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Interview   

Devildriver : « la lumière vaincra l’obscurité »


Les démons s’acharnent sur Dez Fafara. Le dernier en date avait pour nom covid-19 et il a bien failli être fatal au chanteur, qui s’est vu mourir. S’il est désormais rétabli, il fait tout de même attention à sa santé, le virus lui ayant laissé quelques séquelles cardiaques. Mais comme toujours, Dez se relève plus fort. S’il est en pleine période de questionnement sur l’avenir de sa carrière, pour laquelle il devra prendre une décision le 1er janvier prochain, il sort aujourd’hui le second volet du diptyque Dealing With Demons, une suite et fin en apothéose de l’album sorti en 2020, en pleine pandémie.

Un album particulièrement noir et virulent en forme de catharsis, qui continue à rentrer un peu plus dans l’intimité du chanteur, à l’instar de l’entretien qui suit, complémentaire, à celui réalisé il y a trois ans. Il lève ainsi le voile sur un certain nombre de sujets personnels, tels que sa spiritualité, son rapport distant au monde de la musique, sa vision négative des gouvernements, les symboliques derrière Devildriver, etc. Nous évoquons évidemment aussi son combat contre le covid-19, les récents changements de line-up ainsi que le second retour de Coal Chamber qui va commencer par arpenter les scènes américaines cet été.

« Je ne supporte pas les drogues dures, l’alcool et les drames quand nous sommes sur la route. Tous les groupes te diront qu’ils ont ça, mais moi, je ne le supporte pas. Il faut que ce soit professionnel. Il faut se réveiller, faire son boulot, s’amuser et avoir la banane. Si tu n’as pas la banane, va travailler à Carrefour. »

Radio Metal : Tu as récemment révélé que ton combat contre le covid-19 t’avait laissé des problèmes cardiaques, t’empêchant de prendre des vols trop longs et donc t’obligeant à annuler le concert prévu au Bloodstock Festival. Comment te sens-tu aujourd’hui, à la fois physiquement et mentalement ?

Dez Fafara (chant) : Merci d’avoir posé la question. Fin 2021, pour ceux qui ne le savent pas, j’ai eu le covid-19 et ça m’a presque tué. J’étais d’ailleurs sur le point de dire au revoir à ma famille, je ne savais pas si j’allais m’en sortir. Nous avons même appelé des amis à qui je n’avais pas parlé depuis longtemps. C’était une période assez intense pour la famille, pour être honnête avec toi. Cependant, je me sens mieux maintenant. J’ai dû prendre une année sabbatique. Ça m’a laissé une inflammation au cœur, que j’ai guérie naturellement en buvant un mélange indien que j’ai fait, constitué de curcuma, d’ail, de gingembre, de citron et de vinaigre de cidre de pomme. Tu fais bouillir ça et tu le bois à jeun. J’ai guéri l’inflammation, au point que je n’ai pas eu à subir une opération à cœur ouvert que les médecins pensaient nécessaire. J’ai pris l’année 2022 pour me remettre sur pied ; je n’étais pas capable de traverser la rue pour aller chercher mon courrier sans avoir à m’asseoir dix minutes. Il fallait que je vive au rez-de-chaussée, dans mon salon, parce que je n’arrivais pas à monter les escaliers chez moi. Mais je me sens beaucoup mieux maintenant. J’en suis arrivé à un point où j’ai marché un pâté de maisons, puis deux, puis j’ai fini par monter sur un tapis de course et j’ai pu courir huit kilomètres, puis huit kilomètres dans ma combinaison de sudation, puis huit kilomètres dans ma combinaison de sudation tout en chantant mon set pour Devildriver. Donc quand j’ai fait ça – et que je me savais capable de tenir ce genre de rythme – c’est là que nous avons commencé à caler des tournées. Mais quand même, parce qu’il y a une inflammation dans la partie basse de mon cœur, on ne veut pas que je prenne des vols trop longs. Je peux encaisser des vols d’une heure ou deux, peut-être, mais j’essaye quand même de l’éviter le plus possible. Dès que ça s’améliorera, j’irai tourner en Europe et au Royaume-Uni.

Est-ce que ton état de santé influe sur ta présence scénique et ton chant, d’une façon ou d’une autre, durant les concerts ?

Non, je suis à fond. Je suis à cent dix pour cent, autrement je ne serais jamais parti en tournée. Si je ne pouvais pas faire les concerts comme je les ai toujours faits, c’est-à-dire à cent dix pour cent, j’arrêterais la musique. Comme je l’ai dit, je me suis remis en forme en marchant un pâté de maisons jusqu’à pouvoir courir cinq kilomètres sur un tapis de course en chantant le set, donc je me sens bien. J’ai juste envie de prendre soin de moi. Si les médecins me disent de ne pas prendre de longs vols, alors je n’ai pas envie de le faire.

En 2020, tu avais réagi au « récit de la peur » mis en avant par les chaînes d’info mainstream. Est-ce que ton expérience difficile avec le covid-19 a changé ton point de vue, d’une façon ou d’une autre ?

Je viens de faire une tournée de trois semaines aux Etats-Unis avec Cradle Of Filth, nous étions co-têtes d’affiche. Le dernier jour, nous nous sommes sentis un peu malades en rentrant et sans surprise, nous avons été testés positifs au covid-19. Donc, même si c’était plus facile la seconde fois, mon récit est le mien. Je me sens chanceux d’avoir survécu, vu les millions de vies qui ont été perdues à cause de ce truc, peu importe ce que c’est. Maintenant, bien sûr, comme j’ai contracté le virus, j’ai des anticorps assez résistants. Quand j’ai été testé positif en rentrant de cette dernière tournée, j’ai été malade seulement cinq, six ou sept jours, puis j’ai tout suite été bien. Mon corps fonctionne, mon immunité fonctionne et fait ce qu’elle doit faire.

Devildriver a connu un gros changement de line-up en 2015, qui, as-tu dit, aurait dû être fait longtemps avant. L’année dernière, une nouvelle fois, les trois cinquièmes du groupe ont changé, avec notamment le retour du bassiste Jon Miller. Ces gros turnovers peuvent être déroutants pour les fans. En 2015, c’était parce que tu ne t’« entendais plus avec ces gens » et qu’eux-mêmes « se foutaient sur la gueule ». Dans quelle mesure les circonstances étaient différentes, ou similaires, cette fois ?

On entend toujours parler de gars qui quittent des groupes, mais rarement de quand ils reviennent. Jon était parti ; il a composé les quatre ou cinq premiers albums. C’était l’un des compositeurs principaux et il a fondé le groupe avec moi. Donc, le fait qu’il revienne après douze ans était incroyable. J’ai probablement eu sept bassistes entre-temps. Personne n’a pu prendre sa place sur scène ou en termes d’écriture, donc c’était merveilleux qu’il soit de retour. Le batteur a changé parce qu’il avait un problème de méthamphétamine. Austin [D’Amond] prenait des drogues dures et est allé dans un centre de désintoxication. Il est devenu sobre et clean, heureusement, et quand c’est arrivé, on lui a demandé de rester à la clinique et d’aider d’autres gens malades d’addiction, ce qui était vraiment super. Nous l’avons applaudi quand il a décidé de rester là-bas. Et pour ce qui est de s’entendre avec les gens, non, si je m’entends avec toi, je m’entends avec toi pour la vie. Je sais dès les cinq premiers jours si on va s’entendre. Ça ne change pas parce que je ne change pas à moins qu’eux changent. Je pense qu’aucun groupe en activité depuis plus de vingt ans n’a pas connu de changement de line-up. Si tu veux, tu peux m’en citer, mais personnellement, il n’y en a aucun qui me vient à l’esprit. Je crois que le plus important, c’est que la musique doit être du Devildriver, donc quiconque arrive et compose, peu importe ce qui est fait, ça doit sonner comme Devildriver. Et sur la route, il doit y avoir un facteur de coexistence sans drame. Je ne supporte pas le drame. Je ne supporte pas l’alcool. Je suis sobre sur la route, je ne supporte pas les magouilles tard le soir induites par l’alcool. Et il faut que ce soit professionnel. Dans le cas présent, avec le line-up actuel, j’ai trois des membres originaux dans le groupe. Après vingt-trois ans, c’est assez exceptionnel.

« Certaines personnes regardent l’obscurité et voient l’obscurité, mais moi je vois de la force, je vois de la positivité et je vois quelqu’un qui renaît de ses cendres. C’est le genre de chose que j’ai essayé d’offrir aux gens toute ma vie, un regard positif sur la vie. »

Etais-tu particulièrement désireux de voir Jon Miller revenir après toutes ces années, étant donné l’importance qu’il a eue par le passé ?

J’adore Jon. Lui et moi avons toujours été les plus proches. Jon avait un problème d’alcool. Il a donc fallu qu’il parte et règle ça – on ne peut pas partir sur la route et faire plus de deux cents concerts par an quand on a un problème d’addiction. Jon est un compositeur incroyable. Je dirais qu’il a composé soixante-quinze pour cent des premiers albums. Il m’avait manqué sur scène, personne ne lui arrivait à la cheville. J’ai eu cinq, six ou sept bassistes, et aucun n’était à son niveau sur scène comme à la composition, mais surtout, spirituellement, lui et moi sommes très unis et proches. Je dois dire que le premier soir où nous sommes montés sur scène ensemble aux Etats-Unis, je l’ai regardé, il avait les larmes aux yeux et j’avais moi-même une larme à l’œil. C’est vraiment magnifique quand un musicien règle ses problèmes et revient dans un groupe. Je veux dire, je suis un père de famille, j’ai trois enfants, donc comme je l’ai dit, je ne supporte pas les drogues dures, l’alcool et les drames quand nous sommes sur la route. Tous les groupes te diront qu’ils ont ça, mais moi, je ne le supporte pas. Il faut que ce soit professionnel. Il faut se réveiller, faire son boulot, s’amuser et avoir la banane. Si tu n’as pas la banane, va travailler à Carrefour.

La dernière fois que nous nous sommes parlé, tu nous as dit que Dealing With Demons I et II avaient été faits en même temps, et que le second volume était ton préféré. Au final, celui-ci sort trois ans après le premier et à la suite du grand changement de line-up dont nous venons de parler. Avez-vous revu le second volume entre-temps, notamment pour impliquer les nouveaux membres, ou l’avez-vous gardé tel qu’il était en 2020 ?

Non, ça a été un grand chamboulement dans les événements. Les deux albums ont été enregistrés en même temps. Ils étaient censés sortir à un an d’intervalle, et ce qui s’est passé, évidemment, est que la pandémie est arrivée. C’est là que je me suis dit que les gens avaient besoin de musique, plus que tout – je l’ai probablement dit dans notre précédente interview, c’est pour ça que nous avons sorti le premier volume en pleine pandémie. Cependant, quand les choses ont empiré en 2021, j’ai décidé d’attendre avant de sortir le second volume. Je pensais que j’allais attendre jusqu’en 2022, mais il a fallu que je me remette d’aplomb et je n’ai pas voulu que la musique dévore ma vie. Je voulais être avec ma famille, retrouver la santé, méditer, faire du yoga et retrouver la forme que j’avais avant le covid-19. La musique ne jouait aucun rôle dans vie, si ce n’est que j’en écoutais au quotidien, bien sûr, car c’est ce qui m’a permis de tenir, honnêtement. Je voulais sortir le second volume quand nous pourrions tourner, donc c’est pourquoi il sort en 2023. On dit que les plans les mieux conçus ne se réalisent jamais, n’est-ce pas ? Le plan était d’enregistrer tout ça en même temps, les sortir à un an d’écart, et ensuite poursuivre sur un autre album, mais ce n’est pas ainsi que ça s’est passé avec le covid-19, ma santé et tout.

Cependant, j’adore le premier volume. Ça m’a permis de faire des choses différentes que je n’avais pas faites avant, surtout au sein de Devildriver. Par exemple, la chanson « Wishing » a été super bien reçue par les fans, ce qui veut dire que nous ne sommes pas un groupe coincé dans une case. Je peux faire tout ce que je veux dans la musique, ce qui est génial, parce que plein de groupes sont obligés d’entretenir leur marque comme Coca-Cola. Ils ne peuvent pas sortir du rang ou sinon les fans s’énervent contre eux. Pour ce qui est du second volume, je savais qu’il devait avoir un côté plus viscéral et explosif, et il était aussi très profond pour moi au niveau des textes. Je vivais certaines choses pendant que j’étais en train d’écrire, à propos de ma relation à la spiritualité, ma relation aux autres humains, ce genre de chose, et je savais que ça allait se retrouver dans le second volume. Et avec la sortie de « Through The Depths », l’accueil a été absolument incroyable, je suis très excité à l’idée que les gens entendent tout l’album. Le premier volume s’est hissé à la troisième place du classement aux Etats-Unis en 2020, derrière Lamb Of God et Testament, j’en suis très fier. Je pense que les gens vont adorer le second volume, nous avons travaillé très dur sur cet album. Tu me diras si j’ai tort, mais la plupart du temps, quand un groupe fait un double album, le second disque, ce sont des faces B et des restes, et ce n’est pas aussi bien. Ça vaut pour, genre, quatre-vingts pour cent des groupes qui font des doubles albums. En fait, nous avons écrit plus que nécessaire pour ça ; nous avons sans doute écrit vingt ou vingt-cinq chansons de plus que ce dont nous avions besoin pour faire en sorte que le premier et le second volume soient des albums qui se tiennent. Les deux sont courts, autour de trente-huit ou trente-neuf minutes, et la raison est qu’ils sont faits pour être écoutés à la suite.

« Je crois au pouvoir de la pensée, au fait de penser son univers pour qu’il devienne réalité, et au fait de prendre les mesures nécessaires pour que ça se produise. C’est pareil pour tout dans la vie. Si tu l’exprimes avec les meilleures intentions, tu peux le recevoir. »

Dealing With Demons II est plus heavy, plus brutal et plus rude que le I. Avais-tu besoin d’une musique aussi extrême et sombre pour vider ton sac ?

Certaines personnes regardent l’obscurité et voient l’obscurité, mais moi je vois de la force, je vois de la positivité et je vois quelqu’un qui renaît de ses cendres. C’est le genre de chose que j’ai essayé d’offrir aux gens toute ma vie, un regard positif sur la vie. Tout le monde vit des moments difficiles, que ce soit toi, moi, un caissier dans un supermarché, un chauffeur de taxi, n’importe qui. Personnellement, le metal, le punk rock, le gothique et le psychobilly m’aident à vivre. Donc même si la musique est hyper heavy, c’est certain, il y a aussi une influence extrêmement positive dans les paroles de ces deux albums. Dealing With Demons n’est pas qu’un titre, il s’agit littéralement d’affronter les démons. Tu en as affronté, j’en ai affronté, tout le monde a affronté une forme de démon. La personne qui t’a poignardé dans le dos, la sobriété que tu n’arrives pas à tenir, les drogues dures qui n’arrêtent pas de revenir dans ta vie, les tentations pour d’autres choses… Je trouve que si tu mets ces choses sur papier, les gens peuvent acquérir une forme de positivité au travers de la musique. Il faut comprendre que la place de Devildriver n’est pas d’être le groupe le plus heavy du monde, nous ne sommes pas Cannibal Corpse, que j’adore, ou Lorna Shore, qui est super, mais nous ne sommes pas non plus Shinedown ou un groupe qui passe à la radio. Ce sont tous de super groupes, je ne suis pas en train de les critiquer, je dis juste que nous ne sommes pas eux. Nous avons notre espace propre que nos fans nous ont permis d’habiter pendant vingt ans, et c’est un espace génial où ils savent que nous avons des influences punk, goth, metal… Mike est influencé par l’industriel, j’adore le psychobilly, c’est pour ça qu’on obtient plein de rythmes en quatre-quatre appuyés dans Devildriver. Nous habitons un espace qu’aucun autre groupe n’habite, et j’en suis reconnaissant, ça me rend humble au quotidien.

Tout d’abord, nous en sommes à notre dixième album. La plupart des groupes vont jusqu’à entre quatre et sept dans leur carrière, et après c’est fini. Pour ma part, quand tu as une carrière aussi longue avec deux groupes, si tu n’es pas humble et reconnaissant, autant remballer et partir. J’attribue cette longue carrière aux gens qui permettent à Devildriver de faire ce qu’il veut et ne nous collent pas d’étiquette. J’utilise encore cette analogie, mais la plupart des groupes de metal – et je peux en nommer dix là tout de suite – ont une marque à respecter et ne peuvent pas changer. Ils sont constamment obligés d’être Coca-Cola, parce que dans le cas contraire, les fans les quitteraient ou alors il faudrait qu’ils sortent un Nouveau Coca ou un Diet Coke. Mais avec Devildriver, les gens nous permettent d’expérimenter avec tous les types de sons dans la musique, de paroles, et le chant clair comme on l’entend dans « Wishing », qui est en fait un clin d’œil à mon passé gothique. J’ai grandi avec Sisters Of Mercy, Bauhaus et The Cure, je pourrais te parler pendant des jours de ces influences… Nos fans nous permettent de faire des choses que d’autres groupes de metal ne pourraient pas faire sans que les leurs aillent sur des forums pour débiter leur haine à leur égard. Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça, et je ne cherche pas à comprendre, je dis juste que nous pouvons être là où d’autres ne peuvent pas être, et j’en suis reconnaissant. C’est aussi pourquoi, je pense, le second volume a ce côté brutal. On arrive à la fin des démons, à la fin du discours. Or à la fin d’un discours, quel qu’il soit, peu importe l’art, on ne termine jamais vraiment de manière passive. On termine avec une explosion, en apothéose, et je pense que c’est ça le second volume.

Tu parles d’influences, or on retrouve quelques teintes black metal dans certaines chansons, comme dans « Witches » sur le premier volume. Je ne sais pas quelle est ta relation au black metal, mais vois-tu des parallèles entre votre approche ou état d’esprit sur ces albums et la motivation initiale derrière l’avènement du black metal ? Ne s’agissait-il pas, justement, d’affronter des démons en Norvège au début des années 90, même si c’était peut-être des démons parfois plus juvéniles ?

Exact, bonne question ! Je pense qu’aucun compositeur au sein de Devildriver n’est influencé par le black metal. Je pense que ce qu’on entend, c’est une nouvelle version d’un certain sentiment, avec une part de groove. Quand quelqu’un mentionne un riff qui sonne un peu black metal, je sais que ça vient de Mike, qui n’écoute pas de black metal. S’il n’est pas en train d’écouter Sisters Of Mercy, c’est qu’il écoute Rammstein ou quelque chose comme ça. Je ne pense pas que cet état d’esprit était fait exprès quand ils étaient en train d’écrire. Ceci dit, j’ai été converti au black metal au début des années 90 parce que j’ai tourné avec Pantera partout dans le monde et que j’ai vécu avec Anselmo chez lui pendant des années. C’est évidemment devenu un ami de longue date. Superjoint Ritual a d’ailleurs pris Devildriver sur notre toute première tournée en 2001 ou 2002 – je ne sais plus quand – et il m’a converti aux premiers Emperor, Venom, je peux continuer à citer… Tous les groupes de black metal, c’est lui qui me les a fait découvrir. Et j’adorais, mais ça n’a jamais vraiment eu sa place dans mon écriture. Alors que le punk rock, le gothique, un tas de vieux psychobilly et un tas de metal m’influencent beaucoup. Je ne pense pas avoir été une fois influencé par le black metal. Et garde à l’esprit que je porte un sweat à capuche Cradle Of Filth depuis 1994. J’adore ce genre musical, mais je ne crois pas qu’il ait déjà pimenté ma fibre artistique. Je n’y avais d’ailleurs jamais réfléchi, c’est la première fois que je réponds à cette question. J’adore fouiller dans mon esprit, donc c’est une super question, ne serait-ce pour que je me demande : « Oh, attends une seconde. Ai-je déjà utilisé ces influences ? » Et la réponse est non, pas vraiment, mais je manage Cradle Of Filth et j’adore ce genre musical.

« A un moment donné, ma femme m’a trouvé évanoui au rez-de-chaussée, sur le sol de de la cuisine à trois heures du matin, avec quarante de fièvre, possiblement en train de mourir, et elle a dit que j’avais un sourire sur le visage. J’accepte la vie et la mort dans les mêmes termes. »

La dernière fois, tu nous as dit : « Le Volume II rentre sur un terrain vraiment très personnel, le genre de terrain personnel dont il me sera difficile de parler en interview, mais je vais le faire. » Du coup, quel est le terrain le plus personnel sur lequel tu rentres avec celui-ci ?

C’est vraiment la relation entre toi en tant qu’être humain et le chemin spirituel qui est le tient. Dans « Through The Depths », ça parle de qui on est en tant qu’humains, de notre relation au surnaturel et à la spiritualité qui lie chacun de nous, de notre relation à nous-mêmes et à la planète, et de pourquoi on est ici. Est-on là pour gagner de l’argent ? Non. Ces chansons plongent en profondeur dans ce genre de question qui, je trouve, est essentiel à explorer, surtout là où en est le monde aujourd’hui. Je l’ai probablement déjà dit en interview avant, mais j’aurais aimé pouvoir écrire sur les dragons, mais je n’en ai jamais vu [rires]. Je dois écrire sur les choses qui me font méditer, et ces questions, c’est exactement ça : qui est-on ? Pourquoi est-on là ? Et je pense qu’on est là pour aider les autres et étoffer l’amour, de façon à ce que lorsqu’on meurt, notre esprit, notre essence et notre énergie emmènent les bonnes choses que l’on a acquises vers d’autres énergies partout sur la planète. C’est profond. Je n’appartiens à aucune religion organisée. Cependant, je suis spirituel et je crois clairement à une forme de force supérieure.

« Through The Depths » aborde ça. Pareil pour la chanson que nous avons sortie après, « If Blood Is Life ». Je dis : « Can’t make sense, Of all the death and circumstance! I heard you walking the floors late last night, right around 4. You left me cursed, now I’ve taken a turn for the worst. Death days it’s not a pleasant phase, I miss your eyes. » Le refrain, c’est : « Time… It waits for no one. Time… It’s worth taking. Time… Cruel and misleading. » Donc, ce que je dis, c’est que si le sang c’est la vie, si du sang coule en toi et que tu es vivant, pourquoi es-tu là ? Utilise ton temps judicieusement. Chaque jour tu te réveilles et tu prends une inspiration, c’est bien. As-tu fait quoi que ce soit de spécial pour quelqu’un aujourd’hui ? T’es-tu réconcilié avec un ennemi ? L’as-tu appelé pour lui dire que tu es désolé si c’est toi qui as merdé ? Je trouve que c’est essentiel en tant qu’humain d’en arriver à ce genre de stade, tout en conservant une mentalité de guerrier pour soi et sa famille. Je lis beaucoup Machiavel, L’Art De La Guerre, je pourrais parler des jours de ce livre, et tout indique que tu dois te protéger et protéger ta famille, mais en substance, spirituellement, tu dois mettre la main à la poche, donner aux autres et comprendre pourquoi tu es là. Donc oui, Volume II est assez profond. Si tu lis les paroles, tu vois que j’exprime pas mal de choses que je n’aurais pas pu exprimer quand j’avais vingt ans, car je ne savais pas ce que je pensais ou ce que je ressentais. Mais à mon âge, je sais parfaitement où en est mon âme aujourd’hui. J’espère que ça répond à la question.

As-tu l’impression qu’on a perdu en spiritualité dans le monde, en particulier dans nos sociétés occidentales ? Serait-ce même en partie la raison pour laquelle le monde ne va pas si bien que ça actuellement ?

Oui, je le pense. Et je crois qu’on nous contrôle mondialement sans même qu’on s’en aperçoive, comme si on était du bétail, et ça nous fait du mal. Selon moi, les spiritualités, que ce soit celle qu’on acquiert en grandissant dans un foyer religieux – catholique, chrétien, baptiste, bouddhiste, que sais-je encore – ou celle des adeptes de Sadhguru, comme moi, ou ceux de Shiva, ont toutes une bonne essence – il faut être bons les uns avec les autres. Parce qu’en substance, peu importe si on vit en France ou aux Etats-Unis, on est tous des humains vivant sur une planète. On est tous là pour s’entraider. Personne ne veut la guerre. Personne ne veut la pauvreté. Personne ne veut de problèmes de mal-logement. Personne ne veut toutes ces choses que je pourrais continuer à citer. On veut tous d’une belle existence pour soi, ses enfants, et la Terre. Je pense qu’un éveil spirituel arrive. Ça commence à venir chez ceux qui ont quarante, cinquante et soixante ans, mais surtout chez les enfants qui naissent aujourd’hui ou chez mes fils qui ont la vingtaine. La planète va changer, j’espère pour le meilleur, si tant est qu’on ne s’entretue pas dans une guerre mondiale, ce qui est une forte possibilité. Même si je suis un musicien, je suis probablement un peu plus profond que la plupart de mes pairs [petits rires]. Il y a deux choses qui me caractérisent : je ne fais pas qu’effleurer les sujets, et je suis incroyablement secret. Je pense que ces deux caractéristiques me permettent de faire des déductions un peu différentes de la plupart des gens.

« On arrive tous dans cette vie comme une pierre de taille brute. On est là pour polir notre vie, essayer de la rendre meilleure pour nous-mêmes et pour les gens qui nous entourent. La charité, l’espoir, l’amour, la paix : voilà les bagages qu’on devrait porter avec soi. »

Tu as dit plus tôt que tu croyais en « une forme de force supérieure » et tu as d’ailleurs déclaré que la chanson « ‘Through The Depths’ était une conversation entre une force supérieure et les humains ». Je sais que tu t’es intéressé à l’occulte et que tu pratiques la sorcellerie, mais quel genre de force supérieure serait-ce ?

Il est clair que j’ai pratiqué des rituels au cours de ma vie. Et quand on parle de sorcellerie, il faut comprendre qu’on ne fait jamais rien pour blesser qui que ce soit. Tu aimes tout, tu ne blesses rien. Donc oui, même si j’ai fait des rituels, je suis aussi un adepte de Sadhguru. J’ai lu de très nombreux textes sur la religion, en sanskrit, babyloniens, sumériens, etc. et je me considère comme étant profondément là-dedans. Il y a un fil rouge d’énergie qui traverse l’univers, la Terre, chacun de nous, il est là, il est bon et on peut puiser dedans. Certain y font référence en disant qu’on « vit dans la matrice », mais la clé est d’être capable de puiser dedans. La prière a un code source, que ce soit une prière bouddhiste ou autre, ou quand dix mille personnes se tiennent la main en priant. Ce code source s’uploade dans l’univers. Même dans la Bible, il est dit : « Demandez et vous recevrez », mais ça vient de textes sumériens et babyloniens bien plus anciens. Ils parlent de prier et d’exprimer ce qu’on veut durant sa vie, pour les gens qui nous entourent, et pour sa vie.

Donc, je crois au pouvoir de la pensée, au fait de penser son univers pour qu’il devienne réalité, et au fait de prendre les mesures nécessaires pour que ça se produise. Peu importe si c’est quelque chose d’aussi simple que le fait de vouloir prendre un petit déjeuner le matin. Ça veut dire que tu dois te lever, t’habiller, sortir de chez toi, aller dans un restaurant, commander, t’associer et manger. C’est pareil pour tout dans la vie. Si tu l’exprimes avec les meilleures intentions, tu peux le recevoir. Mais il faut faire attention à ceux qui étudient l’occulte et la magie noire, car vous ne voulez pas être à proximité. Il faut faire attention parce que ça va se retourner contre eux, et vous n’avez pas envie d’être dans la voiture, près du feu de camp ou dans la maison quand ça se produira. Il faut faire très attention avec ça. Donc, mon truc a toujours été de ne blesser personne.

Dans « Summoning », tu chantes : « This life is a turnstile, Straight to the grave! It Reminds you. You’re alive, It reminds you fight to survive! » Est-ce que ton expérience avec le covid-19, quand tu n’étais pas sûr d’y survivre, a changé quoi que ce soit dans ta vision de la vie et même de la mort ?

J’adore les questions ce matin ! Honnêtement, ce n’est pas la plus habituelle : « Donc, quel est ton groupe préféré ? » Dieu merci ! J’ai fait de nombreuses interviews et quand on me demande ça maintenant, je me mets à improviser des conneries, genre les B-52’s, juste pour provoquer la personne [rires]. Bref, je peux te dire qu’à un moment donné, ma femme m’a trouvé évanoui au rez-de-chaussée, sur le sol de de la cuisine à trois heures du matin, avec quarante de fièvre, et elle a dit que j’avais un sourire sur le visage. J’étais donc inconscient, avec quarante de fièvre, possiblement en train de mourir à cet instant – je ne sais pas –, j’avais un sourire sur le visage. J’accepte la vie et la mort dans les mêmes termes. Tous les soirs avant d’aller me coucher, j’exprime ma gratitude pour la vie, reconnaissant de la journée qui vient de passer, le délicieux repas que j’ai mangé, l’émission de télé amusante que j’ai regardée, ou mes chats qui jouaient – je dis merci. Tous les matins, juste au moment où j’ouvre les yeux, je ne prends pas mon téléphone, mais à la place, je me retourne et j’embrasse ma femme, puis je dis à haute voix : « Merci pour cette nouvelle journée. Je me suis réveillé. Voyons ce qu’elle a à offrir. » Cette vie est un tourniquet jusqu’à la tombe, c’est comme dans Conan, on ne fait que tourner la roue. Chaque jour, on pousse la roue, encore et encore. On ne sait pas quand on va partir, donc il faut profiter de cette existence et essayer de laisser le sillage d’une bonne personne dans l’eau quand on prend le large. Donc, est-ce que ça a changé ? Non. J’ai toujours vu la vie ainsi. Cette vie est tellement fugace. On ne sait pas si on va traverser la rue aujourd’hui et se faire renverser par un bus, donc on a intérêt à dire à quelqu’un qu’on l’aime, à prendre un bon repas, à vivre l’instant présent, parce que tout ce qu’on a, c’est le présent. J’aborde pas mal ceci dans les textes des deux volumes. Des gens vivent tellement dans le passé qu’ils ne peuvent pas aller vers l’avenir, et ils n’arrivent pas à profiter du présent. D’autres pensent tellement au futur et s’inquiètent tellement qu’ils ne peuvent pas penser au présent, et ça invalide leur passé. On doit vivre ici et maintenant, dans le présent. C’est l’instantané. C’est l’existence. C’est l’énergie, ici et maintenant. Et c’est ce que je crois.

« Le symbole de Devildriver, c’est la croix de confusion, ce qui veut dire littéralement remettre question tout ce qui nous entoure, en ayant sa propre raison de le faire, et ceci devrait nous conduire vers un but spirituel supérieur. »

Si on considère le comportement dingue que les gens ont parfois eu pendant la pandémie, mais aussi les tensions entre pays et même la guerre, les troubles civils, les divisions, etc., nos démons ne sont-ils pas en train de supplanter notre humanité actuellement ?

Tout ça, c’est à cause des gouvernements, et c’est purement ma façon de penser parce que je viens des Etats-Unis d’Amérique où nous avons appris la démocratie grâce à la France, donc tu comprendras. Dès qu’un gouvernement intervient et dit : « On est là pour aider », putain non. Le gouvernement est là pour servir les gens. Les gouvernements déclenchent les guerres. Les gouvernements ne vont pas vers les gens en disant : « Votons. Combien personnes veulent qu’on fasse la guerre ? », ils se contentent de faire la guerre. Ils font la guerre à d’autres pays. Ils font la guerre contre leur propre peuple. Ils militarisent la police et se retournent contre leur propre peuple. Tout ça au nom du gouvernement. « Je suis là pour aider. » « Je suis là pour que vous soyez en sécurité. » Non ! C’est là que je fais la différence. Le gouvernement, tous ceux qu’on élit sont là pour prêter attention aux gens, mais ce n’est pas ce qui se passe. L’humanité subit la cupidité, la corruption et la dévastation à cause des gouvernements.

Alors qu’est-ce qui se passe ? Actuellement, vous avez des émeutes dans votre pays, n’est-ce pas ? Eh bien, ce sont des troubles civils. Les gens sont mécontents. Il doit y avoir un moyen de sortir de ça, et je ne pense pas que ce soit avec l’intervention du gouvernement qui dit : « Ecoutez-nous. On va vous dire exactement où vous pouvez aller, ce que vous pouvez faire, et comment vous pouvez le faire. » Ne croyez pas ça un seul instant, et je pense que dès qu’on lâchera prise et qu’on les laissera faire, on vivra dans le communisme et il n’y a pas moyen que ça arrive. C’est une situation très dangereuse quand le gouvernement frappe à votre porte et dit : « Bonjour, je suis là pour aider. » Et je n’ai pas à te le dire car tu m’appelles depuis la France, or vous avez inventé la démocratie. Nos dirigeants dans le temps, Thomas Jefferson, etc. sont allés en France pour apprendre la démocratie. En fait, ils ont aussi beaucoup pris aux tribus amérindiennes ici aux Etats-Unis sur leur façon de diriger leurs communautés tribales. C’est donc ainsi qu’on a appris la démocratie, entre vous et les Amérindiens, mais on dirait que le processus démocratique est en train de se perdre partout dans le monde et on devrait vraiment s’en inquiéter. Bien sûr, il y a des gens au sein de gouvernements qui veulent aider, qui veulent que les gens restent libres, mais il faut faire attention, parce qu’il y a l’argent, le pouvoir, la corruption, et c’est avec ça que vous verrez les choses s’enflammer.

L’artwork du second volume est comparable à celui du premier, sauf que plus de démons y apparaissent et envahissent littéralement l’espace. Est-ce ainsi que tu te sens parfois, submergé par ces démons ou dominé par eux au point qu’ils prennent le contrôle de ta vie et de ton âme ?

Je pense que tous les êtres humains pensent ça, n’est-ce pas ? Tous les êtres humains affrontent leurs démons, peu importe ce que c’est. La fin, c’est l’apothéose. En conséquence, sur l’artwork – et je suis content que tu l’aies remarqué, soit dit en passant – il y a bien plus de démons qui arrivent et tu remarqueras aussi que la lumière est plus brillante que sur la première pochette. Ça veut dire que la lumière vaincra l’obscurité. Il faut comprendre que je suis aussi un franc-maçon, donc j’ai de nombreuses croyances maçonniques. Dans les croyances maçonniques, la lumière écrase tout. Toute l’obscurité est vaincue par la lumière, donc voilà d’où vient l’artwork. Plus de démons arrivent, la lumière est plus brillante, donc la lumière brille davantage sur eux, et si tu regardes leur visage, ils en ont presque peur, ils la regardent, mais ils sont effrayés, ils s’en détournent. C’est aussi une manière subliminale de dire : « Illuminez votre vie. Débarrassez-vous des choses négatives qui sont dans votre vie. Essayez de polir la pierre que vous êtes. » On arrive tous dans cette vie comme une pierre de taille brute. On est là pour polir notre vie, essayer de la rendre meilleure pour nous-mêmes et pour les gens qui nous entourent. La charité, l’espoir, l’amour, la paix : voilà les bagages qu’on devrait porter avec soi. Cependant, avec le temps, on constate que ce n’est pas ce que font certains êtres humains.

« Si vous m’avez suivi, si vous avez acheté un t-shirt, si vous êtes venus à un concert, si vous avez suivi ma carrière, si vous avez acheté un album, vous méritez de savoir un peu qui est derrière la musique. J’essaye donc de donner ça aux gens, autant que je peux, sans m’exposer en allant sur TikTok et en faisant des danses rigolotes ou je ne sais quelle connerie. »

On voit le logo de Devildriver sur cette lanterne : est-ce que ce groupe, ou la musique en général, a été ta lumière dans l’obscurité ?

Bien sûr. Je n’ai jamais été du genre à être très tourné vers les médias mais j’écoute de la musique dès l’instant où je me réveille. Avant que tu appelles, je me suis levé, j’ai pris mon petit déjeuner, du café, et j’avais déjà écoute Billie Holiday, Black Flag, Motörhead, Devo… Ma femme me dit même : « Est-ce qu’on peut rester sur un genre musical ? Si tu comptes écouter du metal maintenant, est-ce qu’on peut rester dessus pendant la prochaine heure ? » Et je suis là : « Non ! » Je n’arrête pas de changer, c’est comme ça. J’adore la musique et je pense vraiment qu’elle chasse les démons. Elle aide beaucoup de gens dans la vie. Regarde-toi, tu es un journaliste musical ; si tu n’adorais pas la musique et si ça ne t’aidait pas dans ta vie, tu ne ferais pas ce boulot. Je ne ferais pas ce boulot non plus. Pour ce qui est de Devildriver, ça m’a aidé à me débarrasser de plein de démons que j’ai eus dans ma vie, aussi bien en écrivant des paroles qu’en voyageant avec mes frangins et en faisant mon truc. Il y a ça et aussi le fait que le symbole de Devildriver, c’est la croix de confusion, ce qui veut dire littéralement remettre question tout ce qui nous entoure, en ayant sa propre raison de le faire, et ceci devrait nous conduire vers un but spirituel supérieur. Donc oui, clairement ! De même, le fait d’avoir la croix de Devildriver avec la lumière comme ça, c’est pour signifier qu’on n’appartient à aucun genre musical. Il y a même des groupes aujourd’hui qui se qualifient de « groove » et qui ne le sont pas ; il y a des groupes de prog ou des groupes de thrash qui essayent d’être « groove »… Mais nous faisons notre propre truc, et la croix de Devildriver dit : « On fait notre propre truc et on ne va pas changer. On va continuer à faire notre propre truc », ce qui a inévitablement mené à dix albums et une carrière de plus de vingt ans. Je ne pourrais pas être plus ému par ça, pour être honnête avec toi. Je me lève tous les jours en étant reconnaissant pour ça.

A propos de ces albums, tu nous avais dit que « les gens méritaient d’entrer un peu plus dans [t]a tête, parce que [tu as] été très secret »? Mais n’est-ce pas parfois inconfortable pour toi de dévoiler toutes ces choses privées ? Ne te sens-tu pas nu devant tes fans ? N’y a-t-il pas même une part de voyeurisme à regarder ces sujets personnels que tu dévoiles aux gens ?

Encore une fois, une merveilleuse question, et j’apprécie sa qualité. J’ai eu une conversation avec le label qui me disait que je devais aller sur TikTok et commencer à y poster des trucs. J’ai dit : « Rien à foutre ! » Après ça, ma femme m’a dit – et elle est avec moi depuis vingt-cinq ans, c’est ma meilleure amie, je ne fais rien sans elle : « Tu fais ce métier depuis un moment. Tu es dans cette industrie depuis 1995. Tu es l’une des personnes les plus secrètes dans ce business, personne ne sait qui tu es », et alors elle m’a trouvé un contrat pour sortir une autobiographie. Elle est terminée, le livre sort en juillet ou août cette année, et je partage des choses très personnelles sur toute ma vie. Sur Dealing With Demons I et II, j’ai décidé que j’allais commencer à laisser les gens en apprendre plus sur moi et découvrir qui je suis en tant que personne. C’est très dur pour moi, je dois être honnête avec toi.

J’adore écrire de la musique, j’adore répéter avec le groupe, je n’ai pas le moindre égo, à moins que je sois en public et qu’on fasse chier ma famille, car alors je deviens un monstre, ou si tu me tends un microphone, là je me déchaîne. A part dans ces cas-là, je laisse tomber tout ça. Je crois qu’il est essentiel pour poursuivre ma carrière que les gens en sachent un peu plus sur moi, qu’ils sachent que j’ai été marié pendant presque plus de vingt ans, que j’ai trois enfants, que je suis très spirituel, que je lis énormément de livres… Nous faisons que ça avec ma femme : musique et littérature. Nous peignons, nous sculptons, nous sommes une famille d’artistes. Les gens doivent le réaliser. Mais : « Eh, tu viens traîner après le concert ? » « Non. » « Eh, tu viens à la grande fête de Noël avec tous les gens de la scène rock ? » « Non. » « Eh, il y a une fête pour les Grammys, on aimerait que tu y participes. » « Non merci. » C’est dur. C’est dur pour les gens autour de moi de gérer ça. Il y a des fois où ma femme sort de la douche, s’habille pour aller dîner, je suis encore assis là et elle me demande : « Allez, est-ce qu’on sort ? On va voir des gens ce soir. » Et je suis là : « Non, j’ai décidé de ne pas y aller. » Et après tout ce temps, elle doit se mettre en pyjama, l’accepter et dire : « D’accord, on n’y va pas », parce que je ne me sens pas bien au milieu de groupes de gens. Je suis un ermite et je suis un mâle alpha, donc c’est dur pour moi. Je préfère être seul, avec ma famille, avec mon unité et rester dans mon coin.

« J’ai été élevé au punk rock. J’ai dormi sous des ponts. Je suis allé en prison quand j’étais jeune. Même si je suis riche, je ne m’identifie pas avec la richesse, je suis toujours pauvre dans ma tête et je continue de travailler comme un ouvrier. »

Mais comme je viens de le dire, si vous m’avez suivi, si vous avez acheté un t-shirt, si vous êtes venus à un concert, si vous avez suivi ma carrière, si vous avez acheté un album, vous méritez de savoir un peu qui est derrière la musique. J’essaye donc de donner ça aux gens, autant que je peux, sans m’exposer en allant sur TikTok et en faisant des danses rigolotes ou je ne sais quelle connerie. J’y ai pensé, je suppose que je pourrais aller sur cette plateforme, je suis un super cuisinier, donc peut-être que je pourrais faire à manger pour les gens. Mais je me dis : « Pourquoi ferais-je ça ? » Je suis un putain de chanteur. Ce que je fais, c’est monter sur scène et détruire des trucs [rires]. Je ne veux pas aller plus loin que ça. Je ne sais pas jusqu’où je peux aller dans le côté personnel et dans le fait de laisser les gens rentrer dans ma vie, mais rien que cette conversation détaillée et profonde avec toi donnera une bonne idée aux gens de qui je suis. Je n’appartiens pas vraiment au monde dans lequel j’évolue. Celui-ci est plein d’égos et de questions d’argent, de « qui est la tête d’affiche ? » et de « ma loge est plus grande que la tienne », « mon bus est mieux », etc. Je me fiche royalement de toutes ces conneries. J’ai été élevé au punk rock. J’ai dormi sous des ponts. Je suis allé en prison quand j’étais jeune. Même si je suis riche, je ne m’identifie pas avec la richesse, je suis toujours pauvre dans ma tête et je continue de travailler comme un ouvrier, sans égo, donc j’ai du mal à prendre part au monde dans lequel je suis, et c’est pourquoi vous ne me voyez pas souvent lors des cérémonies de récompenses et ce genre de conneries. Je n’y vais pas. Au tout début de ma carrière avec Coal Chamber, ça nous est arrivé d’y aller, nous avons marché sur le tapis rouge et accepté la récompense, et après coup, je me suis senti comme une merde en tant qu’artiste. Les louanges devraient venir directement des gens qui écoutent ta musique, et c’est pourquoi j’adore internet. Ils te diront : « Je déteste ce groupe », « J’adore ce groupe », « J’adore Dez », « Je déteste Dez », mais dans tous les cas, tu as quelque chose de vrai. C’est donc très délicat pour moi.

Pour être honnête, après la pandémie, j’étais sur le point de totalement quitter l’industrie musicale à cause de ce monde qui m’entoure. Mais ma femme m’a littéralement posé la question : « Si je te tendais un microphone aujourd’hui, et qu’il y avait des gens pour qui chanter, aurais-tu envie de chanter ? » J’ai dit : « Putain, ouais ! » Elle a donc dit : « D’accord, tu n’es pas encore prêt. » Je reste donc très isolé chez moi, ainsi qu’en tournée. Si tu tournes avec moi et m’aperçois hors du bus plus d’une ou deux fois, c’est un miracle. Après la scène, je reviens, je retire mes habits de scène pleins de sueur et je lis un livre, à essayer d’enrichir mon esprit. J’ai l’impression de faire tache dans ce monde auquel j’appartiens, j’ai l’impression de ne pas du tout y être à ma place. Et peut-être est-ce à cause de ma mentalité punk rock et psychobilly. J’étais batteur dans un groupe de psychobilly quand j’avais de quatorze à dix-sept ans, j’étais dans des groupes de punk… Quand tu viens là, c’est une scène très roots, très terre à terre, pas d’esbroufe, alors que dans le metal, j’ai l’impression que les gens ont souvent des égos et qu’il y a plein de faux-semblants. C’est sûr que je me reconnais chez plein de personnes dans cette scène avec qui je traîne et dont je suis proche, mais ils ont certaines attitudes ou mentalités, comme Randy [Blythe] de Lamb Of God qui est un super pote. Il vient chez moi, nous faisons du surf, nous ne parlons pas de musique. C’est parce qu’il vient du punk rock, comme moi, et il n’a pas le moindre égo. Ce n’est pas un égocentrique et je l’adore pour ça. Il y a donc certains types avec qui je traîne, c’est sûr, mais je reste quelqu’un de très secret. C’est comme toi, tu veux être un journaliste, mais tu n’as pas envie d’être dans une pièce pleine de journalistes, parce que tout le monde se voit comme étant plus important et meilleur, « j’ai écrit pour Rolling Stone » ou ci et ça, tu vois ce que je veux dire ? Et toi, t’es là : « S’il vous plaît, on est tous journalistes. Qu’est-ce qu’on en a à foutre que vous ayez interviewé Dieu ? »

En 2020, tu as dit qu’après ces deux albums très personnels, deux voies s’offraient à toi : « Finir là maintenant – et finir sur une note aussi personnelle, c’est énorme – ou alors partir sur d’autres albums en ayant donné aux gens quelque chose de si personnel que ça créera un lien encore plus fort avec eux. » J’allais te demander quelle voie tu pensais prendre maintenant, si tu allais arrêter Devildriver ou continuer à faire des albums, mais j’ai l’impression que tu y as un peu répondu dans ta réponse précédente, non ?

Non, pas vraiment. Actuellement, je ne sais pas. J’ai des tournées de calées cette année avec Coal Chamber et Devildriver. Ce que j’ai dit à ma femme, c’est : « Le 1er janvier 2024, je te dirais ce que je vais faire. » Garde à l’esprit que c’est non seulement ma meilleure amie, mais qu’elle manage aussi Devildriver et Coal Chamber. Je ne manage pas ces groupes ; je manage Jinjer, Cradle Of Filth, Exodus, etc. au sein de ma société de management. Donc, non seulement je parle à mon amie la plus proche, mais aussi à mon manageur, et je lui dis que je ne sais pas. Ceci étant dit, Miller étant de retour dans le groupe, il m’a déjà envoyé deux chansons. Quand j’ai écouté la première, j’ai immédiatement écrit un refrain dessus, je l’ai chanté sur une boîte vocale, je la lui ai renvoyée, et il était là : « Bordel de merde, c’est incroyable ! » J’ai donc envie d’écrire. J’ai l’impression d’avoir envie d’enregistrer et de donner plus. Mais à ce stade, je ne sais pas ; vraiment pas. Je pense qu’il faut être prêt à tout et satisfait de ce qu’on va faire, quoi que ça puisse être. Comme je l’ai dit, si on est chauffeur de taxi, il faut être content et prêt à travailler, en profiter, parler aux gens qu’on prend, les conduire à leur destination, aller chercher de l’essence, et faire tout ce qu’on a à faire. Il faut être prêt à ça et pour l’instant, très franchement, je ne sais pas. J’ai plein de concerts de prévus cette année avec les deux groupes. Coal Chamber va faire le Sick New World Fest, puis je vais partir avec Mudvayne et nous allons jouer pour vingt-cinq mille personnes par soir tout l’été. Puis je vais partir avec Cradle Of Filth et Devildriver en co-tête d’affiche. Presque tous les concerts étaient complets la dernière fois, et ils le seront tous cet automne parce que c’est la côte Est. Après ça, j’aurais besoin de congés pour les fêtes, passer du temps avec ma famille, et ensuite, en janvier, il faudra que j’informe mon entourage de ce que je compte faire.

« Quand j’étais sur mon lit de mort à cause du covid-19, ma femme a appelé les membres de Coal Chamber et a dit : ‘Vous devriez appeler Dez maintenant, son cœur s’emballe. Nous avons des membres du SAMU à la maison. Vous devez appeler Dez et enterrer la hache de guerre.' »

Je trouve que c’est super quand un artiste n’est pas obligé de faire de l’art pour gagner de l’argent. Financièrement parlant, j’aurais pu prendre ma retraite il y a longtemps et me poser dans une chaise à bascule au bord de la piscine. Mais quand on est un vrai artiste, peu importe si on a trois millions de dollars ou cinquante centimes sur son compte en banque, on fait de l’art. J’ai tout au fond de moi ce besoin qui me pousse à prendre un pinceau et à peindre, à acheter une toile et à me mettre dessus. Donc, même si Jon Miller m’a passé une chanson incroyable, j’ai envie d’attendre. Je veux passer cette année. Je veux voir où en est ma santé. Je veux voir où j’en suis. Je veux passer les fêtes, et en janvier, je déciderai de ce qui arrivera. Et ça pourrait très bien être : « Allez mec, j’ai encore trois, quatre, cinq albums en moi. » Ou alors : « Je vais faire une dernière tournée partout dans le monde, si je peux prendre l’avion, puis je vais lentement me retirer. » Mais ce n’est pas encore ce que je ressens, je dois être honnête. Je ne sais pas si tu as vu sur YouTube une des vidéos de la dernière tournée aux Etats-Unis, dont je reviens tout juste, mais les gens devraient aller voir parce que non seulement j’ai l’impression d’avoir vingt et un an sur scène, mais selon moi, je chante mieux que jamais. Des gens m’ont dit : « Tu sonnes mieux que jamais ! » « Tu as l’air plus en forme que jamais ! » et ce sont notamment des anciens membres de mes groupes. Mon ancien batteur, qui officie désormais chez Bad Wolves, était dans le bus quand je suis revenu des loges, en train de manger ma nourriture, comme il le fait toujours, et il m’a dit : « Frangin, c’est l’un des meilleurs concerts que j’ai jamais vus de ta part. » J’écoute les gens comme ça et je me demande : « D’accord, où en suis-je dans la vie et qu’ai-je envie de faire ? » Je déciderai en janvier quelle direction ça prendra.

Coal Chamber a annoncé en novembre l’année dernière sa seconde reformation. Le groupe n’avait plus été actif depuis 2015. En 2016, tu as dit que Coal Chamber n’avait « aucune place dans [ta] vie aujourd’hui » et en 2017, que probablement le groupe ne tournerait plus jamais et ne ferait plus de musique ». Du coup, qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Quelle a été la motivation pour ce nouveau retour du groupe ?

Plusieurs choses différentes. Ils ont tous des vies stables maintenant. Ils ont tous réglé leurs problèmes. Ils ont une famille, une maison, une carrière. Ils ont tous grandi. Quand j’étais sur mon lit de mort à cause du covid-19, ma femme a appelé les membres de Coal Chamber et a dit : « Vous devriez appeler Dez maintenant, son cœur s’emballe. Nous avons des membres du SAMU à la maison. Vous devez appeler Dez et enterrer la hache de guerre. » Après ça, ils m’ont appelé quotidiennement pendant environ un an pour prendre de mes nouvelles. Personne n’a jamais parlé de faire de la musique ensemble. Finalement, l’un d’entre eux a dit : « On devrait faire un concert. » J’ai dit : « Je préfère être ami avec vous plutôt que de remonter dans un bus et faire des concerts. » Après avoir parlé pendant encore quatre ou cinq mois, nous étions tous amis, tout le monde s’était ressaisi, c’était un groupe de gens complètement différent, et nous avions décidé que nous devrions faire de la musique. Les offres sont venues et nous avons décidé d’y aller. Je suis content que ça se soit passé très naturellement, et encore une fois, je leur avais dit que je préférais être simplement ami avec eux plutôt que de nous remettre dans le broyeur, parce que cette industrie est oppressante. Mais je me suis dit que ça allait bien se passer. Ils se sont ressaisis, je me suis ressaisi, et honnêtement, nous nous éclatons. En plus, je ne m’occupe plus du business de Coal Chamber comme avant ; c’est ma femme qui gère tout. Je leur parle des chansons que nous voulons jouer, de la production que nous aurons, mais je n’entre pas dans les affaires et ça aide vraiment la relation. Dès qu’ils veulent parler d’argent, de ci ou de ça, ils peuvent appeler ma femme pour voir avec elle.

Je suis content qu’ils aient stabilisé leur vie. Vous lirez dans mon autobiographie jusqu’où sont allés mon batteur et mon guitariste, par rapport à où ils en sont aujourd’hui. Je suis tellement content de voir qu’ils ont une famille, des enfants et plein de bonnes choses dans leur vie. C’est merveilleux de voir des amis réussir leur vie. Et c’est exactement ce qu’ils étaient et sont pour moi – des amis – et je ne pourrais pas être plus excité à l’idée de faire des concerts avec eux. En mai, nous allons jouer avec System Of A Down, Korn, Deftones, Ministry, nous serons au Sick New World. Ce serait absolument phénoménal, donc je suis excité aujourd’hui. Je ne pensais pas fin 2015, en 2016, 2017 ou 2018 que ceci se passerait un jour. J’étais en train de passer à autre chose. Donc je suis reconnaissant d’avoir cette opportunité. Celles-ci sont les chansons qui ont fait de moi ce que je suis. Je n’ai jamais essayé de fuir le groupe pour commencer quelque chose de nouveau. J’ai dû quitter le groupe parce que tout était détraqué. J’avais une femme et des enfants, et je ne pouvais pas gérer des gens qui restaient éveillés quatre jours d’affilée. J’ai une vie très normale, et j’aime conserver une vie très normale en tournée. Ne venez pas ici faire la fête. Tous les soirs c’est vendredi soir ? Pas pour moi, mec ! Seulement sur scène. Ensuite, je sors, je prends un livre et je me détends.

Interview réalisée par téléphone le 7 avril 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jeremy Saffer & Nigel Crane (10).

Site officiel de Devildriver : www.devildriver.com

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