ENVOYEZ VOS INFOS :

CONTACT [at] RADIOMETAL [dot] FR

Interview   

La descente de Mütterlein


Le jour de son quarantième anniversaire, la multi-instrumentiste Marion Leclercq a sorti son deuxième album Bring Down The Flags sous la bannière de Mütterlein. Une étape supplémentaire dans la carrière de la musicienne, voire même tout simplement une étape de vie si l’on en croit la date symbolique choisie pour dévoiler ce nouveau disque éprouvant qui s’inscrit comme une ode à la solitude. L’artiste fait partie de l’école de ceux qui composent et écrivent par nécessité, la musique n’étant pas simplement perçue comme un exutoire cathartique mais semblant davantage liée à une question d’équilibre comme elle nous le confie dans cet entretien. Entre noise, doom et post-metal, le ton de Bring Down The Flags est donné : Mütterlein veut aller profondément bas.

Pour parvenir à cela, Mütterlein expérimente des choses multiples, à commencer par un son extrêmement exigeant qui pour une bonne partie repose sur les basses, sans doute en conséquence de ses affinités avec la scène doom ou par son passé pas si lointain en tant que bassiste d’Overmars. Au-delà de l’aspect musical, c’est aussi un désir de renverser les codes et les symboles établis qui l’anime, qu’ils touchent au spirituel ou à l’artistique. Une démarche que nous pouvons également retrouver chez Dehn Sora qui a réalisé la pochette et qu’elle considère comme un collaborateur à part entière. Nous revenons sur l’ensemble de ces sujets avec elle dans cette discussion riche et passionnante.

« J’aime bien cette image quand j’écoute un disque de cette espèce de troupeau d’éléphants qui est très lourd, qui écrase tout sur son passage et qui fait beaucoup de poussière. »

Radio Metal : Première question un peu taquine, mais sortir un album le 30, est-ce que c’était ton choix ? Car niveau marketing c’est sans doute le pire moment de l’année…

Marion Leclercq (chant & instruments) : C’est sûr que niveau marketing ça ne doit pas être ce qui a guidé le choix ! [Rires] Mais oui, c’est un choix, tout simplement parce que c’est la date de mon anniversaire, et plus particulièrement de mes quarante ans. Il y a donc une petite symbolique derrière cette date.

Littéralement l’album pourrait se traduire par « Descendez les drapeaux ». Peux-tu nous expliquer la symbolique de ce titre et pourquoi elle t’a intéressé sur cet album ?

Il y a plusieurs idées derrière ce titre. La plus claire et la plus facile à expliquer, c’est vraiment l’idée de descendre les drapeaux, c’est-à-dire tout ce qui a trait à l’identitaire, à tout ce qui est de l’ordre de la revendication narcissique et qui sont des prétextes pour opprimer quelqu’un d’autre parce que ton drapeau est le plus fort. Il y a donc évidemment une idée nationaliste mais, au-delà de ça, aussi les religions, etc. Donc tout ça, c’est l’idée un peu bateau, et puis ça rejoint une idée qui est sans doute plus difficile à expliquer et plus personnelle, plus intime, qui parle plus des rapports humains et de comment on entre en relations les uns avec les autres, tous ces trucs d’apparences, à savoir si ce n’est pas un frein, etc. C’est plus difficile à expliquer pour moi mais ça a vraiment à voir avec l’affaire de la solitude : comment on se connecte les uns avec les autres ? Est-ce qu’on doit le faire ?

Tu as expliqué que pour cet album tu cherchais à faire un son « bas » / « profond ». Comment as-tu visualisé ce son et comment as-tu cherché à l’incarner ?

Quand je parle de ça, c’est très physique, c’est vraiment la sensation physique quand on descend très bas dans les enceintes et qu’il y a vraiment ces basses qui font bouger dans le ventre et qui tirent vraiment bas. Je trouve que quand on enregistre la musique, ce sont des choses qui sont difficiles, parce que les basses, c’est ce qui pourrit tout dans un mix, ça prend toute la place. L’idée est de réussir à produire la sensation acoustique de ces très basses fréquences, tout en restant dans quelque chose de très musical avec les mélodies qui doivent rester audibles. C’est vraiment un truc physique et sensoriel.

Dans ce que tu proposes, il y a beaucoup de choses pointues qui sont liées aux scènes doom, sludge, et post-metal. On peut préciser qu’à côté de ton activité de musicienne, tu es disquaire, et tu proposes beaucoup d’artistes qui sont dans cette scène-là assez spécifique avec ce son écrasant et étouffant. Est-ce que le fait de consommer beaucoup ces sons-là t’a forcément inspirée pour ce nouvel opus ?

C’est vrai que j’ai vraiment des affinités particulières avec tout ce qui est « doomesque ». Ce n’est pas forcément du doom au sens classique, parce que ça peut être des musiques très électroniques mais qui vont vraiment chercher dans la lenteur et dans les trucs écrasants. C’est vrai que j’aime bien cette image quand j’écoute un disque de cette espèce de troupeau d’éléphants qui est très lourd, qui écrase tout sur son passage et qui fait beaucoup de poussière. C’est vraiment les musiques avec lesquelles j’ai beaucoup d’affinités. Je n’écoute pas que ça, mais c’est vrai que quand je mets un disque et que j’ai envie de bouger la tête chez moi, c’est souvent des rythmes assez lents et lourds. Ça peut être très metal, comme pas forcément, il y a plusieurs variations dans cette veine-là.

Justement tu parles de ce spectre musical qui peut être hors du metal : il est difficile de ne pas évoquer l’importance des sonorités ambiantes, électroniques, industrielles dans ce nouveau travail, des sons qui se distinguent assez radicalement parfois de ce que tu as pu proposer avant. Qu’est-ce qui a motivé ces changements et comment est-ce que tu penses l’évolution de Mütterlein ?

Je pense qu’il y a plusieurs paramètres. J’ai toujours bien aimé les sons électroniques, les machines, etc. Ça m’a toujours plu, surtout dans une veine assez indus et les trucs assez expérimentaux. Après, je n’ai pas tellement pratiqué, parce que la vie a fait que j’ai plus souvent été le nez sur une basse ou sur une guitare, mais le fait aussi d’avoir installé mon studio et d’avoir investi dans pas mal de matériel, je me suis fait plaisir, j’ai acheté pas mal de machines en tout genre. Je pense que c’est un peu les deux : il y a une attirance qui est très ancienne pour ces musiques – j’ai toujours écouté Throbbing Gristle et des trucs comme ça – et le fait de l’avoir un peu plus expérimenté en ayant acheté des synthés et des machines qui permettent ce genre d’exploration.

Par rapport à la composition, as-tu choisi de partir d’abord d’expérimentations sonores ou bien de garder la trame classique guitare-basse-percussion ? Ou alors est-ce tout autre chose et tu démarres à partir d’images et de thèmes que tu cherches à mettre en musique ?

Je démarre toujours un peu de la même façon. C’est beaucoup le texte à la base. Enfin, pas forcément les paroles finies et définies, mais des phrases, et le point de départ, c’est vraiment la voix, l’intonation, la vitesse, la force avec laquelle j’ai envie de dire cette phrase. Ensuite, je me colle assez vite à l’aspect rythmique ; j’essaye de chercher une rythmique qui va porter cette voix. Après ça, je suis à moitié entre de la composition classique où j’essaye de trouver un riff de guitare pour aller avec la batterie, et puis beaucoup de recherches d’ambiances autour. Au départ, les deux ne vont pas forcément ensemble ou ne sont pas forcément en même temps. Et la fin, je fais une espèce de mix de tout ça et je garde ce qui vraiment me paraît important. En général, quand je fais un morceau, il y a deux tonnes de riffs et à la fin, je n’en garde qu’un. J’essaye vraiment de me concentrer sur des choses assez minimales à la fin.

« Dans l’absolu, cet album parle quand même beaucoup de la solitude. Une solitude dans laquelle je fais de la musique qui est choisie et qui est à la fois très universelle et très particulière. C’est une expérience difficile à partager. »

Une force de Bring Down The Flags, c’est notamment l’étendue sonore qu’il propose et les images. Tu as évoqué la solitude tout à l’heure, et on a souvent l’impression de se trouver seul dans un immense hall ou même un hangar vide, comme une usine désaffectée. On pense surtout à « Mother Of Wrath ». Était-ce les images que tu avais en tête ?

Je crois que c’était les images que j’avais en tête et puis ça correspond aussi à la réalité. Bon, mon studio n’est pas dans une usine, mais dans un grand bâtiment – très grand pour une personne seule ! [Rires] Je ne suis pas du tout dans une petite chambre avec de la mousse sur les murs, c’est une grande pièce où il fait froid, il y a beaucoup de courants d’air, et il y a une acoustique particulière. Et puis, dans l’absolu, cet album parle quand même beaucoup de la solitude. Une solitude dans laquelle je fais de la musique qui est choisie et qui est à la fois très universelle et très particulière. C’est une expérience difficile à partager.

On peut percevoir une construction symétrique assez marquée sur l’album. Par exemple, « A Mass For It » fait écho à « A Mess To Me », tant par son titre que par sa position dans l’album ou sa structure musicale. De manière générale, comment as-tu pensé l’agencement de l’album ?

Je suis très attachée au format vinyle, du coup quand j’arrive au moment où il faut que je choisisse une tracklist ou l’ordre des morceaux, je suis vraiment sur le vinyle. C’est-à-dire que je veux que ça ne dépasse pas quarante-deux minutes ou à peu près, je veux que chaque face soit assez équilibrée et qu’il se passe un truc à la fin de la face A qui fait que tu vas retourner le disque, en tenant compte aussi du son, c’est-à-dire qu’en fin de face tu as une espèce de petite saturation naturelle supplémentaire. Je pense vraiment tout ça quand je pense les morceaux. C’est vraiment ce qui motive la structure de l’album et c’est vrai que j’aime bien que les choses soient assez symétriques, ou en tout cas équilibrées, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas une face qui soit vraiment plus forte qu’une autre ou qui écrase complètement l’autre. Il faut que les deux faces pèsent à peu près le même poids.

En même temps, tu ouvres l’album avec « The Descent » qui, passé son introduction ambiante, est un titre qui devient assez incisif et extrême, tandis que le reste de l’album peut se trouver moins dense, même s’il est tout aussi sombre. Est-ce que l’intention de ce premier morceau est de bousculer ton auditeur dès le début, comme une sorte de chute, et de l’entraîner dans ton voyage musical ?

Oui, c’est vraiment l’idée de « The Descent », que ça soit le texte ou la couleur musicale du morceau. L’image que j’avais quand je réfléchissais à tout ça, c’était vraiment : « Tu vas monter dans mon sous-marin sur le premier morceau, on va fermer la porte, et puis là ça va devenir plus compliqué, on va descendre… » Au fur et à mesure, c’est vraiment l’idée que plus tu descends, plus l’oxygène devient artificiel. J’avais vraiment cette image-là, même si c’est un peu abstrait [rires]. Ce que ce premier morceau raconte, c’est : « D’accord, je fais un nouveau disque, mais putain c’est dur ! Donc si tu veux écouter mon disque, il faut que tu descendes un peu avec moi. Il faut que tu acceptes de venir à cet endroit avec moi. Si tu n’as pas envie de venir, tu ne viens pas, mais si tu viens, il faut que tu y ailles à fond. » L’idée était de prévenir dès le début et les morceaux un peu ambient, je les ai pensés comme de fausses respirations, c’est-à-dire que tu te rends compte que tu respires encore, mais c’est de plus en plus asphyxiant.

Quels sont ces états et ces émotions qui t’ont inspirée pour la composition de cet album, qui est très riche en nuances de noir et qui oscille entre la virulence du metal extrême et l’accablement du dark ambient, et dans lesquels tu veux que l’auditeur t’accompagne ?

Je pense que ça vient de trucs très personnels, de l’expérience, d’états que tu peux expérimenter. Pour moi, l’agressivité, la violence, le cri, c’est exactement la même chose psychiquement que la mélancholie et la perte de forces complète. Tu as une espèce d’oscillation entre ces deux états qui ne se manifestent pas de la même façon mais qui disent la même chose, qui disent que ce n’est pas possible ou, en tout cas, que c’est très compliqué d’être là.

En t’écoutant, nous repensons à une interview réalisée l’année passée avec Guillaume de Limbes et Blurr Thrower, avec qui tu as collaboré. Il nous avait dit que si l’auditeur ne recevait pas les images qu’il avait en tête – et il parlait beaucoup de ruptures sur le dernier album –, pour lui sa construction artistique aurait été un échec. Est-ce que c’est important pour toi aussi que l’auditeur puisse se projeter ces images que tu as décrites en écoutant ton disque ?

C’est carrément important, mais la nuance que je ferais, c’est que je suis hyper étonnée qu’il y ait des gens qui puissent entendre ça. Mon postulat de départ serait plutôt que ce n’est pas possible de communiquer ça. Je suis hyper étonnée que mon disque puisse toucher des gens ou que des gens puissent entendre tout ce qu’on se raconte là, qu’il y ait des gens qui le captent tout de suite. Je pense que quand je fais de la musique, ça part d’un truc que je n’arrive pas à communiquer, donc je suis hyper étonnée quand on me dit que j’ai réussi à communiquer quelque chose. J’ai l’impression que Mütterlein, et surtout sur cet album-là, c’est vraiment un cri dans la nuit, j’avais l’impression que personne n’allait m’entendre. Je suis heureuse que le disque soit sorti, qu’il soit écouté et qu’il y ait des gens qui l’ont entendu, mais ça me surprend vraiment, donc je n’aurais pas pu ressentir un échec.

« D’accord, je fais un nouveau disque, mais putain c’est dur ! Donc si tu veux écouter mon disque, il faut que tu descendes un peu avec moi. Il faut que tu acceptes de venir à cet endroit avec moi. Si tu n’as pas envie de venir, tu ne viens pas, mais si tu viens, il faut que tu y ailles à fond. »

Tu as mentionné plusieurs fois un cri. Ton chant hurlé dans la composition n’est pas forcément au premier plan, il se confond souvent avec l’instrumentation, comme un cri désespéré – on pense notamment à des groupes davantage axés post-hardcore atmo tels qu’Amenra. Quelle place ce chant a-t-il pour toi ? Conceptuellement, c’est un cri de détresse pour toi ?

C’est un cri de détresse mais pas que. C’est un cri de rage aussi. Il y a beaucoup de colère. Mais forcément, comme je disais tout à l’heure, je trouve que la colère et le désespoir vont vraiment ensemble. Je ne connais pas la colère sans le désespoir, et je ne connais pas le désespoir sans la colère. Je ne sais pas si on peut les séparer. Maintenant, c’est clair que quand je chante mais aussi quand j’écoute Colin d’Amenra chanter, j’ai un rapport très physique avec la voix. C’est un instrument qui est à part. Quand tu y vas, ce sont tes cordes vocales qui ramassent, ça fait mal. Il y a quelque chose qui engage ton corps dans la voix. Tu peux mettre des effets sur ta voix, mais tu ne peux pas la maquiller. J’ai l’impression que personne ne peut chanter ce que je chante ; il y a des personnes qui peuvent le chanter mieux, ou moins bien, ou différemment, mais personne ne peut remplacer ma voix, si c’est moi qui chante, c’est moi qui chante. C’est comme une empreinte ou une signature. Je parle de ça, mais je me dis que c’est sans doute vrai avec la guitare ou la batterie, c’est-à-dire que tu vas reconnaître la signature d’un super batteur, mais je suis plus sensible à cette signature de la voix qui est très physique et très engagée, tu ne peux pas faire semblant. Quand Colin monte sur scène avec Amenra et quand il est fatigué ou qu’il a un coup de moins bien, que c’est vraiment dur, je me dis que dans sa voix ça va vraiment s’entendre.

Dans la démarche artistique, le fait de ressentir quelque chose physiquement c’est fondamental ? Je fais un lien avec ce que nous expliquait Dehn Sora – qui d’ailleurs illustre cet album – qui a besoin de ce ressenti dans sa démarche…

Oui, totalement. Je pense que c’est pour ça que nous nous apprécions autant avec ce genre d’artiste, comme Dehn Sora, parce que nous nous comprenons vraiment là-dessus. Je ne veux pas parler pour lui, donc je parle pour moi, mais je ne suis pas une super bonne communicante, je ne sais pas très bien m’exprimer et il y a un besoin de passer par le corps, que ce ne soit pas facile et que ce soit un peu douloureux. C’est ça qui produit l’expression la plus sincère, je pense. Il faut que ça soit physique et il faut que ça soit dur, parce que ce qui est exprimé est mille fois plus dur que juste de se faire mal aux cordes vocales ou aux poignets.

L’un des points communs de ce nouvel album avec tes précédentes œuvres, c’est que la musique de Mütterlein s’appuie sur de nombreux éléments ritualistes et liturgiques, comme les litanies de motifs mélodiques hypnotiques et les scansions entêtantes des percussions : en quoi cet aspect rituel de la musique te semble essentiel pour tes compositions et en quoi il rejoint cet aspect viscéral ?

Je pense que c’est pour la même raison. Par exemple, sur scène, en concert, et c’est depuis toujours quel que soit le groupe dans lequel je joue, j’ai vraiment besoin de ce truc autistique de répéter quarante-cinq fois la même note. C’est vraiment important. Physiquement, c’est un peu comme de la danse. Il faut que ça m’emmène et pour que ce soit le cas, il ne faut pas que ce soit trop technique, car autrement, j’ai besoin de réfléchir à ce que je suis en train de faire. Je ne dis pas qu’il ne faut pas réfléchir du tout, mais ma musique me plaît parce qu’il y a un moment où mon cerveau se débranche totalement. C’est très instinctif et naturel.

On peut voir dans le miroir des mots anglais « mass » – qui peut autant désigner une masse indifférenciée que la messe catholique – avec « mess » – qui désigne le désordre, la confusion – une forme de glissement dans les méandres de solitude sur un arrière-plan quasi liturgique : l’album semble presque proposer une sorte de parodie de messe où les symboles seraient inversés – l’ascension devient une descente, la communion devient isolement et la bénédiction un requiem à la fin, qui désigne, avant d’être une composition musicale, l’office pour les défunts… Est-ce que cette vision tu l’avais à l’esprit lorsque tu as créé l’album ?

Ouai, totalement. Je pense que tu l’expliques très bien. C’est vraiment ce truc de se réapproprier les symboles, où le rituel devient quelque chose de personnel et que t’inventes, ce n’est pas quelque chose qu’on t’impose ou qu’on t’apprend à faire. La question de cette inversion, je suis contente que tu la nommes comme ça car c’est vraiment ce que je veux faire. Je veux descendre les drapeaux, je veux inverser tout, je veux que les symboles soient à l’envers, etc. Pourquoi les a-t-on mis dans ce sens-là à l’origine ? Je ne sais pas. Il faut tout retourner, il faut tout brasser… Cette idée est vraiment présente, c’est sûr.

« Je pense que quand je fais de la musique, ça part d’un truc que je n’arrive pas à communiquer, donc je suis hyper étonnée quand on me dit que j’ai réussi à communiquer quelque chose. J’ai l’impression que Mütterlein, et surtout sur cet album-là, c’est vraiment un cri dans la nuit, j’avais l’impression que personne n’allait m’entendre. »

Musicalement, on peut faire un parallèle avec Throane ou Treha Sektori, par les mélanges et expérimentations sonores et par cette démarche artistique physique. Quel est ton rapport aux œuvres artistiques, graphiques et musicales de Dehn Sora ? Et qu’est-ce que tu lui as demandé pour cet opus, est-ce que tu lui as laissé carte blanche ou est-ce qu’il y avait des consignes particulières ?

Le rapport que j’ai avec le travail Dehn Sora est très naïf et très simple : je suis fan ! Son univers me touche beaucoup. Le fait que ce soit lui qui ait fait la pochette, c’est surtout parce que nous nous sommes rencontrés et que nous nous entendons très bien. C’était vraiment carte blanche totale, c’est-à-dire qu’il a écouté les morceaux depuis le départ, même quand c’était à l’état d’ébauche, encore très brut, ou des débuts d’idées. Après, je pense que ça a fait son petit chemin dans sa tête et que ma musique lui parle. Ce n’est pas juste un gars qui vient poser un artwork sur un disque, c’est comme une collaboration : il s’occupe du visuel et moi je m’occupe de la musique sur ce disque.

Tu as déclaré : « Je pense que je suis toujours à la recherche du ‘bon endroit’ dans la musique où la violence et la misère peuvent être des sœurs siamoises, en essayant de révéler quelque chose d’authentique sur cette vérité intérieure. » Penses-tu que l’aboutissement de cette quête musicale et artistique ne voudrait pas dire que tu as fini d’explorer ce que tu voulais faire dans le metal extrême ? Et ne pourrait-on pas se dire qu’il n’est pas plus mal de ne pas être au bon endroit pour que la créativité demeure ?

Si, c’est clair ! Quelque part, j’espère que je ne trouverai jamais le bon endroit et que je continuerai d’avoir envie d’être dans la recherche et dans l’expérimentation pour qu’il y ait encore du désir, parce que mon désir de musique vient vraiment d’une nécessité. Je pense que le jour où je n’éprouverai plus cette urgence et cette nécessité, peut-être que je ferai, je n’en sais rien, du rock 70’s… Je ne sais pas ce que je ferai ! [Rires] Mais je pense que je n’aurai plus besoin de faire de la musique, tout simplement. J’ai un rapport à la musique qui n’est absolument pas intellectuel et qui est vraiment viscéral.

Ce besoin peut aussi être lié au contexte : est-ce que le confinement et la crise sanitaire ont pu jouer un rôle dans la création de cet opus ? La solitude est très présente dans l’album et il incarnerait donc parfaitement les ressentis individuels les plus sombres de cette période-là.

C’est marrant parce qu’on m’a posé plusieurs fois la question et souvent je réponds que non, que je ne vois pas trop l’impact du confinement sur le disque, souvent parce que j’ai l’impression que le disque était pas mal avancé au moment où il y a eu le premier confinement et où on était vraiment restés enfermé chez nous. Mais en fait, à force qu’on me pose la question et que j’y réfléchisse, je me dis que quand même, il y a quelque chose qui se répond. Ça n’a pas influencé le propos du disque, parce que je pense qu’il existait avant le Covid-19, le confinement, etc. Par contre, il y a eu un écho dans le temps qui s’arrête un petit peu, où d’un coup je me retrouve à ne faire plus que ça. J’ai eu plus de temps pour faire tout ce qui est vraiment enregistrement, mixage, etc. Forcément, ça a influencé quelque chose, mais c’est compliqué, parce que je ne pense pas que ça ait vraiment influencé la couleur du disque, car je sais d’où elle vient ; elle vient de quelque chose de plus profond qui dépasse la contingence de ce qu’on vit. Mais ça a dû influencer un petit peu au niveau du mixage, au niveau de certains choix qui ont pu être faits sans doute pour renforcer la couleur de cette solitude particulière, qui d’un coup devenait partagée un peu par tout le monde. Ce n’était plus juste un état personnel, tout le monde avait l’air de souffrir à peu près de la même chose.

Pour visualiser, sur quelle période tu as composé l’album, du début d’écriture jusqu’à son aboutissement ?

Je suis un peu pommée dans les dates, mais il me semble que l’écriture de base des morceaux – avec le texte et à peu près la structure – devait être déjà bien avancée voire finie déjà vers fin 2019/début 2020. Après, ce qui prend le plus de temps pour moi, en général, c’est ce qu’on va appeler des arrangements, même si ce n’est pas des arrangements parce que ça fait vraiment partie de la façon dont je compose. J’ai ma voix, ma batterie, ma guitare, et ensuite, je passe mon temps à les refaire, à les repeaufiner, à réenregistrer. En fonction de ce que je rajoute ou de ce que j’enlève, je refais la guitare de telle ou telle façon, mais la composition est déjà bien avancée. Je pense que ça, c’était presque fini début 2020, et ensuite le disque était prêt fin 2020.

Les musiques extrêmes sont sans doute les plus cathartiques pour les artistes dans le milieu du metal. Précisons qu’à côté de ton activité de musicienne, tu es psychologue. Même si j’imagine très bien que tu fais la séparation entre l’artiste et la psy, le regard du psy n’est jamais totalement effacé. Comment tu regardes ta propre pratique avec tout ce que tu mets en lien dans ta musique ?

Je pense que ce qui fait vraiment le pont entre mes deux casquettes, c’est vraiment ma sensibilité. Je pense que j’ai la même sensibilité quand j’ai ma casquette de psy que quand j’ai ma casquette de musicien, c’est juste qu’il y a un endroit où ma sensibilité est mise au service des autres, où – comme disent les psys – je prête mon appareil psychique à d’autres personnes. Alors qu’avec la casquette de musicienne, je suis dans un truc vraiment égocentrique où, au contraire, il n’y a de place pour personne d’autre. Donc le pont c’est vraiment ma sensibilité et ma façon de percevoir les choses. Après, je pense qu’avec le travail que je fais, qui est un travail où je suis tous les jours et toute la journée au contact avec des choses très difficiles, j’ai besoin d’un endroit où je peux extérioriser certaines choses. Je connais des collègues qui font le même métier que moi, avec les mêmes difficultés, et qui vont faire du footing le week-end. J’ai l’impression que la musique remplit cette fonction chez moi. Pour l’avoir expérimenté, l’un sans l’autre, ça ne fonctionne pas. Ne faire que de la musique, j’ai l’impression de n’être que centrée sur moi et ça ne me va pas, parce que je ne me sens pas utile, et ne faire que la psy, c’est épuisant, c’est un sacerdoce. C’est vraiment l’équilibre et je pense que je serais la plus heureuse du monde si, un jour, ces deux choses pouvaient prendre autant de place l’une que l’autre, c’est-à-dire que je puisse autant faire de concerts et d’albums que me mettre de côté et au service des autres.

« Je veux descendre les drapeaux, je veux inverser tout, je veux que les symboles soient à l’envers, etc. Pourquoi les a-t-on mis dans ce sens-là à l’origine ? Je ne sais pas. Il faut tout retourner, il faut tout brasser… »

Tu as proposé avec Mütterlein un split album avec Limbes, le projet qui succède à Blurr Thrower. Comment s’est déroulée votre rencontre et comment avez-vous pensé cette collaboration ?

C’est rigolo parce que nous ne nous connaissons pas, nous ne nous sommes jamais rencontrés, et c’est Guillaume, donc Limbes, qui m’a contactée sur les réseaux, en me faisant cette proposition. Il m’a expliqué qu’il avait fait un morceau qui durait vingt et quelques minutes, et qu’il voulait me proposer de faire un split. Il m’a envoyé son morceau et quand je l’ai écouté, déjà j’ai vraiment bien aimé, mais en plus je trouvais ça vraiment délire qu’il pense à moi pour faire un split avec le morceau qu’il avait fait, qui est très black, très speed et beaucoup dans les aigus, par rapport à mon approche où j’ai tendance à couper tous les aigus sur les morceaux – un peu trop d’ailleurs [rires]. Du coup, je trouvais ça génial, j’avais trop envie de faire le contre-pied total. En même temps, nous avons discuté un peu plus sur le fond de ce qu’il voulait exprimer, et ça m’a parlé. J’ai trouvé que, même si nous ne nous connaissions pas, nous avions la sensation que nous avions des points communs au niveau de la sensibilité et des choses que nous avions envie de dire. Ça m’a vraiment éclatée de faire ce truc. Je lui ai répondu : « Oui, d’accord. Je vais faire le truc le plus lent que j’ai jamais fait. » C’est un peu mon idée de départ, elle n’était pas plus compliquée que ça. Je voulais essayer de faire le truc le plus lent dans le rythme certes, mais aussi dans l’évolution. Je me suis dit qu’il fallait que j’arrive à faire ça sans que ça devienne chiant, et du coup c’était le challenge. Ça m’a vraiment libérée de le faire, parce que je l’ai fait très rapidement. Je crois que j’ai fait ce morceau en trois jours, mixage compris. C’était hyper libérateur. Au moment où j’ai fait le morceau, Guillaume m’avait parlé de ça, mais nous n’avions pas du tout idée de le sortir d’une quelconque façon, c’était vraiment un exercice de style, puis j’y suis allée franco… Guillaume parlait de vérité, moi je me suis dit que j’allais parler des menteurs. Alors, c’est quoi les menteurs ? C’est les branleurs, etc. [petits rires]. J’y suis vraiment allée franco sans prise de tête et ça m’a vraiment fait du bien, ça m’a libérée. Je me suis sentie autorisée à pouvoir essayer des trucs.

C’est marrant que tu dises que vous ne vous soyez jamais vus auparavant, car on peut remarquer que ce qui lie Limbes – anciennement Blurr Thrower – et Mütterlein, c’est l’aspect rituel et liturgique et ce symbolisme religieux parfois inversé…

Il faudrait lui poser la question, mais je pense que c’est que Guillaume a vu dans Mütterlein et c’est pour ça qu’il m’a contactée (Guillaume l’a confirmé pendant la diffusion de l’interview, NDLR). Il aurait pu être déçu ou ça aurait pu ne pas coller. Durant tous les échanges que nous avons eus, puis quand je lui ai envoyé mon morceau, je me suis dit : « Oh là là, il va flipper, ça ne va pas le faire ! » [Rires]. Et en fait, si, il était super content. Je pense que nous nous rejoignons sur tous ces aspects rituels et ce rapport un peu à la folie ; nous avions beaucoup échangé sur la santé mentale, cette espèce d’amour et de respect que nous avons pour la folie quelque part. Je ne veux pas non plus trop déformer sa pensée, mais je trouvais que nous nous rejoignions à cet endroit-là, avec un peu un côté art brut dans la sensibilité.

Dans un autre registre tu as également proposé une collaboration avec le groupe Membrane sur le morceau « Heart ». Qu’est-ce qui t’a intéressée dans leur projet ?

C’est aussi eux qui m’ont contactée pour faire un featuring sur un morceau, et ça s’est fait en échangeant avec eux. Le son qu’ils m’ont envoyé m’a plu et je trouve leur démarche très sincère et très honnête. C’est plus ça qui m’a touchée avec Membrane. Du moment que les artistes sont sincères, ça me touche et j’ai l’impression que je peux essayer de faire avec aussi.

Comment envisages-tu de te produire à nouveau sur scène et avec quel line-up ?

J’ai pas mal travaillé cette question parce que ça m’a travaillée. J’avais vraiment envie d’autres choses, sans m’y autoriser vraiment. Je viens d’une culture très punk et très metal, où les concerts sans une batterie présente sur scène c’est… Je me suis toujours cassé la tête pour qu’il y ait un batteur sur scène, parce que je trouvais ça important. En fait, plus le temps passait, moins je trouvais ça important mais je ne voyais pas trop comment faire. Avec ce disque, Bring Down The Flags, j’ai vraiment eu envie de me libérer totalement… C’est aussi l’idée de faire tomber les drapeaux : je bosse sur moi-même à faire tomber tous les codes que je connais, toutes les limites que je peux me mettre parce que « non dans le metal on ne fait pas ça comme ça, c’est pas comme ça qu’il faut faire, etc. » J’ai besoin que la batterie soit saturée, qu’elle soit avec beaucoup de réverb et que les choses soient hyper millimétrées, donc le fait de bosser sur un set plus industriel, de ramener mes machines sur scène, de faire des envois dans les effets et de travailler le son en temps réel, c’est vraiment ce qui m’intéresse et que je vais faire. Pour l’instant, je ne l’ai pas fait en live devant un public, mais quand je le répète, ça fonctionne. C’est une espèce de truc hybride. Scéniquement, ça ressemble plus à un concert de Trepaneringsritualen ou Author & Punisher, mais le son reste dans un esprit plus punk/metal.

Avant Mütterlein, tu as évolué dans Overmars qui mélangeait sludge, doom, hardcore, noise, pas mal de choses… Avec le recul, qu’est-ce que tu as principalement retenu de ce projet de jeunesse ? Qu’est-ce qui est resté à ton avis dans Mütterlein ?

C’est dur comme question ! [Rires] Il y a plein de choses qui me sont restées. Déjà, Overmars, c’était quand même une sacrée expérience pour moi, nous avons fait beaucoup de concerts et de tournées, donc il y a tout ça qui m’est resté. Musicalement, j’étais jeune mais j’éprouvais déjà ce truc-là, tout ce que je vous ai raconté sur l’aspect ritualiste, minimale, la répétition, etc. J’étais à la basse et j’avais déjà un rapport avec la basse qui ressemblait à ce que je vous ai raconté, à rechercher le plus grave possible, ma basse était accordée en Si avec vraiment de la disto, et le plus je pouvais jouer ma corde à vide et laisser sonner ça, le mieux j’étais ! C’était marrant parce qu’en studio, je me faisais chier, parce que la basse était toute petite, dans un coin, tu joues assis, tu fais ton truc… Puis t’arrives sur scène avec ton frigo Ampeg, tu branches la basse et puis tu fais : « OK les gars, c’est qui le patron ? » [Rires] Tu enterres tout avec ta basse ! C’est pareil, il y avait un truc super physique sur scène quand je mettais la tête dans le frigo Ampeg… C’était peut-être un peu con de faire ça, mais ça faisait du bien physiquement ! [Rires] Je sortais du concert, il y a beaucoup de gens qui me disaient que je puais plus la transpiration que n’importe quel gars. C’est à peu près ce que doivent éprouver les gens qui font des trails, je pense souvent à ça ; parce que je ne suis pas sportive pour un sou, donc je ne peux qu’imaginer, mais c’est un peu ce que je ressens quand je sors de scène. Je bois un litre d’eau et puis je suis bien. Tout ça pour dire que d’Overmars, il me reste tout ça, c’est-à-dire que j’ai vieilli mais je n’ai pas beaucoup changé.

Interview réalisée par téléphone le 28 janvier 2022 par Jean-Florian Garel et Eric Melkiahn.
Retranscription : Jean-Florian Garel.
Photos : William Lacalmontie (1 & 4).

Facebook officiel de Mütterlein : www.facebook.com/mutterlein

Acheter l’album Bring Down The Flags.



Laisser un commentaire

  • Red Hot Chili Peppers @ Lyon
    Queens Of The Stone Age @ Lyon
    Kiss @ Lyon
    Skid Row @ Lyon
    Hollywood Vampires @ Paris
    Depeche Mode @ Lyon
    Scorpions @ Lyon
    Thundermother @ Lyon
    Ghost @ Lyon
    Spiritbox @ Lyon
    Metallica @ Saint-Denis
    previous arrow
    next arrow
     
  • 1/3