Trente-sept ans que Destruction nous assène des riffs, trente-sept ans à prospérer au sein de la scène thrash jusqu’à devenir l’une des figures les plus notables d’Europe. Il forme avec Kreator et Sodom, apparus quasiment la même année (aux alentours de 1981-1982), le redoutable triangle du thrash allemand, dont personne ne peut nier l’influence sur l’ensemble de la scène. Seulement, après autant d’années à parcourir les routes et occuper les studios, Destruction s’est retrouvé face à une problématique de vieux couple : comment entretenir la flamme ? Après avoir revu le processus créatif, en prenant son temps lors de la conception d’Under Attack (2016), la solution a été de réviser aussi une partie du line-up. Randy Black a investi les fûts, suite au départ de Vaaver, et surtout, la formule en trio du groupe a été remise en cause par l’arrivée d’un second guitariste, Damir Eskic. Destruction avait besoin d’inédit pour subsister et Born To Perish, leur quinzième album, incarne aujourd’hui le nouvel entrain des vétérans.
Fondamentalement, l’arrivée du nouveau batteur et d’un guitariste supplémentaire ne change pas la donne. Destruction ne va pas se réinventer et verse toujours dans le thrash qui a fait sa renommée : vif, aux riffs incisifs et supportant le chant rugueux et criard de Schminer. De ce point de vue, Born To Perish n’a pas à rougir et les fans n’ont pas d’inquiétude à avoir. L’énergie déployée par Randy Black permet à l’album de maintenir le cap le long des dix titres sans vraiment accuser de coup de fatigue. Le roulement de caisse claire martial, qui fouette d’emblée les tympans pour introduire « Born To Perish », suivi d’un cri monstrueux de Schminer, voilà qui donne le ton. Oui, Destruction fait ce qu’il a toujours su faire, avec une hargne renouvelée. Le riffing et les harmonisations de guitare d’« Inspired By Death » nous font remémorer ceux d’un Kill Em’ All (1983) de Metallica et permet d’établir le constat suivant : le choix d’avoir deux guitares s’avère judicieux. Destruction ne s’en sert pas seulement comme d’un artifice et prend soin de les combiner pour apporter de la fraîcheur dans ses plans, à l’instar des dissonances sur « Filthy Wealth » et sa rythmique qui balance, tout en tensions.
Surtout, ce duo de six-cordistes lui permet de créer une petite surprise : au milieu de la déferlante thrash ininterrompue qu’est Born To Perish se trouve « Butchered For Life », un titre assez inhabituel dans la discographie du groupe. Celui-ci s’ouvre par des arpèges de guitares délicats, pendant que Schmier prend une voix plus posée, plus sournoise aussi. S’ensuit une progression, avec ses montées en intensité et son retour au calme, jusqu’à aboutir à un florilège de leads. Destruction fait varier ses dynamiques avec comme dessein d’offrir un répit tout relatif (« Tyrants Of The Netherworld » se charge très vite et très brutalement de faire rentrer les choses dans l’ordre). Destruction peut ainsi ciseler des atmosphères qui contrebalancent un registre, autrement, très frontal. C’est ce qu’incarnent le refrain et le pont de « Betrayal », proches de ce que produit Testament, avec ces arrangements de guitare sinistres qui confèrent de la gravité au titre. L’inspiration heavy metal est également favorisée : tout l’attrait du riffing de « Fatal Flight 17 » (avec son final mid-tempo plus lugubre) et de la conclusion de « Rotten » réside dans le travail mélodique des deux guitaristes.
Certes, l’évolution de Destruction sur Born To Perish est subtile, mais elle lui permet d’enrichir son propos, d’éviter l’obsolescence et d’insuffler une nouvelle fougue à sa musique. Born To Perish est classique et brutal mais ne paraît jamais désuet, ni même poussiéreux. Il évite l’écueil d’un riffing certes efficace mais extrêmement monolithique (comme ont pu l’être certains de ses albums passés), avec un Randy Black apportant ses shoots d’adrénaline et de groove – à ce titre, « Ratcatcher », avec ses roulements et ses changements rythmiques à tous les étages, a tout de la master class. Destruction réussit parfaitement sa mue en quatuor. Une remise en question d’un fonctionnement éprouvé qui, on l’espère, se développera et lui permettra de continuer encore pour de nombreuses années. Car malgré ses qualités évidentes, ressort également de l’écoute de Born To Perish la sensation que Destruction n’a encore qu’effleuré le potentiel de son nouveau line-up.
Chanson « Born To Perish » en écoute :
Album Born To Perish, sortie le 9 août 2019 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici