Betraying The Martyrs trace sa route avec détermination. L’année qu’a vécue le groupe a eu son lot d’épreuves, qu’elles soit musicales, comme le départ d’un de ses membres de longue date, ou matérielles, comme l’incendie qui s’est produit dans la nuit du 12 au 13 juillet pendant que le groupe était en tournée nord américaine. Malgré cela, la motivation du groupe est bien présente. Le nouvel album Rapture vient de sortir et, à cette occasion, nous avons évoqué avec Victor (claviers) cette motivation.
Naturellement, nous avons parlé un moment de l’incendie, des problématiques matérielles, humaines et morales qu’il a et aurait pu engendrer. C’était l’occasion de faire un point sur les précautions à prendre lorsqu’on se lance dans un projet de tournée. Et c’était l’occasion de parler du héros de cet incident, le chauffeur Daniel Johnson, sans qui l’issue aurait pu être plus dramatique.
Puis nous avons parlé musique avec Rapture, album qui hérite du sens de l’accroche de l’album précédent The Resilient, mais avec une attention portée cette fois sur la diversité et la dynamique. Une évolution musicale qui représente un équilibre assumé entre les envie artistiques du groupe et les retours du public.
« Ca reste du matériel, et surtout après un incident comme ça, tu réalises encore plus que ce n’est que du matériel, et qu’après, tu vis avec, ce n’est pas grave. Mais le principal, c’est quand même que nous nous en soyons sortis tous sains et saufs, et que personne n’ait rien. Ça aurait pu être bien pire. »
Radio Metal : Comment ça va, suite à l’incendie de cet été ?
Victor Guillet (clavier) : Écoute, c’est sûr que l’incendie a été un gros coup pour nous. C’était difficile sur le coup, ça nous a fait quelque chose. Tout ce qui s’en est suivi après, a été tellement de soutien, de messages que nous avons reçus, qu’au final, c’est encore plus motivant qu’autre chose. Quand nous avons vu l’effervescence que ça a pu avoir, à quel point ça a touché les gens, et les dizaines de messages que nous avons reçu où on nous disait : « Moi, je vous ai donné tant, parce que je veux voir BTM faire de la musique et des concerts. » Ce sont vraiment des choses qui encouragent énormément. Donc au final, nous ressortons de cette expérience encore plus motivés qu’avant. Tout est déjà en cours, notre album va sortir, nous avons plein de concerts prévus jusqu’à la fin de l’année… Nous avons reçu beaucoup d’argent qui nous permet de payer nos dettes concernant cette tournée, et de nous racheter le matos nécessaire. Nous serons très vite remis sur pied, et j’ai hâte de retourner sur la route et de pouvoir défendre ce nouvel album. Au final, nous ne perdons presque pas d’argent. Nous en perdons un petit peu parce que ça ne nous permet pas non plus de tout rembourser et de tout racheter le matos en plus, mais on limite vraiment la casse.
J’imagine que vos sponsors vous ont aidés au niveau du matos de musique…
Oui. C’est vrai qu’il y a des sponsors qui nous ont aidés. Je sais qu’on nous a aidés à racheter une console pour l’ingéson qui a perdu la sienne dans l’incendie ; on a aussi Gruv Gear qui nous a toujours soutenus en nous donnant des accessoires, des cases de guitare, des cordes, etc. Tous ces sponsors-là nous ont envoyé beaucoup de choses gratuitement, donc ça fait vraiment plaisir aussi. Nous avons été beaucoup soutenus par nos sponsors.
Pour nos lecteurs qui sont musiciens, et qui ne sont eux-mêmes pas forcément à l’abri de choses comme ça, que conseilles-tu pour mieux se protéger contre ce genre d’incident ? Par exemple, au niveau assurances, etc.
La première chose, c’est que la grosse erreur que nous avons faite, c’est de faire confiance à la personne qui nous a loué le van et qui nous a fourni un générateur avec. C’est-à-dire que cette personne nous a dit : « Quand vous vous arrêtez la nuit pour dormir et que vous voulez laisser tourner le van, pour avoir la clim, etc., ne laissez pas le moteur tourner, branchez ce générateur sur le van, histoire que le moteur du van ne continue pas à tourner, car c’est mauvais pour le van. » Le problème, c’est que ce générateur-là, il nous l’a fourni dans une boîte en carton, et il nous a dit : « Vous le mettez dans le trailer avec tout le reste de votre matos, et vos valises. » Après l’incident, nous nous sommes sentis bêtes. Nous nous sommes dit : « Mais bien sûr, c’était hyper dangereux de laisser un générateur qui venait de tourner, encore un peu chaud, avec de l’essence dedans… ». J’ai plusieurs amis mécanos qui m’ont dit qu’ils n’étaient pas du tout surpris qu’un générateur, dans un trailer, avec toutes les secousses qu’il a pu subir, puisse brûler et endommager tout ce qu’il y a autour. Donc ça, c’est la première chose : ne mettez jamais un générateucr dans votre trailer, les gars ! Deuxième chose, bien sûr, comme tu disais, en termes d’assurance, nous n’avons pas été très malins, parce que notre matos n’était pas assuré. Après, il y a beaucoup de matos qui avait été fourni par des sponsors, donc c’était évidemment plus compliqué à assurer. Mais quand même, nous aurions dû assurer tout ça. Mais ça nous aura servi de leçon, et à partir de maintenant, nous allons nous rapprocher d’un assureur, et voir comment nous pouvons faire pour faire en sorte que si ce genre d’incident se produit à nouveau, nous ne nous en sortions pas aussi mal, et que nous puissions récupérer un peu d’argent de l’assurance, parce que nous nous en sommes sans pendant dix ans, ça fait dix ans que nous tournons et que nous faisons du metal, nous nous sentions invincibles, nous nous sommes dit que ça ne pourrait jamais nous arriver à nous, et puis voilà. Donc oui, tous les groupes qui se mettent à beaucoup tourner, rapprochez-vous d’un assureur, et essayez de voir ce que vous pouvez faire.
On sait tous que pour un musicien, le matos, ça n’est pas « que » du matos. On y attache forcément une dimension très personnelle. Même un pauvre câble jack pourri, on peut y attacher une valeur sentimentale. Penses-tu qu’un incident qui vous a fait perdre tout votre matos va altérer la manière dont vous pouvez vous attacher à vos instruments, vos câbles et autres amplis ?
Pour être tout à fait honnête, il y avait trois choses qui étaient vraiment importantes dans ce trailer, et ces trois choses-là ont été sauvées. C’étaient les deux guitares principales et la basse principale. C’étaient vraiment des guitares qui avaient été faites sur mesure, par notre sponsor Skervesen, une marque de guitare polonaise, qui nous a vraiment envoyé des guitares faites sur mesure. Donc celles-là, si nous les avions perdues, ça aurait vraiment été tout une autre histoire. Nous avons eu beaucoup de chances car ces trois guitares étaient sur le sol, et il y avait mes synthés par-dessus. Donc moi, j’ai perdu tous mes synthés, mais les synthés ont sauvé les guitares ! [Rires] Donc dans notre malchance, nous avons quand même eu un peu de chance, parce que c’était vraiment les trois pièces qui n’étaient pas remplaçables, qui n’étaient pas faites en série, qui n’étaient pas industrialisées. Ces trois pièces-là ont été sauvées, donc pour le coup, nous avons eu de la chance là-dessus. Mais à part ça, je vais être franc, nous n’avions pas de valeur sentimentale. Après, oui, il y avait nos affaires personnelles. Dans nos valises, il y avait bien sûr nos vêtements préférés… [Rires] J’ai perdu quelques chemises et quelques tee-shirts que je mettais très régulièrement, et que j’adorais, et que je ne retrouverai pas. Il y avait des paires de chaussures, des choses comme ça… Mais bon, ça reste du matériel, et surtout après un incident comme ça, tu réalises encore plus que ce n’est que du matériel, et qu’après, tu vis avec, ce n’est pas grave. Mais le principal, c’est quand même que nous nous en soyons sortis tous sains et saufs, et que personne n’ait rien. Ça aurait pu être bien pire, et nous sommes quand même très reconnaissants d’avoir pu échapper au moindre dégât physique.
Au-delà des dégâts matériels et financiers, tu dirais qu’il n’y a pas vraiment de traumatisme émotionnel pour vous ?
Non, pas vraiment. Je ne pense pas que nous allons avoir peur de reprendre la route. Nous avons tourné pendant dix ans, c’était la première fois que nous avions un générateur. Nous remettons toute la faute sur ce truc-là, c’est vraiment ce truc-là qui a pris feu, c’est ça qui a tout causé, donc nous ne repartirons pas en tournée avec un générateur dans notre trailer. Après, je te dirai ça après la prochaine tournée, mais j’espère que je vais pouvoir reprendre la route sans avoir de petite boule au ventre. Mais vraiment, je ne pense pas.
« The Resilient était peut-être un peu trop formaté. Ça reprenait peut-être un peu trop la même structure. […] Je pense que le moyen de faire mieux, c’était d’arriver à trouver un bon juste milieu entre quelque chose de formaté, structuré, digeste, et de garder un côté intéressant, surprenant. »
Une dernière question là-dessus avant de passer à l’album : Daniel Johnson, votre chauffeur, est celui qui vous a sorti de là. Comment va-t-il ?
Il va très bien. Ce mec-là nous a vraiment sauvé la vie. C’est lui qui a hurlé cette phrase qui résonne encore dans ma tête : « Everybody out of the van, the trailer is on fire! » Donc : « Tout le monde sort du van, le trailer est en feu ! » Donc quand cette phrase-là résonne à cinq heures du mat alors que tu étais profondément endormi… ça réveille ! C’est lui qui a fait ça, c’est lui qui s’est arrêté dès qu’il a vu que quelque chose n’allait pas, il a commencé à voir le trailer avoir une couleur un peu bizarre… Et ensuite, surtout, ce mec-là nous a sauvé la vie parce qu’il s’est brûlé les mains en séparant le van du trailer, pour pouvoir conduire le van loin du trailer… Donc ça, ça nous a vraiment sauvé la vie, parce que moi, quand je suis sorti et que j’ai vu la taille des flammes, je me suis dit : « Mais en fait, là, tout va brûler ! Le feu va se propager sur le van, et le faire exploser avec le moteur plein d’essence… ». Je voyais vraiment ça arriver, et ce fameux Daniel Johnson est sorti et s’est brûlé les mains en séparant les deux. Ça, nous a vraiment sauvé aussi. Donc oui, nous sommes extrêmement reconnaissants auprès de cette personne-là, et nous l’avons dédommagé comme nous l’avons pu avec l’argent du crowdfunding. Il va très bien, il a pu rentrer chez lui sain et sauf. Ça a été long pour qu’il rentre chez lui, parce qu’il a fallu qu’il conduise le van jusqu’à Chicago, qu’il le ramène au loueur de van, puis il est rentré chez lui à Richmond, en Virginie, sur la côte Est… Donc ça a été tout un périple pour lui, et au final, il est rentré chez lui bien après nous. Mais au final, il s’en est bien sorti, nous sommes extrêmement reconnaissants, et nous l’avons bien dédommagé. Il nous a même dit : « J’ai quand même passé un très bon moment avec vous, il n’y a aucun problème si vous voulez me ré-engager, je repars quand vous voulez, il n’y a pas de souci ! » [Rires] Donc l’amitié est saine et sauve ! C’est vraiment un sacré bonhomme, très courageux, et nous lui devons tout.
Une autre question que vous devez avoir régulièrement depuis quelque temps, mais pourrais-tu revenir sur le départ de Lucas D’Angelo ?
Bien sûr ! C’est le premier album que nous sortons sans Lucas. C’est toujours un de mes meilleurs amis, je le vois toujours, et je reviens d’une semaine de vacances en Italie avec lui et d’autres amis. Nous nous voyons toujours énormément. Nous nous sommes vraiment séparés sans aucun bad blood, sans problème, et je comprends tout à fait les raisons qui l’ont poussé à quitter le groupe. Un jour, il nous a dit : « Les gars, il faut que je vous parle. Il faut que je sois honnête avec moi-même et avec vous : je ne me sens plus de faire du metal. » Lui fait beaucoup de musique à côté, c’est un producteur qui enregistre beaucoup de groupes plein et qui produit plein de trucs, et c’est vrai qu’il fait de moins en moins de metal. Ça l’intéressait de moins en moins. Un peu avant, nous nous étions enfermés pendant plusieurs semaines dans une espèce de ferme, juste pour composer. Nous étions vraiment en autarcie complète, entre nous, et nous composions du matin au soir. A posteriori, il nous a dit qu’il n’avait pas passé un bon moment. Il nous a dit : « Je me réveillais le matin, en sachant que je n’avais plus grand chose à apporter à ce projet. » Il se levait le matin, il se disait : « J’ai un peu la flemme d’aller faire du metal ! » En comparaison, tous les autres, pendant cette semaine-là, quand nous nous réveillions le matin, nous avions trop hâte d’aller écouter ce que nous avions fini la veille au soir. Évidemment, quand on est dans des conditions comme ça, ça ne sert à rien de continuer dans un groupe. Ça aurait été malhonnête de sa part de rester dans un projet juste parce qu’il marche, même si lui n’a rien à apporter au truc. Donc j’ai trouvé ça très honnête de sa part, nous avons très bien compris, et nous lui souhaitons le meilleur pour l’avenir. Il a refait un concert avec nous la dernière fois, en Belgique, parce que notre guitariste n’était pas disponible. Il reste quand même très proche du groupe, et ça reste un très bon ami.
Pour revenir sur sa flemme dont tu parlais, c’est vrai que le metal est une musique assez physique à jouer, donc si tu n’as plus le goût de faire ça artistiquement, j’imagine que le côté physique va d’autant plus te gonfler…
Bien sûr. Comme tu le dis, c’est une musique qui retire énormément d’énergie. Donc je pense que c’est encore plus une musique qui fait que si on n’est pas passionné à cent pour cent, c’est en effet dur de continuer à soutenir le reste de son groupe. Dans un groupe, on est tous comme les maillons d’une chaîne, et s’il y en a un qui est faible, c’est tout le projet qui en pâtit.
Du coup, c’est Steeves Hostin, qui avait déjà collaboré avec vous sur la reprise d’Avenged Sevenfold, qui a pris sa place. Dirais-tu qu’il a déjà pu amener sa patte sur le disque ?
Oui, bien sûr. Quand il est arrivé, nous avions quand même déjà pas mal composé l’album. Nous avions déjà un squelette de presque toutes les chansons. Mais par exemple, nous allons sortir un nouveau titre, à la rentrée, juste avant la sortie de l’album, et ce titre-là a été en grande partie composée par Steeves. Ça va être intéressant de voir ce que les fans en pensent. C’est sûr que Steeves est arrivé alors que l’album était à moitié composé, mais il a beaucoup participé. Déjà, dans l’album, il y a trois solos à lui, et qui définissent quand même une nouvelle couleur. Il y a beaucoup de mélodies de guitare qui ont été apportées par lui. Il y a même une façon de jouer, une façon de produire un son… Steeves est un musicien à trois cent soixante degrés, c’est-à-dire que quand il compose quelque chose, il pense à tout. Il pense à la production, il pense à la voix qu’il va y avoir par-dessus… Il pense à tout, donc c’est quelqu’un qui apporte vraiment une vision. Donc oui, c’est sûr que son influence se ressent clairement sur le nouvel album.
Sur vos deux albums précédents, les mélodies commençaient déjà à être plus en avant. Quand on prend l’exemple de The Resilient, l’album précédent, c’était un album déjà un peu moins bavard, moins chargé techniquement. Quand on écoute Rapture, ce nouvel album, vous avez vraiment emprunté cette voie avec beaucoup plus d’assurance. Dirais-tu que l’accueil positif qu’a reçu The Resilient vous a encouragés ?
Bien sûr. Mais je mettrais une petite limite à ça. Parce que bien sûr, The Resilient a très bien marché et nous a aidés à passer à une étape supérieure. Nous sommes très contents de la manière dont nos fans ont apprécié ce nouveau format de chanson que nous avons proposé, avec des chansons plus structurées, comme tu dis, moins chargées. Mais dans un autre sens, puisqu’il ne peut pas y avoir que du positif dans un album, il y a toujours quelque chose à redire, et en faisant la synthèse des retours que nous avons eus, s’il y avait quelque chose à redire de The Resilient, c’est que c’était peut-être un peu trop formaté, justement. Ça reprenait peut-être un peu trop la même structure. Après, nous sommes quand même très fiers de cet album, mais nous sommes obligés d’avoir un œil critique sur ce que nous avions produit, surtout quand il a été temps de proposer un nouvel album. Nous sommes obligés de nous dire : « Comment peut-on faire mieux encore ? » Je pense que le moyen de faire mieux, c’était d’arriver à trouver un bon juste milieu entre quelque chose de formaté, structuré, digeste, et de garder un côté intéressant, surprenant. Nous avons quand même voulu proposer des surprises dans l’album.
« C’est toujours ce juste milieu, d’arriver à respecter nos goûts personnels, tout en respectant aussi ce que les fans attendent de nous. »
Je pense que The Resilient était un album qui s’écoutait assez facilement, il n’y avait pas beaucoup de surprises. Les chansons étaient toutes très efficaces. D’ailleurs, pour la petite histoire, sur The Resilient, nous avons eu beaucoup de mal à choisir les singles, parce que toutes les chansons étaient un peu des singles finalement, ou en tout cas, construites comme des singles. Alors que sur Rapture, les singles se sont dessinés très vite. Nous savions très bien quelles chansons seraient mises en avant, et quelles chansons seraient plutôt à découvrir dans l’album, avec des surprises. Moi, j’ai envie que nos auditeurs écoutent l’album, et qu’ils se disent : « Waouh, là, ils ont pris des risques ! » Donc je pense que dans Rapture, il y a plus de prises de risques que dans The Resilient, même si nous mettons des singles en avant, qui sont toujours bien structurés comme des singles. D’ailleurs, ce qu’il s’est produit quand nous avons fait écouter l’album à notre équipe technique, à nos amis très proches, c’est que personne n’avait la même chanson préférée. Bien sûr, dans notre équipe technique et nos amis très proches, il y a des goûts très différents, donc pour certaines personnes, c’était évident que c’était telle chanson et aucune autre leur préférée, alors que d’autres en préféraient justement une autre. Dans BTM, il y a toujours eu des influences très diverses, et nous avons toujours pu proposer beaucoup de choses différentes. Du coup, je suis content que nous ayons pu faire un album très varié, très riche, où tout le monde pourra trouver sa chanson préférée.
Sur The Resilient, vous aviez travaillé avec un producteur extérieur. Penses-tu que ce choix vous ait aidé à prendre des directions artistiques un peu plus matures ?
Bien sûr, tu as tout à fait raison. Nos premiers albums avaient été un peu enregistrés par nous-mêmes, par Lucas, et c’est vrai que c’est à partir de The Resilient que nous avons décidé que si nous voulions passer une étape supérieure, aller plus loin dans notre musique, il fallait que nous partions un mois avec un producteur expérimenté qui apporte un regard extérieur, et qui nous dise : « Oui, c’est très bien ce que vous pensez là, mais ne le faites pas comme ça. » Ça n’a pas toujours été facile, évidemment, parce qu’il n’était pas toujours d’accord avec nous, mais je pense que c’était un très bon exercice d’accepter le regard extérieur, et de sortir un peu de sa bulle et de sa zone de confort, finalement. Donc oui, ç’a été une très bonne expérience de passer l’album The Resilient avec Justin Hill en Angleterre. Cet album-là, Rapture, a été enregistré aux Babylon Studios, avec Tomáš [Raclavský] de Modern Day Babylon, qui lui aussi nous a apporté ses avis, surtout à la guitare, vu qu’il est guitariste. Il nous disait : « Ce truc-là, à la guitare, tu ne voudrais pas plutôt le faire comme ça ? » « Ah ben ouais, grave, c’est une super bonne idée ! » C’est arrivé plusieurs fois, ce genre de truc.
On constate souvent que les groupes qui ont un contenu musical très technique, plus les années passent, plus ils ont tendance à épurer petit à petit leur musique. Dirais-tu que c’est un passage obligé pour atteindre une forme de maturité ?
Non, je ne pense pas. Tout dépend de sa fanbase. Le challenge d’une longévité d’un groupe, c’est le fait d’arriver à se faire plaisir tout en faisant plaisir à ses fans. Nous, c’est vrai que nous avons voulu évoluer avec notre fanbase, c’est-à-dire de continuer à faire plaisir aux gens qui nous écoutent depuis le début, tout en essayant de s’inscrire dans ce qu’il se passe aujourd’hui, de ne pas non plus ignorer l’évolution du metal actuel. Ça, c’est toujours un vrai challenge. Après, oui, nous avons un peu calmé le côté technique et « on en fout partout », mais je pense que ça, c’était aussi une façon d’essayer d’évoluer avec nos fans. Je pense que c’est aussi en écoutant nos fans que nous avons calmé le côté technique, parce que nos fans grandissent aussi. Ça fait sept, huit ans que nous avons sorti notre premier album avec BTM, et je pense que quelqu’un qui écoutait BTM il y a huit ans n’a plus les mêmes attentes concernant BTM aujourd’hui. Donc je pense que la personne qui nous écoute depuis huit ans a aussi envie que nous évoluions vers des chansons un peu plus digestes, un peu plus matures. C’est toujours ce juste milieu, d’arriver à respecter nos goûts personnels, tout en respectant aussi ce que les fans attendent de nous.
Il y a quand même beaucoup d’artistes qui vont avoir un discours beaucoup moins mesuré que le tien, et qui vont dire que quand on est artiste, il faut avant tout se faire plaisir à soi-même, être totalement indépendant, ne pas penser aux gens qui écoutent…
C’est un discours que je respecte énormément. Je pense que c’est un discours qui marche pour certains groupes, à savoir justement des groupes qui depuis le début sont à contre-courant. Donc des groupes qui, depuis le début, ne sont pas comme les autres, qui ont décidé de faire un truc qui n’est pas forcément ce qui fonctionne en ce moment ou quoi, mais qui est leur truc à eux, et qui ont une fanbase qui est fan de ce truc-là, parce que tout ce qui passe en ce moment, ce n’est pas pour eux. Je pense que pour un tel groupe, ce discours-là marchera, parce que c’est autant ce que eux veulent que ce que veulent leurs fans. C’est vrai que nous, nous nous sommes inscrits dans un style de metalcore qui était très moderne et très hype au moment où c’est sorti. Nous, ça nous faisait hyper plaisir de sortir ça, parce que c’était ça que nous aimions, c’était ça que nous écoutions. Du coup, c’est vrai que nous évoluons un peu avec ce qu’il se passe. Donc évidemment, en écoutant nos fans, nous sommes obligés d’écouter leur évolution à eux aussi. Je pense à des groupes comme The Faithless, par exemple, qui ont toujours fait un truc très progressif, très chelou, complètement à contre-courant. Ces mecs-là, s’ils veulent faire plaisir à leurs fans, il faut qu’ils continuent à faire le même truc, parce que leurs fans n’ont pas envie que ce groupe-là évolue. Ils ont envie de toujours avoir ce truc très progressif, très chelou, etc.
Par rapport à tout ce qu’on a dit sur le côté très épuré de votre musique, est-ce que cet album a malgré tout eu des challenges techniques pour vous ?
Nous, en tant que musiciens, à chaque album, nous avons envie de nous trouver des choses, techniquement. Nous avons envie de faire évoluer le truc vers le haut. Donc nos vrais challenges, nous nous les mettons tout seuls. Même si nous essayons de faire des chansons épurées, il va toujours y avoir un moment dans l’album où je vais me dire : « Là, je vais mettre quelque chose que je ne sais pas jouer pour l’instant, et que je vais devoir travailler pour arriver à le faire. » Je sais que par exemple, dans la chanson « The Iron Gates », qui est la track numéro quatre sur l’album, il y a une pause avec une partie de piano, et quand je l’ai écrite, je ne savais pas du tout la jouer. J’ai passé des semaines à le bosser, à le jouer en boucle, jusqu’à ce que j’arrive à le jouer, et maintenant, je peux jouer la chanson en live, il n’y aura aucun problème, j’assurerai. Avec Boris [Le Gal], nous avons écrit une chanson entière où il y a beaucoup de blast et de piano par-dessus. Il y a quatre-vingt pour cent de blast dans cette chanson. C’était bien sûr un challenge pour Boris, mais c’est important pour nous, en tant que musiciens, de toujours mettre la barre plus haut à chaque album, d’écrire des choses que nous ne savons pas jouer tout de suite, et qu’il va falloir que nous travaillions. Ça nous fait évoluer en tant que musiciens, c’est vraiment important. C’est vraiment une dimension hyper importante pour nous, sinon il n’y a plus de challenge. Je n’ai pas envie de ne pas évoluer en tant que musicien.
« En évoluant, nous essayons vraiment de proposer de bonnes chansons, avant de pouvoir essayer de nous la péter avec notre niveau technique. Nous essayons avant tout de mettre la technique au service de l’efficacité de la chanson. »
Dirais-tu que le fait d’amener de la technique de manière un peu plus éparse dans l’album rend les passages techniques plus jouissifs, parce qu’ils sont justement plus rares ?
Exactement, c’était complètement le but. C’était d’arriver à faire une chanson qui est tellement efficace que tu n’arrives pas à t’empêcher de bouger la tête tout au long de la chanson, et au milieu de la chanson, il y a un truc hyper technique où tu te dis : « Waouh ! » C’est vraiment ce « waouh ! » qui m’intéresse, à l’écoute. Je ne veux pas que quelqu’un puisse écouter mes morceaux sans faire : « Oh putain, il se passe quoi là ? » Il faut qu’à un moment de la chanson, le mec s’arrête, et dise : « Ouf ! Attends, c’était quoi ce truc-là ? Je me le remets, tellement c’était surprenant ! » C’est important.
Avec tout ce qu’on vient de dire, quel regard portes-tu sur vos anciens albums ? Au vu de votre évolution…
Quand je réécoute Breathe In Life, je me dis que nous n’avions pas du tout la même façon de composer. Mais la musique évolue, la scène metal évolue, et nous influence. Nous écoutons tout ce qui sort, tout le temps, nous sommes à l’affût de tous les derniers albums de chaque groupe, pour voir ce qu’ils font, ce qui marche, etc. Du coup, nous sommes influencés par ça, au fur et à mesure, donc c’est normal que nous n’ayons plus la même façon d’appréhender une chanson maintenant qu’il y a huit ans. Il y a huit ans, nous composions avec ce que nous avions écouté, avec notre bagage musical. Nous avons un gros sac dans lequel nous mettons des trucs au fur et à mesure, et ce sac-là est bien plus gros aujourd’hui qu’il y a huit ans. Il y a huit ans, avec notre petit sac d’influences, je suis très fier de ce que nous avons réussi à sortir à l’époque. En effet, comme on l’a dit, c’étaient des chansons qui étaient beaucoup plus compliquées, beaucoup plus chiadées, et je pense que nous avions des choses à nous prouver. Nous avions vingt ans, nous n’avions rien, nous avions tout à montrer, donc nous voulions montrer à tout le monde ce que nous savions faire. En évoluant, nous nous reposons un peu plus là-dessus, et nous essayons vraiment de proposer de bonnes chansons, avant de pouvoir essayer de nous la péter avec notre niveau technique. Nous essayons avant tout de mettre la technique au service de l’efficacité de la chanson.
Au niveau des paroles, quelle serait la thématique globale de ce nouvel album ?
Les paroles sont quand même toujours très variées. Comme les gens ont pu le voir sur les deux premiers titres, nous avons quand même abordé des sujets de chansons qui sont plus graves, plus sombres. Par exemple, la première chanson parlait de l’industrie de la guerre, à quel point c’est paradoxal que la guerre soit une industrie, un business, fasse de l’argent, et que du coup, il y ait des gens à qui ça serve. C’est quand même complètement aberrant qu’il y ait des gens qui souhaitent des guerres pour s’enrichir. On est dans un monde comme ça aujourd’hui, et ça nous tenait à cœur de le dénoncer. On peut parler de choses comme ça, qui ne sont pas non plus politiques, je ne pense pas non plus que nous soyons un groupe engagé politiquement, mais il y a des choses dans le monde qui sont aberrantes, et il faut en parler. En tout cas, nous, ça nous touche. Et à côté de ça, comme tu as pu le voir sur « Parasite », le clip explique bien tout ça, c’est un sujet complètement personnel, où Aaron [Mats] a fait une chanson sur lui et son parasite à l’intérieur de lui, son espèce double maléfique qui l’influence tous les jours. Ces chansons peuvent être autant sur des sujets très personnels que sur des sujets très globaux.
Le groupe est depuis peu managé par l’ex-Lamb Of God Chris Adler. Qu’est-ce que son expérience vous apporte ?
Son expérience nous apporte énormément. C’est sûr que nous sommes très contents de travailler Chris Adler parce que nous arrivions à un moment dans BTM où nous nous managions tout seuls depuis un moment, où nous étions nous six les uns contre le autres. C’était très difficile de prendre des décisions, parce que dès qu’il y avait une décision à prendre, c’était : « Y en a trois qui disent oui, trois qui disent non, alors comment on fait ? » Donc maintenant, Chris Adler est là pour départager ça, et pour dire : « Mais non, les gars. Moi, ça fait vingt ans que je fais du metal, c’est comme ça que ça se passe. » Et justement, le gars n’est pas non plus un vieux de la vieille, parce qu’il est quand même vraiment inscrit dans la nouvelle scène metal, il se tient au courant de ce qui sort, il sait très bien ce qu’il se passe aujourd’hui, etc. Donc il arrive à nous apporter non seulement sa vision moderne du monde d’aujourd’hui parce qu’il évolue toujours énormément dans le milieu metal, et en plus, il nous apporte ses vingt ans d’expérience, en nous disant des trucs du genre : « Non, les gars, vous n’allez pas partir en Asie avec un mec qui ne vous a pas fait signer de contrat. Du coup, on va faire en sorte de rédiger un contrat tout de suite. » Ce sont des trucs comme ça. Chris nous aide vraiment à passer à l’étape supérieure au niveau professionnalisme. Et surtout, il a le bras long, donc dès que nous avons un truc qui sort, il sait très bien à qui s’adresser, à qui envoyer l’album… Ce sont des raccourcis qu’il nous offre et qui sont très agréables. Moi, en tant que claviériste, ça fait des années que j’essaye d’avoir un endorsement. Et bien sûr, ce n’est pas moi, en envoyant un mail à M-Audio disant : « Bonjour, je suis Victor de Betraying The Martyrs… » Alors que quand c’est Chris Adler qui envoie un message, en disant : « Bonjour, je suis Chris Adler, ex-Lamb Of God, ex-Megadeth, je bosse avec Betraying The Martyrs », M-Audio va répondre. Donc ça nous apporte aussi un poids, une crédibilité aux yeux de la scène et des professionnels qui l’entourent.
Vous faites de temps à autres des reprises, la dernière en date étant celle d’Avenged Sevenfold. Peux-tu nous parler de ce que représente cet exercice pour vous ? Est-ce que le fait de travailler sur le travail de quelqu’un d’autre vous donne une petite leçon à appliquer sur vos compos ?
Je dirais oui et non. En décortiquant vraiment la chanson et en apprenant les riffs, ne serait-ce que techniquement, par exemple, tous les solos d’Avenged Sevenfold, c’était un style guitaristique qui n’était pas du tout celui de nos guitaristes. Alors bien sûr, ça lui a ouvert l’esprit là-dessus. Mais après, non, parce que nous connaissons déjà très bien les chansons que nous reprenons, nous avons vu comment elles étaient écrites, etc., et je vais être honnête, faire une reprise, c’est que du délire, du fun. Reprendre une chanson que nous aimons déjà et la mettre à notre sauce, c’est vraiment un gros plaisir pour nous, c’est un jeu qui nous amuse énormément. Donc je pense qu’on pourra revoir des covers de BTM, mais c’est sûr qu’après le succès de « Let It Go », nous ne voulons pas non plus mettre ça trop en avant. C’était important pour nous de sortir un album sans reprise, nous voulions sortir notre album, avec nos chansons, parce qu’après, tu es vite catégorisé comme groupe à reprises.
Interview réalisée par téléphone le 14 août 2019 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Robain Collas.
Site officiel de Betraying The Martyrs : betrayingthemartyrs.com.
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