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Devin Townsend Project : Deconstruction décortiqué


Deconstruction et Ghost sont probablement parmi les disques les plus attendus cette année pour de nombreux passionnés de metal. Il s’agit en effet de la deuxième moitié de la quadrilogie initiée par Devin Townsend en 2009 avec l’acoustique Ki et l’entrainant Addicted. Il faut dire que le maître sait attiser la curiosité lorsqu’il s’agit de décrire ses œuvres. C’est ainsi qu’il avait affirmé que Deconstruction était « par bien des égards un voyage au fond de mon trou du cul ». Nous n’avions d’ailleurs pas manqué de demander à Devin lors de notre rencontre pendant le Hellfest 2010 d’expliciter ses propos. Ce a quoi il avait conclu « j’ai un cul très intéressant ». Ce que son ex-compère Gene Hoglan remettait visiblement en cause en affirmant : « je pense que le cul de Devin (Townsend) est comme deux coudes mis côte-à-côte. Je dois avouer que je trouve le cul de Byron (Stroud) beaucoup plus intéressant que celui de Devin. » Bref à qui devons nous nous fier ?

Jugeons-en par nous même avec ce track-by-track détaillé de Deconstruction.

Praise The Lowered (6:02) :

Démarrage avec des beats et petits bruitages électro très relax. On navigue ici dans un univers trip-hop proche de ce qu’un groupe comme Archive pourrait proposer. La voix de Devin y est très douce et s’entremêle parfois sur plusieurs pistes. A partir de 2 minutes 40, il monte en intensité en poussant sa voix de tête dans les aigües – frissons garantis. Quelques secondes plus loin, dans la continuité, on entend un pattern de double grosse caisse et un riff sous accordé se dessiner au loin et s’intensifiant par le biais d’un fondu entrant. Soudain, Devin change de visage, il prend sa voix criarde, des chœurs hypnotiques apparaissent, une grosse voix death fait également son entrée en fondu. Dans cette partie on y entend Devin réclamer de l’alcool et des drogues alors que juste avant il parlait de sobriété :

« Ah, gimme that wine!
Gimmee that acid!
And I wanna lose everything that’s policing us, and then everything must begin !
And I wanna do heroin !
And I wanna do crack cocaine !
And I wanna lose everything but release… »

Alors survient une courte pause avec la double voix écorchée de Devin : « Why don’t you just smoke that fucking weed boy, drink the wine ! »

C’est alors qu’un mur s’abat sur l’auditeur : gros riff sous accordé très lourd, grosses orchestrations, la chorale, un tourbillon de voix death et écorchées qui s’entremêlent et s’enrichissent au fur et à mesure. Le tout se termine dans un fade out, laissant place à une nappe de clavier donnant un effet de latence. Ce ‘Praise The Lowered’ propose une construction en crescendo passant littéralement d’un extrême (calme et paisible) à un autre (puissant et terrifiant). Dès ce premier morceau, on se rend compte qu’avec Deconstruction se sont les montagnes russes, les contradictions et la bien-pensance piétinée qui attendent l’auditeur. Cet album n’a clairement pas été fait pour être confortable. Attendons nous donc à l’inattendu.

Stand (9:36) :

Ce titre débute dans un fade in / fade out croisé entre la nappe de fin du morceau précédent et un rythme de batterie linéaire et une guitare jouée en palm-mute et de manière légère. Le chant de Devin y est inquiétant. Divers bruitages et voix font des irruptions éclairs. Puis un bruit d’armée marchant au pas apparaît en rythme avec la batterie. Devin durcit alors légèrement sa voix et soudain susurre « ready ? », l’intensité monte alors d’un cran avec des guitares épaisses et une caisse claire donnant de lourds coups de marteau. Survient alors la grosse voix death de Mikael Akerfeldt (Opeth, Bloodbath), des chœurs graves et un assortiment de voix qui se chevauchent. Encore quelques seconde plus loin des cuivres et des cordes se dessinent. Arrive ensuite une double grosse caisse plus soutenue et de puissants chœurs, laissant ensuite la place à un solo de guitare mélodique, puis, à nouveau, cette voix death punitive. Arrivé au point culminant, tout s’arrête : il ne reste plus que Devin qui susurre avec une rythmique de guitare discrète, puis des à-coups de caisse claire / guitare sous accordée et enfin une montée menant vers un retour au gros son, chœurs, orchestrations et enfin la voix death qui revient pour finir le titre. Le tout s’arrêtant de manière sèche avec juste une résonance des cuivres et des voix.

Juula (3:46) :

C’est un cri écorché « ih-yah ! » qui introduit ce titre au rythme de batterie rapide et aux chœurs rythmés. Devin chante avec sa voix claire par-dessus des chœurs et diverses orchestrations d’intensité variable. A 1 minute 30 une voix black puissante apparait soutenue par d’énormes chœurs à la Dimmu Borgir, on reconnait sans mal Ihshan, l’ex-hurleur d’Emperor. A 2 minutes 00 c’est même une véritable partie black metal qui fait son irruption pendant dix secondes particulièrement violentes : blast beat et trémolo de guitare. Retour à la partie chantée de Devin, puis à nouveau les vocalises d’Ihsahn qui laisse ensuite place à une étrange partie en blast beat avec une mélodie de guitare joyeusement barrée et finalement la partie black metal entendu plus tôt pour clore le titre.

Planet Of The Apes (10:59) :

Une discrète dégringolade de notes au clavier et un riff gras et sous accordé démarrent ce titre de dix minutes au compteur – mais ce n’est pas le plus long. Les riffs ici sont lourds, la caisse claire donne à intervalles réguliers de puissants à-coups à l’unisson avec les guitares. Le tout s’avère légèrement déstructuré, on peut penser à Meshuggah mais avec une voix très expressive voire théâtrale de Devin, avec tout de même un grain légèrement agressif. A 2 minutes 48, après un passage mené par une voix écorchée, apparait de manière surprenante des chœurs lumineux et magnifiques en deux couches, une grave et une aiguë donnant une sensation d’envol. Un peu plus loin arrive une partie particulièrement accrocheuse qui n’aurait pas dépareillé sur Addicted voir même sur le Sex & Religion de Steve Vai. Arrive alors une boucle de synthé sur fond de chœurs. Le rythme d’enchaînement des parties depuis le début du titre y est frénétique et les ambiances changent en un clin d’œil. A 5 minutes 40 tout s’estompe pour ne laisser que la voix claire et douce de Devin avec des arpèges de clavier et de guitare vite rejoints par une batterie entrainante pour amener le tout vers une partie joyeusement entêtante… immédiatement désintégrée dès lors que la voix écorchée refait son apparition. On y reconnait d’ailleurs de manière plus évidente Tommy Rodger, le chanteur de Between The Buried And Me. Ce passage et les changements frénétiques d’ambiances du morceau ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le groupe américain. Le titre se termine sur une batterie rapide et des martèlements de caisse claire comme constante et une alternance de riffs, de leads de guitares, de chants, de chœurs, d’orchestrations et de sons de claviers que n’aurait pas renié un Jordan Rudess (Dream Theater).

Summera (6:37) :

Ce titre démarre sur les chapeaux de roue : double grosse caisse, grosses guitares, gros chœurs ténors et grosses orchestrations. Les chœurs et les orchestrations libèrent ensuite la voie pour laisser de la place au chant puissant de Devin et quelques sons de clavier étranges en fond. A 1 minute 38 le refrain chanté par une chorale fait sa première apparition. La mélodie y est particulièrement entêtante. A 2 minutes 50, sur fond de rythmique syncopée, un nouvel invité apparaît au chant : une grosse voix agressive et puissante, sans aucun doute celle de Joe Duplantier (Gojira). Après la seconde apparition du refrain, l’intensité monte encore avec une superposition de double grosse caisse, riff gras, chœurs énormes et le hurleur Joe qui vomit toute sa haine. Puis, soudain, tout s’arrête pour laisser place à une petite mélodie de boîte à musique rejointe par des accords de guitare acoustique et la voix douce de Paul Masvidal (Cynic). Ainsi se termine Summera, probablement le titre le plus accrocheur de l’album grâce à son sublime refrain.

The Mighty Masturbator (16:28) :

En voilà un titre qui fait rêver ! Tout d’abord par son nom délicieusement décalé et par sa minuterie : 16 minutes 30, il s’agit du titre le plus long de l’album. Avant d’aborder son écoute l’auditeur redoute un peu ce qu’il risque d’y trouver et vu ce qu’il a subi jusqu’alors, ce sentiment est on ne peut plus normal. Mais Devin Townsend fait les choses bien et parvient à éviter systématiquement l’indigestion. ‘The Mighty Masturbator’ démarre doucement avec une jolie mélodie de guitare en palm-mute et un chant doux et apaisant de Devin. Arrivent ensuite de gros accords massifs de guitare soutenus par une nappe de chœurs et le chant emphatique de Devin. A partir de là, le titre se développe progressivement, prenant diverses tournures, tout en maintenant un niveau d’intensité constant pendant environ 3 minutes. A 4 minutes 20, tout s’arrête pour laisser place à une rythmique décalée de guitare sèche avec un monologue de Devin qui revêt sa voix loufoque. Le titre redémarre sur un shuffle de batterie, comme Devin les affectionne tant, et une mélodie « amusante » de clavier, le tout se changeant temporairement dans un esprit légèrement « saloon » avant de revenir. Les bruitages synthétiques s’entremêlent tout comme divers voix et cris déjantés sur fond de rythmique chargée en caisse claire. A 6 minutes 58, c’est la cassure : des bruitages et rythmes électroniques expérimentaux sont introduits. Devin déclame ensuite ses paroles comme un dictateur pour être acclamé par une foule. Un beat électro plus soutenu fait ensuite son entrée accompagné de divers bruitages et d’une voix trafiquée marquant le rythme. A ce stade, le rendu n’est pas très loin de ce que peut proposer un groupe comme Pain. Mais la partie évolue progressivement, tout en gardant sa base rythmique électro. Au chant Devin Towsend donne alors la réplique à Greg Puciato (The Dillinger Escape Plan) qui confère une véritable intensité à la partie (pas étonnant que Devin ait déclaré à la fin de l’enregistrement « Mesdames et messieurs, Greg Puciato vient juste de m’ouvrir un second trou du cul »). Le tout revient à la normale vers 11 minutes 50 (le terme « normal » reste tout relatif chez Townsend). A 14 minutes 22 les grosses guitares et les rythmiques de batterie alternativement frénétiques et lourdes s’arrêtent pour dévoiler… une sorte de valse de noël chantée par des chœurs et Devin qui déclame en fond comme un crieur de cirque ! Ainsi se termine « The Mighty Masturbator » avec deux grosse nappes pompeuses et orchestrales ainsi que les chœurs.

Pandemic (3:29) :

Démarrage sur les chapeaux de roue avec une batterie en blast beat et d’énormes chœurs, des voix au phrasé rapide en fond et un Devin qui lâche et maintient un hurlement. Arrive alors un chant lyrique signé par la diva Floor Jansen qui donne la réplique au chant hurlé de Devin, toujours sur fond de blast beat et de chœurs. Ce titre, qui s’avère être le plus court de l’album (trois minutes trente), est tout en intensité et en puissance presque d’un bout à l’autre et est ponctué par un solo de guitare déjanté.

Deconstruction (9:27) :

C’est la voix d’un homme forçant sur le trône suivi d’un bruit de pet – oui, vous avez bien lu – qui introduit de la manière la plus élégante qui soit ce titre éponyme. S’ensuit un court mais improbable monologue de Devin : « You could take anything ! A benign object of any sort… You could take a cheeseburger and deconstruct it to it’s source!». Un riff / lead de guitare à l’esprit très « bucketheadien » apparaît alors sur fond de voix répétant « Cheeseburger ! Cheeseburger ! Cheeseburger… » puis une batterie soutenant le riff. Cette intro laisse place à un enchaînement de riffs déstructurés (déconstruits ?) à la fois lourds et rapides assez typiques de Devin Townsend avec l’appui de divers types de chœurs grandioses et quelques interventions de sons de clavier étranges, l’ensemble possédant un aspect vraiment fou. Après avoir atteint un paroxysme, la musique part soudainement en déconfiture à 2 minutes 40 et laisse apparaître un très court interlude chaotique avec quelques accords dissonants de guitare clean et où reviennent les bruits de pets et autres sonorité douteuses… Et la musique repart de manière frénétique mais cette fois avec des chœurs aérien de la part de Devin. Lorsque le ton durcit, appuyé par une double grosse caisse très rapide, c’est Oderus Urungus de Gwar qui fait son entrée avec son phrasé typique – on ne pouvait imaginer meilleur invité pour ce titre, lui qui partage ce même goût pour l’humour gras. Les parties s’enchaînent de manière chaotique jusqu’à un nouvel interlude à 4 minutes 33 introduit par Devin qui s’écrit « Good lord, it’s a cheeseburger ! A double ! ». La suite est composée de la fameuse tirade « All beef patties, pickles onions on a sesame seed bun! » chantée par une chorale et entrecoupée par Devin exprimant sa vénération du cheeseburger : « Oh glorious cheeseburger. We bow to thee. The secrets of the universe are between the buns”. Soudain Devin s’exclame “But I don’t eat the cheeseburgers guys, I’m a vegi-ma-tarian!” avant que la musique reparte pied au plancher, blast beats à fond, une guitare lead en sweaping qui semblerait directement provenir d’un album de Buckethead ou de Bumblefoot. Quelques secondes plus tard Devin se met à hurler « beer ! beer ! beer ! » sur un rythme délirant, puis à nouveau une partie en blast beat et ainsi de suite. Devin Townsend gratifie à nouveau l’auditeur d’un de ses magnifiques moments d’envolée vocale vers 7 minutes 15, sa voix y est bouleversante d’émotion. Cet homme n’a pas son pareil pour parvenir à engendrer des frissons après avoir pourtant asséné les pires idioties au goût des plus douteux. Le titre se termine en bonne et due forme avec sa sublime voix, des blasts et… un rot. Exquis.

Poltergeist (4:25) :

“Let’s finish this!” s’écrit Devin. En effet il est temps d’achever le téméraire avec ce ‘Poltegeist’ 100% Strapping Young Lad – à l’exception d’un court passage un peu plus « léger » vers la fin. Devin sort l’artillerie lourde pour une dernière fois : batterie à la Gene Hoglan, gros riffs qui martèlent, des chœurs écrasants, un chant furieux… Mention spéciale au passage vers 2 minutes 40 plus martial avec de gros chœurs ténor assénant des « hey! » bien virils.

Ouf ! On peut essuyer la sueur sur notre front et se féliciter d’être parvenu jusqu’au bout.

Blague à part ce Deconstruction a tout sur le papier pour être aussi digeste que cinq menus maxi best of de chez McDo avec supplément de sauces. Pourtant, systématiquement, Devin Townsend réussit l’exploit de maintenir l’auditeur attentif sans trop le perdre, juste assez pour donner envie de retourner à la découverte. L’album fourmille en effet de détails et il est littéralement impossible de prendre conscience de tout ce qu’il se passe à la première écoute – j’en suis à ma cinquième et des détails se révèlent encore à moi.

Les nombreux invités y sont remarquablement à leur place. Leurs présences semblent provenir d’une véritable nécessité artistique, à tel point que leur caractère naturel se fait largement phagocyter par celui du Canadien pour n’en garder que l’essence « utile ». Ceci donne une vraie cohérence à leurs interventions, ce qui est plutôt remarquable et rare.

Il est clair que cet album est de loin le plus riche, le plus pompeux et le plus jusqu’au-boutiste de la carrière de Devin Townsend. Jusqu’au-boutiste dans les moyens mis en œuvres, dans les contrastes, dans la violence, dans l’émotion, dans les conneries… Une espèce de diarrhée musicale sans retenue qui éclabousse l’auditeur et que Devin Towsend a pris soin de poser de la manière la plus esthétique et cohérente possible. Probablement l’album le plus riche que le monde du rock ait engendré (avec Chinese Democracy dans les parages…). Ni plus, ni moins.



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