Pour certains, faire de sa passion un travail représente une peur de voir ce qui nous fait rêver se normaliser. En l’occurrence, le métier de musicien de session est souvent perçu comme un métier sans passion et purement alimentaire. Quant au métier d’enseignant, il est souvent vu comme une roue de secours pour musiciens qui n’ont pas réussi à percer. Dirk Verbeuren est tout ça : batteur de Soilwork, musicien de session, enseignant.
Et pourtant, difficile d’ôter le sourire de son visage lorsqu’on discute avec lui de sa carrière et de chacune des facettes de son activité. Et il a su rester humble. Il parle avec une émotion palpable de son premier poste d’enseignant au MAI de Nancy ou de Scarve, son premier projet d’envergure (et qu’il souhaiterait voir revenir au moins sur disque), et se rappelle très bien du fougueux débutant qu’il a été ainsi que des difficultés et doutes auxquels il a dû faire face et avoir la force de surmonter pour en arriver là où il en est aujourd’hui. Cette humilité et cette passion se traduisent aussi par une constante remise en question, de l’écoute attentive d’autres musiciens et par un travail quotidien en vue de s’entretenir et de progresser.
Dirk revient très largement avec nous, anecdotes à l’appui, sur son approche de la batterie, de l’enseignement et de son travail de musicien de session, mais aussi sur son expérience dans Soilwork, nous donnant au passage des nouvelles du dixième album du groupe dont l’enregistrement arrive à son terme, ou auprès du génial et déconneur Devin Townsend.
« Si tu veux y arriver il faut vraiment que ça devienne une mission dans ta vie. Moi je m’entraîne toujours alors que ça fait vingt-cinq ans que je joue, dont quinze professionnellement. »
Radio Metal : Tu as été prof au MAI de Nancy il y a quelques années. Aujourd’hui tu donnes à nouveau des cours de batterie via internet. Est-ce que donner des cours était quelque chose qui te manquait ?
Dirk Verbeuren (batterie) : Oui, certainement parce qu’il y a toujours un échange avec l’élève qui est très bénéfique pour moi. Et puis je sais à quel point les cours ont été importants pour moi en tant que batteur. Je me rappelle comment c’était avant de prendre des cours et après ; c’était un énorme changement. Donc pour moi, c’est quand même important de pouvoir partager ça et donner des chances à d’autres batteurs et d’autres musiciens d’avoir peut-être une carrière. Je sais que pour moi, aller au CMCN à l’époque qui s’appelle MAI maintenant, ça a été un facteur super important, j’ai appris tellement de choses et rencontré tellement de gens qui on joué des rôles clefs par la suite dans ma vie que, pour moi, enseigner fait un peu partie de qui je suis.
Tu fais tes cours de batterie via Skype. Ça ne te manque pas du coup le contact avec un élève dans une salle ?
Oui bien sûr. Quand je peux je fais toujours ça. J’ai parfois des élèves ici. Quand ils sont proches de chez moi, je donne toujours des cours en personne et je fais pareil aussi lorsque je suis en tournée. Par exemple lorsqu’on enchaîne des dates avec Soilwork, en général je fais un appel sur internet pour ceux qui sont dans une certaine ville et qui veulent prendre des cours avec moi. En général, l’après-midi, avant le concert, je suis disponible pour faire ça. Donc je donne toujours des cours en personne lorsque je peux mais c’est vrai que maintenant je suis tellement occupé, entre Soilwork et puis mes enregistrements de session qu’être vraiment prof comme je l’étais à l’époque, c’est difficile. Et puis je suis un peu loin du MAI, maintenant [rires].
Quel est ton approche de l’enseignement de la batterie ? Quel est le message que tu essaies le plus de transmettre à travers tes cours ?
Ecoute, j’ai les trois « P » : Patience, Persévérance et « Practice » en anglais, donc en gros l’entraînement. C’est comme ça que je vois les choses avec mes élèves. Bien sûr, après, tout dépend de chaque personne et chaque élève cherche un peu des choses différentes mais souvent ces trois principes reviennent. Beaucoup de personnes qui me posent des questions me demandent à propos de la vitesse, de l’endurance, etc. La plus grande leçon que j’ai à donner à ce niveau là, c’est que ça prend du temps. Tu ne peux pas t’asseoir et jouer comme George Kollias (ndlr : le batteur de Nile) en deux mois, ce n’est pas possible. Ça prend des années et des années d’entraînement, il faut perfectionner sa technique, et donc j’essaie vraiment de donner les petites astuces et petits trucs tout en expliquant que malgré tout ça prendra du temps, que ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Si tu veux y arriver il faut vraiment que ça devienne une mission dans ta vie. Moi je m’entraîne toujours alors que ça fait vingt-cinq ans que je joue, dont quinze professionnellement, donc tu vois… [Rires]
Il y a un enjeu récurrent dans les cours de batterie : c’est souvent difficile de convaincre des élèves de travailler lentement parce qu’ils ont envie de jouer vite rapidement. Est-ce quelque chose que tu vis toi avec tes élèves ?
Oui absolument. Et je me rappelle, quand je commençais, je voulais uniquement jouer vite, c’est le seul truc qui m’intéressait, de faire du Napalm Death, du Slayer, [rires] des trucs que j’écoutais à l’époque et je n’avais pas la technique pour. Donc je me mets à leur place et je me dis que je comprends, qu’ils veulent jouer vite et que c’est normal. Mais c’est vrai que je rencontre ça et c’est aussi vrai que c’est super important, même si tu prends un peu de temps pour jouer vite, de prendre à chaque fois le temps de bosser des trucs qui sont essentiels parce qu’en jouant vite et mal, tu vas te blesser. Je connais plus d’un batteur qui a dû arrêter ou faire de longues pauses à cause de blessures parce qu’il ne s’entraînait pas proprement. Donc c’est vraiment important de se rendre compte qu’il faut avoir une bonne technique, non seulement pour que ça sonne bien mais aussi pour ne pas se blesser.
Dans ton propre travail de l’instrument, tu travailles lentement encore ?
Absolument. Pour moi c’est super important. Avec le travail de session que je fais, je bosse avec une multitude de groupes et artistes et je rencontre tous types de morceaux donc je dois être capable de jouer des choses lentes comme rapides. Par exemple, j’ai enregistré il y a quelques semaines les batteries pour un projet de fusion, pas du tout metal. Je dirais que ça se rapproche peut-être un peu de Cynic par moment, mais plutôt le Cynic de maintenant, pas l’album où ils étaient encore un peu influencés par le metal extrême. Du coup, c’est vraiment un tout autre univers. Moi, j’adore tout ce qui groove, de toute façon, donc je bosse toujours le fait d’avoir vraiment assez de place dans le rythme, que ce soit « in the pocket » comme on dit, que ce soit vraiment au bon endroit dans la musique et que ça sonne comme il se doit. Moi j’adore ça, c’est magique. Et j’applique même ça quand je fais des blasts, etc. Le placement, ça fait tout donc si tu veux que ça pousse ou si veux plutôt que ça retienne, c’est vraiment la clef.
Et les gens ne se rendent peut-être pas compte que c’est presque plus difficile de jouer très lentement que très vite, vu que l’écart entre les notes est plus important…
Ouais, voilà. C’est beaucoup plus facile de faire de l’esbroufe quand tu joues à 300 à l’heure [rires]. C’est tout à fait vrai.
« Ça faisait presque vingt ans que j’avais ce rêve et je me disais : ‘Ca ne va pas pouvoir le faire parce qu’il n’y a pas d’argent là-dedans, c’est trop difficile.’ Donc oui, je me rappelle de ces jours là et je me dis qu’il faut persister. […] Le fait de continuer et ne pas abandonner, ça paye. »
Le batteur de Porcupine Tree Gavin Harrison nous disait que donner des masters class était très éducatif pour lui, qu’expliquer les choses permettait de mieux les comprendre lui-même. Ressens-tu cela ? Quel est l’impact de tes cours sur ton propre jeu en tant que musicien ?
Absolument, je suis tout à fait d’accord avec ce que disais Gavin là-dessus. Par exemple, pour les cours que je donne maintenant sur mon site – j’ai donc les cours sur Skype mais je fais aussi les Dirk Blasts qui sont des vidéos que je fais sur mon site où on peut s’inscrire pour, plus ou moins, une année scolaire et ça donne accès à 24 vidéos avec les partitions, etc. donc ça couvre un peu tout ce que je sais, ce que j’ai appris au fil des années -, et donc le fait de mettre tout ça en place, de faire les partitions et de réfléchir à savoir quelle est la meilleure façon d’expliquer ce que je veux expliquer en cinq minutes dans une vidéo efficace, ça me met vraiment dans une situation où je dois vraiment comprendre précisément ce que je fais. Donc, comme disait Gavin, en fait j’apprends moi-même. Et puis ensuite, il y a aussi l’interaction avec les élèves. Parce qu’une autre chose que les Dirk Blasts proposent, c’est une page Facebook privée, où il n’y a que moi et les élèves qui s’inscrivent, et on communique, pose des questions, partage des vidéos, etc. Et avec ça, j’apprends aussi parce que je vois quels sont les problèmes que les gens rencontrent et parfois je reconnais avoir le même problème, et je me demande : « Comment est-ce que je le résous ? Comment est-ce que j’approche ça ? » C’est donc vraiment un échange et, au final, l’éducateur apprend autant que les élèves. Et d’ailleurs je le dis à mes élèves, je leur dis : « Merci, parce que j’apprends grâce à vous ! » Et c’est pour ça que cet échange est super important. Je compare ça un peu à lorsqu’on regarde un autre batteur jouer. Si tu vas à un concert, tu regardes le batteur et tu vois ce qu’il fait, ce n’est même pas forcément analytique, mais juste le fait de voir son expression, ça t’influence. Tu rentres chez toi, t’es motivé, tu te dis : « Ouais putain, j’ai envie de jouer ! » Tu ne joues pas forcément comme lui ou dans le même style mais c’est toujours cet échange, ce brassage de motivation, et c’est super important. J’adore ça !
Tu as atteint un incroyable niveau de technicité et de vitesse. Comment fais-tu aujourd’hui pour maintenir ou faire progresser ton niveau ? Où trouves-tu tes défis aujourd’hui en tant que batteur ?
Eh bien, écoute, maintenant, pour moi, ça se joue beaucoup dans les détails, dans le timing comme on en parlait un peu. Je m’enregistre tout le temps maintenant, vu que j’ai mon propre studio ici. Avec la batterie électronique, je m’enregistre souvent en midi. Et donc, en midi, on voit vraiment très facilement où tombent les coups par rapport au métronome et aux placements, parce qu’évidemment j’enregistre la plupart des choses au clic. Je programme toujours des clics naturels quand je le peux, si le groupe avec lequel je bosse me le permet, donc pas forcément un clic statique mais qui évolue un petit peu au fil des parties. Quand c’est approprié pour le morceau je fais ça. Mais bref, quand je m’enregistre, je vois vraiment où sont mes défauts, je vois vraiment où je me plante à chaque fois ou quelle figure j’ai du mal à faire. Par exemple, je sais que pour les syncopes j’ai toujours du boulot parce qu’il y a toujours le deuxième coup de mes figures syncopées qui est toujours un petit peu en avant. Tu vois, c’est ce genre de choses là qu’on voit au fur et à mesure du travail, et donc il y a toujours du boulot. Maintenant, c’est vrai que ça se joue plus dans la finesse parce qu’au niveau technique j’ai un peu ce que je veux. D’un autre côté, je bosse toujours la vitesse aussi parce que les groupes de metal sont de plus en plus rapides de nos jours [rires]. Donc même pour ça il faut rester à la pointe.
Apparemment tu as utilisé deux grosses caisses pour la première fois pour l’enregistrement du nouvel album de Soilwork. Ce serait Satyr de Satyricon qui t’a donné l’idée. Mais concrètement qu’est-ce que ça apporte en termes de son et de possibilités pour toi ? Et puis la seconde question ce serait : comme la double grosse caisse est quelque chose de très courant dans le metal, pourquoi ne t’y es-tu pas mis plus tôt ?
Ben écoute, c’est très con en fait. J’ai commencé avec une simple grosse caisse et une pédale, et comme j’aimais le metal, j’avais un pote qui avait une vieille grosse caisse qui traînait et qu’il m’a donnée. Donc pendant un petit moment j’avais deux grosses caisses mais la question s’est vite posée. Tu vois, à l’époque je n’avais pas encore pris de cours, je jouais avec des potes et on voulait aller faire une répète chez tel pote, à la maison, et ensuite on voulait faire un petit concert pour les potes là-bas, etc. Donc les deux grosses caisses, ce n’était pas pratique parce qu’à l’époque c’était mon père qui me trimballait partout avec sa voiture quand je devais aller quelque part, car je n’avais pas encore le permis. Donc avoir une double pédale c’était un peu logique. Et le truc, c’est que je n’y ai jamais réfléchi après. J’avais l’habitude, je disais que, voilà, une double pédale, ça marche bien et le look je m’en foutais un peu. Je n’avais pas forcément envie d’avoir une grosse batterie avec cinquante toms et trois mille cymbales. Pour moi, le jeu était plus important que le look, donc je n’ai jamais vraiment pris en considération ce choix. Et quand Satyr m’a mentionné que je devrais y repenser parce que le fait d’accorder un peu différemment les deux grosses caisses permet vraiment d’ouvrir la dynamique, ce que j’ai fait, en fait, quand je suis rentré chez moi et pour la session d’enregistrement suivante dans mon studio, c’est que j’ai tout simplement pris – parce qu’ici je n’ai qu’un seul pad de grosse caisse – tous les coups du pied gauche et je les ai déplacés sur une autre ligne midi, assignée à une grosse caisse accordée légèrement différemment de la grosse caisse principale. Et le résultat, j’ai été bluffé, je me suis dit : « Putain, il a raison ! Ça sonne mille fois mieux que la même note jouée en continu ! » Donc, du coup, avec Soilwork comme j’en avais l’occasion, il y avait une batterie là avec deux grosses caisses, je me suis dit : « Pourquoi pas, je vais essayer en vrai aussi. » [Rires] Et ça sonnait mortel ! On a donc fait quelques essais avec des accordages différents et j’étais super content du résultat. Donc voilà, je crois que je suis officiellement converti ! On a quelques dates qui arrivent la semaine prochaine, je n’ai pas encore deux grosses caisses pour celles-là mais je pense que pour les tournées, quand elles vont arriver, je vais essayer d’avoir deux grosses caisses [petits rires].
Quelle est la partie de batterie qui t’a donné le plus de fil à retordre et que tu as ou aurais encore du mal aujourd’hui à jouer ?
Oh, la, la ! Il y en a plein ! [Rires] Disons qu’il y a quand même des trucs d’il y a dix ans qui sont plus faciles maintenant avec la technique qui s’améliore avec les années. Par exemple, je rejoue des trucs de Scarve et j’aime bien. J’en chie moins maintenant qu’à l’époque, alors que je les jouais plus souvent à l’époque qu’aujourd’hui. Mais, en même temps, tu vois, j’essaie toujours de me pousser en studio. J’essaie toujours de mettre des trucs dedans qui sont un peu un défi pour moi, physiquement et techniquement, et donc à chaque fois qu’on fait de nouvelles choses avec Soilwork, c’est dur. Tu prends un morceau comme « Spectrum Of Eternity », le morceau qui ouvre The Living Infinite à 240, bon ben, ce n’est jamais un morceau facile à jouer, à cause de la vitesse et essayer d’être carré là-dedans, physiquement c’est difficile. Et puis d’un autre côté, tu as des morceaux comme « Long Live The Misanthrope », par exemple, qui est relativement rapide aussi – d’ailleurs c’est le même tempo je crois – mais il ne blaste pas autant, mais il y a juste tellement de parties différentes dedans que le fait de jongler entre différentes parties comme ça, c’est difficile. Ou alors tu as un morceau comme « Tongue », aussi du dernier Soilwork, qui a un passage un peu fusion au milieu où j’improvise à chaque fois que je le joue. C’est une partie que j’ai laissée exprès complètement ouverte. Donc, j’ai fait un truc en studio et quand on joue en live, je ne joue jamais la même chose, il y a peut-être quelques passages qui reviennent mais en gros, je laisse le rythme ouvert pour me pousser à improviser. Donc, de ce point de vue là, c’est toujours un défi aussi parce qu’en metal on n’improvise pas forcément beaucoup. Une fois que le morceau est figé : « Voilà la structure, voilà ce qu’on joue. » Pour la plupart des groupes c’est le cas. Pour Soilwork c’est le cas. Du coup j’essaie dans mes parties d’avoir un peu un truc qui me pousse toujours à devenir un meilleur batteur.
« Pour moi, c’est vraiment la musique avant tout. La batterie et les rythmes, c’est génial mais l’interaction entre les différents instruments, rien ne peut remplacer ça. »
Tu as participé à une quantité innombrable de projets avec les années. Quel est ton état d’esprit lorsque tu participes à un projet en tant que batteur de session ? Est-ce que tu te permets de les choisir selon tes goûts ou est-ce vraiment quelque chose que tu prends comme un job alimentaire ?
C’est un peu des deux parce que c’est forcément alimentaire mais en même temps, si je reçois une musique qui ne me parle pas du tout, je ne le fais pas parce que je ne vois pas l’intérêt pour moi en tant que musicien de participer à un projet où le cœur n’y est pas. Ça ne rendrait pas service aux gens qui créent la musique et dans ces cas-là, je leur donne le contact d’un autre batteur qui peut-être collerait mieux. Mais c’est vrai que la plupart des trucs que je reçois me plaisent beaucoup. Et d’ailleurs je suis vraiment impressionné de voir le nombre de musiciens incroyables qui se cachent un peu partout dans tous les pays du monde. J’ai bossé avec des gens au Japon, à Singapour… Je ne peux même pas me souvenir de tous les pays… Pakistan… C’est fou, quoi… Que des supers musiciens ! Donc en général, j’accepte. Pour ce qui est de mon approche, ça part surtout d’une discussion. J’écoute la musique et ensuite je discute avec les compositeurs ou avec le groupe pour savoir ce qu’ils attendent de moi. Parce que ça varie assez largement quand même. Il y a certaines personnes qui m’envoient leurs pistes des morceaux et qui me disent : « Joue ! Voilà, c’est ton truc ! » Et puis je leur envoie le résultat et ils disent : « Parfait ! Nickel ! » Donc dans ces cas-là, c’est facile parce que je fais un peu ce que je veux et ça leur plaît. Ou alors il y a d’autres sessions où c’est beaucoup plus pointilleux, il y a certains passages qui doivent être joués de certaines façons… Donc ça dépend vraiment de l’objectif du compositeur. Mais j’essaie en tant que batteur de trouver ma place dans le projet parce qu’en partant, tu ne sais jamais ce que ça va être et il faut donc être prêt à se restreindre ou prêt à suivre certaines règles si c’est ce que la personne attend. Par exemple, lorsque j’ai bossé avec Devin Townsend pour Deconstruction, il y avait certains trucs qui étaient très pointilleux où il voulait une certaine chose et il y avait d’autres trucs où c’était absolument libre, je pouvais déconner comme je voulais, donc on a eu vraiment une bonne entente à ce niveau-là. Et puis tu as d’autres trucs complètement différents, comme quand j’ai enregistré avec Fredrik [Thordendal] de Meshuggah en 2010 pour son prochain album solo qui sera fini un jour j’espère [rires]. Là c’était complètement différent parce qu’il voulait que j’improvise sur un tempo et sur un sujet, donc par exemple on disait : « 160bpm et triolets à la grosse caisse » C’était le sujet et il voulait que j’improvise pendant un certain temps pour trouver des parties intéressantes comme ça. C’était une approche complètement unique, je n’avais jamais fait ça avant. Et on a fait ça pendant une semaine avec plein d’idées différentes, et il n’y avait pas de morceau, pas de riff, et donc à chaque session c’était autre chose et une nouvelle expérience. C’est très enrichissant.
Es-tu centré sur le metal lorsque tu participes à des projets de sessions ou bien es-tu ouvert à d’autres styles ?
Je suis tout à fait ouvert à d’autres styles. Là récemment je viens d’enregistrer quelques morceaux pour un album de fusion qui aura plein d’excellents batteurs. Donc ça dépend mais en général les gens me connaissent surtout pour le metal, du coup c’est souvent du metal que je reçois. Cela dit j’ai par exemple aussi fait un peu de pop. Pourquoi pas, si la musique me plaît. Je suis très ouvert. J’ai grandi en écoutant la radio, j’écoute aussi beaucoup de musique électronique, de jazz-fusion, etc. C’est vrai que le metal, c’est une passion pour moi mais la musique en général l’est aussi. Donc si c’est un truc qui me plaît et que je me sens capable de faire, pourquoi pas.
Est-ce que ces collaborations te permettent de découvrir des choses auxquelles tu n’aurais pas forcément pensé par toi-même ?
Ouais, tout à fait parce qu’on me plongeant dans un morceau, je laisse toujours la magie du moment faire son effet. C’est-à-dire que je ne réfléchis pas trop la plupart du temps à ce que je vais faire pour les « fills » par exemple ou même pour les morceaux carrément ouverts. La manière dont j’approche ça, c’est : je joue et j’essaie de me fondre dedans. Par exemple, pour le projet de fusion dont je te parlais, le mec avait programmé des parties mais il m’a dit : « Voilà, prends juste ça comme une idée. Maintenant, si tu veux complètement tout changer, vas-y. » Donc j’ai écouté deux ou trois fois les morceaux, ensuite j’ai commencé à bosser à ma façon. Il y a donc certains trucs qui sont complètement différents de ce qu’ils avaient programmé. Et je trouve ça au fur et à mesure, donc j’écoute la musique, je me fonds dedans et je vois un peu ce qu’il y a. Des fois ça prend quelques heures pour vraiment se fondre dans le truc et trouver le groove. Mais ouais, tu trouves des idées comme ça auxquelles tu n’aurais jamais pensé s’il n’y avait pas la musique à la base. Pour moi, c’est vraiment la musique avant tout. La batterie et les rythmes, c’est génial mais l’interaction entre les différents instruments, rien ne peut remplacer ça.
Quand on dit « musicien de session », beaucoup de gens ont tendance à associer ça a « travail sans passion » et « pour le cacheton ». Qu’as-tu à leur répondre ?
Bah écoute, je ne sais pas, j’essaie de réfléchir à comment moi je voyais ça parce que, c’est vrai, je ne pensais pas être batteur de session, si tu veux, et c’est vraiment incroyable que j’en sois arrivé au point où maintenant j’ai presque trop de demandes pour pouvoir toutes les honorer. Donc, c’est vrai que quand tu penses « musiciens de session », tu penses peut-être pop et musique un peu formatée où tu as un producteur qui arrive et te dit : « Joue ‘poum-tchak’ et si tu fais un ‘fill’, il faut que ça reste super simple. » Là, bon, d’accord, c’est vrai qu’en tant que batteur, à moins que ce soit ta passion de jouer ce genre de choses, ce qui est certainement le cas d’un certain nombre de batteurs qui jouent dans ce style, pour moi ça serait frustrant parce que si je ne faisais que ça, je m’emmerderais au bout d’un moment ! Ça ne me dérangerait pas de faire un truc comme ça, si tu veux, mais c’est vrai que vu mon jeu et ce que j’aime jouer, ça serait un peu emmerdant. Maintenant, ce que je fais en tant que batteur de session, c’est vraiment dans mon style. Je dirais même au contraire que ça me pousse dans mes limites parce qu’il y a des groupes qui m’envoient des trucs de malade ! Il y a Deconstruction, qui est un exemple que les gens connaissent certainement, mais il y a aussi d’autres groupes, moins connus et que la plupart des gens n’ont peut-être jamais entendus, qui m’envoient de ces trucs où je me dis : « Là, il faut que je bosse ma technique pour y arriver ! » Récemment, j’ai enregistré des parties pour un groupe de black metal islandais et c’était un morceau à 240bpm avec de la double de partout. J’arrive un peu à jouer 240bpm à la double mais pour tout un morceau c’est quand même dur [rires]. Donc il a vraiment fallu que je prenne mon temps, que je bosse pendant quelques mois la technique, histoire de pouvoir enregistrer le morceau proprement. Donc, tu vois, je dirais que pour moi c’est tout le contraire, c’est une passion et ça m’aide à devenir un meilleur batteur d’être un batteur de session.
« Avec Scarve on ne se faisait pas d’argent, on payait plus qu’on ne gagnait [rires]. Ça a vraiment changé pour moi, donc je voudrais un peu redonner de ça aux autres. »
On dirait que Soilwork est un groupe épanouissant pour un batteur comme toi car il t’offre un vrai support pour exprimer ta technique mais aussi la variété de ton jeu. Es-tu d’accord avec ça ? Qu’est-ce que t’apporte Soilwork en tant que batteur ?
Oui, je suis tout à fait d’accord. J’ai énormément de chance parce que je sais que le fait d’avoir la liberté que j’ai, ce n’est pas le cas de tous les groupes. Dès le moment où j’ai fait la première répète avec Soilwork – et ça c’était en début 2004 – les mecs étaient super ouverts avec moi. Ils m’ont dit : « Joue ce que tu veux ! » Bon, évidemment, il y a certaines parties qui sont comme elles sont, c’est logique, il y a certaines parties de grosse caisse qui suivent les guitares, certains « fills » qui sont tellement clefs lorsque Henry Ranta avait enregistré avec eux que je les reprends bien sûr. Mais en général, et surtout depuis que je suis devenu le batteur du groupe et que je participe à la compo et tout ça, c’est vraiment super ouvert. Là, par exemple, on a été en studio, on a enregistré un paquet de morceaux et il n’y avait qu’un morceau, c’était un morceau de Björn [Strid] je crois, où Björn et David [Andersson] m’ont donné des lignes directrices : « Là joue plutôt ci, là joue plutôt ça. » Un morceau ! [Petits rires] Tous les autres morceaux, j’ai fait ce que je voulais, ce que j’avais envie de faire. Donc, c’est vrai, que le fait d’avoir cette liberté là, c’est très épanouissant pour moi et ça fait aussi que je suis vraiment investi dans la musique parce que pouvoir s’exprimer comme ça, c’est génial !
Cette liberté là, tu l’as eu dès le début ?
Plus ou moins, ouais.
Parce qu’on a souvent lu des déclarations de Bjorn « Speed » Strid disant qu’ils t’avaient vraiment permis de te lâcher sur The Panic Broadcast et The Living Infinite, alors que sur celui d’avant, Sworn To A Great Divide, tu étais un peu plus freiné…
Sworn, c’est un peu un cas particulier parce qu’à cette époque-là, on avait un groupe qui n’était pas très uni, si tu veux. On avait un membre dans le groupe qui n’est plus dans le groupe aujourd’hui, Ola Frenning, qui voulait un peu tirer le groupe dans sa direction. Si tu veux, à l’époque, moi et lui on n’était pas trop d’accord sur cette direction et je pense que le reste du groupe était aussi un peu à cheval sur ce qu’on devait faire. Et donc il y a eu des trucs qui se sont faits en studio, genre des simplifications de parties de batterie ou des parties de doubles qu’ils ont enlevées ou dont ils ont baissé la vitesse de moitié parce qu’ils voulaient que ce soit plus un groove qu’un truc rapide, et des choses comme ça. Donc, c’est vrai que dans ce sens-là, et même avec les compos qu’Ola avait faites à l’époque, j’étais un peu plus restreint par rapport aux albums suivants. Je dirais que c’est un album où ça s’en ressent, si tu veux. Ce n’est pas notre meilleur album, à mon avis. On n’était pas à l’époque le groupe qu’on est maintenant et d’ailleurs, c’est pour ça qu’Ola n’est plus dans le groupe, parce qu’on ne s’entendait plus au final. Nous, on voulait plus faire un truc metal comme on fait maintenant et lui voulait que ce soit un truc plus orienté radio, plus facile à écouter. C’est ce qu’il avait en tête. Nous on avait passé cette phase et on n’avait plus envie de faire ça. On s’est dit que ça ne servait à rien d’essayer de formater notre musique pour essayer d’atteindre plus de gens, il vaut mieux qu’on s’exprime et qu’on fasse ce qu’on a sur le cœur. Et d’ailleurs, il y a aussi des morceaux comme ça sur Sworn To A Great Divide, parce qu’il y a quand même des trucs super rapides, techniques, etc. mais il y a un certain nombre de morceaux où c’est vraiment un peu plus… Voilà, c’est un peu plus le style d’Ola qui n’avait plus envie de jouer des trucs comme il faisait à l’époque sur The Chainheart Machine, etc. et qui avait envie de simplifier sa musique. Ça arrive : les gens évoluent différemment [petits rires].
Tu as été rejoint en 2008 par ton collègue de Scarve Sylvain Coudret dans Soilwork. Est-ce que son arrivée a permis de solidifier ta relation avec le groupe puisque tu retrouvais là un ami de longue date ?
Ouais, bien sûr, ça a été génial pour moi le moment où ça s’est fait ! On avait essayé une fois auparavant de faire venir Sylvain mais ça ne s’était pas fait à l’époque et c’était finalement Daniel Antonsson qui nous avait rejoints, mais quand il y a eu de nouveaux chamboulements, ça a été un vrai plaisir pour moi qu’il puisse nous rejoindre parce que comme tu dis, c’est un ami de longue date. Je joue avec lui depuis 1994, donc tu vois, ça fait plus de vingt ans. C’est génial pour moi parce que non seulement on se connaît et s’entend super bien, et musicalement on joue ensemble très facilement, mais en plus je trouve que c’est un super compositeur. Il apporte vraiment un style à Soilwork qui lui est propre. Pour l’interprétation des lead sur les anciens morceaux, on voit bien sur le DVD qu’on vient de sortir qu’il suit le thème du lead si c’est un thème important mais après il rajoute aussi son propre flair, et pour moi c’est génial parce qu’encore une fois, il y a cette liberté d’expression dans le groupe et c’est un plaisir parce que je suis super fan de Sylvain. C’est un guitariste monstrueux et je le respecte énormément.
Est-ce que tu peux nous donner des nouvelles du prochain album de Soilwork ?
Là on est en plein milieu de l’enregistrement. Je pense que Björn a dû faire à peu près soixante-dix ou quatre-vingt pourcent des voix maintenant sur les morceaux. Je n’ai pas encore entendu ce qu’il a fait mais je sais que la plupart des morceaux sont enregistrés niveau basse, guitare et batterie, mis à part les leads. Je crois qu’il y a encore quelques leads qui doivent être faits. Donc on a bien avancé sur l’album, on espère le mixer fin mai et le sortir à l’automne. C’est encore dur pour moi d’avoir vraiment un avis musicalement. A chaque fois que j’en parle, je me demande si ce que je dis est juste [rires] parce que je ne sais pas exactement comment ça va sonner, je ne sais pas exactement quels morceaux vont se retrouver sur l’album et lesquels seront des bonus ou je ne sais quoi parce qu’on en a plus qu’on ne va en mettre sur l’album. Mais je dirais que dans l’ensemble, il y a une espèce de noirceur, tout simplement par le fait qu’on a vécu pas mal de tragédies familiales qui se sont produites avant le studio et pendant le studio, des gens qui ont perdu des membres proches de leur famille de façon inattendue, etc. Et aussi, on arrive à cet âge dans nos vies où ce genre de choses arrive. On doit faire face à des parents ou des grands-parents qui meurent et je pense que tout ça a un peu influencé la direction musicale. En même temps, ça reste du Soilwork. On ne va jamais vraiment faire un truc où les gens se diront : « Mais qu’est-ce qu’ils nous font là ? Ce n’est pas du tout comparable à ce qu’ils ont fait avant ! » Parce que je pense que dans ce cas là, tu fais un autre projet. Donc, c’est toujours du metal mélodique ou du death mélodique. Mais c’est vrai qu’il y a une espèce de noirceur qui se retrouve aussi dans les thèmes, les textes, la pochette, etc. Voilà ce que je peux en dire !
« Avec [Devin Townsend], tout était axé sur l’humour et plus on pouvait faire les cons sur les morceaux et faire les débiles ensemble, plus on le faisait ! »
On a vu cette vidéo où on te voit enregistrer le disque, après c’est peut-être un choix aussi d’avoir mis que ces extraits-là sur la vidéo, mais c’est vrai que globalement, d’après les parties de batterie qu’on voit, ça a l’air très énervé !
[Rires] Il y a pas mal de morceaux énervés dans ce qu’on a composé. Tu vois, Sylvain, à chaque fois qu’il compose des trucs, ces jours-ci c’est toujours des tempos élevés. Et moi-même, mon propre morceau que j’ai composé, c’est pareil, il est assez speed tout le long. Et David et Björn ont tous les deux composé des morceaux qui ont pas mal de passages qui blastent à fond. Après, ce n’est pas représentatif de tout l’album non plus. On a toujours des morceaux plus calmes et plus mélodiques qui s’entremêlent là-dedans, et je ne sais pas ce qui va se retrouver sur l’album. Mais c’est vrai qu’il y aura certainement une bonne dose d’intensité.
Les sessions de The Living Infinite avaient été extrêmement productives puisque ça avait donné un double album et un EP. Est-ce que c’était tout aussi productif cette fois-ci ?
En fait, cette fois-ci on ne voulait pas refaire un double album. On en a un peu discuté et certains membres du groupe trouvaient que ça ferait maintenant quelque chose de trop réfléchi et pas sincère. Et moi je suis tout à fait d’accord avec ça. Je pense que The Living Infinite c’était un moment particulier, une idée particulière, et on ne voulait pas refaire ça juste histoire de le refaire. Donc là, on a tout simplement composé, on a vu ce que ça a donné, il y a différentes choses qui se sont passées… Comme par exemple pour Sylvain, il y a eu différentes choses qui se sont passées dans sa vie qui ont fait qu’il n’a pas pu composer autant qu’il l’avait anticipé au départ. Sven non plus n’a pas composé de morceaux cette fois-ci, donc on s’est retrouvé au final avec assez de morceaux pour un album et quelques bonus. Donc on s’est restreints à ça et au final c’est surtout la musique en elle-même qui compte. Et je pense qu’on avait envie de refaire un album normal, vraiment solide, et on va voir ce que ça donnera. Bien que je trouve que The Living Infinite, personnellement, est vraiment un album solide bien que ce soit un double album. Je sais que certaines personnes trouvent qu’il est trop long et que c’aurait été mieux de choisir les dix meilleurs morceaux mais moi, je ne vois pas ça comme ça. Après, chacun a son avis, bien sûr. Mais pour moi c’est un peu un voyage en longueur, avec des hauts et des bas, différentes ambiances, etc. J’en suis très fier !
Scarve est en pause depuis 2009. Pourquoi ? Et est-ce qu’il est prévu que le groupe reprenne de l’activité un jour ?
Certainement. On parle depuis des années de refaire un album, c’est surtout ce qu’on voudrait faire. Maintenant, c’est difficile de trouver le temps. Chacun a continué avec sa vie, il y en a pas mal dans le groupe qui ont eu des enfants, il y en a d’autres qui ont maintenant des carrières un peu différentes… Donc, tu vois, ça a été un peu difficile de trouver le temps, surtout pour Sylvain et moi qui sommes très occupés avec Soilwork la plupart du temps. Mais on va certainement faire un album quand on pourra. Et puis la raison de l’inactivité, je ne vais pas mentir là-dessus, c’est simplement le fait qu’à un moment donné, j’ai rejoint Soilwork, ensuite j’ai rencontré ma femme qui est américaine et j’ai déménagé ici, du coup, vu que Scarve était un groupe où on répétait ensemble assez souvent pour composer, ça n’a plus pu se faire parce que j’étais très loin. J’ai proposé aux autres de continuer de composer à distance mais c’est un peu tombé à plat. Il y avait aussi qu’on était un groupe qui avait du mal à s’entendre pendant une période de temps. Bien que je les adore tous, c’est tous mes potes, mais c’était difficile. Moi je n’étais pas la personne la plus facile dans le groupe, j’étais un peu trop… Tu vois, je persistais un peu trop pour certaines choses et je pense qu’avec d’autres personnes, avec leurs caractères, ça ne marchait pas forcément. Donc je pense qu’on en était arrivé à un point où… Malheureusement le groupe n’a pas eu le succès qu’on espérait. On a vraiment tout donné pendant un certain nombre d’années et au final, bien qu’il y ait eu une bonne reconnaissance, surtout maintenant il y a beaucoup de gens qui parlent d’Irradient comme étant un album clef pour le metal français, c’est génial, je suis super fier d’entendre ça, mais c’est vrai qu’à l’époque on avait vraiment du mal. On a fait quelques tournées et de supers dates mais niveau ventes d’albums, c’était… Tu vois, pour moi c’en était arrivé à un point où je me suis rendu compte avec Soilwork que si je veux faire ma carrière en tant que batteur je devais faire un choix. C’était un peu le croisement des chemins. Ça a été super dur, j’ai mis presque deux ans à me décider de rejoindre Soilwork définitivement. J’ai commencé à jouer avec eux début 2004 et je les ai rejoints fin 2005, donc ça donne un peu une idée. C’était à cause de Scarve parce que je ne voulais pas laisser tomber ça, pour moi c’était mon bébé. On avait tellement bossé là-dessus pendant dix ans que faire ce choix était très difficile, mais au final il fallait que je le fasse. Et donc ça a été difficile pour les autres. Mais voilà, c’est la vie ! [Rires] Qu’est-ce que je peux dire ?
Tu as aussi travaillé avec Devin Townsend. Comment avez-vous commencé à collaborer ensemble et quel genre de relation entretiens-tu avec lui ?
On s’est rencontré sur une tournée en 2005 où Soilwork tournait avec Strapping Young Lad aux Etats-Unis. On s’est bien entendu et ensuite, bien des années plus tard, il est venu à un de nos concerts à Vancouver et il m’a fait écouter des démos de ce qui allait devenir Deconstruction. A l’époque il me faisait juste écouter ça comme ça parce qu’il venait nous voir et on allait manger ensemble, vu qu’on était dans sa ville et qu’on s’entend bien. Et donc j’en pensais pas plus que ça, je disais : « Ouais, putain, c’est mortel ! Le truc de fou que tu nous as fait là ! » [Petits rires] Et à ma grande surprise, quelques mois plus tard, il m’a appelé et m’a demandé : « Tiens, est-ce que ça te brancherait de jouer sur l’album ? » C’est donc comme ça que ça s’est fait. Je sais qu’il avait contacté quelques autres batteurs mais finalement son choix s’est porté sur moi. Je me suis donc retrouvé à partager les parties de batteries sur cet album avec son batteur Ryan Van Poederooyen qui est vraiment excellent aussi. Et voilà, c’est comme ça que ça s’est fait. Mais je dirais que Devin, c’est vraiment un ami pour moi maintenant. Quand il vient à Los Angeles, ce qui est assez souvent le cas, on se voit toujours, on va boire un coup, il vient chez moi et on discute. C’est marrant parce que je n’aurais jamais pensé quand j’étais plus jeune que ces gens deviendraient des personnes normales avec qui je parle du beau temps ou de mon chien [rires]. C’est génial, tu commences à les connaître à un autre niveau et ce n’est plus un musicien que tu regardes quelque part d’en bas. En fait, ces gens-là deviennent un peu partie de ton monde. On se croise tellement, c’est un monde tellement petit le metal que tout le monde se croise tout le temps. Et c’est génial parce qu’il y a quand même beaucoup de gens qui n’ont pas un ego surdimensionné. Devin est une personne vraiment très humble, il est très facile de discuter avec lui… Et donc voilà, c’est un pote quoi [petits rires].
« Je me suis dis qu’il faut que je sois comme les meilleurs, il faut que je joue comme Pete Sandoval, comme Sean Reinert, il faut que j’aie toutes ces qualités-là et au final les gens ne pourront pas m’ignorer. »
Et ça se passe aussi comme ça dans le cadre du travail ? Parce que Devin Townsend semble être un artiste très exigeant. Du coup est-ce qu’il est aussi facile à vivre dans le cadre du travail ?
Ecoute, moi je trouve que oui. C’est vrai qu’il a certaines exigences mais en même temps, il fait tout à fait confiance aux personnes avec qui il bosse. Pour moi, il m’a laissé une grande liberté. Je dirais même qu’on a déconné comme j’ai rarement déconné en studio ! Avec lui, tout était axé sur l’humour et plus on pouvait faire les cons sur les morceaux et faire les débiles ensemble, plus on le faisait ! On a même fait un morceau de rap ensemble qui est sur un de ses box-set limité et qu’on a fait comme ça en déconnant dans la bagnole quand on allait de l’hôtel au studio ou quand on allait quelque part, on enregistrait des phrases débiles et on a fait un morceau à partir de ça [rires]. Ça donne un peu une idée de l’ambiance : c’est vraiment super décontracté. Je pense qu’il me faisait confiance pour faire ce que je devais faire.
Est-ce que tu peux faire le point sur l’actualité de tes projets qui sont… très nombreux [rires] ?
Ecoute, je ne peux pas trop parler d’un certain nombre de groupes avec lesquels j’enregistre, tout simplement à cause du fait que je ne sais pas s’ils ont déjà annoncé nos collaborations. Mais j’enregistre en ce moment un certain nombre d’albums, dont certains dont vous allez sûrement entendre parler quand ils seront prêts. Il y a un groupe dont je peux parler, c’est le groupe islandais que je mentionnais avant et qui s’appelle Vetur, c’est un groupe de black metal. Je sais qu’eux ont déjà mentionné que j’enregistrais l’album avec eux. C’est vraiment de la très bonne musique. Je trouve que ce qu’ils font vient vraiment du cœur et a un côté naturel que j’associe bien à l’Islande. On retrouve vraiment ce caractère, ce qui pour moi est génial…
Je te coupe, mais c’est marrant parce qu’il y a pas mal de groupes qui sont en train d’émerger de la scène rock/metal en Islande. Il y a Sólstafir qui a permis un peu à la scène metal islandaise de se découvrir un peu… Mais ça a l’air de bien émerger là-bas…
Ouais, on a eu la chance de jouer un concert là-bas avec Scarve en 2005 – d’ailleurs la personne avec qui j’enregistre maintenant pour Vetur ouvrait à l’époque pour nous avec son autre groupe, donc c’est comme ça qu’on s’est connu – et c’était génial parce que, je me rappelle, après le concert on allait se balader à Reykjavík, le concert était en mai si je me rappelle bien, et à cette période le soleil reste dans le ciel toute la nuit, donc on sortait jusqu’à sept heures du matin et on allait dans les bars, il y avait plein de super groupes qui jouaient de partout. Je me rappelle, on était dans un bar et il y avait un genre de groupe de death metal qui jouait avec des mecs qui arrachaient. J’étais scotché ! J’étais là : « Putain mais les zikos ce sont tous des tueurs ! C’est pas possible ! » Ça jouait super carré, c’était impressionnant. C’est donc vraiment un plaisir de voir que maintenant cette scène commence un peu à avoir du renom internationalement parce qu’il y a énormément de talent, bien que ce soit un très petit pays. C’est très riche culturellement. Je suis un gros fan de Björk aussi, donc… [Rires]
Quelque chose à rajouter sur les autres projets sur lesquels tu vas travailler ?
La plupart des autres je ne peux pas trop en parler mais je peux dire que je suis en même temps en train de bosser sur du nouveau Bent Sea, mon projet grind avec Sven De Caluwé d’Aborded et Shane Embury de Napalm Death. Dès que je vais avoir un peu de temps, je vais commencer à mettre des morceaux en place pour ça. J’ai déjà un paquet de batteries d’enregistrées. Evidemment, ça dépend un peu du planning de Soilwork et des autres trucs que je fais. Sinon, à part ça, il y a surtout les leçons. Je focalise pas mal d’attention là-dessus en ce moment. Donc pour tous ceux qui sont intéressés, visitez mon site, contactez-moi et rejoignez la communauté Dirk Blast si ça vous dit parce qu’on a un bon truc qui se passe, il y a une bonne entente, un bon échange et je suis vraiment content de faire ça aussi, de redonner un peu de ce que j’ai pu apprendre au fil des années à d’autres batteurs. Parce que je me rappelle très bien combien de questions j’avais à l’époque, comme je doutais et comme je me disais : « Est-ce que je vais un jour pouvoir faire ça pour de vrai ? » Jusqu’à ce que je rejoigne Soilwork, j’en doutais fortement parce que c’était dur. Avec Scarve on ne se faisait pas d’argent, on payait plus qu’on ne gagnait [rires]. Ça a vraiment changé pour moi, donc je voudrais un peu redonner de ça aux autres.
C’est important pour toi dans ton enseignement de te rappeler du débutant que tu as été pour répondre aux gens qui du coup partagent les mêmes questionnements que tu avais ?
Oui, absolument. Je n’ai aucune honte à dire que pour moi, les dix premières années ont été très difficiles quand j’ai été batteur aspirant professionnel. Je faisais plein de choses, je bossais comme un malade, j’écrivais pour des magazines, je donnais des cours, je jouais avec quinze mille groupes… Mais il n’y a rien qui décollait vraiment et donc c’est vrai qu’au bout d’un moment, quand tu commences à avoir vingt-huit, vingt-neuf ou trente ans, tu te dis : « Mais c’est pas faisable ! » Surtout, j’étais en France, c’était quand même à l’époque où Gojira commençait seulement à avoir un peu de renom. Maintenant, je pense que ça a un peu changé avec aussi des groupes comme Benighted qui ont donné un peu plus de crédibilité au metal français, parce que c’est vrai que des groupes comme Loudblast, Supuration, etc., malheureusement, ils n’ont jamais vraiment percé à l’étranger comme il se devait. Et donc, pour moi c’était dur, je voyais tout ça, je vivais tout ça depuis mon plus jeune âge. J’ai déménagé en France quand j’avais onze ou douze ans et j’allais aux concerts à Paris voir tous ces groupes. Donc ça faisait presque vingt ans que j’avais ce rêve et je me disais : « Ça ne va pas pouvoir le faire parce qu’il n’y a pas d’argent là-dedans, c’est trop difficile. » Donc oui, je me rappelle de ces jours-là et je me dis qu’il faut persister. Au final, j’en reviens à ça. On en parlait au début : il ne faut pas abandonner parce que si vraiment tu as cette passion et tu vises ça, tu te donnes les moyens d’y arriver, tu persistes… Et au final, moi je me suis mis la barre très haute, je me suis dis qu’il faut que je sois comme les meilleurs, il faut que je joue comme Pete Sandoval, comme Sean Reinert, il faut que j’aie toutes ces qualités-là et au final les gens ne pourront pas m’ignorer, parce qu’il y a un besoin de batteur. C’est ça qui est bien pour les batteurs. Des bons batteurs, il y en a, mais il y a toujours un besoin pour des groupes d’en avoir. Donc, au final, le fait de continuer et ne pas abandonner, ça paye [rires].
Interview réalisée par téléphone le 23 avril 2015 par Philippe Sliwa.
Fiche de questions : Philippe Sliwa & Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Dirk Verbeuren : dirkverbeuren.com.
Site officiel de Soilwork : www.soilwork.org.
Intéressant tout plein. Merci RM 🙂