Devin Townsend est toujours sur tous les fronts. Scène, studio, collaborations. Cette inlassable capacité à faire et produire des choses est vertigineuse. Et il en a sorti, des choses, ces derniers temps l’ami Devin : trois albums depuis 2011 (Deconstruction, Ghost, Epicloud), des lives faramineux et spectaculaires, certains déjà édités en CD et DVD, d’autres en phase de mixage… De quoi donner de méchantes courbatures à sa maison de disque InsideOut Music qui doit, tant bien que mal, suivre le rythme et le tempo impulsé par l’artiste.
Toutefois, celle-ci est également là pour, de temps à autre, mettre quelques freins aux ambitieux projets du Canadien. Comme elle l’a déjà fait avec Ghost 2, qui, de l’aveu du musicien dans nos colonnes en octobre dernier, a dû mettre ce projet en suspens afin de le sortir plus tard. Est-ce par peur de saturer le public que le label décide de ralentir la perfusion de Devin ? Lassé, le public pourrait ne pas répondre présent (du moins, pas suffisamment) et entraîner un échec du produit chez les disquaires. Et est-ce donc ce qui ralentit l’arrivée de ce futur album qu’est Casualties Of Cool, toujours prévu pour cette année ?
Et Devin Townsend, aussi présent sur le web, comme sur son son compte Twitter où il a quelques phases ultra loquaces, se questionne justement sur l’avenir de ses deux futurs projets studio que sont Casualties et Ziltoid 2. D’où cette idée qui germe dans l’esprit du musicien qui a lâché le mot, ou au moins l’idée, d’un album financé par le crowfunding (production participative). En d’autres termes, Townsend en appelle à la générosité de ses fans.
Via ce système, les dépenses financières sont assurées par les fans au lieu d’un label ; voire des propres poches des artistes eux-mêmes. Si certains tirent la tronche dans le fond, cela a au moins le mérite de libérer les musiciens de tout objectif de vente. Le budget marketing est défini par le montant payé à l’avance par des fans qui savent et affichent d’ores et déjà qu’ils veulent de cet album. Un moyen simple de cibler juste et qui évite tout calcul hypothétique sur le nombre de copies devant ou susceptibles d’être vendus. Cela réduit donc les risques encourus, donne à l’artiste un budget concret pour travailler avec et, bien évidemment, une plus grande liberté d’action – restant relative au budget. Le crowdfunding c’est en quelque sorte une forme améliorée de la pré-commande. Dans des circonstances normales, les promesses sont utilisés pour financer le processus d’enregistrement réelle d’un album. La situation est quelque peu différente pour Devin car Casualties Of Cool est déjà enregistré. Ce dernier ayant les moyens – même limités financièrement – d’enregistrer ses albums. Toutefois le marché n’est peut-être pas celui qu’il voudrait. Si Townsend prévoit un important dispositif visuel, par exemple, autour de cet opus (à l’image, pour donner un exemple récent, des Queens Of The Stone Age et de leur dernier album accompagné de nombreuses vidéos), il est indéniable qu’il faudra des fonds que le label n’est pas assuré d’apporter.
De plus, en octobre dernier, Townsend avouait : « C’est un album qui contiendra dix titres et sera un album très calme et très sombre de country, ou de folk, un peu dans le style de Johnny Cash […] Je me sens très proche de Casualties parce qu’il n’a pas ce ‘mur de son’. » Ce qui peut s’avérer un pari risqué pour le label. Tout comme Therion et son album de reprises Les Fleurs Du Mal sorti l’an passé et auto-financé, l’aspect trop singulier d’une œuvre (trop ambitieuse ou atypique dans le répertoire d’un groupe, voire dans le catalogue du label) peut entraîner son rejet. Tuée dans un œuf sur le point d’éclore. Car même habituer à un Devin Townsend se laissant aller sans vergogne à toutes ses impulsions artistiques, ici ce Casualties Of Cool s’apparente comme un album risqué.
Mais pourquoi ne pas simplement et directement passer par son propre label : Hevy Devy Records ? Ce label justement fondé à l’époque afin de sortir Ocean Machine (1997) et sur lequel ait depuis sorti de nombreux produits (EP, démos, etc.). D’autant plus que, de l’aveu du musicien, cet album s’annonce comme « une part vraiment importante de [s]on monde ». Un album qui lui tient véritablement à cœur. Aujourd’hui, l’artiste rappelle que « si ce n’est pas financé correctement, [ce projet] sera enterré. Il a besoin de fonds, de marketing et de clip etc. pour se concrétiser ». « Casualties est le projet le plus cher à mon cœur depuis Ki » rappelait-il il y a tout juste deux jours sur Twitter. Cet attachement à l’égard de cet opus implique des moyens de diffusions et de promotions plus larges (si InsideOut Music ne veut définitivement pas le réaliser) que son propre label ne peut fournir. Car bien que respecté et suivis par une solide base de fans – croissante jour après jour – Devin n’est pas un artiste aussi vendeur (ce qui implique des fonds toujours très limités).
A ce sujet, Townsend nous répondait à l’époque quant à savoir si Epicloud connaîtrait – par ses attraits pop – un succès commercial : « Non, il ne connaîtra pas de succès commercial, bien sûr que non. Je suis un mec chauve de 40 ans, ayant la réputation d’être fou : ce n’est pas très vendeur pour les jeunes ! (Rires) La raison pour laquelle j’ai fait Epicloud est que je voulais faire ce type de disque. Jusqu’à présent, le disque s’est autant vendu que les précédents. En ce qui concerne les fans qui le détesteraient parce qu’il leur manque le reste, mec, j’ai vingt-cinq albums. C’est un seul album sur vingt cinq. Le prochain album que je suis en train de faire est comme une sorte d’album de country. Donc, si les gens n’aiment pas celui-ci, ils détesteront radicalement ce prochain ! Et ensuite, je compte faire un nouveau Ziltoid qui contiendra de la musique complètement barrée. La meilleure citation que j’ai entendue, il n’y a pas longtemps, est celle-ci : ‘Ce que les autres pensent de toi ne te regarde pas’. »
Il reste certes dommage que le label de l’artiste montre quelques réticences à sortir (encore) un album de Townsend. D’autant plus quand celui-ci est annoncé par l’homme comme étant sa création la plus personnelle à cet instant de sa vie. Or le label doit faire des choix. Et s’il est regrettable que celui-ci se porte sur Casualties Of Cool, il est probable – au-delà du nombre considérable de nouvelles productions qu’apporte le Canadien chaque année – que Devin Townsend ait également ici demandé des moyens financiers que même le label ne pouvait (ou pourrait) assumer par manque de garantie de rentabilité, surtout sur un produit aussi singulier.
Après avoir demandé à ses fans, toujours sur Twitter, de l’aiguiller sur les choix à prendre, il semblerait que l’option du crowfunding soit actuellement la plus (voire la seule) probable. Ce qui en soi, par ce modèle indépendant, rendrait cette œuvre encore plus personnelle pour l’artiste mais également pour toute personne ayant participé à son financement. Une œuvre qui devient alors collective. Et même si Devin avoue se sentir « bizarre par ces promesses de dons parce que je pense que cela peut être considéré comme sucer votre public pour de l’argent » il rappelle que quoi qu’il arrive ses « deux projets sont autofinancés ». « Si des fonds communs sont levés pour Casualties, ce qui est cher à mon cœur, et en dehors de tous labels, que voudriez-vous avoir comme récompense (ndlr : dans le crowdfunding, il y a généralement des contreparties en forme de cadeaux de la part des artistes) ? » Nul doute que si Casualties Of Cool vient à être financé de cette manière, les fans seront très probablement récompensés comme il se doit. A commencer par une part de fierté d’avoir été pour quelque chose dans l’existence d’une œuvre qu’ils auront voulu.
Vive le crowdfunding !
tu confondrais pas avec le crowdfooding ?