Avec son premier EP Great Deception, Dirty Black Summer partage une musique qui sent bon la scène grunge des années 90. Là où certains artistes plagient allégrement leurs influences en ayant parfois des difficultés à reconnaître leurs inspirations, Dirty Black Summer choisit de son côté l’authenticité. Au-delà d’assumer complètement ses inspirations (Alice In Chains, Danzig), Dirty Black Summer prend même le parti de les revendiquer ne serait-ce que dans le propre nom de la formation qui est une référence directe au morceau de Danzig.
Dans cet entretien, JB Le Bail, le leader de Svart Crown à l’origine du groupe, se montre satisfait de cet EP mais porte malgré tout un regard critique sur le résultat final. Le chanteur insistant sur le fait que la personnalité du groupe se retrouvera surtout dans ses compositions futures. Avec Dirty Black Summer, l’auditeur sait donc où il met l’oreille, les harmonies vocales rappelant par exemple les belles heures du duo Stayley/Cantrell. En tout cas, les mélodies imparables présentes au cours des six titres soulignent clairement le talent de composition de JB et son amour pour la scène grunge au sens large. On a discuté avec le guitariste des racines de ce projet fait dans la spontanéité et de ses perspectives.
« J’avais posté une annonce de batteur sur Facebook sans rentrer dans les détails du projet et j’ai reçu une cinquantaine de demandes, même d’Israël et des Etats-Unis ! »
Radio Metal : Dans quel état d’esprit es-tu au regard de la crise sanitaire ? Arrives-tu à garder le moral ?
JB Le Bail (guitare) : Ça va oui. Disons que je fais avec et j’essaye de voir le bon côté des choses. Sinon on se laisse aller et on ne fait rien. Rien ne se passe comme prévu mais c’est comme ça : il faut faire avec, sinon c’est la dépression. Au sein de Dirty Black Summer, la pandémie nous a donné le temps que nous n’avions pas pour mettre en place ce projet. Sans cette pandémie, l’alignement des planètes n’aurait jamais eu lieu.
Vous aviez le projet Dirty Black Summer en tête depuis un moment ?
Nous l’avions en tête depuis très longtemps, oui. Pour être honnête, la première fois que j’y ai pensé en me disant « Putain, j’aimerais trop faire un truc comme ça ! » doit remonter à 2013 ou 2014. A l’époque de l’album Profane (Svart Crown). Je voulais avoir un groupe de rock à la Danzig ou à la Alice In Chains. Du coup j’ai vraiment commencé à me projeter vers 2017 pendant l’enregistrement d’Abreaction, dans le studio de Francis Caste. Pendant qu’il mixait, je jouais de sa vieille Telecaster accordée en Mi Bémol et c’est là que les premiers riffs sont venus, ces prémices de cette espèce de rock black un peu chelou. Depuis, l’idée a maturé et notre ingénieur son de l’époque, Triff, m’a présenté à Cyril, le guitariste de In Other Climes, en disant : « Il veut faire un groupe de rock depuis des années et toi aussi. Tu fais des bons morceaux, il assure aux solos et aux mélodies, rencontrez-vous ! Ça pourrait marcher. » Et c’est ce qui s’est passé : nous nous sommes rencontrés alors que nous voyions qui était qui depuis longtemps, mais sans vraiment nous connaître. C’était incroyable, nous ne nous sommes plus quittés depuis ! Mine de rien, cela s’est passé en 2017-2018 et nous n’étions pas encore dans la bonne dynamique pour faire décoller le projet.
En effet, j’étais trop pris par Svart Crown et lui par In Other Climes. Tout était en différé, c’était donc très compliqué de se voir, de trouver d’autres membres… Nous avions commencé, arrêté, repris, composé quelques morceaux, etc. Nous avions du mal à trouver un chanteur et Cyril avait de suite proposé Michael de In Other Climes mais lui aussi était très pris par son groupe. En conséquence, nous avions vraiment du mal à nous projeter. J’avais un peu lâché l’affaire quand nous étions en train d’enregistrer le dernier Svart (Wolves Among The Ashes). Toute l’année de 2020 était bookée et d’un coup, tout s’est arrêté à cause de la pandémie. Je n’avais pas envie de refaire un Svart Crown, donc j’ai repris la guitare et c’est venu tout seul. Est ensuite arrivé ce petit bonhomme du nom de Jimbo, l’ingénieur son d’Igorrr, il a adoré les morceaux et a proposé de s’occuper de la basse et du son. Il nous a vraiment motivés à aller jusqu’au bout et sortir les morceaux, ça m’a donné envie d’en faire d’autres. Il ne nous manquait plus qu’un batteur, j’avais posté une annonce sur Facebook sans rentrer dans les détails du projet et j’ai reçu une cinquantaine de demandes, même d’Israël et des Etats-Unis ! Nous avons finalement recruté un petit gars d’à côté de chez nous et nous nous sommes vraiment organisés comme un « vrai » groupe avec un local, des séances de répétitions, des réunions toutes les semaines… et j’avais vraiment mis ça de côté pendant des années.
« Aller dans un local chauffé, boire quelques cannettes, allumer ton ampli et jouer quelque chose de différent, je n’avais pas ressenti ça depuis dix ans ! »
Le fait de jouer dans un local t’avait manqué ?
Complètement. Aller dans un local chauffé, boire quelques cannettes, allumer ton ampli et jouer quelque chose de différent, je n’avais pas ressenti ça depuis dix ans ! Et je n’avais pas la pression : personne ne nous attendait au tournant, personne n’était au courant. Nous le faisions par plaisir et même les quelques personnes qui savaient en plaisantaient mais, au fond de nous, nous savions que c’était du sérieux. Ça nous arrive de faire les cons mais nous avons très vite pris le projet au sérieux… Tu sais, nous nous sommes beaucoup investis dans cet EP. Quand le groupe s’est formé au mois de juin de l’année dernière, j’ai été très clair avec les autres membres et j’ai posé ma condition : j’ai supposé une reprise des évènements en septembre 2020, période à laquelle je n’allais être presque plus disponible et chacun allait devoir reprendre son activité avec son groupe. Donc c’était le moment ou jamais. Je leur ai dit « nous avons deux mois devant nous, on va jusqu’au bout et on voit ce que ça donne. » Finalement, ça n’a pas repris en septembre, ça nous a dégagé plus de temps mais la composition et l’enregistrement se sont faits en trois mois.
Penses-tu que s’il n’y avait pas eu la crise sanitaire, le résultat aurait été le même en trois mois ?
Non, la crise a vraiment aidé. C’est un peu à double tranchant : quand tu as du temps, tu prends ton temps et c’est ce que nous avons fait surtout après avoir vu que ça n’allait pas repartir en septembre. Nous nous sommes beaucoup attardés sur la voix et c’était un sacré défi : Michael vient du hardcore, il n’a jamais chanté en chant clair et prendre en compte la mélodie, l’harmonie, la justesse, le placement, c’est un travail d’orfèvre. Je n’ai jamais autant peaufiné un projet.
Est-ce que cet EP a représenté plus de travail pour toi que n’importe quel disque de Svart Crown ?
C’est incomparable dans la gestion. Svart Crown ne me demande pas la même énergie : ça requiert beaucoup de travail en amont surtout au niveau de la maitrise instrumentale, le chant est traité en dernier et ça va assez vite. C’est l’inverse avec DBS : c’est allé vite sur les parties instrumentales mais nous avons vraiment pris notre temps sur les arrangements et les parties vocales. Il fallait trouver le bon détonateur, nous ne nous connaissions pas vraiment, nous devions nous découvrir, activer certains leviers et enlever des blocages… d’autant que nous n’avions jamais fait ce genre de musique ! Je viens du black metal et les autres du hardcore, du punk, du stoner ou du doom. C’était complètement nouveau et nous avons dû apprendre à en faire. Mais nous nous retrouvons sur beaucoup de groupes en commun et c’est génial : en soirée, nous écoutons la même musique et ça simplifie énormément les choses. C’est très instinctif, nous ne nous prenons pas la tête, nous savons où nous voulons aller parce que nous aimons les mêmes choses.
Le fait que le nom Dirty Black Summer soit une référence à un titre de Danzig marque clairement votre identité.
Oui. Après c’est une espèce d’accointance : nous cherchions un nom-référence mais qui symbolise aussi notre état d’esprit de l’année dernière. Nous étions à la recherche de quelque chose, en plein été, et nous nous voyions très souvent, pour faire la fête, répéter. Et ce en boucle. Et je voulais un nom qui rappelle l’âme sulfureuse du black metal tout en pointant du doigt ce que nous étions, notre environnement : la Côte d’Azur. Le groupe transpire les rues dépravées de Cannes, les palmiers, les couchers de soleil, etc. C’est notre univers et nous voulions le retrouver dans le nom.
L’ambiance de vos photos promo rappellent d’ailleurs l’univers visuel d’Ugly Kid Joe sur son Motel California.
Exactement ! Un photographe nous a suivis pendant une après-midi dans les rues de Cannes, avec les palmiers et le coucher de soleil. Nous étions dans l’ambiance.
« Michael vient du hardcore, il n’a jamais chanté en chant clair et prendre en compte la mélodie, l’harmonie, la justesse, le placement, c’est un travail d’orfèvre. Je n’ai jamais autant peaufiné un projet »
L’EP est sorti le 21 mai, est-ce que les premiers retours sont favorables ? Est-ce qu’ils te surprennent ou pas ?
Oui et non ! Nous avons beaucoup travaillé sur l’EP et nous sommes forcément très contents des retours positifs, tout en étant conscients du fait que ça reste un premier EP composé rapidement. Nous avons un regard très critique dessus : nous savons ce qui va, ce qui ne va pas et nous avons trouvé notre fil rouge. Nous avons pris énormément de recul, nous l’avons digéré et nous en sommes extrêmement fiers. Nous savons où nous voulons aller, tant et si bien que le prochain projet, EP ou album, sera d’un niveau nettement supérieur et nous sommes très contents que ça ait marché. Si ça peut faire plaisir et apporter un petit vent de fraîcheur dans la scène actuelle, tant mieux ! De notre côté, nous passons à autre chose et nous travaillons déjà sur la suite.
Quelles sont vos ambitions pour le groupe dans les temps à venir ?
Je pense que nous n’allons pas avoir le temps de sortir quelque chose en 2021 mais le prochain projet est déjà en préparation. Nous avons pas mal de matière en préproduction de morceaux, d’enregistrements… Nous allons nous retrouver dans le même cas de figure que l’année dernière : si les concerts reprennent, nous allons tous être très occupés par nos groupes mais nous avons vraiment envie d’enchaîner. Nous allons nous mettre un gros coup de pression cet été pour enregistrer quelque chose, maintenant que nous savons quelle direction prendre et ce que nous voulons faire. Reste à l’affiner et à nous trouver une vraie personnalité tout en gardant cette touche 90’s.
Trouves-tu que l’EP manque de personnalité ?
Un peu, oui ! Il a un côté naïf mais assumé. La musique est parfois téléphonée, jusque dans l’écriture ou le nom des morceaux mais c’est dû à l’effet d’urgence dans lequel nous étions pris. Nous voulions retrouver cette espèce d’émulsion de début de groupe, le fait de vouloir tout faire tout de suite comme quand j’ai commencé Svart Crown : il était hors de question que j’attende, je voulais faire de la musique, enregistrer et passer à autre chose, griller des étapes. C’est ce que nous avons fait mais avec le recul nécessaire pour bien faire les choses et tout peaufiner.
L’EP est un six titres, est-ce que vous avez déjà d’autres morceaux de prêts ?
Oui. J’avais déjà écrit beaucoup de morceaux avec Cyril et pour l’EP nous avons pris ceux qui nous parlaient le plus, qui nous semblaient être les plus cohérents. D’une période à l’autre, je suis capable d’écrire un morceau par jour et ma base de données est telle que je dois avoir une quinzaine d’idées de morceaux en attente qui méritent d’être peaufinés. J’ai eu des périodes très fastes en 2018 et 2019 où j’écrivais un morceau par jour, j’étais très inspiré. Nous avions beaucoup de matière et il ne nous restait plus qu’à sélectionner.
Tu as déjà eu cette vivacité d’écriture avec Svart Crown ?
C’est un peu bizarre avec Svart Crown : des fois je vais être très motivé et inspiré pendant une semaine, je vais écrire des bases très solides pour revenir dessus après. J’écris, j’attends et je reviens. Certains morceaux sont créés en quelques jours mais je dois laisser maturer pour être sûr que les idées soient bonnes. Avec DBS, je sais de suite si l’idée est bonne ou pas, il faut que la mélodie me parle, que la guitare me parle, que je parvienne à m’imaginer le chant… Avec Svart Crown, c’est aussi une question de guitare mais également d’ambiance.
Tu es dans la scène depuis longtemps et tu sais qu’il est difficile de toucher le public rock en France. Est-ce que tu penses que DBS aurait plus de potentiel à l’international qu’ici ?
Depuis le départ, nous sommes un peu le cul entre deux chaises : ce n’est ni de la musique de niche, ni de la musique grand public et les références du style sont des mastodontes. Ce n’est pas comme dans le black ou le death où tu as une espèce de palier atteignable – même s’il est plutôt élevé. Dans ce cas de figure, soit tu n’es rien soit tu as une petite importance, donc c’est compliqué de se situer. Après, il y a différentes étapes et pour le moment, nous avons décidé de nous concentrer sur la France : c’est notre pays, là où sont nos contacts, notre réseau, nous voulons voir comment le projet sera accueilli. Mais je te rejoins : les groupes dans ce style passent à la trappe, il n’y a pas de vraie scène. Dans notre style, je ne vois même pas de groupes similaires, peut-être le jeune groupe de rock 90’s New Favourite, dont l’EP est fantastique et que nous adorons. Mais quand on se pose la question, autant il y a plein de groupes de black metal français avec qui je m’entends bien et qui pourraient tourner avec Svart, autant des groupes de rock dans le style de DBS, je n’en vois pas ou peu.
Interview réalisée par téléphone le 4 mai 2021 par Amaury Blanc.
Retranscription : Natacha Grim.
Photos : Pierre Wetzel (1) & Mkp (Machine Kult).
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