L’une des choses qui attriste le plus Johannes Persson de Cult Of Luna en ce moment est l’absence de sens critique des fans de musique, des journalistes et, plus généralement, de la société. Une déception qui se sera même transformée en inspiration artistique puisque le nouvel album de Cult Of Luna à paraître, Vertikal, aborde, sur fond de révolte entre deux mondes inspirée du film Metropolis de Fritz Lang, précisément la thématique du sens critique. Ou du moins de son absence, qui peut conduire à des actes regrettables.
Quelques mois plus tôt, Johannes lâchait une bombe médiatique à nos collègues de Metalorgie, annonçant en pleine interview que l’histoire du meurtre de la femme de Holger Nilsson, qui était censée avoir inspiré l’album Eternal Kingdom ainsi que le livre qui avait suivi, était un mensonge intégral, destiné à tester le sens critique et la rigueur journalistique de la presse. Johannes nous parle ici de ce qu’a représenté cette expérience du mensonge et des conséquences que cela a eu et insiste plus que jamais en fin d’interview à réfléchir, à ne pas accepter une information aveuglément et à remettre en question.
Radio Metal : Tu as expliqué à nos collègues de Metalorgie que l’histoire du meurtre de la femme de Holger Nilsson, qui est censé avoir inspiré l’album Eternal Kingdom, était une invention. Apparemment, vous vouliez utiliser cette histoire pour critiquer le journalisme musical. Le fait d’être critiqué et stimulé intellectuellement par les journalistes te manque-t-il ? Penses-tu que les journalistes musicaux agissent davantage comme des fanboys que comme des professionnels ?
Johannes Persson (guitare, chant) : Je pense que c’est la meilleure question que j’ai entendue depuis longtemps. Tu poses une question vraiment parfaite, et j’y réponds oui. Je suis d’accord avec ça. J’ajoute que non seulement cette histoire de meurtre n’est pas vraie, mais Holger Nilsson n’a même jamais existé. Toute l’histoire est inventée.
Est-il vrai que personne n’avait réalisé qu’il s’agissait d’un mensonge ?
Il est possible que si. Cela aurait été curieux que personne ne se rende compte de rien. Mais personne ne nous en a jamais parlé, ce qui est plutôt triste. Quand nous avons sorti la musique, personne ne nous a posé de questions. Mais à la minute où nous avons sorti le livre racontant la même histoire, les gens ont commencé à se poser des questions. Une tradition dans le monde littéraire veut qu’on vérifie les faits. Ces gens-là ont à cœur de savoir si ce que vous racontez est vrai ou pas. Alors on s’est fait prendre aussi sec. Avant même la sortie du livre, un journaliste qui avait vérifié les faits nous a dit : « OK, les gars, ça ne colle pas ! » Il avait raison, c’était un mensonge.
Comment t’es-tu senti quand le mensonge a été éventé ?
Pour être honnête, à l’époque, je n’étais pas ravi. Ce type a écrit un article dans le plus grand journal du nord de la Suède. Il voulait nous interviewer, mas il ne voulait pas attendre que le livre soit sorti. Nous voulions tester davantage de monde, mais il a découvert le pot aux roses avant même la sortie du livre. C’était trop tôt, alors on ne lui a rien dit à ce moment-là. Par la suite, alors que le livre était disponible depuis un mois ou deux, nous l’avons recontacté, mais il ne voulait plus nous interviewer. Mes sentiments étaient donc assez mitigés. D’un côté, c’était une bonne chose, mais d’un autre, ce n’était pas agréable.
Alors que la vérité n’avait pas encore éclaté, comment vous sentiez-vous à l’idée de raconter n’importe quoi au public et de le voir tomber dans le panneau ? Était-ce drôle, triste ? Peut-être les deux ?
Au bout d’un moment, je n’y pensais plus. C’est juste devenu une histoire que je racontais encore et encore. La meilleure façon de mentir, c’est de se convaincre qu’on dit la vérité ! (rires) C’était plus ou moins le cas ici. Ici, il y avait deux aspects différents. Pour commencer, ce n’est pas drôle de mentir et de tromper les gens. Donc, de ce côté-là, ce n’était pas agréable. Mais comme je l’ai dit, au bout d’un moment, j’ai arrêté d’y penser. Comme la réponse que je te donne en ce moment même, c’était quelque chose qui me venait naturellement. Nous avons fait visiter à un journaliste la ville dont Holger était supposé être originaire. Nous lui avons montré l’endroit où il avait censément vécu, ce genre de chose. Ça, c’était mentir à quelqu’un en le regardant dans les yeux et ce n’était pas marrant. Mais les gens mentent en permanence. On exagère, on minimise l’importance des choses, on n’est pas complètement honnête. Mentir fait partie de chacun de nous, ce n’est pas si difficile.
On dit : « Un mensonge répété suffisamment longtemps devient une vérité ». Penses-tu que votre mensonge fasse maintenant partie de la vérité ?
(rires) Non, la vérité est objective. Mais ce n’est pas Goebbels qui a dit ça ? (rires) (NDLR : Effectivement)
Penses-tu que vous soyez les seuls artistes à avoir fait ce genre de choses, ou estimes-tu qu’il n’y a rien de vrai dans le metal ? Plus précisément toutes ces histoires que les groupes racontent à la presse à propos de la vie dangereuse qu’ils mènent ?
C’est exactement ce qu’on dit, du début à la fin : tout le monde le fait, tous les groupes avec lesquels tu discutes. Je me souviens, quand nous avons sorti Eternal Kingdom, Mars Volta a sorti un album soi-disant inspiré par un truc qui s’avérait être bidon. C’est n’importe quoi, ils mentent ouvertement. Mais personne n’a le courage de leur dire : « Vous nous traitez comme des gosses. Allez donc vous faire foutre ». Cela dit, je ne parle pas seulement de mensonges, je parle aussi de valeurs – les valeurs de certains groupes, qui devraient être remises en question. Le secteur de la musique dépeint le monde du rock de façon romantique : « Vous avez une vie de rêve, vous détruisez des chambres d’hôtel, bla bla bla ». C’est chiant, puéril et idiot. Je ne sais plus combien de fois j’ai entendu la question : « As-tu des anecdotes de tournée intéressantes à raconter ? » Et je sais exactement ce que recherchent les journalistes : as-tu pissé dans la bouche de quelqu’un ? As-tu saccagé une chambre d’hôtel ? C’est chiant et débile. La musique ne consiste pas à se comporter comme un gosse. Je prends la musique beaucoup plus au sérieux que ça.
Ne penses-tu pas que le problème vient des gens en général, et pas seulement des journalistes ? De nos jours, on lit les informations trop vite, sans essayer de savoir si ce qui est écrit est vrai ou non…
Oui et non. Il est de la responsabilité de tous d’analyser et de comprendre le monde autour de nous, tu as tout à fait raison là-dessus. Mais quand on se qualifie de journaliste, on se doit d’avoir des valeurs plus élevées que le reste des gens. Un journaliste, c’est quelqu’un qui va au devant des nouvelles, pas quelqu’un qui attend que les nouvelles viennent à lui. C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne fais pas d’interviews par e-mail. Je ne dis pas que c’est totalement inintéressant, mais c’est un simple jeu de ping-pong : question, réponse, question, réponse. Et au final, ce sera rapporté tel quel. Ça peut parfois être intéressant, mais je trouve ça ennuyeux.
Dirais-tu que la société d’aujourd’hui est facile à manipuler ?
Encore une fois, oui et non. Une certaine frange de la société est facile à manipuler de tous les côtés. Il y a énormément de gens qui poussent la critique trop loin. J’ai étudié les Illuminati et ces conneries de conspirations terroristes qu’on essaie de nous faire avaler, comme l’histoire qui veut que le 11 septembre soit une conspiration des Juifs ou des Illuminati. C’est n’importe quoi, ces gens-là ne vérifient pas leurs informations. Être critique, parfois, ça peut être une bonne chose. Il faut être ouvert d’esprit, mais ne pas perdre les pédales pour autant.
Revenons au nouvel album. Le film Metropolis, de Fritz Lang, a servi de source d’inspiration pour ce disque. Qu’est-ce qui vous a poussés dans cette direction ?
Il y a beaucoup d’idées fausses autour de Vertikal. L’une d’elles veut qu’il s’agisse d’un concept-album à propos de Metropolis. Ce n’est pas le cas. C’est très inspiré du mouvement expressionniste et art-déco allemand. Avant de commencer à écrire la musique du nouvel album, nous nous sommes réunis pour décider de la façon dont le disque devait sonner. Les deux derniers albums avaient un côté très campagnard. Ils sont extrêmement liés à un environnement rural, à la nature suédoise. Nous nous sommes dit que le nouvel album devait se passer dans le futur, dans une grande ville, et on a mis sur papier ce qu’on attendait du son de cet album. Il devait être basé sur les répétitions, un sentiment monotone, très industriel, tout en lignes droites. Tout devait être complètement non-organique. Il fallait que ce soit sinistre, sombre et déprimant.
Le film a donc également eu un impact sur la musique, et pas seulement sur les paroles ?
Non, non, il n’a eu aucun impact sur les paroles. Ce n’est pas un concept-album. L’époque artistique dans lequel il évolue a eu un impact sur le rendu général de l’album. Nous avons essayé d’interpréter une époque artistique en musique.
Metropolis dépeint un monde divisé en deux, entre les riches et les pauvres, dans une ville souterraine. Penses-tu que la métaphore soit toujours actuelle ?
C’est le cas depuis l’aube de l’humanité, je pense. Mais le lien le plus important entre ce que j’ai écrit et ce film est le fait qu’il faut absolument se montrer sceptique et critique. Lorsque mes travailleurs se rebellent, ils mettent tous leurs espoirs en un leader qui s’avère être un robot. Ils ne sont pas du tout critique envers lui et ils détruisent toute la ville. Ils ont décidé d’une ligne de pensée, ils ont leurs opinions et ils ne sont pas ouverts au débat. C’est l’expérience que j’ai avec les gens : ils pensent qu’ils savent, et c’est très triste. On devrait toujours se montrer critique de ce qu’on pense savoir.
Même s’il ne s’agit pas d’un concept-album, penses-tu que vous pourrez inclure certains éléments du film sur scène ? Des vidéos, par exemple ?
Pourquoi aurions-nous des vidéos sur scène ? Nous sommes un groupe de musique.
As-tu, par exemple, entendu parler de cinés-concerts, où un groupe joue la bande originale d’un film pendant la projection de celui-ci ? Pourriez-vous être intéressés par ce concept ?
Je pense que ça pourrait être intéressant, avec un film muet, par exemple. Mais ce n’est pas notre objectif. Notre inspiration se glisse partout : dans la musique, dans l’artwork, dans la production, et bien sûr, dans l’aspect live. On verra bien.
C’est tout pour moi. As-tu une dernière chose à ajouter ?
C’est la question la plus difficile ! J’ai cinq mots à dire : réfléchissez, et puis réfléchissez encore. Voilà ce que j’ai à dire pour conclure ! C’est difficile de répondre à cette question, parce qu’il faut penser par nous-mêmes ! Mais c’est une bonne question.
Interview réalisée le 2 décembre 2012 par téléphone
Retranscription et traduction : Saff’
Site internet officiel de Cult Of Luna : www.cultofluna.com
Album Vertikal, sortie le 29 janvier 2013 chez Indie Recordings
Très intéressant tout ça, c’est pas un quichon le Persson…
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