A en croire le chanteur Mick Caesare, tous les membres de Destinity savaient qu’un jour ou l’autre la machine se remettrait en marche et que la séparation n’était qu’éphémère. Ce n’était qu’une question de temps. Partir pour mieux revenir, c’est la morale de bien des histoires de famille. Et le constat semble sans appel : cette pause a fait du bien à tous les musiciens et la meilleure illustration de cela est le nouvel album In Continuum qui présente un groupe rafraîchi.
Le disque se trouvait déjà être un succès avant même sa sortie officielle grâce aux précommandes, preuve que le public est resté patient malgré toutes ces années. Le groupe compte bien le lui rendre pour le remercier de sa fidélité et maximise la proximité avec les fans en devenant complètement indépendant pour finalement avoir une approche plus artisanale de la musique, comme nous le confie le vocaliste dans cet entretien. Nous parlons également avec lui du concept central de cet opus, ce rapport au temps inéluctable, laissant derrière lui les regrets, les proches disparus et provoquant inévitablement une certaine nostalgie.
« Personnellement – je parle au fond de mon cœur – je savais que ça allait se refaire. C’était sûr pour moi. C’était juste une question de temps. »
Radio Metal : Nous t’avuons reçu en 2017 en tant que chanteur de No Return et tu parlais de Destinity avec nostalgie. Qu’est-ce qu’il s’est passé du coup depuis ce moment où tu évoquais ton « ancien groupe » ?
Mick Caesare (chant) : Oui, la nostalgie forcément ! J’ai créé ce groupe avec les jumeaux en 1996, ça fait plus de la moitié de ma vie que j’ai ce groupe, donc forcément ça fait totalement partie de mon ADN. C’était obligé que je sois ému [au moment de l’interview avec No Return], je pense que c’est assez logique. Après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tout simplement ça avait clashé un petit moment, puis nous avons commencé à nous revoir parce que c’est comme une famille. Nous sommes un peu comme des frères, et comme des frères, quand tu t’engueules, tu t’engueules très fort, et quand tu t’aimes bien, tu t’aimes très fort ! Cette pause nous a vraiment servi, tant humainement que musicalement. Ça nous a énormément apporté. Tout le monde est revenu beaucoup plus serein, beaucoup plus zen : nous avons envie de nous éclater, de passer du bon temps, et nous ne referons pas certaines erreurs que nous avons pu faire. En fait, nous avons commencé à nous revoir, nous avons crevé l’abcès quand l’idée venait de refaire une ou deux dates. Il y a eu une date, puis nous avons reçu plein de propositions. Nous n’avons même pas vu le truc arriver, mais au bout d’un moment, nous nous sommes dit : « On fait quoi, en fait ? » [Rires]. L’envie était chez tout le monde ; tout le monde avait envie de remonter sur scène. C’était évident que ça se fasse.
Nous t’en parlions déjà en 2017, l’ombre Destinity était là déjà sur The Curse Within de No Return qui avait pris un tournant très mélodique. Cette reformation était inévitable, non ?
Personnellement – je parle au fond de mon cœur – je savais que ça allait se refaire. C’était sûr pour moi. C’était juste une question de temps. D’ailleurs, même à l’époque, avant que je parte, j’avais évoqué plusieurs fois le fait qu’il fallait faire un break, souffler un peu, parce que nous avions énormément tourné, j’étais ultra-fatigué, je portais beaucoup de choses sur mes épaules. Je crois que j’ai fait un peu ce que les gens appellent un « burn-out », j’ai un peu craqué, ça m’a rendu dingue. J’avais besoin de faire une pause. Après, il y a eu l’opportunité No Return qui est arrivée, c’est un groupe que j’écoutais quand j’étais gosse, je me suis dit : « Tiens, ça m’aérera un peu la tête. » C’est parti de ça, pour les dépanner sur une date, puis le soir même – je pense qu’ils avaient un petit peu préparé le truc – ils m’ont demandé : « Qu’est-ce que tu veux faire ? C’était cool. » J’ai dit : « Vas-y, c’est parti ! » Au final j’ai fait deux albums plus un album live avec eux. Pareil, je ne regrette absolument pas, mais je pense que c’était l’heure de rentrer à la maison.
Est-ce que vous avez été surpris par l’engouement du public au moment de vos concerts de reformation ?
Il y a eu deux étapes où nous avons été surpris. Comme tu l’évoques par rapport aux concerts, nous avons été franchement surpris. En Allemagne notamment, nous avons fait un fest, c’était ouf. Il y a des mecs qui ont vu que c’était la seule date, ils ont fait six cents bornes ! Nous, nous sommes au merch, nous avons halluciné. Nous avons fait des photos et nous avons discuté avec tous ces fans allemands. Là, nous nous sommes dit : « Putain, c’est fou quoi, c’est un truc de dingue ! » Nous avons joué en Suisse aussi… Enfin bref, je dirais qu’il y a eu cette première étape. Après, il y a eu la seconde qui est plus axée sur le nouvel album In Continuum. C’est hallucinant les commentaires du monde entier, nous ne nous serions jamais attendus à ça. C’est une deuxième fois où nous nous sommes dit qu’il y a quand même beaucoup de fans qui nous attendent. Ça fait chaud au cœur, surtout qu’un groupe comme ça, ça demande énormément d’énergie, de travail et tout, donc c’est une forme de récompense.
L’engouement après cette première étape que tu évoquais a précipité le fait de travailler sur un nouvel album ?
Non. En fait, ça va paraitre un peu cliché ce que je vais dire, mais nous l’avons vraiment composé pour nous. Nous ne nous rendions pas encore trop compte du truc. Nous avons juste parlé du style, de ce que nous voulions ajouter ou ne plus faire dans ce nouvel album, mais non, ce n’est pas lié à un quelconque engouement sur le groupe ou même globalement sur le death mélo. C’est juste que nous avions envie de faire un disque, et il se trouve que nous notre truc c’est le death mélo. Nous nous rendons compte que nous aurions dû faire du death mélo dès le début parce que, vu les chroniques, nous avons l’air de sacrément bien nous démerder ! [Rires] Les notes sont un peu ouf depuis quelques semaines, ça fait super plaisir. Nous sommes bien là-dedans, c’est notre style de musique. Maintenant, nous sommes bien épanouis dedans, nous avons fait notre bonhomme de chemin. Quand nous avons pris la décision de repartir, nous avons commencé à composer, nous avons retapé dans les vieux riffs, il y a beaucoup de choses qui ont été jetées, mais ça nous a servi des fois à partir sur une ossature. Je dirais que ça a été très instinctif comme processus d’écriture.
« Quand nous avons pris la décision de repartir, nous avons commencé à composer, nous avons retapé dans les vieux riffs, il y a beaucoup de choses qui ont été jetées, mais ça nous a servi des fois à partir sur une ossature. Je dirais que ça a été très instinctif comme processus d’écriture. »
Maintenant que l’album est terminé, est-ce que le Destinity des années 2010, celui de XI Reasons To See et Resolve In Crimson, est le même que celui des années 2020 ou bien mettez-vous une séparation ?
Non, je pense que cet album est la suite logique de Resolve In Crimson. Après, il y a des choses qui vont peut-être plus en profondeur, notamment dans des ambiances et des trucs que nous n’osions pas trop avant. Nous nous sommes mis zéro pression, nous avons dit que nous faisions exactement ce que nous voulons, nous n’en avons rien à cirer ! Nous ne nous sommes pas fixé de limites. C’est ce qui donne vraiment cet album, sa profondeur. C’est l’évolution logique du moment où nous avons pris ce virage, à partir de The Inside. Il y a deux périodes, l’avant Synthetic Existence et l’après, selon moi. En tout cas, nous ne voulions pas faire un Resolve In Crimson bis. Ça peut rester dans la même veine mais je le trouve plus abouti et peut-être plus profond, et nous nous sommes peut-être mis plus en danger dans le sens des structures et des choses comme ça.
Est-ce qu’il y a eu des différences concrètement sur votre façon de composer par rapport à Resolve In Crimson ?
Non, pas du tout, pour la simple et bonne raison que nous avons exactement le même line-up depuis XI Reasons To See. Les quatre autres composent et nous essayons de faire en sorte qu’un gars amène le morceau complet pour garder vraiment l’essence et l’ambiance du morceau. Après, nous mettons tous notre grain de sel dedans et il faut que ça soit validé par tout le monde. Si ce n’est pas validé, et que nous n’y arrivons pas au bout de trois ou quatre fois, nous balançons et nous passons à autre chose. Avec les morceaux, nous aurions pu écrire deux heures [d’album]… Nous avons choisi ce qui nous paraissait le plus cool et que tout le monde avait validé, donc au moins nous ne regretterons jamais, parce que les cinq ont validé tout ce que les fans vont écouter.
C’est vrai qu’on pourrait se dire qu’il y a un noyau dur, puisque tu parlais de la formation avec les jumeaux, mais en fait tu nous dis que tous les membres du groupe sont à parts égales dans Destinity ?
Oui, tout à fait. David Richer notre bassiste est un guitariste aussi ; c’est un musicien, il joue de tout ! « Black Sun Rising », par exemple, je crois qu’il avait fait une très grosse partie dedans. Même Flo qui est batteur amène des morceaux entiers. C’est vraiment tout le monde qui compose. C’est même rigolo, parce qu’avant je disais : « Telle partie, double-la, car je n’ai pas le temps de m’exprimer. » Alors que maintenant, ils t’amènent le truc… Ils me connaissent tellement dans ce que je demande… Bon, je vais trouver un truc histoire de dire [rires], non je déconne ! Nous avons tellement travaillé ensemble que c’est ultra-naturel.
Un auditeur comparait le nouvel album à As I Lay Dying, et tu nous confiais que tu n’avais jamais écouté le groupe…
Ce n’est pas le premier à le dire, c’est pour ça que ça me donne d’autant plus envie d’écouter. Après l’émission (l’interview était réalisée en direct, NDLR), dès que je rentre dans la bagnole, je vais vraiment me pencher sur ce groupe, car il y a déjà trois ou quatre gars qui disent ça [rires]. En tout cas je ne connais pas, enfin je ne connais que de nom. C’est bête, des fois on passe à côté de groupes, il y en a tellement !
La différence sur cet album par rapport aux anciens, on peut la ressentir à deux niveaux : à la fois sur des structures plus progressives – et on peut penser au renouveau d’At The Gates que tu affectionnes, par exemple – mais aussi sur un ensemble bien plus épuré et atmosphérique – et là on pensera à Insomnium et on évoquait Be’Lakor dans la chronique. Il y avait une réelle volonté d’accentuer ces axes-là ou est-ce que ça s’est fait spontanément ?
Je pense que nous avions un petit peu commencé sur Resolve In Crimson. Tu as une chanson comme « Can’t Stand The Sight » qui avait déjà ce côté un petit peu progressif et avec une certaine recherche dans la composition. Nous avions donc un petit peu abordé ça, mais je pense que nous n’étions pas rentrés en profondeur là-dedans. Pourquoi ? Je ne saurais pas te répondre, mais en tout cas aujourd’hui, dès le début, c’était dans nos envies d’aller plus loin là-dedans. Et comme tu le disais, j’aime beaucoup Insomnium, mais nous ne voulions pas faire du Insomnium. L’idée était justement, quand il y a une partie calme, de la faire vraiment profonde et très mélancolique – de toute façon, cet album est très mélancolique de A à Z. C’est vraiment la thématique qui suit du début jusqu’à la fin. Mais oui, nous nous sommes dit que ce serait bien d’aller à fond et comme je le disais tout au début, nous ne voulions pas nous mettre de limites et dire : « La partie elle est longue, alors il faut arrêter… » Avant, nous nous posions des questions un peu comme ça. Nous n’avons pas du tout écrit en mode « il faut écrire un single », nous avons dit que nous faisions comme la chanson devait être, et en l’occurrence c’est comme ça que nous les avons enregistrées et que vous les écoutez aujourd’hui. Je pense que nous avons fait un très bon choix parce qu’il y a vraiment de nous là-dedans. Après, je suis d’accord avec ce que tu disais, le côté progressif est beaucoup plus poussé sur cet album. Alors progressif, on est d’accord, ce n’est pas du Symphony X ! [Rires] Non, c’est plus dans l’approche, dans les breaks, c’est très alambiqué, un peu à tiroirs : avant d’arriver sur un refrain, il y a le pré-refrain, même une variante, ça monte… Je pense qu’il y a beaucoup de reliefs dans cet album.
« C’est ce qui donne vraiment cet album, sa profondeur. C’est l’évolution logique du moment où nous avons pris ce virage, à partir de The Inside. Il y a deux périodes, l’avant Synthetic Existence et l’après, selon moi. »
On sait aussi que tu es un fan de death metal toutes époques confondues, tu n’es pas bloqué dans les années 80 ou 90…
Oui, j’écoute plein de trucs, j’écoute beaucoup de black aussi… Mais ce que j’affectionne comme musique à faire, c’est quand il y a de la mélancolie, et ce qui s’y prête vraiment bien, c’est le style que je fais avec mon groupe, c’est le death mélo, c’est ce que je préfère.
On pense même aux groupes « modernes » que tu programmes, Lions Metal Fest, par exemple, puisque tu en es l’organisateur. Est-ce que d’une certaine manière tu t’es aussi nourri de la nouvelle génération pour cet album ?
Oui, on écoute un petit peu ce qui se fait, c’est obligé, sinon t’es un… Je ne sais pas si je vais dire ça, tu vas encore me ressortir ça dans quatre ans, je me méfie maintenant ! [Rires] Non, je déconne en disant ça, mais déjà, nous sommes des passionnés de musique. Forcément, quand t’es passionné, tu ne restes pas complètement bloqué dans ta vieille bibliothèque : « Oh, il est trop bien ce livre ! » Tu essayes de voir ce que le monde offre. C’est ma vision, donc je m’intéresse à la jeune scène. Comme tu le disais si bien, le fait d’avoir le festival, je suis obligé personnellement de me tenir un petit peu au jus des nouveautés, qu’est-ce qui se fait, etc. Forcément, quand t’écoutes des trucs, des fois ça te donne des idées. Je pense que c’est le côté passionné plutôt que le côté musicien. Je m’intéresse à plein de choses. David et Sebastien (Seb V.S., guitare) sont un peu plus jeunes que moi, Stéph et Flo, donc ils écoutent aussi d’autres choses. Seb aime bien du djent, des trucs comme ça. Ce n’est pas forcément ce qu’il a envie de faire, mais il a travaillé son instrument sur des trucs comme ça parce qu’il aime bien, et du coup ça t’ouvre des perspectives déjà en termes techniques. Je pense qu’un bon musicien sait tout jouer, c’est ma théorie.
Tu vas parler au nom de tes collègues, parce qu’ils ont eu un autre projet qui s’appelait The Reversionist. Est-ce qu’ils se disent inspirés de ce projet sur leur façon de composer dans Destinity ? Parce que c’est quelque chose qui n’avait rien à voir.
Non, ça n’avait rien à voir. Ce n’est pas tellement ma came, mais il faut avouer que c’était super bien fait. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que ça leur a permis de beaucoup travailler leurs instruments. Je laisserai les auditeurs découvrir, mais il faut avoir une certaine dextérité pour jouer ce style et je vais te dire la vérité, quand je suis revenu dans le groupe, j’ai halluciné sur le niveau. Nous avions tous monté ! Dès les premières répètes, je me suis dit : « Ah ouais, on joue les morceaux dix fois mieux qu’avant. » Il y a une très nette différence. C’est pour ça que de mon côté, je pense que No Return m’a apporté parce que ça m’a fait du bien de chanter des vieilles chansons que je n’ai pas écrites, j’ai dû me réadapter. Ça a été un certain travail très instructif pour moi, parce que finalement, avant je n’avais chanté que mes textes, comme je les avais placés. Et de leur côté, effectivement, ça leur a énormément apporté d’avoir touché à autre chose. Je reviens sur ce que je disais tout au départ, je pense que ce break a été ultra-bénéfique, tant dans la tête que dans la dextérité de son instrument.
Tu parlais de la dextérité entre les instruments, ce qui nous a marqués, c’est l’équilibre entre les instruments, qui est très marqué et net sur cet opus, et qui constitue une véritable plus-value. Est-ce que tu penses que ce gain technique a aussi joué, en dehors du mix et du mastering ?
Je pense. Le premier truc qui vient en tête, c’est qu’il y a eu un très gros investissement de Seb VS qui est le guitariste soliste et qui a fait un travail absolument formidable dans l’album. Il compose un peu moins que les autres, par contre tout ce qui est parties ambiantes, tous les leads, les solos, il a fait un travail de dingue. Il avait fait de très beaux solos sur Resolve In Crimson, mais je ne pense pas que ça soit du même acabit, ce n’est pas le même level. Il a énormément travaillé pendant les huit ans. Le travail paye. C’est un peu à tous les niveaux. Vraiment, le fait d’avoir travaillé leur side projet, ça a servi, c’est certain.
On a pas mal parlé du côté ambiant et progressif, mais il y a quand même de sacrés tubes. C’est une des forces de l’album. Il y a des titres fédérateurs comme « Reflections » qui a l’aura d’Amon Amarth, par exemple. Même avec l’évolution évoquée juste avant, est-ce qu’il y a dans l’idée le fait de garder le cap et de proposer des titres au riffing efficace ?
Oui. Après, nous avons toujours eu ce côté un petit peu épique. Comme sur Resolve, on avait « Aiming A Fist In Enmity » qui est un peu dans ce délire gros truc qui te marche sur la tête et épique. C’est un peu notre marque de fabrique. Nous en avons toujours eu et c’est surtout que nous aimons bien ça. Si nous n’aimions pas ça, nous n’en mettrions pas. De là à calculer, non pas spécialement. Nous trouvions juste le riff bien invincible et nous nous sommes dit qu’il avait carrément sa place. Comme je t’ai dit au début, nous avons composé de façon très instinctive. Par contre, nous avons énormément travaillé les moindres arrangements dans un second temps.
« Je pense que chacun est libre de faire comme il sent. Personnellement, je n’aimerais pas faire tout le temps le même disque, mais ça ne regarde que moi et mon groupe. Tu regardes des groupes comme tous les anciens, comme Obituary, je ne pense pas qu’ils se posent autant de questions. »
Est-ce que pour toi, pour rester intéressants et captivants, les groupes de metal extrême mélodique doivent forcément évoluer – comme At The Gates, Hypocrisy ou encore Dissection et ses trois albums différents – et proposer des choses nouvelles ?
Ce n’est même pas forcément lié qu’au death mélo. Ça dépend des groupes. Il y en a certain pour qui ça ne pose pas de problème. Ecoute Cannibal Corpse, je ne suis pas un expert mais j’écoutais à fond quand j’étais gamin, et j’ai l’impression que c’est toujours pareil ! [Rires] Je ne vois pas un côté progressif ou je ne sais pas quoi. Pourtant, j’ai tourné avec eux et c’était blindé ! Les salles, c’était mille cinq cents tous les soirs en Allemagne, en Scandinavie, etc. Je pense que chacun est libre de faire comme il sent. Personnellement, je n’aimerais pas faire tout le temps le même disque, mais ça ne regarde que moi et mon groupe. Tu regardes des groupes comme tous les anciens, comme Obituary, je ne pense pas qu’ils se posent autant de questions. Nous, nous n’avons vraiment pas envie de faire un album bis, c’est clair. Je pense que nous ne le ferons jamais, en tout cas nous ferons tout pour éviter. Je ne te dis pas que nous allons ajouter des parties jazz au milieu ou je ne sais pas quoi pour dire d’être original ! En revanche, nous allons essayer, comme nous l’avons fait là, d’aller un peu plus en profondeur ; quand il y a une mélodie, ne pas hésiter à la faire tourner, à aller profondément, bien la développer, et si ça doit être comme ça, c’est qu’il faut faire comme ça. Je ne sais pas comment sera fait l’avenir, mais en tout cas, ce n’est pas trop notre style de tomber dans la facilité. La preuve, nous avons pris un peu de risques quand même. C’est un mal pour un bien parce qu’au final, les retours sont vraiment exceptionnels, donc c’est vraiment cool.
Il semble y avoir un concept assez central autour d’In Continuum, quand on regarde l’artwork et les textes, qui est le rapport au temps…
Oui, tout à fait. Je ne dirais pas spécialement que c’est un concept, je dirais que c’est une thématique générale. Je crois que c’est l’album des quarantenaires, en fait ! [Rires] Nous voulions vraiment faire un album personnel et mettre nos histoires ou nos ressentis sur le papier. J’ai proposé l’idée aux gars et ils ont vraiment adoré dès le début. En plus, c’est génial avec un retour, d’où le nom In Continuum : il fait le lien avec ce que je suis en train de t’évoquer mais aussi avec notre retour, c’était un joli clin d’œil ! Nous galérions et j’ai trouvé ce nom directement un matin, je me suis réveillé, je me suis levé et j’ai fait : « In Continuum, je l’ai ! » [Rires]. Je les ai appelés direct : « Oh, putain ça déchire, t’as trouvé ! » La dernière fois, je crois que c’était Seb qui avait trouvé Resolve In Crimson et je suis content, ce coup-là c’est moi qui ai gagné la manche ! Après, effectivement, tu l’as très bien noté, il y a une trame générale qui est axée sur le temps, notamment un titre comme « Shadows » qui fait un petit peu honneur aux personnes qu’on a perdues récemment. Il y a beaucoup de choses très personnelles dans cet album. Je ne vais pas te dire « c’est l’album de la maturité », parce qu’à quarante ans passés, quand même, surtout avec une discographie qui commence à être un petit peu conséquente… En tout cas, nous avons mis de notre âme dans cet album et dans cette musique, et je pense que ça se ressent.
Autour de cette thématique on a l’impression qu’il y a de la nostalgie, des regrets…
Oui, tout à fait. Le titre « Reject The Deceit », c’est l’exemple typique. J’invite vraiment les personnes à l’écouter sur YouTube, vous verrez dessous, il y a les textes et si tu sais lire entre les lignes, tu vas voir de qui je parle. Je parle de moi qui reviens à la maison. C’est le petit truc caché qu’il y a à travers, il y a deux histoires en une. C’est un peu comme ça que j’aime écrire. C’est les regrets et les choses que tu peux t’autopersuader à croire, alors qu’elles sont peut-être fausses.
Tu as amorcé la question mais il y a une partie qui traite clairement de votre histoire personnelle avec Destinity en tant que groupe ?
Tout à fait ! Beaucoup sur « Reject The Deceit » parce que je l’ai vraiment écrite dans ce sens-là. Même dans la façon d’écrire, on sent qu’il y a beaucoup de choses… Je ne vais pas parler de mise à nu, mais quand même il y a beaucoup de choses personnelles à travers cet album.
Vous avez annoncé commencer à travailler sur le nouvel album en janvier 2020 : quel impact ont eu le Covid-19 et le confinement sur le processus ? Aussi, est-ce que les thématiques s’en sont inspirées, étant donné que le confinement et ce moment de solitude ont été propices à l’introspection ?
Bien sûr, oui. Tout le monde a galéré, je ne suis pas le seul. Mais par rapport à cette période, je dirais oui et non. Oui, ça nous a servi parce que, quand même, nous avons pris notre temps. Nous avons repoussé un peu et il n’y avait pas de label derrière pour nous dire : « Il nous faut l’album pour telle date » comme d’habitude, tu as une deadline où tu dois livrer le disque, etc. En ça, nous avons été super cool et nous nous sommes dit que, vu qu’il y a cette période pas vraiment top, autant repousser un petit peu. Franchement, nous aurions pu le sortir sur 2020, mais nous nous sommes dit autant prendre notre temps, bien ficeler notre bousin et faire les choses correctement. L’écriture a dû prendre six mois et après nous avons pinaillé à l’enregistrement sur les moindres détails. Seb a géré tout l’enregistrement des guitares, il a pinaillé comme un dingue ; ce n’est pas pour rien que l’album sonne de dingue. Nous n’avons rien laissé [au hasard], c’est au millimètre. C’est pour ça que je te dis que d’un côté ça nous a servi, mais d’un autre côté, c’était super chiant comme pour tout le monde ! Tu peux plus faire de concert, car ce n’est pas parce qu’on prépare un album qu’on doit vivre comme des moines [rires]. Il y avait une certaine frustration comme tous nos copains qui ont des groupes, nous étions tous ultra-frustrés. Nous avons fait avec et nous avons essayé de nous occuper en nous posant les bonnes questions, en travaillant bien tout ce qui est lyric vidéo, les clips, etc. Nous nous sommes beaucoup investis là-dedans et au final, je pense que ça a été un plus par rapport à avant.
« Je crois que c’est l’album des quarantenaires, en fait ! [Rires] Nous voulions vraiment faire un album personnel et mettre nos histoires ou nos ressentis sur le papier. J’ai proposé l’idée aux gars et ils ont vraiment adoré dès le début. »
Par contre, au niveau de la thématique, comme l’album est mélancolique… Nous ne sommes pas dit : « Oh, je suis trop triste en ce moment, alors je vais écrire un truc triste », parce que nous avons toujours fait des trucs bien tristounets, mais je pense que ça m’a certainement impacté au niveau des textes. C’était une période pas facile. Je ne vais pas faire pleurer dans les chaumières, tout le monde a galéré, mais c’est vrai que j’étais seul et que je voyais plus grand monde. Mais finalement, avec le recul, ça a été très enrichissant parce que j’ai vraiment été au fond de moi. Cet album est peut-être triste, mais il y a beaucoup de lumières dedans, il y a beaucoup d’espoir. Je pense que si je n’étais pas passé par cette période, je n’aurais pas écrit de cette façon-là. C’était une période très étrange !
L’album est distribué par Season Of Mist mais il est sorti sur ton label Crimson Productions. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche de vouloir tout gérer en indépendant ?
C’est une longue histoire ! Nous avons eu tous les deals possibles et inimaginables. C’est surtout que nous nous sommes dit que c’était aujourd’hui qu’il fallait le faire. Nous avons sorti trois albums avec Lifeforce Records, qui est un label allemand, qui nous a bien travaillés et bien développés à l’étranger. Nous lui devions un dernier album qui était Resolve In Crimson, donc nous en avions fini. Ils nous payaient le studio et tout, donc nous avions franchement un super deal, mais nous nous sommes dit qu’aujourd’hui, le marché a énormément changé, le monde de la musique a totalement changé, et que si nous ne le faisions pas maintenant, nous ne le ferions jamais. Maintenant, il faut savoir bien s’entourer. Nous travaillons avec trois boîtes de management, j’ai énormément travaillé pendant toute cette année pour mettre en place tout ça au niveau digital, des droits, je me suis formé sur des trucs, etc. C’était beaucoup de travail, mais ce qui est excellent est qu’aujourd’hui, le fan, quand il achète quelque chose… En fait, aujourd’hui, il n’y a plus que les fans qui achètent le physique, donc eux sont contents d’acheter directement au groupe. Je le vois bien : j’ai passé seize heures aujourd’hui à remplir des colis, il faudra même que j’embauche ! [Rires] Ce que je veux dire, c’est que les fans ont directement compris que nous étions totalement indépendants, et ils adorent ça. En plus, nous rajoutons des goodies, etc. Ça fait vraiment une sorte de famille, finalement.
A côté de ça, comment se consomme la musique aujourd’hui ? Ce sont des gens qui n’achètent rien et écoutent sur YouTube. Soit, chacun fait comme il veut, mais cet argent-là, nous ne le retouchions jamais. Un album comme Resolve In Crimson a été amorti, mais va demander des chiffres à ton ancien label dix ans après : « Alors t’en es où des ventes numériques ? » Tu n’as jamais les chiffres. Aujourd’hui, j’ai donc décidé de tout gérer, comme ça je sais exactement ce que nous vendons, à qui, comment, pourquoi. Et comme tu l’as évoqué, niveau distribution ça ne change absolument rien puisque nous nous sommes entourés de Season Of Mist qui nous a pris pour le monde entier. Et puis aujourd’hui je viens de signer un contrat en Asie, nous avons trouvé un deal, donc nous allons couvrir le Japon et l’Asie d’une façon générale. Ça se passe plutôt bien. Après, au niveau de la promo dans les magazines, nous n’en avons jamais eu autant. Nous n’avons jamais eu autant d’interviews, dans tous les gros mags européens. Finalement, il n’y a rien qui change, la différence est juste que l’argent va dans nos poches, pour résumer ! [Rires]
Crimson Productions c’est juste pour vous ou est-ce que ça va servir à d’autres groupes ?
L’idée est de faire une sorte de coopérative. Ça fait un peu comme Les Paysans Bretons de la musique ! [Rires] Nous avons déjà des idées. Je ne veux pas trop spoiler le truc avant, mais il y a un groupe de petits jeunes qui ont besoin de conseils – parce que mine de rien, nous commençons à savoir pas mal de trucs des rouages du milieu –, nous avons adoré leur musique, et nous allons les aider. Eux peuvent nous aider en échange sur d’autres choses. Nous allons faire une petite famille et bien travailler les choses. Du coup, ils vont pouvoir bénéficier de la distribution, de tout le travail que j’ai fait pendant cette année. Par contre, c’est clair que nous ne sortirons pas des trucs dans tous les sens, ce n’est pas du tout un délire mercantile. Il s’agit de bien travailler un groupe, donc il y en aura peu, mais il y en aura des très bons.
Nous avions discuté avec le gérant d’Adipocere qui nous disait qu’il faisait ça à la base pour vendre de la musique, mais la musique ne se vend plus, donc il vend du merch. Votre démarche est-elle aussi pour éviter de faire ça, c’est-à-dire pour d’abord vendre la musique avant de vendre du merch ?
Oui. Après, le merch c’est ce qui fait tourner la boutique, on ne va pas se mentir. Sur Destinity c’est quand même des gros chiffres, nous avons fait un pari et c’est le casino. Clairement, nous sommes déjà à un tiers du remboursement et il est même pas sorti (interview réalisée avant la sortie, NDLR). C’est juste ouf, nous ne nous attendions jamais à ça. Maintenant, nous avons mis les petits plats dans les grands, nous nous sommes donné les moyens et je pense que les fans nous le rendent bien. Ils achètent le skeud direct sur le label, le lendemain tu l’as et tu as même un tracking code en lettre suivie – 11,90€ le CD et 2,50€ pour la France en lettre suivie, puisque c’est un digipack, donc il fait moins de cent grammes. Donc n’hésitez pas, faites-vous plaisir ! [Rires] Au moins, comme je le disais tout à l’heure, vous savez où vous placez votre argent, il aide le groupe à continuer et à aller de l’avant. Ce sera d’ailleurs de même avec tous nos artistes.
« Les fans ont directement compris que nous étions totalement indépendants, et ils adorent ça. En plus, nous rajoutons des goodies, etc. Ça fait vraiment une sorte de famille, finalement. »
En parlant de merch, tu sérigraphies à la main les T-shirts du groupe…
Pas tous ! Je me suis mis à la sérigraphie il y a deux-trois ans, comme ça, par passion, à l’époque où j’avais le temps d’avoir des passions [rires]. J’adore ça. A côté de ça, nous nous sommes dit pourquoi pas faire une version exclusive, limitée, etc. avec le bundle. Ça a super bien marché, donc je remercie tous les fans, et en plus je suis très fier de moi, car franchement ils claquent ! J’ai fait un truc avec une encre entre l’or et l’ocre, c’est vraiment chouette. C’est une petite passion et c’était l’occasion de marquer le coup. J’ai fait un petit échantillon pour montrer aux autres et ils m’ont dit : « Oh putain, il claque, c’est bien ! »
Le succès local du groupe est incontestable puisque lorsqu’on évoque la scène rhône-alpine vous êtes souvent évoqués aux côtés de Benighted, et de Celeste aussi qui vient de signer chez Nuclear Blast. En France, plus généralement, vous avez aussi votre notoriété. Tu as déjà un peu répondu en parlant du label, mais cet opus ne peut-il pas aussi vous faire reconnaître encore davantage à l’international ? Est-ce qu’il y a des objectifs de tournée hors des frontières françaises ?
Tu vas être très surpris, mais la France est notre cinquième marché ! Là où nous vendons le plus, c’est Allemagne, Etats-Unis et Scandinavie, c’est le double de la France. Ça, c’est Depuis Resolve In Crimson, pas avant ; avant c’était la France. Ça vient du travail de Lifeforce Records aussi. C’est vrai, que les gens ne savent pas les stats, je comprends bien. C’est pour ça que nous avons plein de propositions de trucs à l’étranger, en Allemagne, etc. Mais oui, nous avons plein de choses de prévues. Nous allons partir sur une tournée européenne. Nous avons plein de fests d’été, dont pas mal à l’étranger, qui sont déjà sur les tablettes. Il y a pas mal de dates qui arrivent, nous allons tout annoncer… J’invite tout le monde à aller sur le site du groupe, destinityofficial.com. Nous allons tout mettre à jour prochainement, parce que ça commence à se remettre en place. Il y a plein de perspectives sur l’étranger, et en France bien évidemment. Nous avons un plan certainement au Canada, nous devrions aussi aller en Finlande – nous marchons plutôt bien dans les trois plus grosses villes finlandaises.
Une terre de death mélodique aussi…
Complètement ! C’est vrai que nous avons eu aussi Andi [Gillion, en invité] – qui, maintenant, n’est plus dans Mors Principium Est – mais même avant ça, je ne sais pas pourquoi, nous avons toujours ultra-bien fonctionné en Finlande. Tu te doutes, avec le label, nous avons travaillé à fond la promo là où tu marches bien en premier ! J’ai été un peu dans cette démarche. Je parle à la fois en tant que chanteur [et promoteur], j’ai double casquette ! [Rires] C’est des pays où nous fonctionnons très bien et nous allons jouer là-bas. En janvier, nous montons à Brest, il y a plein de petites dates à gauche à droite, des petits fests… Et après il y aura une grosse série de fests d’été. Nous avons volontairement mis la tournée européenne loin parce que nous avions peur de nous embarquer dans une histoire encore reportée, etc. En septembre, nous partons sur un plateau cent pour cent death mélo, mais je ne pourrai pas en parler maintenant, c’est bien trop tôt !
Vous aviez enregistré un live à Montagny, donc chez toi à l’occasion du Lions Metal Fest en 2019. Qu’est-ce qu’il va résulter de ces enregistrements ?
Nous ne savons pas du tout ! [Rires]. Sortir un live comme ça aujourd’hui, je ne suis pas sûr que ce soit très pertinent. Par contre, peut-être le mettre dans un bonus ou avec des images… Parce que les images, ça ne suivait pas forcément… Donc je ne sais pas. Peut-être que ce sera un autre live, vu que maintenant nous avons l’album. A la base l’idée était de pouvoir fêter les vingt-cinq ans du groupe et c’est vrai qu’avec le Covid-19, ça a un peu changé tous les plans. On verra, je ne sais pas trop. Quand il y a du bon matos dans le coin et que tu peux enregistrer, autant le prendre, on ne sait jamais ! Mais je crois qu’il y avait eu des problèmes techniques sur des pistes, nous avons eu deux ou trois galères. En tout cas, je pense que nous ferons très certainement un live, mais peut-être amené d’une autre façon que juste sorti comme ça. Peut-être un bonus ou une édition à part pour les fans, limité.
Justement à quel répertoire discographique, hormis le dernier album, le fan doit s’attendre pour les prochaines dates ?
Je ne vais pas spoiler non plus la playlist, mais on ne va pas se mentir, c’est énormément axé sur les deux derniers albums en date, Resolve In Crimson et In Continuum – à quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pour cent. L’époque très lointaine black death symphonique, nous ne le jouons plus et nous ne le jouerons plus.
Interview réalisée en face à face le 11 octobre 2021 par Jean-Florian Garel et Eric Melkiahn.
Retranscription : Jean-Florian Garel.
Photos : Chrismovies (1) & Nouali Saïd (5).
Site officiel de Destinity : www.destinityofficial.com
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