Après des débuts explosifs, les deux musiciennes de Doodswens ont pris leur temps. Arrivées avec fracas en 2019 avec une démo lo-fi et glaciale qui semblait sortie tout droit du début des années 90, elles s’étaient rapidement retrouvées sur le devant de la scène du Roadburn, puis plus récemment en première partie de Marduk avec Valkyrja pour les trente ans du groupe. C’est que dans une scène black metal néerlandaise florissante qui va du plus flamboyant (Carach Angren) au plus obscur (Gnaw Their Tongues), du plus complexe (Dodecahedron) au plus nerveux (Terzij de Horde) et qui ces dernières années semble plus active que jamais (Laster, Grey Aura, Turia…), Doodswens se distingue par sa fraîcheur (dans tous les sens du terme – les musiciennes sont très jeunes) et son côté brut et dépouillé. Avec l’intention initiale de battre le fer tant qu’il est chaud et après un split avec Adversarius, leur premier album aurait dû être présenté lors de l’édition 2020 du Roadburn, annulée pour cause de pandémie mondiale : tirant parti de ce faux départ, le duo a complètement révisé sa copie pour arriver à ce qui est sa version finale, Lichtvrees, qui sort sur le label finlandais Svart. Car Doodswens est plus qu’un feu de paille : c’est ce que prouve Lichtvrees, qui monte en gamme sans perdre le fil de la vision initiale de ses deux instigatrices…
Ces deux dimensions sont évidentes dès « In Mijn Bloed » qui ouvre l’album : la production est beaucoup moins rudimentaire que celle de la démo, à la fois claire et spacieuse, presque caverneuse, mais la crudité des riffs et du propos est toujours là. Ce départ très old school laisse rapidement place à des nuances cette fois-ci plus contrastées : le rythme trépidant ralenti pour la mélancolie et la désolation de « Zwarte Staar », et plus tard, lenteur et intensité s’intercalent et se mêlent sur « Het Zwartewaterland », qui monte peu à peu en puissance jusqu’à une fin brutale, comme coupée en plein élan. Malgré une formule simple – la guitare et les hurlements rauques de Fraukje van Burg et la batterie d’Inge van der Zon portent tout le disque à eux seuls – et un parti pris « trve black » sans fioritures, Lichtvrees fourmille de détails singuliers, comme la longue transition instrumentale abstraite entre « Zwarte staar » et « Eindzicht », les nuances paradoxalement presque lumineuses du riff de « Lichtvrees » (qui signifie « peur de la lumière »), ou l’exploitation de la légendaire rugosité du néerlandais (contrairement à la démo, il n’y a cette fois pas du tout d’anglais sur l’album) en ouverture d’« IJsheiligen » et surtout dans l’interlude « Onplaatsbaren », où on entend un homme déplorer dans un langage fleuri une saleté omniprésente et finir par demander une balle pour se sortir de tout ça (au passage, « doodswens » signifie « souhait de mort »).
C’est là peut-être que l’album rencontre ses limites : certaines idées semblent plus effleurées qu’exploitées dans tout leur potentiel, un défaut qui en réalité n’en est peut-être pas un pour un premier album. On pense souvent à d’autres duos illustres du black metal – Urfaust pour le côté méditatif d’« Eindzicht », Darkthrone évidemment, influence majeure du groupe, mais aussi et de manière plus surprenante Mgła pour la clarté de vision et une batterie certes moins spectaculaire mais souvent atypique et inventive – avec qui Doodswens partage un principe fondateur : le minimalisme comme moyen et comme fin, ses potentialités expressives infinies, bref, less is more. Son concept même – l’attrait tantôt réconfortant, tantôt dangereux de l’obscurité – est à la fois simple et ouvert, la racine du black metal et ses infinités de possibilités. Comme les artworks iconiques du début des années 90, Lichtvrees est noir et blanc, à la fois sombre et clair, intense et mélancolique, menaçant et vulnérable. Une sobriété vivifiante dans un style qui peut se perdre dans une technicité absconse ou une intellectualisation alambiquée, et pleine de promesses pour l’avenir des deux musiciennes.
Clip vidéo de la chanson « In Mijn Bloed » :
Album Lichtvrees, sorti le 3 décembre 2021 via Svart Records. Disponible à l’achat ici