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Interview    Studio Report   

Destruction : récit d’un accouchement


Le 9 août prochain sortira Born To Perish, le quatorzième album d’un des maîtres du thrash allemands, Destruction. Premier album depuis que la bande à Schmier s’est adjoint les services d’un quatrième membre, le guitariste Damir Eskic, et d’un nouveau batteur, en la personne de Randy Black. Un renouveau qui a forcément apporté une excitation supplémentaire autour de la conception de l’opus. L’occasion idéale pour glisser un regard sur les sessions de composition et d’enregistrement.

Dans le récit ci-après, Schmier nous conte la naissance de Born To Perish, en immersion aux côtés du groupe, levant le voile sur les méthodes, la gestion du stress, les interrogations, les difficultés, et surtout le plaisir qu’il éprouve toujours autant à être productif en studio, malgré les trente-cinq ans qui se sont écoulés depuis le tout premier EP Sentence Of Death, alors qu’il allait tout juste sur ses dix-huit ans. Le frontman fait donc également parler son expérience, faisant des parallèles avec le passé et offrant quelques conseils aux jeunes musiciens.

« Quand tu es bien préparé, prêt à t’y mettre, les chansons sont composées et tu te sens bien, le studio, c’est comme faire l’amour : c’est excitant, on prend beaucoup de plaisir. »

Schmier (chant & basse) : Cette fois, tout était différent parce que nous avons décidé d’avoir un nouveau line-up. C’était à la fois excitant et motivant. C’était également effrayant, car nous ne savions pas si nous avions fait ce qu’il fallait faire, mais après que les premières chansons aient été écrites, je pouvais tout de suite voir que nous étions sur la bonne piste et que l’alchimie dans le groupe était super. Nous avons de super musiciens maintenant et nous n’avions aucune limite pour composer les chansons. Nous avons à nouveau deux guitares, et avec Randy Black, nous avons un bon batteur bien groovy. C’était excitant, c’était l’éclate. Chaque album est différent. Il peut y avoir un peu de routine ; parfois c’est bon pour le groupe, parfois ça l’est moins. Or là, nous étions surexcités par le nouveau line-up et je crois que l’album en a bénéficié. En fait, la composition s’est faite de façon très fluide et je pense que ça s’entend, les chansons ont des structures très naturelles. Nous avons appris une recette ces dernières années, qui est que nous avons besoin d’un peu de temps entre les albums. Là, trois ans se sont écoulés depuis la sortie d’Under Attack, et nous avons démarré la composition assez tard, en novembre de l’année dernière, quand nous sommes revenus de la tournée en Amérique latine. Il faut saisir le bon moment : quand on n’est pas inspiré, on peut se chercher tant qu’on veut, on ne trouve aucune bonne idée. Mais si on attend le bon moment, qu’on le saisit, alors les chansons s’écrivent facilement. Nous avons donc commencé en novembre, nous avons enregistré les premières démos en décembre, et en mars, l’album était déjà enregistré. Donc nous avons tout fait, la composition et l’enregistrement, en trois à quatre mois.

Destruction est un groupe qui joue constamment en live, donc pour Under Attack, afin de maintenir les concerts et de ne pas perdre le rythme, nous avons dû trouver le moyen de tout faire en même temps. Puis c’est bien de jouer live entre les enregistrements, car les concerts apportent un feeling particulier, on est en lien avec les fans, on a cette énergie, etc. Donc c’est super si on saisit ça et l’apporte en studio. Malgré tout, cette fois, nous avons libéré deux mois complets, décembre et janvier, rien que pour la composition et les premiers enregistrements. Nous avons aussi tout enregistré dans un seul studio, ce qui nous a facilité la tâche. Le studio en question était en Suisse, or nous vivons au sud-ouest de l’Allemagne, donc c’est plus proche de chez nous et nous pouvions aller au studio quand nous en avions le temps, ce qui est un sacré bonus. Ceci dit, nous avons quand même une étrange façon d’enregistrer. Voilà ce que nous faisons : nous composons une chanson, puis nous commençons tout de suite à l’enregistrer en studio. En gros, nous enregistrons quelques guitares, de la basse, de la batterie, des parties de chant de test, parfois sans paroles, puis nous travaillons sur cette démo jusqu’à ce que ça devienne la chanson finale. Nous n’enregistrons donc pas un album plusieurs fois. Nous n’enregistrons une chanson qu’une seule fois et ensuite nous travaillons dessus en studio jusqu’à ce qu’elle devienne la version définitive. Quand une chanson est enregistrée en studio, on entend tous les détails ; quand on est en salle de répétition et qu’on jame sur la chanson, on n’entend pas tous les détails et on peut se retrouver à enregistrer des choses qu’on n’aime pas. Or, avec notre façon de faire, on évite totalement ça. Nous n’enregistrons que ce que nous aimons et on peut travailler la chanson tout de suite en studio. Ça requiert un peu plus de temps de studio, et donc c’est potentiellement plus cher, mais pour nous c’est la meilleure façon de travailler, car nous avons un contrôle total sur les chansons. En définitive, c’est ce qui compte : on veut écrire les meilleures chansons possible. Nous avons enfin trouvé une bonne méthode. Nous avions enregistré Under Attack de la même manière, mais dans plusieurs studios, ce qui impliquait plus de voyages et aussi plus de concerts dans les intervalles. Cette fois, nous avons terminé l’album juste avant la tournée d’Overkill. Nous avons établi une date butoir et avons dit : « D’accord, il faut qu’on ait fini en mars, et alors on pourra partir en tournée avec Overkill. » C’était une bonne décision. Et puis, en tant que musicien, c’est bien d’avoir une petite pression due au temps pour finir l’album. Quand on enregistre un album sur toute une année, c’est facile de s’égarer ; tu y passes trop de temps, tu changes trop de choses… Quand on a une limite de temps, on se dit : « Il faut avoir fini à telle et telle date », et alors on se concentre mieux, d’après mon expérience, et ça nous a aidés cette fois.

« Les opinions des gens nous intéressent aussi. Il peut arriver qu’on soit sur la mauvaise voie, et alors des amis disent : ‘Le nouvel album sonne trop comme de la pop, faites quelque chose !’ [Rires] »

Nous avons une nouvelle fois travaillé avec V.O. Pulver à la production. En fait, ça fait de nombreuses années que nous travaillons régulièrement avec lui. Dernièrement, il a fait l’album Under Attack ainsi que Thrash Anthems. Mais nous avions également fait des choses avec lui avant. C’est aussi un vieil ami. Il est de notre génération, il connaît très bien le groupe, et nous aimons beaucoup travailler avec lui. Nous avons fait énormément d’albums, nous avons tout essayé : différents producteurs, différents studios, nous avons essayé la méthode dure, nous avons essayé la méthode douce, nous avons essayé un tas de choses. Je pense qu’on crée un meilleur album lorsque l’atmosphère est détendue, avec des gens qu’on apprécie. Evidemment, il faut rester exigeant, il faut savoir ce qu’on veut, et c’est important que quelqu’un ayant des oreilles fraîches écoute les chansons avant qu’on les enregistre, mais à ce stade, je ne crois pas que ça aurait été une bonne idée de travailler avec quelqu’un de nouveau, car non seulement nous aimons avoir une ambiance familiale, mais aussi nous venions de changer de line-up, donc la cohérence était très importante cette fois. Aussi, en cas de conflit, nous pouvons nous parler en face. Quand on a des avis qui divergent, c’est important de se parler en toute transparence et de donner son opinion. C’est difficile de faire ça avec des personnes qu’on ne connaît pas, on peut parfois se faire insulter ; les gens peuvent vite se sentir offensés. Ça peut parfois s’échauffer en studio et c’est important d’avoir des gens en qui on peut avoir confiance.

Nous aimons aussi inviter des amis, ou des collègues musiciens, et même parfois des gens de la presse pour jeter un œil et écouter. Nous faisons toujours venir des gens pour chanter des chœurs également. Evidemment, il n’y a pas tout le temps des gens en studio comme ça, car ça peut devenir inconfortable pour enregistrer, mais ça aide à garder une atmosphère détendue. Quand des amis viennent nous voir, ça permet de décompresser. Quand il n’y a tout le temps que le groupe en studio avec le producteur, ça devient un peu chiant et très routinier. Donc, afin d’éviter la routine, nous invitons toujours des amis. Nous les invitons également pour écouter les nouvelles chansons, genre : « Hey, écoutez les chansons, qu’est-ce que vous en pensez ? » Les opinions des gens nous intéressent aussi. Il peut arriver qu’on soit sur la mauvaise voie, et alors des amis disent : « Le nouvel album sonne trop comme de la pop, faites quelque chose ! » [Rires] Enfin, évidemment, ils ne nous disent jamais vraiment ça, mais il est arrivé sur certains albums que nous nous posions des questions. Nous avons fait plein d’albums durant ces vingt dernières années et fut un temps où nous faisions un album tous les deux ans, et c’est trop. Durant ces années-là, nous avons appris qu’il nous fallait prendre du recul entre les albums, et que c’était bien d’inviter des amis, d’autres musiciens et des gens de la presse en studio afin de leur faire écouter et de leur montrer comment les chansons se développent, même si nous faisons ce que nous aimons – nous écrivons de la musique pour nous, car nous aimons ce type de musique, mais ça reste important d’avoir des avis extérieurs, afin d’éviter de prendre une mauvaise direction. Pour le moment, le fait d’avoir cette atmosphère relax fonctionne bien pour nous, c’est quelque chose que nous avons testé pendant de nombreuses années, et ça reste la meilleure façon d’enregistrer selon nous.

« Quand j’enregistre le chant, je prends toujours un verre avant. Je dois me nettoyer la gorge avec un petit rhum, ou un petit whisky. C’est un peu une tradition pour moi. Mike fume un petit joint parfois. Nous prenons ça comme un boulot, mais nous nous amusons également. »

Nous ne sommes pas très stricts en studio, nous aimons faire des choses spontanées. Quand je chante, j’aime enregistrer du chant spontanément quand j’ai des idées, et parfois les premières prises spontanées se retrouvent même sur l’album. Au fil des années, j’ai appris que la pression n’est jamais une bonne chose en studio. Il faut aller en studio en aimant ce qu’on fait, en étant positif, en appréciant la musique. Quand on va en studio et qu’on a l’impression qu’il s’agit d’un test, on devient nerveux, et alors on échoue. C’est le meilleur conseil qui soit pour les jeunes musiciens : détendez-vous, ne laissez pas la pression vous gagner, vous devriez apprécier ce que vous faites, c’est de la musique. Quand nous étions jeunes, il y a plein d’albums que nous avons eu du mal à enregistrer, car il y avait trop de pression du label, du producteur et du fait que nous étions jeunes. Aujourd’hui, nous avons trouvé comment faire en sorte que le studio soit agréable et confortable pour tout le monde. Nous allons en studio et faisons une chanson quand c’est le bon moment. C’est le meilleur feeling qui soit. Quand ce n’est pas le bon moment, que tu n’arrives pas à être suffisamment productif et que les chansons ne sont pas prêtes, c’est vraiment chiant ! Alors que quand tu es bien préparé, prêt à t’y mettre, les chansons sont composées et tu te sens bien, le studio, c’est comme faire l’amour : c’est excitant, on prend beaucoup de plaisir. J’aime toujours enregistrer des albums, après toutes ces années. Être sur scène, évidemment, c’est super, mais être productif en studio, c’est génial. Je veux dire, qu’il y a forcément beaucoup de pression notamment quand nous avons enregistré cet album, mais d’un autre côté, une fois que tout roule, la pression s’en va automatiquement, car nous avons tout de suite eu un bon feeling quand nous enregistrions les chansons, et l’alchimie était super entre les membres du groupe, ce qui aide beaucoup.

La journée type en studio, en gros, déjà nous ne commençons pas trop tôt, c’est une chose. Ça n’a pas de sens de commencer à huit heures du matin. Il faut avoir l’esprit clair, il faut pouvoir se concentrer, donc c’est toujours mieux de commencer à midi – c’est l’heure à laquelle nous commençons. Nous pouvons boire un coup au studio, nous voulons maintenir une atmosphère détendue. Nous commençons à enregistrer dès que quelqu’un est prêt. Evidemment, nous avons un ordre pour commencer, mais généralement, nous alternons entre le chant et les guitares afin que je n’aie pas à chanter dix chansons d’affilée. Nous faisons en général des journées de huit heures, car ça n’a pas de sens de travailler plus longtemps. Les musiciens ont tendance à enregistrer non-stop, dix ou douze heures, mais ce n’est pas bien d’enregistrer trop longtemps, car au final, ton cerveau sature, tes oreilles n’entendent plus rien, et l’expérience me dit qu’après huit heures, tu ne te concentres plus. Donc, c’est bien de s’arrêter. Quand nous étions jeunes, nous enregistrions pendant quatorze ou quinze heures, et le lendemain nous écoutions ce que nous avions fait, et c’était de la merde. C’est mieux de rester concentré. Et nous buvons des coups. Quand j’enregistre le chant, je prends toujours un verre avant. Je dois me nettoyer la gorge avec un petit rhum, ou un petit whisky. C’est un peu une tradition pour moi. Mike [Sifringer] fume un petit joint parfois. Nous prenons ça comme un boulot, mais nous nous amusons également. Encore une fois, c’est l’aspect important dans l’enregistrement, je pense : n’ayez pas peur de ce que vous faites, faites-vous plaisir !

« Même si je suis bassiste, j’adore les guitares, et je pousse les gars à jouer plus de leads et d’overdubs. Pendant un moment, notre producteur, V.O. Pulver, avait un petit peu peur que nous enregistrions trop de guitares, trop de solos et tout, mais au final, si on n’essaye pas, on ne sait pas. »

Niveau difficultés, nous aimons la musique qui va vite, donc les chansons rapides ne sont généralement pas un problème, mais nous avons des chansons qui sont vraiment à la limite pour le thrash, vers 220 bpm, donc ça devient difficile pour la main droite de suivre avec les attaques sur les triolets. Nous avons deux chansons sur l’album, « Born To Perish » et « Tyrants », qui étaient dures pour les guitares, elles sont très rapides. Je pense que le challenge était aussi d’enregistrer « Butchered For Life », car cette chanson contient des guitares acoustiques, des parties plus mélodiques et une atmosphère sympa. Nous avons dû décider jusqu’où nous irions dans cette chanson plus expérimentale qui fait six minutes trente et qui possède plein de parties différentes. Je pense que c’était le plus gros challenge, mais ce n’était pas non plus une grosse galère, c’était une expérience sympa. Un autre challenge était de trouver le bon dosage avec le nouveau line-up et le nombre de solos et d’overdubs à faire. Je suis un grand fan de guitare, même si je suis bassiste, j’adore les guitares, et je pousse les gars à jouer plus de leads et d’overdubs. Pendant un moment, notre producteur, V.O. Pulver, avait un petit peu peur que nous enregistrions trop de guitares, trop de solos et tout, mais au final, si on n’essaye pas, on ne sait pas. Tout est possible, nous pouvons le reproduire en live. Quand on enregistre un album avec une seule guitare, comme nous le faisions par le passé, évidemment on fait des overdubs à la guitare, mais il ne faut pas exagérer, car il faut pouvoir reproduire les chansons en live, or si on fait trop de choses en studio et qu’on n’arrive pas à les refaire en live, ça ne marche pas. Cette fois, il n’y avait aucune limite, nous pouvions en faire de plus en plus. La seule galère était de savoir combien de guitares nous ferions, combien de solos et de parties leads. Mais si j’écoute l’album maintenant, je suis parfaitement satisfait, car nous avons deux super guitaristes, et bien sûr c’est sympa de le mettre en avant.

Propos recueillis par téléphone le 18 mai 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Julien Morel & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Destruction : www.destruction.de.

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  • Fikmonskov dit :

    « Poser des questions en interview, c’est trop 2018. »

    Nicolas Gricourt, 18 mai 2019 😀

    (D’ailleurs, vous avez écrit 2018, je crois que c’est une erreur.)

    [Reply]

    Spaceman

    C’est plus un récit de studio qu’une interview à proprement dit, comme indiqué dans l’intro. L’interview sur l’album et d’autres sujets, avec des questions-réponses, arrive plus tard. Te voilà rassuré, j’espère 🙂

    Bien vu pour l’erreur sur l’année, merci !

    Fikmonskov

    Je n’avais pas besoin d’être rassuré, c’était une petite blague 🙂

    Et c’est assez sympa, comme article, même quand on ne connait pas le groupe 🙂

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