avec la politique de l’enfant unique. Mais on pourrait dire que tout monde peut avoir deux ou trois enfants, et rien qu’avec ça, la population n’augmenterait pas, elle stagnerait. Mais oui, je n’ai jamais compris.

« L’environnement est notre plus gros défi aujourd’hui, avec la surpopulation. Je ne comprends pas pourquoi la surpopulation n’est pas dans l’agenda politique, c’est comme si c’était un tabou ou je ne sais quoi. »

Cette association de mots, Apocalypse & Chill, mais également la chanson « Let’s Dance », pourrait aussi être interprétée dans le sens : « L’apocalypse arrive, mais on ne peut rien y faire, alors autant se détendre et profiter de la vie. » Pensez-vous comme ça parfois ?

Charlotte : Dans la chanson, c’est littéralement une fête de fin du monde. « Dansons comme si on devait mourir demain, car on va mourir demain. » Dans la situation dans laquelle on est aujourd’hui, je ne pense pas que l’on en soit encore à ce stade. On aura la gueule de bois et il va y avoir des conséquences à ce qu’on fait aujourd’hui, mais je suis assez optimiste. Je suis plus à me dire que si on fait toutes les petites choses qu’il faut faire, alors on perdurera encore longtemps.

Martijn : C’est aussi marrant parce que si je n’avais pas fait de musique, je pense que j’aurais été professeur d’histoire ou quelque chose dans le genre [petits rires]. J’adore l’histoire, et quand on regarde les statistiques, aujourd’hui, nous sommes dans une période de grande paix, pour ainsi dire. Statistiquement, il y avait bien plus de conflits auparavant dans l’histoire humaine qu’aujourd’hui. En revanche, il y a une surpopulation et l’environnement subit une méchante pression. Mais on a entendu des gens parler de fin du monde dans toute l’histoire, en fait. Donc j’ai aussi envie d’être optimiste. Et je ne nie pas les problèmes que nous avons, comme le réchauffement climatique. Tu sais, aujourd’hui, quand on achète un billet d’avion, je me dis : « Hmmm… » Il y a un nouveau terme, la « honte de prendre l’avion ». Ça en dit long, car voler rejette énormément de CO2 dans l’atmosphère. Mais bref, j’aime être optimiste également.

Charlotte : C’est marrant que tu mentionnes… Comme sur notre précédent album, il y avait la chanson « The Glory And The Scum », et c’était largement inspiré par le livre La Part D’Ange En Nous, qui en gros est un historique sur la violence parmi les hommes, ce qui peut donner l’impression d’un livre déprimant, mais en réalité, c’est très optimiste et ça montre à quel point, effectivement, nous vivons à la meilleure époque. D’un côté on remarque que les marginalisés sont encore plus marginalisés, mais globalement, c’est plus paisible. Donc il y a toujours cette dualité, et je pense que c’est ce qui est intéressant, et c’est pour ça qu’Apocalypse & Chill ne dit pas juste : « On va tous mourir ! Préparez-vous ! »

Est-ce que vous vous incluez dans ce que vous dénoncez dans cet album ?

Martijn : Oui, mais nous ne jugeons pas avec cet album. C’est plus une observation. Nous sommes également présents sur nos réseaux sociaux et nous prenons l’avion pour nos concerts. J’ai conscience de la pollution que ça génère. Notre boulot n’est pas très respectueux de l’environnement, et j’en ai conscience. Parfois je me demande : « Est-ce que ça vaut le coup d’aller là-bas ? Est-ce vraiment nécessaire ? » Donc je ne dirais pas que nous sommes des saints qui font tout bien. Non, nous faisons des erreurs. Tout le monde en fait. Donc il ne s’agit pas de juger, mais plus d’observer et de voir comme c’est fascinant que, d’un côté, il y a plein de problèmes dans le monde et, d’un autre côté, sur les réseaux sociaux, par exemple, tout a l’air parfait.

Ce titre d’album rappelle une expression devenue très populaire de nos jours : « Netflix and chill ». Est-ce une référence cachée ? Êtes-vous du genre à faire du « binge-watch » sur les séries ?

Charlottes : Non, pas du tout, mais c’est de là que ça vient. Je veux dire que « Netflix and chill » est très… Tu sais, comme on disait, ce titre est un commentaire sur le monde actuel, et toute la culture des séries est une part importante de l’univers internet, et l’univers internet devient, pour certaines personnes, plus important que le monde réel. Donc le terme « Netflix and chill » correspond bien au commentaire social du titre également.

L’album se termine sur une instrumental, intitulée « Combustion ». Quel est le sens de ce morceau comme conclusion ?

Martijn : Nous avons beaucoup joué ce morceau en live. Timo et Joey [de Boer] l’ont écrit – surtout Timo, je crois. Il fonctionne vraiment bien en concert et je me suis dit : « Pourquoi ne pas l’enregistrer ? » Donc j’en ai parlé à Timo : « Enregistrons-le et mettons-le sur l’album, » sans lui définir de place. Mon idée au départ était de finir l’album avec « The Great Escape », j’avais cette chanson en tête à l’époque, car elle donnait une impression de fin, et je me disais que « Combustion » pourrait être un titre bonus ou quelque chose comme ça. Mais au final, nous avons mis toutes les musiques que nous avions sur l’album et c’est aux gens de voir ce qu’ils pensent de chaque morceau, et je trouve que « Combusition » fonctionne super bien à cette place. Il y a aussi un côté « fin » car c’est instrumental, et ça montre une autre facette de la musique.

« Quand on regarde les statistiques, aujourd’hui, nous sommes dans une période de grande paix [et] on a entendu des gens parler de fin du monde dans toute l’histoire. Donc j’ai aussi envie d’être optimiste. »

L’absence de chant pourrait-elle symboliser la disparition de l’humanité ?

Charlotte : Généralement, je fais les textes et trouve les titres de chansons, car ils dérivent souvent des textes, et j’ai parlé à Timo : « J’ai besoin d’un nom pour le morceau. Je serais ravie de lui donner un nom, mais c’est un peu ton morceau ! » Nous avons eu plusieurs titres, mais en particulier dans le contexte d’Apocalypse & Chill, j’adore le titre « Combustion » parce que c’est l’explosion, la conclusion, la fin des choses. Je trouve qu’en ce sens… Enfin, à aucun moment il n’a été envisagé de mettre du chant sur ce morceau, mais je trouve qu’il a vraiment trouvé sa place y compris en tant que conclusion. La combustion étant l’apocalypse en tant que telle, ça paraît en effet logique que je la ferme pour une fois [rires].

La tournée actuelle est nommée d’après la chanson « Masters Of Destiny », qui est très symbolique : avez-vous l’impression de contrôler votre destin en tant que groupe ou bien y a-t-il eu des moments où votre destin vous a glissé des mains ?

Martijn : Question profonde !

Charlotte : J’ai plutôt l’impression que c’est un objectif à atteindre, donc il y a clairement des fois où on a le sentiment de ne pas être aux commandes, et c’est très frustrant. Je pense que c’est toujours un bon but à avoir que d’être responsable de son propre destin, mais oui, j’ai clairement connu des moments où j’avais l’impression qu’on jouait aux dés avec nous, et c’est très déplaisant. Comme par exemple à l’époque où Roadrunner a été vendu à Warner et nous avons été un peu forcés de traiter avec une toute nouvelle équipe… Et je ne suis pas en train de dire quoi que ce soit de mal à propos des gens avec qui nous avons travaillé, mais nous avions choisi les gens avec qui nous voulions travailler, nous avions choisi un label, pour au final être renvoyés vers une autre entreprise. Donc oui, parfois, on a l’impression de ne rien contrôler, et évidemment, tu peux essayer de retrouver ce contrôle, mais on ne peut jamais contrôler tout et tout le monde autour de nous, c’est impossible.

Cette tournée Masters Of Destiny, où vous jouez plusieurs nouvelles chansons, a déjà commencé en novembre dernier, donc plusieurs mois avant la sortie de l’album. N’est-ce pas étrange de promouvoir un nouvel album sans qu’il soit sorti ?

Martijn : Ça arrive souvent. Within Temptation est un bon exemple. Eux aussi ont tourné sans la sortie préalable d’un album. Aujourd’hui, toute l’approche d’un album est en fait démodée, car il y a des gens qui ne prennent même plus la peine de sortir des albums. Ils sortent juste des chansons. Nous avions quelques nouvelles chansons tirées de l’EP, bien sûr, et une chanson qui sera sur l’album. Donc nous ne le voyions pas comme ça. L’autre chose, c’est que parfois, tu prévois une tournée et tu te demandes : « Quand l’album sera-t-il prêt ? D’accord, vers telle période. Donc on pourrait tourner à moment-là », et ensuite, les choses évoluent autrement. Le processus créatif prend plus de temps et tu n’es pas encore prêt, mais une tournée est prévue : ça arrive souvent aux groupes, parce qu’aujourd’hui, il faut souvent réserver les salles un an à l’avance. Parfois ça complique les choses parce qu’il faut estimer si on aura fini avec l’album un an à l’avance. Parfois, tu fais une estimation, et tu tombes juste, et parfois, tu es à côté. Dans ce cas, je crois qu’au départ, nous nous sommes dit : « On sera peut-être prêts à ce moment-là. » Mais le truc, c’est que nous ne faisons pas de compromis. Quand une chanson est prête, elle est prête, et quand elle n’est pas prête, elle n’est pas prête, et si une tournée est confirmée, nous faisons la tournée. On peut aussi faire le choix d’annuler la tournée, mais nous ne faisons pas ce choix [rires].

Interview réalisée par téléphone le 20 janvier 2020 par Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt & Philippe Sliwa.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photo : Tim Tronckoe.

Site officiel de Delain : www.delain.nl.

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