Pour Dewolff, le rock des années 60 et 70 n’est pas seulement une influence musicale, c’est l’inspiration d’un état d’esprit et d’une manière de travailler authentiques.
Pour ce trio composé de frères et d’amis d’enfance, faire de la musique ne se résume pas à reproduire le plus fidèlement un son, il s’agit de vivre pleinement l’expérience de l’instant que la musique de cette époque leur inspire. C’est donc naturellement de jams, d’enregistrement live, d’analogique et évidemment de scène, ultime espace d’expression, dont il est question ici, la scène ayant été l’inspiration principale du nouveau disque Thrust.
Entretien avec le guitariste Paolo Van De Poel.
« Nous avions un son en tête, que nous ne pouvions pas obtenir ailleurs. Quand j’ai commencé à réfléchir à la raison pour laquelle nous n’y parvenions pas, j’ai découvert que cela n’avait rien à voir avec le matériel, mais plutôt avec un état d’esprit. »
Radio Metal : Tu as créé ce groupe avec ton frère Luka. Comment décrirais-tu votre relation de travail ?
Pablo Van De Poel (guitare) : Notre relation est très bonne. Nous nous bagarrons presque jamais. Et quand nous ne sommes pas d’accord sur quelque chose… Ce qui est rare, parce qu’en général nous sommes du même avis [petits rires], mais si nous avons un désaccord, nous en parlons et réglons le problème. C’est une relation de travail très saine.
Dirais-tu que vous travaillez plus vite, plus à l’instinct, justement parce que vous êtes frères ?
Je crois, oui, parce que c’est la famille. Si Luka propose quelque chose que je n’aime pas, par exemple, je lui dis simplement : « Non, ça ne me convient pas, essayons autre chose, n’importe quoi. » L’inverse est vrai aussi : si j’arrive avec un truc qui ne plait pas à Luka, il le dira. C’est le genre de choses que nous pouvons nous dire probablement parce que nous sommes en famille. Nous n’avons pas peur que l’un de nous prenne mal telle ou telle remarque et se mette à en vouloir à l’autre, parce qu’au final nous sommes frères. C’est très bien ainsi, nous pouvons prendre des décisions rapides parce que nous osons nous parler franchement et dire ce que nous pensons.
A-t-il été difficile de trouver la bonne personne pour bosser avec vous deux, compte tenu du lien très fort qui t’unit à ton frère ? Est-ce que Robin a eu du mal à trouver sa place ?
Non, pas du tout, parce qu’il faut savoir que quand Luka et moi avons commencé à faire de la musique ensemble, j’avais seize ans et lui treize, ce qui est super jeune. Nous faisions juste des jams entre nous. Et puis je connais Robin depuis que j’ai quelque chose comme dix ans, je crois. Quand il nous a rejoints, nous étions très jeunes, nous avons découvert tout cela ensemble. Bien sûr, Luka et moi sommes frères, mais nous sommes aussi devenus meilleurs amis tous les trois, parce que nous avons grandi ensemble. Donc il n’y a rien eu de forcé, Robin n’a pas eu besoin de s’adapter à nous puisque nous nous sommes connus si jeunes.
Vous êtes de jeunes musiciens qui jouez une musique inspirée des années soixante et soixante-dix. Que trouvez-vous dans le blues rock que vous ne trouvez pas dans la musique moderne ?
Le sens de l’artisanat. À l’époque, quand tu voulais enregistrer un album, il fallait te montrer créatif ; il fallait faire de bonnes chansons, mais ce n’était pas tout, parce qu’il fallait être capable de les jouer sur scène, et les jouer le mieux possible, au maximum de tes capacités. Maintenant, la moitié de ces compétences ont disparu, parce qu’il suffit d’ouvrir un ordinateur portable et Garage Band ou Fruity Loop, ou un autre logiciel du genre, pour produire une rythmique. Tu n’as pas besoin de compétences particulières pour ça. Si tu veux le faire vraiment bien, évidemment il te faut quelques connaissances spécifiques, mais ce n’est plus nécessaire de savoir jouer d’un instrument, parce que ton ordinateur peut le faire pour toi. Et si tu enregistres un album, même avec un groupe – et il y en a beaucoup ces temps-ci -, il te suffit d’en jouer quatre-vingt pour cent, et tu peux améliorer le reste avec le logiciel. Tu peux copier-coller, déplacer des notes ou les corriger leur justesse. Mais quand tu écoutes de vieux albums, quand tu entends la voix de Paul Rodgers, disons, sur un album de Free, ça me touche vraiment parce qu’on entend sa voix, sa voix à lui, sans le filtre d’un ordinateur. Si tu n’arrives pas à atteindre une note aiguë, alors il faut faire une nouvelle prise, et le résultat est authentique. Même chose pour la batterie ou la guitare sur ces enregistrements de l’époque : tout est vrai, chaque note est jouée par une personne. Pour moi, la musique est une façon pour l’être humain de s’exprimer. Alors si les ordinateurs prennent le relais, pourquoi faire de la musique ?
Est-ce donc la raison pour laquelle vous avez décidé de monter votre propre studio d’enregistrement, parce que vous vouliez obtenir ce son qui vous est propre ?
Oui, nous avions un son en tête, que nous ne pouvions pas obtenir ailleurs. Quand j’ai commencé à réfléchir à la raison pour laquelle nous n’y parvenions pas, j’ai découvert que cela n’avait rien à voir avec le matériel, mais plutôt avec un état d’esprit, et la disposition des micros, par exemple, ou encore la façon de jouer. C’est bien plus important que le matériel en lui-même. Nous avons donc investi dans un enregistreur à bande, une bonne console de mixage, des choses de ce genre. C’est nécessaire, bien sûr, mais cela ne fait pas tout. Il faut aussi connaître ton instrument sur le bout des doigts, identifier les meilleurs endroits où se placer dans la pièce, et où disposer les micros. Il nous a fallu apprendre tout ça, ce qui nous a pris – ce qui m’a pris, à moi, des années.
Comment définirais-tu le son de l’Electrosaurus Southern Sound Studio, son atmosphère, le lieu lui-même ?
L’ambiance est très décontractée. Quand tu y entres, tu as juste l’impression de pénétrer dans une sorte de faille temporelle où tout te met à l’aise. On y trouve de nombreux tapis au sol, des animaux empaillés, et beaucoup de matériel vintage et super cool. Voilà pour l’aspect visuel. Le son, lui, est très brut. J’adore la distorsion, qui représente une bonne partie du son Electrosaurus. Avec deux pré-amplis, et tout le reste, qui produit de la distorsion.
« Pour chaque nouvelle idée, nous nous efforcions de trouver une ligne de chant. […] Si par exemple nous avions un riff sympa, sans trouver une bonne ligne de chant, alors nous nous disions ‘tant pis, trouvons autre chose’, parce que pour nous la mélodie vocale est essentielle. »
Vous enregistrez sur bandes analogiques. Estimes-tu que quand on joue ce genre de musique, il faut enregistrer de cette manière ?
Chacun fait à sa sauce, en fait. Parfois j’entends un super album, comme Sound And Color d’Alabama Shakes, qui a été enregistré en digital. Chaque groupe fait comme il lui convient le mieux. Ce qu’il y a de bien avec l’analogique, c’est qu’on capte le son d’un enregistreur à bandes. Tu enregistres un truc et tu obtiens tout de suite cette dimension particulière, sans effort supplémentaire. Pas besoin d’y penser, ou de faire quoi que ce soit, elle est juste là, et elle t’inspire. Moi, au moins, ça m’inspire. Je n’arrive pas à enregistrer avec des ordinateurs. Je trouve que ça manque d’authenticité, j’ai l’impression que ce n’est jamais fini, parce qu’il y a toujours de nouvelles options, de nouvelles choses à tenter ici ou là. Je trouve ça inefficace. Avec des bandes, il est très clair que quand tu enregistres la batterie, tu poses trois micros autour, la bande capte le son, et voilà, tu as ta partie de batterie. [Faisant mine de s’adresser aux autres musiciens] : « Tu aimes le son de batterie ? OK, cool, alors c’est comme ça que ça doit sonner. » Si le son n’est pas satisfaisant, alors il faut retravailler, pour faire en sorte que ça fonctionne mieux quand tu refais une prise. Il faut trouver la bonne interprétation, en s’appuyant sur d’autres êtres humains, et peut-être qu’il y aura une petite erreur dans la prise, mais c’est ce qui lui donnera son caractère.
Produis-tu d’autres groupes, ou bien l’Electrosaurus Southern Sound Studio a-t-il été conçu spécialement pour vous, pour ce projet uniquement ?
Non, j’enregistre beaucoup d’autres groupes là-bas. C’est d’ailleurs comme ça que j’apprends, parce que quand nous avons conçu ce studio il y a cinq, six ans peut-être, je ne connaissais rien à la technique d’enregistrement. Je commençais à peine à enregistrer mon propre projet, ou d’autres groupes, et j’étais nul ! Au début, je ne savais pas faire. À cette époque, nous n’étions pas prêts à enregistrer nous-mêmes un album de DeWolff ; je n’y étais pas prêt, en tant qu’ingénieur. J’ai donc commencé à enregistrer plein d’autres groupes, et je me suis amélioré, si bien que nous avons fini par nous dire que mes compétences d’ingénieur du son étaient désormais assez bonnes pour enregistrer notre propre album, dans notre studio. C’est ce que nous avons fait avec le précédent. Entre cet album et le nouveau, j’ai dû enregistrer, je ne sais pas exactement, peut-être une vingtaine de groupes là-bas, pour gagner en expérience, et j’ai vraiment l’impression que ce nouvel album sonne bien mieux que le précédent.
On peut entendre l’influence de Guns N’ Roses dans votre musique, surtout dans le chant…
Guns N’ Roses ? Ça alors !
Est-ce qu’Axl Rose est-il une influence pour toi ?
Non, ce n’est absolument pas une influence pour moi ! C’est marrant, parce qu’avant, je détestais Guns N’ Roses, mais avec ce nouvel album, ce qui a changé dans nos esprits est que nous avons commencé à mieux écouter les chansons. Par exemple, j’ai entendu « Welcome To The Jungle » quelque part, je l’ai écoutée, et je me suis dit, « Mouais, je déteste Guns N’ Roses ! » Et puis juste après : « Mais en fait c’est plutôt cool ! » Voilà, et je n’avais plus de préjugé, et j’ai commencé à écouter la chanson, sans penser au concept derrière le groupe, ou à quelque chose comme ça. J’ai fini par me dire que c’était vraiment bon. Donc l’inspiration nous est venue de façon inhabituelle, parfois. Sinon, une de mes plus grandes influences vocales est Leon Russell. C’était une superstar au début des années soixante-dix, et puis il a fini par tomber un peu dans l’oubli. Mais il a fait plein de trucs géniaux, et quand j’ai entendu sa voix pour la première fois, je me suis dit : « Waouh, on dirait ma voix, mais en mieux ! Je veux chanter comme ça ! » Et puis je me suis mis à beaucoup écouter ses albums, pour essayer de comprendre comment il chantait.
La plupart des morceaux des précédents albums ont été composés lors de jams. De quelle façon cette formule a-t-elle évolué sur cet opus ?
Nous avons encore fait ça. Beaucoup de morceaux sont nés d’impros. Mais à la différence d’avant, nous avons commencé à chanter tout de suite. Donc pour chaque nouvelle idée, nous nous efforcions de trouver une ligne de chant. C’est donc devenu un élément central des morceaux. Si par exemple nous avions un riff sympa, sans trouver une bonne ligne de chant, alors nous nous disions « tant pis, trouvons autre chose », parce que pour nous la mélodie vocale est essentielle.
Le titre de l’album, Thrust, est on ne peut plus simple. Quel sens lui attribues-tu ?
Quand nous avons commencé à l’enregistrer, nous nous sommes dit « bon, ce sera notre sixième album, alors qu’est-ce qu’on peut bien faire de nouveau avec cet album ? » Et puis nous nous sommes dit que nous voulions capter l’énergie que nous avons sur scène. C’est de cette manière que nous avons abordé certains morceaux, et nous avons vraiment l’impression que certains sont très bruts, très forts, qu’ils ne font pas de quartier. Voilà ce que nous avions à l’esprit quand ce titre, Thrust, nous est venu : il évoque quelque chose qui traverse l’espace avec un bruit explosif. C’est comme ça que nous voyions cet album.
Changeons de sujet : il y a quelques années, vous avez joué au Paradiso, à Amsterdam, avec un big band, un bassiste et deux choristes. C’est assez rare pour un trio, parce que d’habitude ce genre de groupe veut continuer à jouer à trois, sans ajouter de couches sonores pour ne pas perdre l’essence de ce format de groupe. Qu’avez-vous ressenti lors de cette expérience ?
Il faut dire que nos précédents albums comportaient de nombreuses couches sonores. Nous étions en studio, à essayer des choses, à insérer plein de parties différentes aux morceaux, et ensuite nous nous sommes demandés comment nous pourrions jouer tout ça en live. Nous avons ressenti le besoin de recruter un bassiste pour certains concerts, ainsi qu’un choriste. Ce nouvel album, nous l’avons composé juste tous les trois, dans la même pièce, en jouant les morceaux et en chantant les mélodies, et nous savions que pour tel ou tel morceau nous n’avions pas besoin d’ajouter de basse ou quoi que ce soit d’autre. Tout était très dépouillé comparé à l’album d’avant. C’était un sentiment génial, parce que maintenant quand nous jouons ces morceaux, ils fonctionnent parfaitement avec juste nous trois sur scène. Donc ce n’est pas la peine de faire venir qui que ce soit d’autre pour les jouer. C’était très sympa à faire, mais au fond, DeWolff reste un trio.
Interview réalisée par téléphone le 20 mars 2018 par Philippe Sliwa.
Transcription & traduction : Julien Morels.
Site officiel de DeWolff : www.dewolff.nu.
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