Généralement, on ne cache jamais bien longtemps son âge. Surtout ceux qui ont déjà un certain vécu derrière eux et qui, en particulier, l’assument difficilement. La règle aujourd’hui veut que plus c’est gros et plus l’impression que c’est disgracieux est forte (je ne dirai pas tout haut les contres-exemples auxquels vous pensez tout bas), plus il faut le dissimuler. C’est idiot mais c’est ainsi. Le nombre d’années au compteur ne fait pas exception. Et on a beau s’habiller « jeune » ou se refaire la plastique, tout ceci n’est que de l’emballage ou quelques rides tirées (et plus si affinités). L’artifice parvient difficilement à créer l’illusion du naturel. Et quand bien même, il suffit d’ouvrir la bouche – non pas pour sentir l’haleine, même si cela peut être un indice – pour sonder les profondeurs du vécu. Car l’âge, ça se passe aussi, en grande partie, dans le caillou.
Bref, généralement, on ne cache jamais bien longtemps son âge. Voilà qui caractérise bien le nouvel album de Dokken, intitulé Broken Bones. A vrai dire, pour celui-ci, le moment de vérité arrive après trois minutes quarante trois et quelques autre secondes au préalable, le temps de découvrir la pochette, sortir le disque de son boitier, le poser sur la platine et appuyer sur le bouton Play – voyez-vous, rien qu’avec cette phrase je viens moi-même de trahir ma tranche d’âge. Et, qui plus est, il n’y a bien que les vieux qui passent leur temps à se plaindre d’os fragiles (« Broken Bones »), de vue qui baisse (« Blind ») ou d’yeux qui picotent (« Burning Tears »), de problèmes d’incontinence (« Waterfall ») et autres rhumatismes.
Pourtant, aux premiers abords, Dokken semble bien chercher l’illusion. Comme cette pochette simpliste où trône une tête de mort quelque peu kitsch sur un drapeau de pirate et dont le brouillon aurait très bien pu sortir dans les années 80. Le tout dans des tons de couleur qui rappellent ceux du grand classique Back For The Attack. On se souvient par ailleurs de Don Dokken qui déclarait il y a un an préparer du matériel « très rapide et heavy » pour cet album. Sans compter une compilation de hits réenregistrés – fadement intitulée Greatest Hits ou Anthems, suivant le pays – sortie dans l’indifférence générale. Il n’y a d’ailleurs pas de mal à chercher à se contenter de ce que l’on a su faire de mieux. Puis il y a ce début « riffu » et soutenu avec un « Empire » qui aurait sans mal pu être tiré d’un de leurs anciens albums. Pourtant, là déjà, le doute s’installe avec un Don Dokken sur la retenue, là où, dans sa jeunesse, il n’hésitait pas à pousser sa voix, faisant de lui l’un des ténors des années 80.
Dès le second titre la retenue atteint les instruments, plus légers dans leur cadence, plus langoureux dans leur expression, ne se forçant pas pour sonner incisif, tout en étant, finalement, en meilleure cohérence avec la performance du frontman. Dokken a tenu une chanson à essayer de paraître comme dans ses jeunes années avant de se rendre compte qu’il n’a plus autant de souffle qu’avant.
La suite de ce Broken Bones se veut « pépère », marchant à son allure pour éviter l’entorse, tout en profitant d’un savoir-faire que seules les années d’expériences peuvent apporter. Le regard reste pour autant bel et bien tourné en arrière, un reflet de nostalgie dans les yeux. Si ce n’est ce surprenant et bref accord grave qui clôture « Empire ». « Nous savons que nos fans aiment le son classique de Dokken, et c’est ce vers quoi nous nous dirigeons » disait Don Dokken l’année dernière, bien conscient que, malgré les tentatives pour aller de l’avant (trop) vite enterrées par le public, son groupe vivait essentiellement de ses réussites passées. Étonnant, à cet égard, qu’il n’ait pas souhaité aller jusqu’au bout de sa volonté en acceptant en 2010 l’opportunité de réunir le line-up classique avec George Lynch et Jeff Pilson. Ces derniers semblent pourtant, de leur coté, bien tenir la forme (tout du moins pour le guitariste avec Lynch Mob et son Smoke And Mirrors de 2009). Mais quand les personnalités ne s’accordent pas, la volonté ne suffit pas toujours, surtout lorsque l’équipe en place reste, quoi qu’il en soit, tout à fait capable.
Broken Bones est donc le récit d’un groupe – même si c’est clairement Don Dokken qui mène la barque – d’âge mûr qui raconte son histoire, avec, forcément, quelques trous de mémoire. Un récit chaleureux et agréable à entendre mais qui ne manquera pas d’assoupir les jeunes gens d’aujourd’hui, souffrant d’un constant besoin d’avoir leur attention sollicitée. C’est ainsi que Dokken se pose en opposition à, au moins, un de ses contemporains : Europe. Europe qui, lui, assume parfaitement son âge, autant qu’il assume son époque. Il y a ceux qui continuent à voir l’avenir devant eux et ceux qui le regardent derrière eux. Deux perspectives différentes. A chacun de considérer celle qui lui parle le mieux.
Broken Bones, sortie le 21 septembre 2012 via Frontiers Records.
In my dreams it’s still the same…
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