Un mélange entre hardcore, black metal, death metal, mathcore, etc. En bref, Doctor Livingstone est un groupe à la croisée des différents genres de metal extrême. Et avec le temps, celui-ci a su forger son propre style. Car tous ceux qui ont tendu l’oreille sur le précédent album Contemptus Saeculi sorti en 2014 se mettront d’accord sur un point : les Montpelliérains proposent indéniablement une musique atypique, qui pourrait se résumer en un bazar intense et déconcertant passant par des émotions multiples. Si cet album était déjà difficile d’accès, car en saisir son sens et sa direction était loin d’être une évidence, ce nouvel opus Triumphus Haeretici ne rendra pas la tâche plus aisée… Bien au contraire, tant il franchit un pas supplémentaire.
On peut même se poser la question suivante : les musiciens exigent-ils un effort d’écoute pour appréhender leur œuvre ? Car quel pari osé d’ouvrir un album avec un morceau introductif exclusivement ambiant de plus d’un quart d’heure ! Là où la plupart des autres groupes auraient préféré placer ce genre de plage en clôture. Mais la démarche n’est pas en vain car ce titre a pour ambition de submerger d’emblée l’auditeur dans une ambiance ritualiste, s’appuyant sur des percussions répétitives accompagnées de quelques bruits environnants. Cette longue introduction annonce déjà une couleur nouvelle pour le combo, puisque l’album sera parsemé de ce genre d’atmosphères, mais nous y reviendrons.
On retrouve donc Doctor Livingstone dans le milieu qu’on lui connait dès le deuxième morceau « Lux Delenda Est », démarrant sur un black incisif avec une dualité de voix entre chant criard et vocalise caverneuse, blast beat et distorsions sonores, le tout coupé par un passage tribal. S’enchaînent ensuite des morceaux de metal extrême particulièrement soutenus, riches, avec de multiples changements de tempo, des coupures, basculant souvent d’une ambiance à une autre, pour un ensemble particulièrement chaotique. Comme l’illustre « Give Them Tragedies », avec ses riffs de guitares au rendu dramatique et sa batterie qui martèle, marqué par un break plus ésotérique. S’enchaîne un « Opus Magnum » très expérimental, avec une guitare qui s’intensifie progressivement pour lancer le morceau en puissance ; on y retrouve ensuite des chœurs et une batterie au rythme ethnique dansant. Dans le même ton, « The Muck Of The Land » décontenance l’auditeur avec sa dimension presque théâtrale, démarrant sur une introduction tranchante pour virer post-black/hardcore, avant un nouveau basculement vers le ritualisme et finir en hécatombe cathartique. Enfin, un titre comme « I’ll Have Some More Apple Pie Please » marque des moments de folie pure qui peut même renvoyer à une sensation de « gavage » de par sa densité musicale.
Mais ce qui singularise l’album, c’est sa dimension ésotérique planante tout au long de l’œuvre. Appuyé d’un côté par les chants chamaniques (« Fuck You With A View ») ou la voix murmurée sur l’angoissante « ASMD », mais aussi par les sonorités ambiantes, comme sur « Peisithanatos », qui plongent l’auditeur dans un décor post-apocalyptique, à coup de bruits métalliques et voix d’outre-tombe. Ces passages ambiants se glissent subtilement dans la majorité des chansons, jusqu’à « Egregore » qui achève l’album, formant un ensemble cohérent. « A Little Something For You », d’un black/death classique au premier abord, se voit affublé d’un passage plus lancinant, illustrant un rituel sataniste, l’appel de Satan faisant sens avec le climat musical ravageur. On peut alors penser que le message délivré est que le dénouement se situera dans le désordre et le renversement, ainsi « The Grand Finale (Fin De L’Ordre) », dans son black tortueux et ses multiples rebonds, à travers ses envolées de guitares et ses chants clairs réconfortants, semble démontrer une certaine libération et un décor où l’espoir renaît. Déconstruire, pour reconstruire…
Avec Triumphus Haeretici, Doctor Livingstone appelle au chaos. Tout l’opus est pensé pour illustrer ce tableau apocalyptique, à travers cette densité musicale des plus désarçonnantes, mais qui passe aussi par une dimension spirituelle pour y parvenir. Comme l’illustre l’artwork de l’album, l’homme qui abuse et qui pèche (symbolisé par la coiffe d’une cathédrale en flamme, de l’obésité du protagoniste, et de ces deux objets licencieux à l’extrémité de ses épaules) regagnera le pouvoir sur sa Terre. Alors, n’est-ce pas plutôt un appel à la liberté ? C’est une réflexion qui se pose après l’écoute d’un opus épais comme celui-ci, qui prendra certainement du temps à l’auditeur avant de l’intégrer et de le comprendre dans sa totalité.
Chanson « The Grand Finale » en écoute :
Album Triumphus Haeretici, sorti le 26 février 2017 via Osmose Productions. Disponible à l’achat ici