La confusion de l’existence et le désespoir profond qu’elle suscite en l’homme œuvre à faire de lui un être libre, qui, en se confrontant à ces états émotionnels inconfortables, existe nécessairement. Mais, « sommes-nous dans un désespoir perpétuel parce que notre identité dépend de qualificatifs qui peuvent s’effondrer à tout moment ? », c’est ainsi que Vicotnik, le chanteur et guitariste de Dødheimsgard, s’interroge sur le combat que l’esprit humain mène de front entre son libre arbitre et le déterminisme auquel il est inévitablement soumis. Leur dernier album en date, Black Medium Current, place habilement le curseur sur les fluctuations de l’humeur aussi drastiques et intempestives qu’elles soient, par une musique avant-gardiste qui allie aux ambiances sombres et glaciales un imbroglio mélodique parfaitement maîtrisé.
Dès le premier titre « Et Smelter », le ton est posé. Les premières notes de guitare se baladent sur un arpège doux et paisible et, accompagné d’un chant clair touchant doublé à la flûte, disparaissent pour renaître en un magma bouillonnant de percussions et de tremolo picking. Le tout s’effondre sur un mid-tempo aux allures sinistres et aux touches électroniques scintillantes. Ce titre-ci rassemble à lui seul une grande partie de la vaste gamme de couleurs que comporte l’album, et regorge de créativité quant à la manière dont progresse simultanément chaque élément qui compose un morceau.
En effet, chaque titre est vécu comme un récit, passant régulièrement d’une énergie haletante qui bouscule à un calme serein mais artificiel. De terreur en révélation, d’allégresse en subjugation, chaque émotion crée une empreinte sonore qui suscite une résonance chez l’auditeur. L’élément de narration le plus illustratif n’est autre que le déploiement de ce panel vocal extrêmement varié, et dont chaque technique utilisée contribue à ajouter un nouveau relief à la composition, servant ainsi davantage le propos latent consistant à surprendre l’auditeur. Dans « Hallow », l’éloquence d’un chant larmoyant se voit partiellement brouillée par le timbre rocailleux d’un growl que l’on croirait sur la retenue, offrant ainsi une véritable complémentarité qui permet de prendre de la hauteur et de se retrouver comme suspendu dans l’atmosphère.
Cette impression de flottement se retrouve particulièrement dans les titres « Det Tomme Kalde Morke » et « Abyss Perihelion Transit », bien qu’ils incarnent tous deux respectivement : un flou lumineux, dont les accords vaporeux de synthétiseur embrument l’esprit ; et le vide obscur, duquel s’échappent quelques hurlements contraints de rester coincés sous le poids de la profondeur des abysses. Est ajouté à cela un growl gras et caverneux qui garde tout le long de l’opus un rythme lent et pondéré, et dont l’agressivité vient tantôt torpiller, tantôt écraser ce qu’il reste des pensées lunatiques qui traversent cette conscience torturée ici présentée.
Ce nouvel album de Dødheimsgard manifeste la savante inventivité avec laquelle les Norvégiens jonglent entre des ambiances très diverses pour troubler son auditeur. Les airs grandiloquents, chevrotants et parfois macabres voire terrifiants qu’ils scandent et l’utilisation d’instruments tels que le piano et le violoncelle ne sont pas sans rappeler les caractéristiques d’un opéra. En tout état de cause, c’est dans la teinte particulièrement sombre de « Abyss Perihelion Transit » qu’ils font le constat brutal et répètent inlassablement : « There’s no way out of here » (« il n’y a aucun moyen de sortir d’ici »). Résumant ainsi l’immense fatalité qui sous-tend l’opus, ils enterrent tous les questionnements là où ils sont nés.
Clip vidéo de la chanson « Abyss Perihelion Transit » :
Album Black Medium Current, sorti le 14 avril 2023 via Peaceville Records. Disponible à l’achat ici
Album exceptionnel.
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