Après vingt-cinq ans de carrière, Dez Fafara a décidé de s’ouvrir. Avec Dealing With Demons premier du nom et son petit frère qui doit arriver plus tard, il purge une bonne fois pour toutes ses démons personnels et ceux qui rongent la société, les évoquant librement comme il ne l’a encore jamais fait. Le but : passer à autre chose, libéré de ce poids, ou peut-être s’arrêter. L’avenir le dira.
En tout cas, force est de constater que cette démarche est importante pour Dez Fafara qui ouvre les vannes, autant sur les choses qui lui pèsent dans sa vie, que sur la musique pour laquelle la directive était : « Mettez tout ce que vous avez à mettre, ne cherchez pas à tout prix à répondre aux attentes. » Voilà pourquoi Dealing With Demons Vol. I est aussi viscéral mais aussi propose quelques surprises, mais à en croire le frontman, ce n’est rien par rapport à ce qui nous attend avec le Vol. II.
Nous avons longuement échangé avec Dez Farara ci-après pour mieux comprendre sa démarche et évoquer certains de ces démons. Pour Dez c’était aussi l’occasion de marteler certains messages, notamment que c’est maintenant, en pleine pandémie, que les gens ont le plus besoin de musique, alors que, selon lui, de nombreux artistes ont repoussé leurs albums à l’année prochaine pour de basses considérations pécuniaires.
« A compter d’aujourd’hui, je fais chaque album comme si c’était mon dernier. »
Radio Metal : Dealing With Demons est un double album dont vous sortez maintenant la première partie. A quel moment t’es-tu rendu compte ou as-tu décidé que ce serait un double album ?
Dez Fafara (chant) : Au niveau des textes, je voulais passer à autre chose par rapport à que j’ai longtemps abordé, depuis tout jeune, c’est-à-dire le facteur humain. Je savais que pour faire ça, il fallait que je plonge dans des sujets très sérieux. Durant toute ma carrière, depuis le début, quand on me demandait de quoi parlait telle chanson, je ne répondais jamais, parce que si vous traversez une période difficile et que vous pensez que ça parle d’une belle journée, je n’ai pas envie de vous dire qu’en réalité ça parle d’un jour pluvieux. Donc cette fois, il fallait que je fasse un album pour lequel j’expliquais chaque chanson, dans lequel j’allais au fond de chaque sujet, dans lequel j’explorais mes propres démons et les démons de la société, et je savais que j’avais besoin d’un double album pour le faire. Le label m’a dit : « D’accord, on fait ça. » Le plan était de sortir un double album échelonné sur deux ans et de faire une tournée de trois ans et demi, en faisant deux fois le tour du monde, puis de revenir à la maison. Evidemment, tout est tombé à l’eau. L’album a été fait fin 2019. A ce moment-là, nous avions vécu une année très difficile : ma famille et moi avons dû partir à cause des feux de forêt, nous ne savions pas si nous allions perdre notre maison ; heureusement ça n’est pas arrivé, grâce aux sapeurs-pompiers qui nous ont aidés à sauver notre maison. Puis nous avons découvert que ma femme avait le cancer, et elle a dû subir deux interventions chirurgicales d’un coup, ce qui a été très dur pour la famille. Nous avons donc mis un frein aux tournées et puis dès que 2020 est arrivé, nous avons dit : « C’est bon, on va pouvoir tourner et sortir les albums. » Mais maintenant, on est confrontés à une pandémie, à des émeutes dans les rues et à des troubles civils. Donc ça n’a pas arrêté de s’enchaîner, pour être honnête avec toi.
Pourquoi vouloir tout mettre sur la table maintenant pour ensuite arrêter de parler de ces démons comme tu l’as fait pendant presque trente ans ?
Je crois qu’il n’y a pas de début sans fin, et il faut que j’arrête de discuter de ces choses pour qu’il y ait un nouveau départ. J’ai dit très clairement depuis le tout début que Devildriver ne fera pas deux fois le même album – et c’est le cas : nous avons un son caractéristique, mais tous nos albums sont différents –, que nous continuerons à nous développer et que les derniers albums seront les meilleurs albums, ce qui est vrai : les derniers albums sont meilleurs, ils se vendent même mieux, je pense que nous sommes de meilleurs musiciens, je n’ai connu qu’un seul grand changement de line-up en plus de vingt-deux ans… C’est quelque chose, car je ne sais pas combien de personnes ont été mariées ou ont eu un boulot pendant vingt-deux ans ! Je pense tout simplement qu’il est temps ; c’était le moment pour moi d’aller aussi loin que possible dans ces sujets. Et puis, et s’il n’y avait pas d’autre album ? Je veux dire que j’ai toujours été à cent dix pour cent avec tout ce que j’ai fait dans ma vie, mais à compter d’aujourd’hui, je fais chaque album comme si c’était mon dernier.
Est-ce que ça t’a aidé d’aborder ces sujets ?
Je pense que ça a plus aidé d’autres gens que moi, parce que j’ai vu beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux, pas plus tard que ce matin, qui m’écrivent et me disent : « Je ressens la même chose que toi au sujet de la distanciation sociale » ou « Je ressens la même chose que toi au sujet de la fidélité que les gens achètent et je suis content que tu en parles. » Donc si je peux aider les gens à traverser des moments difficiles, c’est super ; c’est une des raisons pour lesquelles nous sortons l’album aujourd’hui. Ce n’est pas une très bonne décision sur le plan du business et financier, mais je le fais pour les gens. Je viens d’une certaine scène, je suis un enfant du punk/rock/gothique et j’ai découvert le heavy metal seulement parce que j’ai entendu Motörhead – qu’au départ je croyais être un groupe de punk rock ! –, et je me suis intéressé au metal seulement parce que j’adore quand c’est féroce et agressif. Autrement, je reste un gamin qui écoute du punk/rock/gothique, et dans ces scènes, tout le monde s’entraide. Je trouvais simplement que c’était le bon moment de sortir un album qui plonge dans mes démons personnels et dans les démons de la société, et peut-être que ça nous donnera à tous des sujets de discussion en ces temps tragiques dans l’histoire humaine.
Dirais-tu que cet album s’inscrit dans un processus de libération plus global qui a commencé avec Trust No One, après que les trois cinquièmes du groupe ont été renouvelés ?
Oui, je pense. La séparation avec les autres membres n’avait que trop tardé, non seulement parce que je ne m’entendais plus avec ces gens, mais même ces trois personnes – qui ont pourtant grandi ensemble – se foutaient sur la gueule. Je ne pouvais plus le supporter ; la musique est un espace très positif pour moi. Tourner doit être un espace très positif, autrement je n’ai pas envie de le faire. La seule raison pour laquelle je fais de la musique, c’est parce que j’adore écrire, j’adore enregistrer et j’adore être sur scène. Tout le reste, tous les autres aspects, je ne les aime pas : je n’aime pas la célébrité, je n’accepte pas ou ne veut pas de la popularité, je ne cours pas après l’argent, et je n’ai pas besoin d’argent. Je fais ces choses seulement parce que j’aime les faire. C’est comme un chef de cuisine : s’il fait la cuisine, il doit aimer la faire. Quand je me suis séparé de certains membres avant Trust No One, je savais que cet album, Trust No One, devait être un album très typé Devildriver ; nous devions faire attention à la marque et à ce que les gens attendaient de Devildriver après le départ de certains membres. Maintenant, pour ce nouvel album, c’est différent. J’ai d’ailleurs dit aux gars : « Ne pensez pas à la marque, ne pensez pas aux anciens albums, ne pensez pas au son, ne pensez pas aux attentes. Si nous nous étions rencontrés aujourd’hui, avec toutes nos influences, et chaque voix que j’ai utilisée, y compris celles de Coal Chamber… Qui serions-nous ? Quel genre de musique ferions-nous ? » Je pense que c’est là que nous sommes devenus Devildriver. C’est là que nous avons trouvé exactement qui nous étions et ce que nous étions en tant qu’équipe, à ce moment précis, avec ce line-up. Je crois fermement que par la suite, les prochains albums – s’il devait y en avoir, si je fais d’autres albums dans le futur – iront de l’avant et seront d’incroyables œuvres d’art.
« La seule raison pour laquelle je fais de la musique, c’est parce que j’adore écrire, j’adore enregistrer et j’adore être sur scène. Tout le reste, tous les autres aspects, je ne les aime pas : je n’aime pas la célébrité, je n’accepte pas ou ne veut pas de la popularité, je ne cours pas après l’argent, et je n’ai pas besoin d’argent. »
Ce double album sert donc à purger les démons qui t’ont longtemps hanté, mais est-ce possible de purger nos démons ? Ne s’agit-il pas plutôt d’apprendre à vivre avec ?
Non, pas du tout. Enfin, ce que tu dis est à moitié vrai : il y a certains démons avec lesquels on peut vivre et d’autres dont il faut se débarrasser. Si tu as un méchant problème de drogue, ce n’est pas un démon avec lequel tu devrais apprendre à vivre. Si tu es agoraphobe et a des problèmes de distanciation sociale comme j’en ai eu toute ma vie, et que tu as du mal à être entouré de plein de gens, ou à te rendre à des fêtes où tu ne connais pas les gens, c’est un démon avec lequel il faut apprendre à vivre. Mais dans cet album, je parle de mes propres démons qui me sont très personnels. Je tourne, je monte sur scène parfois devant des centaines de milliers de gens, et je suis agoraphobe. Je me distancie socialement en permanence et non, je ne vais pas aux fêtes de Grammy Awards, et je n’ai pas envie d’aller quelque part où c’est bondé de gens que je ne connais pas. C’est très, très personnel de laisser des gens rentrer dans ma vie. Mais je parle aussi de démons liés à la société. Donc la chanson « Keep Away From Me » parle d’avoir été toute ma vie en distanciation sociale, mais ça parle aussi de ce qui se passe en ce moment – la distanciation sociale de la société face au virus. « Nest Of Vipers » est un autre morceau que nous avons sorti, celui-ci parle de fidélité et comment la fidélité peut être achetée avec de l’argent, que ce soit celle des hommes ou des femmes, dans le business ou dans la vie personnelle, du fait qu’il faut rester à l’écart de ce genre de personne et de comment identifier ce genre de personne. Ce sont des questions qui sont soulevées pour que les gens en parlent, en discutent, pour qu’il y ait un dialogue ouvert, et avec un peu de chance, ça créera un changement dans le futur, dans leur vie ou dans la vie de quelqu’un d’autre.
Un autre exemple, la chanson « Iona » parle de l’amour des gens pour le « murder-porn ». Si tu regardes le clip de la chanson, c’est une femme fantôme qui traque les hommes, transforme leur âme en rose noire et les porte pendant toute une vie, et elle est insatiable, elle n’arrête pas, rien ne peut satisfaire sa soif de mort. Et ça, selon moi, c’est notre culture. Ne te méprends pas, je suis un gamin gothique, j’ai grandi avec des crânes et des vêtements noirs depuis mes douze ou treize ans. Mais c’est l’obsession du meurtre et de la tuerie : pourquoi est-on obsédé par les émissions de télé comme Les Experts et pourquoi est-on obsédé par des films comme Massacre A La Tronçonneuse ou Halloween où ils écorchent, violent et tuent quinze à vingt femmes ? Pourquoi est-ce même une forme d’art acceptable à regarder pour l’humanité ?! Quelqu’un finira par perpétuer ça. On sait tous que les médias perpétuent les comportements et les conséquences. Ce sont donc des choses dont j’avais besoin de discuter et dont je veux que les gens discutent, et je veux que quelqu’un écoute ça et dise : « Eh bien, peu importe Dez, mon film préféré est quand même Halloween. » Et peut-être qu’il se demandera : « Pourquoi est-ce que j’aime autant ce film ? Il tue plein de femmes. » Qu’est-ce qui fait que vous aimez tant ça ? J’ai quatre sœurs, j’ai une femme, nous avons embauché majoritairement des femmes dans ma société, nous sommes entourés de femmes. Je ne peux pas regarder ces merdes. Je ne regarde pas ces merdes de slashers. Je trouve ça horriblement grossier, presque obscène. On ne diffuserait pas de la pornographie au cinéma, justement parce que c’est de la pornographie, ce sont des films X, n’est-ce pas ? Mais on laisse diffuser des films où un gars tue quinze femmes et les écorche sur un putain de grand écran… Qu’est-ce qu’on essaye de faire à l’humanité ? Quel penchant essaye-t-on de donner à l’humanité ? Quel impact essaye-t-on d’avoir sur l’humanité ? Quel impact est-ce que ça a sur le tordu qui regarde ça encore et encore ? Peut-être qu’il rêve de faire ça un jour !
Je suis à fond pour la liberté artistique et la liberté d’expression, mais on ne peut pas interdire la pornographie, c’est-à-dire des gens qui font l’amour, qui baisent, ce qui est naturel, et ensuite montrer quelqu’un à l’écran qui tue quinze femmes, appeler ça « Rated R » (les mineurs doivent être accompagnés d’un adulte, NDLR) et faire rentrer les gens dans le cinéma pour quatre euros… Ça me paraît incroyable. J’ai toujours pensé à ça. Chez moi, c’est Halloween en ce moment – nous ne regardons pas des putains de slashers, nous regardons Dracula, La Momie, des histories d’épouvante… De vrais films d’horreur. Les slashers, pour moi, ce ne sont pas des films d’horreur. C’est de ça que parle « Iona » : son amour insatiable pour la mort et ça renvoie à nous en tant qu’êtres humains et pourquoi on court après ça. Je ne le comprends pas. Quel genre d’évasion mentale obtient-on avec ça ? Qu’est-ce qui se passe dans votre putain de tête quand vous regardez ça ? Tout comme je ne peux pas rester là à regarder des animaux se faire torturer, tuer et écorcher. Mais il y a tout le temps des gens qui vont dans des cinémas pour regarder ça sur des humains ! Je trouve ça dégoûtant, pour être honnête avec toi. Encore une fois, ce sont des dialogues, des questions qui ont besoin d’être soulevées entre êtres humains. Avant de passer au niveau suivant, on doit comprendre ces choses sur nous-mêmes. Pourquoi ces choses sont-elles devenues aussi répandues dans notre culture ?
« On ne diffuserait pas de la pornographie au cinéma, justement parce que c’est de la pornographie, ce sont des films X, n’est-ce pas ? Mais on laisse diffuser des films où un gars tue quinze femmes et les écorche sur un putain de grand écran… Qu’est-ce qu’on essaye de faire à l’humanité ? »
Tu as mentionné ton agoraphobie, qui est donc le thème de « Keep Away From Me ». Comment as-tu géré ça dans ta carrière, surtout quand tu montes sur scène ou que tu te rends à des festivals ?
C’est très difficile. J’ai la chance d’avoir une femme qui m’accompagne depuis largement plus de vingt ans. Si elle sort de la douche, elle se met sur son trente-et-un avec une belle robe, il y a une limousine qui nous attend et nous sommes censés nous rendre à une fête chez quelqu’un à Beverly Hills, elle sait que dix minutes avant de partir je vais annuler et que nous allons nous retrouver assis sur le lit à fumer un joint en regardant Star Wars. C’est difficile pour moi. Quand je me rends à un meet & greet, c’est un espace à peu près sûr pour moi, parce que je sais que ce sont des fans de Devildriver, mais au bout de dix ou quinze minutes, je me sens terriblement mal à l’aise. Je n’aime pas parler de banalités, je déteste les discussions du genre : « Quel temps il fait ? » Je n’ai pas du tout envie de parler de ça, je ne sais pas bavarder. C’est donc très difficile. J’ai choisi une vie à cause de l’art qui m’emmène loin de ma famille et de chez moi, de mes chiens, de tout ce que je connais, qui me traîne à des concerts – j’apprécie tous ceux qui achètent des albums, qui viennent aux concerts, mais parfois ça peut être très difficile. C’est très dur pour moi quand je suis à l’aéroport, quand je dois passer la sécurité dans différents aéroports avec une police, disons, différente dans d’autres pays, qui a peut-être envie de m’attraper, m’emmener pour avoir une conversation avec moi. J’ai vraiment eu beaucoup de mal ces vingt et quelques dernières années à tourner, pour être honnête. Je le fais parce que j’adore écrire, j’adore enregistrer, j’adore aller sur scène… Donc environ trente minutes avant de monter sur scène, il y a quelque chose qui se passe intérieurement, on peut appeler ça une assistance qui prend le relais, et ensuite boum, c’est bon, je suis concentré sur le concert. Autrement, j’ai envie de retourner dans le bus, manger un truc, regarder un film, traîner avec mon groupe, avec mon équipe… Je traîne beaucoup avec mon équipe et mon groupe, c’est mon cercle privé.
Ce sont évidemment des textes très personnels et ces chansons font appel à une part de toi qui est très viscérale et sombre. Dans quel état d’esprit étais-tu dans la cabine de chant pour chanter ces chansons ? Quelle était ton attitude là-dedans ?
C’est une très bonne question. Je pense que l’attitude était : « Interprète ces textes avec honnêteté, n’essaye pas d’être heavy, n’essaye pas d’être quoi que ce soit – contente-toi de faire. Sois sincère. » Tu vois quand tu entends des groupes de metal, tu peux entendre qu’ils chantent du metal, mais tu n’y crois pas ? Je pourrais te nommer dix groupes là tout de suite avec lesquels, quand j’entends leur nouveau single, je n’y crois pas. La crédibilité vient de la sincérité, et dans ma tête je me disais : « D’accord, es-tu prêt ? Es-tu en train d’appuyer sur ‘enregistrer’ ? Laisse-moi penser à ce que je vais chanter et exprimer ça avec sincérité, aussi honnêtement que possible. » Et c’est pour ça qu’il y a tant de puissance dans mon chant. Très souvent mon producteur disait : « Je suis constamment obligé de baisser ton micro, parce que tu pousses trop fort ! » Je vois plein de chanteurs de metal qui, quand ils enregistrent leur chant, ne suent même pas, ils ne poussent pas. Je finissais chaque chanson en sueur dans cette cabine. Donc, en substance, tout doit sortir avec sincérité, c’était ça mon approche.
On peut entendre certaines influences sudistes/bluesy dans des chansons comme « Wishing », « The Damned Don’t Cry » ou la partie de guitare lead sur « Nest Of Vipers ». Dirais-tu que l’expérience de l’album de reprises, Outlaws ‘il The End, il y a deux ans t’a ouvert les yeux et motivé à laisser davantage ce genre d’influence s’immiscer dans ta musique ?
Eh bien, dans « Wishing », ce que tu entends c’est quelqu’un qui adore Sisters Of Mercy, Bauhaus et Alien Sex Fiend, tout ce qui est assimilé à de la musique gothique. Comme je l’ai dit plus tôt, je suis un enfant du punk/rock/gothique qui a découvert le heavy metal parce que c’était extrême. Une grande partie du heavy metal qui existe aujourd’hui n’est pas très extrême, pas très effrayante, donc je reviens à mes racines, à ce qui m’effrayait : les vieux concerts punk rock, Blackrat, Black Flag, Circle Jerks, ce genre de chose, et puis Bauhaus, Sisters Of Mercy, etc. Donc dans « Wishing », c’est ce qu’on entend dans ces couplets. J’ai déclaré au début des années 2000 que je ne chanterais jamais en chant clair – comme je l’ai fait dans Coal Chamber – dans Devildriver. Mais j’ai essayé d’enregistrer « Wishing » de plein de façons différentes : heavy, en criant, heavy-grave… et ça ne fonctionnait pas jusqu’à ce que je donne à la chanson ce dont elle avait besoin, c’est-à-dire un couplet gothique en chant clair, et ensuite un refrain bien heavy. Je n’aime pas la majorité du chant clair dans le metal, surtout quand c’est du metalcore avec un couplet heavy et un refrain en chant clair afin de se vendre, de passer à la radio, etc. Je n’apprécie pas trop ça, je n’aime pas ça, je n’écoute pas plein de groupes de metal avec du chant clair, pour être honnête avec toi. J’aime quand c’est heavy et affreux. J’aime quand c’est corrosif. C’est censé être effrayant, c’est ce qui m’a attiré dans le heavy metal. Aujourd’hui, on a plein de groupes de metal symphonique qui débarquent, surtout en Europe, et ça ne m’a jamais convaincu. La plupart de ces groupes sortent de scène au bout d’une heure et demie sans même une goutte de sueur ! Pour moi, il faut que ce soit agressif, il faut que ce soit vrai et il faut que ce soit effrayant. Si vous êtes déjà allés dans le pit à un concert de Devildriver, vous savez ce qu’il se passe avec nous. Ce double album était nécessaire, je suppose, pour moi et pour le groupe. Nous avons écrit plein de chansons pour ça et ce faisant, nous avons découvert qui nous étions.
« Aujourd’hui, on a plein de groupes de metal symphonique qui débarquent, surtout en Europe, et ça ne m’a jamais convaincu. La plupart de ces groupes sortent de scène au bout d’une heure et demie sans même une goutte de sueur ! Pour moi, il faut que ce soit agressif, il faut que ce soit vrai et il faut que ce soit effrayant. »
Maintenant, pour revenir à ta question, à savoir si l’album Outlaws a fait ressortir le blues en moi : je ne sais pas, j’ai toujours été un énorme fan d’Elvis, un énorme fan de blues, allant de Howling Wolf à… Enfin, je pourrais continuer sans m’arrêter à citer des artistes, mais je collectionne les albums, les vinyles, et j’ai une très vaste collection d’albums de blues, parce que c’est là que le rock n’ roll a commencé, avec le vrai blues bien lourd. J’ai toujours eu cette influence. Ce que j’ai fait avec ces chansons c’est : « Ne fais pas attention à la marque, ne fais pas attention à Coca-Cola. Faisons quelque chose de nouveau. » Nous faisions donc ce dont la chanson avait besoin : si elle avait besoin de chant clair ou d’être plus bluesy vocalement dans le refrain, je le faisais. Je pense qu’ainsi, nous nous sommes libérés – ce que beaucoup de groupes qui ont plus dix ou vingt ans ne s’autorisent pas à faire, et quand ils sortent un nouveau single, ça sonne comme quelque chose qu’ils auraient pu faire il y a dix ans. Nous ne voulions pas être ce genre de groupe et ça nous a libérés pour faire tout ce que nous voulions. Nous nous éloignons de plus en plus de ce que les autres groupes font actuellement. Je suppose que c’est la raison pour laquelle nos fans ont commencé à nous référencer avec le hashtag #DarkGroove : ils avaient l’habitude de nous qualifier de groove metal, mais ensuite une tonne d’autres groupes ont commencé à utiliser ce hashtag, et donc maintenant, nos fans utilisent #DarkGroove, ce qui est très adéquat, parce que mon premier amour c’est la musique gothique. Quelqu’un m’a demandé en interview la semaine dernière : « Quel est ton groupe de metal préféré ? Metallica, Black Sabbath ? » J’ai répondu : « Bauhaus. » Je lui ai plus ou moins fait une blague, mais mes groupes préférés sont des groupes gothiques et j’ai découvert le metal seulement parce que c’était explosif, et j’aime uniquement le metal qui est extrême et explosif, pour être honnête avec toi.
Ton fils Simon apparaît sur la chanson « You Give Me A Reason to Drink ». Ce n’est pas la première fois, puisqu’il était déjà apparu il y a treize ans, quand il n’avait que neuf ans, sur « Tirades Of Truth » tiré de The Last Kind Words. A quel point est-ce symbolique qu’il chante à nouveau sur cette chanson ?
C’est assez incroyable ! Ce gamin a une super voix et il a un amour pour le metal. Il travaille en ce moment sur son premier EP, un EP de six chansons que nous allons sortir en 2021 ou 2020, on verra. Et puis, bien sûr, nous avons The Oracle Management, avec ma femme qui en est le PDG, nous gérons plein de gros groupes, comme Cradle Of Filth, Jinjer, The 69 Eyes… Mon second fils Kaleb travaille en tant que manageur à Oracle, il travaille avec nous, et il manage son frère. C’était donc très intéressant de l’avoir sur une chanson. Ses graves sont plus graves que les miens, ses aigus sont plus aigus que les miens et sa voix claire est incroyable ! Je pense que je vais lui passer le flambeau ; il est monté de nombreuses fois sur scène à mes côtés avec Devildriver et les gens deviennent dingues. Si jamais j’ai besoin de m’absenter pendant un mois alors que Devildriver tourne, Simon pourrait facilement y aller et me remplacer, ce qui serait impensable pour moi de dire ça pour n’importe quel autre chanteur ! Je suis incapable de citer un seul autre chanteur sur cette planète qui pourrait me remplacer et le faire bien, mais mon fils pourrait assurément le faire. C’est donc un moment de fierté, non seulement pour lui, mais pour mes deux fils. Ils vont finir par faire équipe : l’un fera le management, l’autre sera sur scène. Mais pour revenir à la chanson, c’était aussi un moment d’enseignement. « You Give Me A Reason To Drink » parle de ces jours et de ces personnes qui nous affectent, et quand on rentre à la maison, on est là : « Putain, j’ai besoin d’une bière et d’une double dose de whiskey. Cette journée était merdique. » Mais ensuite, on réalise que sa journée a été merdique et qu’en plus maintenant on est bourré. Maintenant on est bourré, on pleure, on est déprimé et on a eu une journée merdique, donc on n’a rien fait d’autre qu’aggraver le problème. Ça revient à courir vers ce démon : « Il me faut quatorze doses, là maintenant, pour me débarrassera de cette journée. » C’est un calembour, « You Give Me A Reason To Drink » dit en fait : « Tu ne me donneras pas une raison de boire. » Non seulement ça, c’était aussi un bon moment d’enseignement avec le gosse.
Justement, comment ta propre expérience avec tes démons a impacté la manière dont tu as élevé tes fils – Tyler, Simon et Kaleb ?
Je suis ami avec eux. Je n’ai jamais essayé de les frapper, je n’ai jamais levé la main sur eux, je ne leur ai jamais flanqué une fessée, je ne leur ai jamais crié dessus ou fait peur. Ils n’ont jamais eu peur de moi, jamais. Nous avons toujours été des amis proches et ce n’est pas comme ça que j’ai été élevé. J’ai été élevé avec : « Je suis l’adulte, tu vas m’écouter. Si j’ai envie de lever la main sur toi, je le fais. Si j’ai envie de te crier dessus, te faire peur, te punir et te mettre dans ta chambre, je le fais. » Je n’ai jamais rien fait de tout ça avec mes fils et maintenant j’ai des amis pour la vie. Ces gamins me soutiendront avant n’importe qui. Nous sommes une famille italienne très, très proche.
Penses-tu qu’ils auront une meilleure vie que toi grâce à ça ?
Je l’espère. Ils ont eu une super vie jusqu’à présent, durant laquelle ils ont appris. Ils ne sont pas nés avec une cuiller d’argent dans la bouche, c’est-à-dire : « Tu veux acheter une voiture ? Economise de l’argent pour la moitié du prix et je complèterai le reste. » « Si tu veux partir en voyage avec tes amis, tu dois travailler à la maison, tu dois économiser de l’argent. » Ca n’a jamais été : « Bon papa, on est riches ! Achète-moi une voiture, envoie-moi à Hawaii ! » Non. Jamais. Je viens d’un milieu d’ouvriers. J’ai travaillé sur un site de construction en tant que maçon, j’ai fait de nombreuses choses dans ma vie, j’ai été sans-abri pendant une période, j’ai été en prison pendant une période… J’ai survécu à des coups durs. J’ai eu un mode de vie de banlieusard, et pourtant c’était très étrange, du fait que j’ai eu de multiples personnes qui sont allées et venues dans ma vie… Eux n’ont jamais connu ça. Ils ont eu un lien très fort avec leur mère, un lien très fort avec leur père, ce qui va leur donner dans leur vie une meilleure aptitude pour voir les conneries dans le jeu des gens, et aussi être forts, de façon à ce que lorsqu’ils créeront leur famille, ils sauront aussi comment faire.
« Ce qui caractérise Devildriver, c’est le fait que nous ayons énormément d’influences, que nous ne soyons pas juste un groupe de thrash, pas juste un groupe de black metal, pas juste un groupe de punk : nous sommes toutes ces choses, dissimulées dans une brume gothique. »
La chanson « Witches » est l’une des plus sombres. Elle est assez intéressante avec sa partie solo assez inattendue et ses aspects presque black metal…
Je ne sais pas comment l’expliquer, mais ma femme et moi pratiquons. Ma femme pratique la sorcellerie depuis qu’elle était toute jeune avec sa mère. Elle est rousse, elle est née le même jour que sa mère, elle a pratiqué la sorcellerie toute sa vie. Ne lui demande pas de tirer les cartes de tarot à moins de vouloir connaître la vérité. Pareil pour moi. Nous pratiquons tous les deux des rituels, nous observons tous les deux la lune et les phases… Toute ma famille, en fait, pratique le « Stregheria », qui est la sorcellerie italienne. C’est quelque chose qui fait partie de mon âme. Donc quand nous parlons de sorcières et de symboles dans cette chanson, c’est de ça que nous discutons. Mais la musique en soi, pour moi, amène tous les influences que les gars ont ; c’est un cas typique où j’ai dit : « Ne vous concentrez pas sur la marque ; concentrez-vous sur vos influences. » Tous mes gars composent de la musique, tous ; même mon batteur écrit des parties de guitare. Donc dans le présent, avec « Witches », les gars font ressortir leurs influences, et le black metal est très clairement une influence pour chacun des membres de mon groupe. C’est juste que nous choisissons ou pas de mettre cette influence en avant, tout comme le blues, tout comme la country outlaw, tout le gothique ou l’industriel… Si tu demandais à Mike Spreitzer d’écrire une chanson gothique ou industrielle, il le ferait en un clin d’œil. Si tu demandais à Neil [Tiemann] d’écrire une chanson de black metal qui sonnerait country, il pourrait le faire. Je pense que ce qui caractérise Devildriver, c’est le fait que nous ayons énormément d’influences, que nous ne soyons pas juste un groupe de thrash, pas juste un groupe de black metal, pas juste un groupe de punk : nous sommes toutes ces choses, dissimulées dans une brume gothique. Je suppose que c’est là qu’intervient le #DarkGroove : je nous considère à quarante pour cent un groupe gothique, même si nous le délivrons dans un costume metal, dans un corps metal. Les influences gothiques sont clairement là, tout comme les influences black metal m’ont toujours accompagné. Depuis le début des années 90 j’adore des groupes comme Immortal, Darkthrone, etc.
Où en est le second volume ? Est-il terminé ?
Volume II et Volume I ont été faits simultanément. Volume II est mon album préféré ; je voulais que cet album sorte en premier. Mais le fait que « Keep Away From Me » et la chanson « Wishing » sont sur Volume I est la raison pour laquelle nous avons décidé de sortir d’abord le Volume I. Avec le recul, je suis content que nous l’ayons fait. « Keep Away From Me » vient de passer dix semaines à la première place des classements d’albums metal, alors que c’est juste un single ! Nous avons donc empêché des gros groupes d’arriver à la première place parce que nous sommes restés dix semaines dans les classements d’albums avec un single, ce qui est inédit. L’album a obtenu des quatre sur cinq, des neuf sur dix, des dix sur dix… Je suis donc très reconnaissant mais j’ai hâte que les gens entendent le Volume II : c’est mon album préféré des deux.
Encore une fois, l’idée était de sortir l’un, partir en tournée pendant trois ans, faire deux fois le tour du monde, continuer, mais évidemment… [Rires] Il y a un truc qui s’appelle le Covid-19 qui est arrivé, puis les troubles civils, et les émeutes… Maintenant, je suis en train de sortir un album en plein à un moment où personne ne veut sortir d’albums, et je le fait strictement pour les gens. Ce qu’il faut retenir, c’est que la musique m’a sauvé la vie quand j’étais plus jeune ; sans musique, je ne sais pas où j’aurais été. La musique me sauve la vie aujourd’hui : je me lève le matin, je mets tout de suite de la musique. Si la télévision, un écran de deux cent trente centimètres, est allumée – comme là tout de suite, elle est allumée – c’est pour écouter de la musique sur YouTube. Donc je suis à fond « musique, musique, musique » toute la journée. Je pense qu’aujourd’hui, c’est le moment de sortir de la musique pour les gens et de leur proposer quelque chose de nouveau. Non seulement ça, mais avec un peu de chance, quand on aura surmonté ça, dans dix ans, quand tout ça sera terminé, quand tout le monde s’entendra, quand il n’y aura pas de pandémie et pas d’émeute, les gens se souviendront qui a sorti de la musique en pleine pandémie, et ils seront reconnaissants qu’un label et un groupe aient essuyé des pertes financières en décidant ensemble que la meilleure décision était de sortir de la musique à ce moment-là pour les gens.
Tous les groupes qui retiennent leur album cette année et refusent de le sortir avant l’année prochaine n’ont pas pensé aux gens ! Ils ne pensent qu’au dollar, qu’à leur argent. Ils pensent à la quantité de fric qu’ils se feront. Je l’ai dit avant : je ne cours pas après l’argent, je ne cours pas après la célébrité – en réalité, je déteste ça – et je ne cours pas après la popularité. Je me fiche de savoir si on m’aime ou pas : je ferai quoi qu’il arrive mon art. C’est ça les meilleurs artistes dans la vie, n’est-ce pas ? En France, vous êtes la patrie de la démocratie et, pour moi, vous êtes la patrie de l’art. Si vos artistes en France pensaient au dollar et se disaient : « Si je peins en rouge, je me ferai plein d’argent » et ne peignaient qu’en rouge pour se faire de l’argent, vous verriez clairement dans leur jeu. C’est la même idée quand Devildriver sort son album maintenant : nous ne pensons pas à l’aspect financier ou quelle place nous atteindrons dans les classements, quelle place l’album atteindra à sa sortie, combien d’exemplaires nous allons vendre la première semaine. Je ne me concentre pas là-dessus. Tout ce que j’ai envie de dire, c’est que je propose de la musique aux gens aujourd’hui, à un moment où personne d’autre ne le fait. J’en suis très fier ; c’est probablement ma plus grande fierté dans ma carrière, pour être honnête.
« A la minute où cette pandémie nous a frappés, j’ai vu quatre-vingt-dix pour cent des groupes retenir leur musique ! […] Vous allez donc délaisser ces gens qui ont besoin de musique maintenant, au moment le plus désespéré de leur vie, parce que vous n’allez pas gagner d’argent ? C’est putain de tragique. Je n’allais pas laisser ça m’arrêter. »
As-tu une idée quand le second volume sortira ?
Non, aucune. Il pourrait sortir l’an prochain ou il pourrait sortir en 2022 ; nous n’en sommes pas certains. La raison est que certains albums sont des arbres, et certains albums sont des graines. Certains albums sortent, comme pour un arbre les feuilles tombent, c’est fini : la mort en hiver, l’arbre est en sommeil pendant un moment et il revient plus tard au printemps. D’autres albums sont des graines : on plante une graine, elle germe, la plante grandit pendant toute une année, les feuilles tombes et reviennent… Je pense que cet album est une graine. Je pense que quand nous plantons une graine pour Devildriver, il faut ensuite voir quand ce sera le bon moment pour planter la suivante. C’est-à-dire : « Est-ce que je sors ça l’année prochaine, disons, en octobre ? Ça veut dire que Volume I n’aura qu’un an. » Je suis un grand partisan de la sortie d’un album tous les ans et demi ou deux ans. Quand j’étais jeune, tous nos groupes préférés sortaient un album tous les ans. J’aimerais faire ça mais c’est presque impossible de sortir un album tous les douze mois, c’est physiquement impossible. Ça serait possible si on ne tournait pas. Donc je ne sais pas si ça sortira en 2021 ou 2022 pour l’instant. Il faudra voir quelle vie aura cet album. Disons que la saison des festivals à lieu l’an prochain, avec le retour de tous les festivals, cet album aura donc une toute nouvelle vie parce que le groupe partira sur les routes et les gens écouteront cet album, d’autant plus au moment où on sortira de la pandémie. Il aura donc peut-être une nouvelle vie et nous voudrons attendre encore quelques mois, six ou sept, avant de sortir le Volume II. Je n’ai pas envie de submerger les gens ; ils ont l’habitude d’avoir seulement un album tous les trois ou quatre ans. Personnellement, j’aimerais qu’ils s’habituent à avoir un album tous les deux ans. Si tu as prévu de faire une fois le tour du monde, une seule fois, sur un cycle d’albums, la seule chose que tu puisses faire c’est sortir un album tous les deux ans. C’est impossible de sortir un album tous les douze ou quatorze mois si tu veux tourner pour le soutenir.
D’ailleurs, comment vis-tu personnellement cette année ? Etant agoraphobe, est-ce que la pandémie a changé quoi que ce soit pour toi, en dehors du fait que tu ne peux pas tourner ?
Ça n’a rien changé pour moi personnellement. C’est pour tout le monde autour de moi que ça a changé : les membres de mon équipe, mon conducteur de bus, ma société de location de bus, tous les super artistes que nous gérons avec Oracle Management… Le fait de voir ce qui se passe dans l’industrie, voir les salles de concert fermer, c’est ce qui a changé autour de moi. Personnellement, je me suis toujours fait livrer mes courses ; dès qu’ils ont inventé les services de livraison de courses et que ça ne coûtait pas beaucoup plus cher que d’aller en magasin, j’ai immédiatement opté pour ça, car je ne suis pas obligé d’aller au supermarché et c’est super. Mais je vois les musiciens qui essayent de subvenir aux besoins de leur famille, je vois les salles de concert qui essayent de survivre, et donc en février, ma femme et moi avons lancé Oracle Live, qui est une plateforme de streaming avec laquelle nous avons fait jouer de gros groupes : nous avons fait jouer Body Count, nous étions partenaires avec le Wacken pour le streaming, nous avons fait jouer Black Veil Brides, nous avons fait jouer plein d’énormes groupes. Nous sommes sur le point d’annoncer un tas d’autres groupes. Je sais que Devildriver est en train de songer à faire un stream dès que nous pourrons nous retrouver en Californie, car c’est encore dangereux ici pour l’instant.
Mais ce que j’ai trouvé intéressant, ce n’était pas seulement de mettre de l’argent dans la poche des artistes qui souffrent beaucoup actuellement et qui veulent subvenir aux besoins de leur famille, car qu’en est-il de l’ingénieur lumière ? Qu’en est-il de l’ingénieur du son ? Qu’en est-il de la salle ? J’ai donc signé des contrats avec des salles partout aux Etats-Unis, comme à Los Angeles, j’ai signé un contrat avec le Whiskey A Go Go et donc maintenant, seul Oracle Live peut utiliser cette salle pour nos groupes et notre plateforme, et j’ai besoin de cinquante autres accords partout aux Etats-Unis pour essayer de faire du live stream, et essayer d’apporter des revenus à ces groupes, à ces équipes, aux agents de sécurité, à tous ceux qui n’ont plus de travail en ce moment. C’est une chose de se servir soi-même, mais c’est complètement autre chose quand on aide d’autres gens. Je suis un franc-maçon, j’ai donc automatiquement le cœur sur la main. Je me dis automatiquement : « Ne pensons pas qu’à soi, pensons aux autres. » C’est pourquoi nous avons lancé Oracle Live en février : pour mettre en place cette plateforme de streaming live et mettre de l’argent dans la poche des gens, et essayer d’aider ces gens, tous ces artistes.
Pour revenir à la question, oui, je suis agoraphobe, oui, je suis socialement maladroit, complètement, mais est-ce que les tournées me manquent ? Aujourd’hui, oui. Quand au milieu ou à la fin de l’année prochaine je pourrai enfin recommencer à tourner, je vais être comme un dingue en montant dans le tour bus pour partir quelque part. Ca a donc été une épée à double tranchant pour moi. Non seulement ça, mais je ne suis jamais resté aussi longtemps chez moi de toute ma carrière ; ça fait maintenant un an que je suis chez moi. Je ne suis jamais resté chez moi toute une année. Mais pendant ce temps, combien de fois ai-je dîné en famille ? Combien de dimanches avons-nous passés ensemble à manger des pâtes ? Combien de fois ai-je été au stand de tir avec mes enfants ou ailleurs ? Combien de temps ai-je passé auprès de ma femme ? Je me réveille en pleine nuit à deux heures du matin et je lui tiens la main. C’est quelque chose que je n’ai pas eu l’occasion de faire pendant vingt-cinq ans. Ca a donc été à la fois une bénédiction et une malédiction, car ça met un coup d’arrêt à tout aussi. Ca arrête les rentrées d’argent, ça empêche les amis et la famille de venir nous voir, on ne peut aller nulle part, je ne peux pas aller au restaurant, etc. J’ai tendance à voir le verre à moitié plein, je suis plutôt un mec positif, et j’espère qu’à la fin je pourrai constater que cette situation aura eu un impact positif sur nos vies. Pour l’instant, c’est l’opposé qui est en train de se passer ici aux Etats-Unis, car les gens se retournent racialement les uns contre les autres, il y a des émeutes dans la rue, des tueries tous les weekends – quarante-deux personnes sont mortes rien que la semaine dernière à Chicago… Même si j’essaye d’être positif par rapport à tout ce qui est en train de se passer, je vois les effets très négatifs du confinement, des politiques, des divisions raciales… Mais je suis chez moi, je suis ici, je protège ma famille, et je suis auprès d’eux pendant cette période ; je ne suis pas coincé à l’étranger ou ailleurs.
« Ma femme m’a demandé hier soir : ‘Avec ces interviews, tu vas bien ?’ J’ai dit : ‘Oui, je vais bien.’ ‘Ça ne te bouffe pas trop de parler de trucs aussi personnels ?’ ‘Non, ça va.’ ‘Comment vas-tu faire pour le Volume II ?’ J’ai dit : ‘Ça va être très difficile.' »
C’est une période très étrange pour les musiciens. Je pense que ce qu’il faut être en ce moment, c’est un vrai artiste : tu fais simplement ton art et tu le sors. Tu ne penses pas au nombre de T-shirts que tu vas vendre, au nombre de gens qui vont venir au concert le soir, à rien de tout ça. Tout ce que tu as en tête c’est : faire de la musique, sortir de la musique pour les gens, en espérant que cette musique, d’une manière ou d’une autre, les aidera à traverser ces temps difficiles, comme la musique le fait probablement pour la plupart d’entre nous. Je sais que tous vos auditeurs et lecteurs sont des mélomanes, et les mélomanes survivent et encaissent les moments difficiles parce qu’ils écoutent de la musique. Souvent, j’entends une chanson et je me souviens où j’étais à tel stade de ma vie, et j’ai envie que les gens se souviennent que ceci est ce qu’ils vivaient quand ils ont entendu Dealing With Demons Volume I de Devildriver : ils vivaient cette période difficile et je leur ai donné de la musique. C’est quelque chose de très altruiste de faire ça, surtout quand tu regardes les dollars et qu’il n’y en aura pas autant que d’habitude. Peu de gens prendraient cette décision. Plein de gens fixeront ce morceau de papier et le peu de chiffres qu’il y a dessus, et diront : « Oh non, je ne vais pas sortir de la musique maintenant. » J’insiste vraiment sur ce point simplement parce que c’est une problématique très sérieuse : à la minute où cette pandémie nous a frappés, j’ai vu quatre-vingt-dix pour cent des groupes retenir leur musique ! Je me suis dit que c’était très égoïste de leur part. Sans les gens qui écoutent notre musique, achètent des T-shirts, précommandent l’album, sans tout ça, on n’a pas de carrière. Vous allez donc délaisser ces gens qui ont besoin de musique maintenant, au moment le plus désespéré de leur vie, parce que vous n’allez pas gagner d’argent ? C’est putain de tragique. Je n’allais pas laisser ça m’arrêter.
Je suis très reconnaissant envers ma maison de disques parce qu’eux aussi vont essuyer des pertes financières, mais ils m’ont soutenu à cent pour cent – Napalm Records est à cent pour cent derrière les gens. C’est ce que je peux dire. Ça fait du bien de voir ça, car les affaires sont les affaires ; un business prospère grâce à l’argent et donc quand un business dit : « Je vais faire quelque chose qui ne va pas nous rapporter autant d’argent », les gens disent : « C’est stupide » mais ils ont soutenu ce que leur artiste a voulu faire et leur artiste – moi, en l’occurrence – a envie de sortir un album maintenant, donc ils m’ont soutenu. Je leur en suis très reconnaissant pour ça, je ne peux même pas te dire à quel point. Quand j’ai reçu l’e-mail qui disait que oui, ils voulaient bien sortir l’album cette année, j’ai hurlé, j’étais très content. Les gens doivent savoir que Napalm Record est metal jusqu’à l’os, mec ! Ils croient aux gens, ce qui est génial. Être au lit avec un label comme celui-là n’est que du bonheur pour moi. Je suis moi-même un homme d’affaires, je gère quatre business à un très, très haut niveau, je pourrais dire, mais je pense que quand on met de côté l’aspect financier du business et qu’on fait quelque chose purement pour l’art ou purement pour les gens, ça fait énormément de bien.
Du coup, pourquoi n’avoir pas sorti les deux volumes de musique d’un coup ?
Je pense que ça fait trop ! Ça fait beaucoup trop de musique et d’idées à digérer. Notre interview là tout de suite ferait certainement encore une heure de plus, car le Volume II rentre sur un terrain vraiment très personnel, le genre de terrain personnel dont il me sera difficile de parler en interview, mais je vais le faire, parce que j’ai le sentiment que la seule raison pour laquelle je suis ici, c’est qu’il y a un lien personnel entre certaines personnes et moi et ma musique. J’ai l’impression de devoir leur offrir l’expérience la plus personnelle qui soit actuellement avec ces albums afin de pouvoir avancer vers l’avenir sur d’autres entreprises, ou mettre un terme à tout ce que j’ai fait, là maintenant avec ces albums. Deux voies s’offrent à moi : Finir là maintenant – et finir sur une note aussi personnelle, c’est énorme – ou alors partir sur d’autres albums en ayant donné aux gens quelque chose de si personnel que ça créera un lien encore plus fort avec eux. C’est ce que j’ai envie que les gens retiennent de tout ça. Je me sens chanceux, reconnaissant, terriblement touché d’être là où je suis. Quand je pense que je ne suis qu’un enfant d’ouvrier qui n’en a pas démordu et que, quand j’ai dû quitter différents groupes, j’ai quand même continué à faire de la musique, et quand je pense à là où j’en suis aujourd’hui, je ne peux être qu’ému et terriblement reconnaissant. Pour moi, les gens méritaient d’entrer un peu plus dans ma tête, parce que j’ai été très secret. Si tu rencontres quelqu’un d’autre dans l’industrie qui est plus secret que moi, fais-le moi savoir, honnêtement ! Même là maintenant, si tu peux me dire : « Oh non, j’ai interviewé untel et untel, et ils sont tellement secrets que tu ne le croiras pas », je peux te garantir que je suis clairement la personne la plus secrète dans le metal, et peut-être même la personne la plus secrète dans l’industrie musicale, parce que je ne cours pas après la célébrité ou la popularité, et je n’ai pas envie de suivre les gosses qui sont cool et populaires. Je n’ai jamais été cool, j’ai toujours été le marginal à l’école, le gamin gothique punk rock, toujours. J’ai envie de rester comme ça musicalement.
Merci d’avoir pris le temps de nous parler et on se donne rendez-vous pour le second volume !
Aucun souci frangin. J’ai apprécié le dialogue. Avec un peu de chance les gens apprendront à un peu à mieux nous connaître, moi et Devildriver, grâce à cet album et au Volume II. Je pense que le lien se créera, d’autant plus quand les gens liront ce genre d’interview, que je n’ai jamais fait. La plupart du temps, la majorité des interviews restent très en surface : « Oh, la pochette représente ça ? Qu’est-ce que veut dire Trust No One ? » Je pense qu’avec les Volume I et II, c’est le moment pour moi d’offrir aux gens une part de moi. Je pense qu’ils apprécieront. Comme je l’ai dit, que j’arrête maintenant – ce qui est possible – ou que je continue à faire de la musique, maintenant c’est le moment de montrer aux gens précisément qui je suis. Surtout avec ces phrases comme « je me fiche de la célébrité » et « je ne cours pas après la popularité » – c’est anti-musique ! C’est ce après quoi la plupart des musiciens courent : la célébrité et la popularité. Moi, je n’en ai rien à foutre ! Je n’ai pas envie de venir à vos fêtes. Je préfère rester chez moi et regarder L’Etrange Noël De Monsieur Jack. Quand tu auras le Volume II, écoute-le, et tu entendras des trucs qui à tous les coups te donneront envie d’en discuter. Ma femme m’a demandé hier soir : « Avec ces interviews, tu vas bien ? » J’ai dit : « Oui, je vais bien. » « Ça ne te bouffe pas trop de parler de trucs aussi personnels ? » « Non, ça va. » « Comment vas-tu faire pour le Volume II ? » J’ai dit : « Ça va être très difficile. » C’est un album très lourd émotionnellement, et très gothique. Il penche vraiment vers le côté Dark Groove. Profitez du Volume I. J’espère que le monde va réussir à trouver la paix, y compris en France, et que les troubles civils s’arrêteront, que la pandémie partira, que nous nouerons des liens en tant qu’humanité, que nous ne regarderons plus notre couleur de peau, où nous vivons et d’où nous venons, et que quelque chose, un grand tournant, se produira avec l’humanité. Ce serait merveilleux. C’est ce que je souhaite ! A tous vos lecteurs : c’est ce que je souhaite pour le monde. Gardez le rock n’ roll dans votre cœur et que la musique continue de vous accompagner dans votre vie !
Interview réalisée par téléphone le 15 septembre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Foucauld Escaillet.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Stephanie Cabrali.
Site officiel de Devildriver : www.devildriver.com
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