Lorsqu’on parle de Dragonforce, à quoi pense-t-on immédiatement ? Un speed metal qui file à la vitesse de l’éclair et a fait le bonheur des aficionados de Guitar Hero. Fun pour certains, caricature du genre pour d’autres, toujours est-il qu’il y a bien une formule et un son Dragonforce. Et comme dans toute formule, le risque est de se laisser s’y enfermer. Voilà pourquoi le bassiste Frédéric Leclercq, qui avoue avoir rejoint le groupe en 2005 plus par affinité avec les personnes que la musique, profite de sa récente montée en puissance dans la composition pour tenter de « casser le moule » et apporter de la dynamique, de la respiration, à la musique du combo. Et c’est même presque une carte blanche qu’il a eu sur Reaching Into Infinity, puisqu’il est l’auteur de la quasi totalité des chansons, mais aussi de nombre des parties de guitares enregistrées.
Ainsi nous l’avons rencontré pour comprendre à la fois comment il en est arrivé à avoir ainsi la main sur l’écriture du disque, mais aussi sa démarche, ses motivations, nous répondant longuement et avec beaucoup de franchise. Tout ceci parmi tant d’autres sujets abordés.
« J’ai fait mes preuves et je me suis de plus en plus intéressé au cas Dragonforce parce qu’au début, j’en avais un peu rien à foutre, pour appeler un chat un chat. »
Radio Metal : Avant, Sam Totman composait la majorité des chansons, sur Maximum Overload vous avez des crédits à peu près à parts égales et maintenant, avec Reaching Into Infinity, c’est toi qui as quasiment tout composé. Comment expliques-tu cette montée en puissance ?
Frédéric Leclercq (basse) : J’ai fait mes preuves et je me suis de plus en plus intéressé au cas Dragonforce parce qu’au début, j’en avais un peu rien à foutre, pour appeler un chat un chat. J’ai rejoint le groupe pour les dépanner à la base, en tant que bassiste, j’étais censé faire juste trois concerts, puis une tournée. Finalement, je suis resté parce que je m’entendais bien avec eux, mais ce n’était pas mon kiff de faire du power metal, même si j’en avais déjà fait avant avec Heavenly. Je n’étais donc pas tellement impliqué, je les laissais faire leurs trucs. Moi, j’étais content, je faisais des concerts, je picolais… Voilà. Et puis à partir de l’album Power Within, je me suis plus impliqué, parce que ça n’allait pas bien dans ma vie à ce moment-là, donc c’était bien de m’y consacrer. J’ai donc écrit un morceau qui s’appelle « Seasons », que les gens ont aimé, donc je pense que ça a montré aux autres que je pouvais aussi composer des morceaux dans ce style-là. Et puis, j’ai commencé à co-écrire avec Sam, effectivement. Nous nous sommes donc dit que nous allions faire ça pour Maximum Overload, pour tout l’album, et là, nous voulions faire la même chose, nous voulions co-composer de la même manière, sauf qu’il est venu chez moi, et ça n’a pas fonctionné. Nous n’avons pas réussi à bosser ensemble. Donc il a bossé sur ses morceaux dans son coin, il a écrit dans une pièce à côté, et moi, j’ai avancé sur mes morceaux, et du coup, je me suis retrouvé à en faire plus que lui.
Tu es arrivé dans le groupe en 2005. Est-ce qu’il y avait aussi le fait qu’il fallait que tu fasses tes preuves et que le groupe arrive à te faire confiance en tant que compositeur au bout de dix ans ?
Oui, je pense que c’est un ensemble. J’aurais aussi pu m’y intéresser avant, sauf que ce n’était pas le cas. Vraiment, j’étais comme ça, je picolais, je faisais des tournées, ça tournait comme ça, ils avaient leur manière de composer. Ça s’est fait petit à petit. Effectivement, il a surement fallu… Mais je ne l’ai pas fait en calculant tout, du genre : « Il va d’abord falloir que je fasse un album comme ci, et un album comme ça. » Là, je ne pensais pas que j’allais me retrouver compositeur principal de l’album. Pour moi, nous allions faire comme pour Maximum Overload. C’est juste que ça ne s’est pas fait, il n’était pas inspiré, et puis il fallait que nous avancions de toute façon, donc je me suis dit : « Tiens, j’ai ce morceau-là, ce morceau-là, paf, paf. » Et puis après, il fallait présenter aux autres et voir si ça leur plaisait; ça leur a plu, et donc nous en sommes là.
Cet album a été écrit dans des conditions particulières, puisque entre deux sessions de studio, vous repartiez en tournée à chaque fois. D’ailleurs, les sessions ont eu lieu dans différents studios dans le monde (en Californie, en France, à Londres…). Comment avez-vous vécu l’intensité de ce calendrier ?
[Réfléchit] La composition en elle-même, déjà, s’est faite en deux sessions à Charleville, là d’où je suis originaire, donc la cohésion musicale, c’était surtout au niveau de la composition. Vu que ça a été composé principalement par la même personne, il y avait quand même un ensemble, c’était déjà cohérent à ce niveau-là. Après, pour l’enregistrement, nous avons fait la batterie en Suède. Ensuite, je suis à mon tour allé en Suède avec Sam pour faire la guitare et la basse, et puis finalement je me suis retrouvé à faire la guitare rythmique sur tous les morceaux que j’avais composés, ce qui fait que j’en ai fait beaucoup, ainsi que la basse sur tous les morceaux, c’est normal. Ensuite, nous avions les concerts d’été, donc effectivement, nous partions, après nous revenions… Moi, j’avais déjà fait mon boulot à l’avance ; quand je commence à aller en studio, j’aime bien tout finir. Donc pour moi, c’était terminé. Il fallait juste que je retourne en Suède à la fin, nous nous étions mis d’accord avec Jens, le producteur, pour que je rajoute des guitares acoustiques, quelques solos, car nous voulions avoir un son spécifique, un son studio, plutôt que de les enregistrer chez moi. Mais pour les autres, effectivement, le plan était : enregistrer la semaine et partir faire des concerts le week-end. Donc c’était fatigant pour eux, pour tout le monde, car il fallait de toute façon réécouter, etc. Mais ça va, nous ne sommes pas morts non plus, et puis ce n’est pas comme se lever à quatre heures du matin pour aller faire des trous dans un champ, ça reste de la musique, donc ça reste assez agréable.
Comme tu le dis, tu as dû t’occuper de beaucoup de choses, la basse, guitare rythmique, guitare acoustique, etc. Dans le communiqué de presse tu précises que tu as même perdu quelques fois ton sang-froid. As-tu la sensation d’avoir trop tiré sur la corde par moments ?
Je ne suis pas entré dans les détails, mais je suis fatigué parce qu’il y a Dragonforce, mais aussi mon autre groupe Sinsaenum, il y a le fait que je sois en tournée avec Loudblast, j’ai bossé l’été dernier sur le tribute à Massacra, alors que nous avions encore des concerts avec Dragonforce, nous avons bossé sur une conférence metal avec Stéphane [Buriez]… Donc il y a plein de trucs qui sont arrivés en même temps, et qui sont encore là. Là, je bosse sur le prochain Sinsaenum aussi. Donc oui, je perds mon sang-froid parce qu’il faut que ça aille vite quand je fais quelque chose, car je fais deux ou trois autres trucs… Là où j’ai perdu mon sang-froid, et en plus, ça a été un peu monté en sauce pour le communiqué de presse, c’est surtout quand il y avait des guitares acoustiques à enregistrer, parce que je pensais que ça irait plus vite que ça, je n’étais pas préparé et ça m’a énervé une paire de fois. Encore une fois, ce n’est pas bien grave. Mais c’est vrai que comme j’ai beaucoup de choses à faire en ce moment, dans cette période de ma vie où il y a plein de trucs qui m’arrivent musicalement, et c’est cool, mais du coup c’est vachement fatigant. Et qui dit fatigue dit énervement !
Tu es bassiste dans Dragonforce mais à la base tu es guitariste. Est-ce que c’est pour ça que tu as enregistré beaucoup de guitares sur cet album, parce que c’est plus fort que toi, la guitare vient à te manquer ?
Ça me manque oui et non, parce qu’en fait je jouais déjà de la guitare sur Maximum Overload, sauf que ça n’a pas été dit. C’est pour ça que dans le communiqué de presse, je me suis dit que j’allais bien le préciser, parce que ça passe toujours à la trappe, et ce ne sont pas les autres qui vont le dire, donc on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même ! Quand j’étais dans le groupe, au début, oui, la guitare me manquait. J’étais frustré parce que je n’étais pas intéressé par le groupe plus que ça, je n’avais aucun moyen de m’exprimer énormément musicalement parce que j’étais cantonné à la basse, et que je n’y trouvais pas mon compte, donc oui, j’étais un peu frustré. Finalement, maintenant, en jouant de la guitare sur l’album, en composant autant, ça me va très bien de ne jouer « que » de la basse, car c’est un bel instrument aussi. C’est juste que dans ce style de musique, la basse n’est pas très présente, donc soit nous aurions pu travailler sur des sonorités pour vraiment la faire ressortir, mais je ne voyais pas l’intérêt, je ne pense pas qu’il y ait besoin de cela ; je voulais avoir un son plus rond, plus gros, et du coup, il fallait que la basse soit vraiment en appui derrière, pour les fondations. Donc pas forcément plus de frustration à ce niveau-là. C’est vrai qu’en tant que guitariste, c’est comme ça que je m’exprime le mieux musicalement, c’est là où j’arrive vraiment à faire passer mes émotions, contrairement à avec une basse où je vais peut-être être un peu moins… Ce n’est pas pareil ! Comme avec un piano, je sais aussi en jouer, mais ce n’est pas pareil. Avec une guitare, j’aurai l’impression de faire passer vraiment ce que je ressens. Avec les autres instruments, ce n’est pas tout à fait pareil. Mais j’ai fait ça sur l’album, j’ai Sinsaenum à côté où je peux m’extérioriser aussi, donc je n’ai plus rien à prouver à ce niveau-là, je crois, du moins je n’ai plus rien à me prouver. Je n’ai pas besoin de me la péter, mais quand même, je précise que sur l’album, c’est moi [petits rires].
« Nous arrivions avec Ultra Beatdown à une sorte de surenchère […] C’est comme s’il y avait plein de desserts en même temps… Et moi, j’ai voulu un peu freiner la chose. »
C’est aussi logique d’être crédité pour ce que tu fais…
Ouais ! Mais ça fait déjà pas mal de temps. Sur Ultra Beatdown, j’avais fait pas mal de grattes rythmiques, je sais qu’elles sont restées sur l’album, mais les autres ont dit : « Oh, il a fait quelques guitares », et à l’époque, ça m’avait énervé. Je leur ai dit : « Non, ce n’est pas cool, les gars ! Il faut appeler un chat un chat ! » Donc voilà, que justice soit faite ! [Petits rires]
Tu as déclaré que vous avez souhaité mettre en avant autre chose que votre capacité à jouer vite et que vous avez souhaité diversifier votre musique, notamment en travaillant sur une approche plus « féroce » du chant de Marc. Est-ce que tu avais l’impression que vous étiez en train de vous enfermer dans une formule ?
En fait, ça fait un bout de temps que j’essaye de la casser. Tout revient à ce que je disais : depuis que j’ai commencé à m’intéresser au cas Dragonforce, c’est là que j’ai voulu casser le moule qu’il y avait sur les quatre premiers albums où, finalement, nous arrivions avec Ultra Beatdown à une sorte de surenchère, comme j’essaye de leur expliquer, le mauvais goût anglais, où il y a tout, et il y a trop de tout. Il y avait plein de guitares, et plein de claviers, et plein de chant, et plein de paroles, et c’était rapide, et voilà… C’est comme s’il y avait plein de desserts en même temps… Et moi, j’ai voulu un peu freiner la chose. Alors c’est ce qui plaisait aux gens, donc il y a sûrement des gens à qui ça manque, toute cette surenchère, mais moi, depuis Power Within, j’ai dit : « Les gars, hop, on va se calmer un petit peu ! On n’est pas obligés d’avoir du synthé tout le temps, on n’est pas obligés d’avoir un chant lisse, on va ralentir un petit peu le tempo… » Comme ça, quand on fait des morceaux rapides, ça envoie, alors que si c’est rapide tout le temps, de A à Z, sur l’album… Ben, tu t’en fous ! Au bout d’un moment, ça fait juste un tube, et ça fait « brllllrrll ». Alors que moi, avec mes influences, c’était important d’avoir des morceaux en changeant les tempos. Il y a des morceaux qui restent rapides, des solos aussi, mais je pense que nous n’avons plus rien à prouver, nous pouvons nous permettre de nous concentrer vraiment sur le fait d’écrire des morceaux, exploiter des horizons différents, plutôt que la surenchère, comme nous avons pu le faire pendant un moment.
Donc nous avons commencé sur Power Within, sur Maximum Overload encore plus, et puis là, non seulement mes influences font que les morceaux partent dans d’autres directions, parce que je voulais vraiment diversifier la chose, mais aussi il y avait le fait de travailler avec Marc pour qu’il interprète au lieu de chanter de manière assez lisse les morceaux, les déclamer comme ça, très bien au demeurant, mais je pensais que c’était intéressant qu’il s’approprie le personnage sur tel ou tel passage, donc j’avais des petites notes, je lui disais : « Tiens, sur ce passage, j’aimerais bien que tu fasses ça… » Il a tout de suite compris, que ce soit par message ou lorsque nous étions ensemble en tournée, en écoutant les morceaux, genre : « Tiens, tu vois ce passage-là, etc. » Il y a vraiment eu un bon dialogue entre nous, j’ai fait passer ce que je voulais, et c’est pour ça qu’il se retrouve à faire les chants death, vachement agressifs sur le morceau « War! », un chant un peu thrash, et puis des passages un peu à la Dio, Russell Allen, sur « Ashes Of The Dawn » et « Curse Of Darkness », qu’il s’exprime plus, qu’il y ait plusieurs couleurs à sa palette vocale. Ça, c’est quelque chose qui n’était pas vraiment possible avant, puisque comme les morceaux étaient tous à deux cent à l’heure, tu n’as pas de place, ça ferait juste un truc schizophrénique. Alors que là, maintenant, comme les morceaux sont plus lents, il y a justement plus de place pour la diversité.
Comme tu l’as dit, c’est Marc qui fait les voix death de « The Edge Of The World » et la reprise de « Evil Dead ». Est-ce que cela lui a demandé un apprentissage particulier ?
Il savait le faire avant. Quand nous sommes en tournée et que nous faisons « Operation Ground And Pound », et d’autres morceaux où il y a des voix comme ça, c’est généralement moi qui m’en occupe. Je cite souvent l’anecdote dans les interviews du fait que mon micro ne fonctionnait pas, mais avant ça, et ça vient de me revenir à l’instant, je me suis réveillé un jour où je n’avais plus de voix. J’avais une espèce d’extinction de voix, Sam était chez moi, donc nous étions en train de composer, mais je ne sais plus pour quel album c’était. J’arrivais à parler, mais ça bloquait dans les aigus, ce qui fait que je ne pouvais pas faire les chœurs, je ne pouvais pas crier non plus, et ça a duré pendant un bon bout de temps où j’avais perdu une partie de ma voix. Ce n’était pas handicapant, mais pour la scène, c’était un peu chiant. Du coup, Marc s’est retrouvé à faire les chants death sur « Operation Ground And Pound » notamment, je ne sais plus si nous faisions d’autres morceaux qui nécessitaient cela. Et il le faisait très bien ! Nous en parlions, et il disait que ça lui arrivait de le faire, avant, dans son autre groupe. Du coup, sur cet album-là, au départ, nous nous étions dit que ce serait moi qui le ferais, parce que je le fais sur scène. Après, nous nous sommes dit que plutôt que je le fasse, nous pourrions peut-être saisir cette opportunité pour prendre un guest comme nous l’avions fait pour l’album précédent avec Matt [Heafy] de Trivium qui avait fait ça ; nous aurions pu demander à Ihsahn d’Emperor, car nous avions pensé, avec Jens, à la possibilité de le contacter, parce que je le connais et Jens aussi ; nous aurions pu demander à Ivan [Moody] de Five Finger Death Punch de chanter sur « War! », parce que nous nous étions dit qu’il fallait un chant agressif… Et puis finalement, nous nous sommes dit : « Ben non, tiens, on va essayer avec Marc pour voir ce que ça donne », et quand nous avons écouté ça, nous avons été bluffés, nous nous sommes dit : « Putain, génial, on n’a besoin de personne, en fait ! C’est très, très bien comme ça ! » Donc je pense que ça va être une belle surprise pour les fans, et pour les gens qui avaient peut-être des a-priori sur Dragonforce, ça donne une nouvelle couleur. En fait, il n’y a que du positif. J’allais dire la phrase que je déteste le plus : « c’est que du bonheur ! » J’ai horreur de cette phrase ! Mais il n’y a vraiment que du positif dans cette évolution vocale, je trouve.
« [Le concept,] c’est quitter le monde actuel qui est tout pourri, s’en évader avec le pouvoir de la musique parce qu’il est infini. T’écoutes de la musique, tu t’envoles. Avec un dragon robotique, évidemment [petits rires]. »
Le fait d’avoir écrit cet album au beau milieu d’une tournée pour un album best-of a-t-il intensifié votre besoin de renouveau, d’air frais ?
L’enregistrement a été fait pendant la tournée de Killer Elite, mais la composition a été faite lorsque nous étions sur la tournée Maximum Overload, ça a commencé avant. Mais je ne pense pas que cela ait influencé, car le best-of est arrivé après. Il n’y a pas eu d’influence, comme je t’ai dit, nous étions censés faire la même chose, à savoir composer à deux et mélanger un peu. Je crois que Maximum Overload était bien, mais c’était un peu bâtard dans le sens où je voulais vraiment sortir de la formule Dragonforce, essayer de pousser, mais comme j’écrivais avec Sam, lui était du genre : « Non, il faut que ça reste comme ci, comme ça. » Alors que là, j’ai vraiment eu la liberté d’aller plus loin, tout en gardant quand même un cahier des charges. Je ne voulais pas non plus complètement péter les plombs, mais aller plus loin dans le départ de la ligne Dragonforce qui est d’aller comme ça, comme ça, y revenir, sinuer. Donc non, pas d’influence du best-of, juste mes influences à moi, en espérant que ça passe et que les autres laissent faire, ce qui a été le cas.
Malgré tout, est-ce que composer pendant une tournée, l’énergie du live, ça influe ?
Non. En fait, ça a été fait entre des tournées, donc ça se faisait quand nous étions à Charleville. Ça influe sûrement, comme ça a pu le faire à l’époque, parce que comme t’es tout le temps en contact avec le public, tu vois comment le public réagit, et tu vois ce qui fonctionne ou pas, donc ça va sûrement influencer, que ce soit intentionnel ou non, ta manière de composer les choses. Par exemple, le premier morceau, « Ashes Of The Dawn », son titre de travail était « First Song », parce que dans ma tête, ça allait être le premier, parce qu’il fallait que ça commence comme ça, que ce soit le premier sur l’album, le premier en concert, et qu’il y a une intro avant, donc je m’étais déjà fait mon plan parce que nous étions en tournée, avec Epica, et tout ça. Donc oui, ça joue quelque part, forcément.
Au cours de cette tournée, les gens ont pu avoir un aperçu de ce nouveau disque. Quels ont été les retours ?
En fait, au cours de la toute dernière tournée asiatique nous avons même interprété deux nouveaux titres en live : « Judgement Day » et « Curse Of Darkness ». Je dois te dire que le public semble adorer ces nouveaux morceaux, les retours sont vraiment bons. Et puis, pour nous, ils s’intègrent parfaitement avec les titres plus anciens que nous avions déjà dans la setlist. C’est toujours bien de voir qu’une chanson passe le test du live, c’est gratifiant. Faire un bon titre sur album c’est une chose, mais face au public, c’en est une autre !
Il y a un titre de douze minutes dans l’album. Est-ce que cela a été un challenge particulier ? Comment est-ce que vous avez abordé l’exercice ?
C’était l’un des plus faciles à écrire parce que j’ai toujours aimé les morceaux comme ça. Je suis fan de Maiden, avec par exemple leur chanson « Seventh Son », j’adore Cradle Of Filth, My Dying Bride, Symphony X, les longs morceaux à tiroirs, c’est quelque chose qui m’a toujours plu, et depuis que je compose du metal, tu vois j’avais un groupe qui s’appelait Memoria, à l’époque, c’était en 97-98, il y avait déjà un morceau qui durait dix minutes, avec plein de passages, des changements de tempo, des trucs mélodiques, etc., vachement influencés Cradle à l’époque. Et là, en fait, c’est venu d’une conversation avec un journaliste qui me parlait d’un morceau épique de Bathory sur l’album Hammerheart, je ne sais plus le titre. Je l’ai écouté une fois, je me suis dit : « Ouais, c’est pas mal… Mais je suis sûr que je pourrais faire aussi bien. » Et puis je me suis dit : « Ah ben tiens ! » Nous avons souvent parlé de longs morceaux de groupes avec des mélodies un peu arabisantes, qu’il y a un cliché du morceau épique, etc. Et je me suis dit que j’allais en faire un, sans faire un « Powerslave partie 2 ». J’ai voulu me faire plaisir.
Pour moi, ce n’était pas trop un challenge, et le morceau était plus long, à la base. Il faisait, je ne sais pas, je ne sais plus combien nous avons coupé. Mais en fait, j’avais rajouté toute une partie vers la fin, entre la partie death et la partie où on revient sur la mélodie du début. Entre les deux, il y avait une partie qui faisait très Maiden, puis qui accélérait et là, on revenait dans quelque chose de très Dragonforce. C’était un peu pour le justifier, pour le montrer aux autres en disant : « Si, si ! Regardez ! Il y a ça ! » Et en fait, Jens, le producteur, a dit : « Non. Faut qu’on ait des couilles. On va couper ça. » Et c’était ça le vrai challenge, qu’il n’y ait pas de Dragonforce dedans, et que le morceau vive en tant que lui-même, plutôt que d’essayer de raccrocher, en mode : « Regardez, y a un passage comme ça [imite une rythmique rapide de batterie], c’est du Dragonforce ! » Il a donc coupé le morceau, qui était donc plus long à la base, mais ça n’a pas été un challenge du tout de le composer, j’ai l’habitude de faire des morceaux comme ça.
Mais le but du jeu était de le rendre pas chiant, parce que je trouve que le groupe a déjà eu des morceaux longs avant, mais le problème, c’est que ce sont des passages qui sont répétés plein de fois. Là, je pense que je zappe vite d’idée, j’aime créer une trame, mais il faut aussi que ça évolue et que ça parte, je ne veux pas que les gens s’emmerdent, et je ne veux pas m’emmerder non plus. Donc il faut que ça évolue progressivement, mais que ça ne reste pas trop… Enfin bref, je ne sais pas comment l’analyser, toujours est-il que ça n’a pas été un problème. C’est venu comme ça, il y avait juste quelques petits trucs à la régler à la fin, comme toute cette partie calme, où c’est moi qui fais le solo de guitare, qui fait un peu Pink Floyd, même très Pink Floyd, alors qu’à la base, je voulais faire un truc à la Uli Jon Roth, sauf que je n’avais pas écrit de solo, je me suis dit que je garderais ça à la fin et que j’allais retourner en Suède. En fait, quand on enregistre là-bas, il y a vue sur les champs, etc., donc je me suis dit : « Je vais me laisser un peu emporter et on va voir ce que ça donne. » Et ça a donné ça ! Donc je n’avais pas bossé plus que ça, j’ai pris ma guitare pour voir où ça m’emmène, et ça a donné ça, le côté Pink Floyd, ce qui est bien parce que si j’avais laissé les autres le faire, on n’aurait pas eu cet effet. J’ai donc fait ce solo-là, j’ai aussi fait le solo dans « Final Stand », aussi à la fin, parce que je suis abonné aux morceaux qui partent en fade out, c’est toujours moi qui fais le solo [petits rires] ; sur « Seasons », sur « The Sun Is Dead »… Mais pour revenir à « The Edge Of The World », ça n’a pas été problématique plus que ça. En fait, pas du tout.
« J’ai toujours préféré me réfugier dans la musique, et le monde qui m’entoure ne m’intéresse que de manière très limitée. »
Comme tu disais, Sam a essayé un peu de te retenir sur l’album précédent, et même là, la musique reste globalement assez rapide. Est-ce que tu penses, au moins de leur côté, qu’il n’y a pas une peur de décevoir les fans en changeant trop de recette, etc. ?
Oui, c’est certain. Comme tu l’as dit aussi, le tempo reste quand même rapide. Nous ne ferons jamais d’album où tout est lent. Je ne pense pas que nous en arriverons là, parce que ça fait aussi partie de la recette, et c’est ce que nous proposons avec Dragonforce, il faut quand même rester un peu dans les limites. Parce que si on se pose en tant que fan, moi, Slayer, j’aime quand ça va vite, quand ça speede. Ils ont fait des albums plus lents, ça ne m’intéresse pas. Mais ça, c’est juste en tant que fan, il faut y penser un petit peu. Mais je ne me suis pas posé la question quand j’ai fait l’album, je ne me suis pas dit : « Alors, si j’étais un fan de Dragonforce… » Je crois que je l’ai fait en ayant en tête que ce soit du Dragonforce, donc la plupart des morceaux que j’ai composés étaient quand même rapides, j’étais en mode « Dragonforce composition », mais c’était intéressant de proposer des passages un peu plus lents.
Quant aux autres, je ne sais pas. En même temps, ils n’avaient qu’à arriver avec des morceaux ! [Rires] Comme ils n’ont rien proposé, au bout d’un moment, c’est tout, tu fais avec ce que tu as. Mais c’est vrai que pendant un moment, il y avait Herman [Li] qui était un peu du genre : « Ah, je ne sais pas si ça nous ressemble, si c’est vraiment nous, etc. » Et quand nous avons commencé à enregistrer, nous avons eu un bon feeling. Jens nous disait : « Il est bien cet album-là ! Il va peut-être être mieux ! » Franchement, quand nous avons commencé à enregistrer, nous ne savions pas trop. J’avais composé tous ces morceaux-là, mais je me demandais un peu si c’était bien, parce que je trouvais que Maximum Overload était bien, je trouvais que nous avions fait un bon boulot. Quand nous avons commencé l’enregistrement, je me suis demandé si ça allait bien rendre, ou si nous n’étions pas en train de nous planter. Du coup, je suis retourné en Suède pour écouter les morceaux, c’était en octobre-novembre, et j’étais vraiment : « Putain, en fait, il est bien ! » J’ai écrit aux autres, je leur ai dit : « En fait, il est vachement bien l’album ! » De l’eau avait coulé sous les ponts, puisque comme je te disais, j’ai fait tout mon boulot assez rapidement et après, j’avais tous mes trucs, Sinsaenum, Loudblast, etc. Et quand j’y suis retourné, j’ai fait : « Oh la vache ! Putain mais c’est cool en fait ! Il est vraiment bien cet album ! » Et je n’ai plus entendu qui que ce soit dire : « Est-ce que c’est vraiment nous ? », etc.
Je pense que c’est intéressant parce que les deux morceaux que Sam a composés seul sur l’album – « Judgement Day » et « Midnight Madness » – , du coup, c’est frais par rapport au reste de l’album, c’est différent, alors que c’est typiquement ce qu’il a fait sur tous les albums d’avant. En fait, nous avons un peu inversé le truc, et c’est bien comme ça, plus personne ne s’est plaint, en tout cas. Effectivement, au début, il y avait des réserves, mais comme tous les musiciens ont aussi une patte assez reconnaissable, et le fait que nous jouions tous ensemble sonne Dragonforce, ça fait que nous avons pu nous permettre d’aller à gauche, à droite, mais au final, ça sonne Dragonforce. Encore une fois, c’est mon avis…
Votre pochette semble être un mélange d’influences et d’univers différents, le meilleur exemple étant la présence d’un dragon robotisé. Qu’y a-t-il derrière ce mélange entre heroic fantasy et science-fiction ?
C’est un peu ce que nous faisons aussi dans notre musique, finalement. Encore une fois, je pense qu’au final, ce n’était pas volontaire de mettre ça sur la pochette, de créer un mélange des genres, mais parce qu’en fait nous voulions ça, ça et ça, ça illustre bien ce que nous sommes musicalement. À la base, je voulais appeler l’album The Edge Of The World, dont l’idée de base était d’avoir le DF planté comme ça au milieu d’un monde un peu détruit, et que ce soit justement le bout du monde : est-ce qu’il aurait été planté comme ça, et après plus rien, ou bien est-ce qu’il était au milieu… Et puis finalement, il y a plusieurs albums qui s’appellent The Edge Of The World, donc nous avons changé. Je n’avais pas fait mon travail là, clairement, j’avais dit : « C’est bien comme titre ! », mais je n’avais pas vérifié, j’aurais dû. Mais du coup, nous avons gardé le concept de la pochette, sauf que nous avons mis une boule d’énergie autour, toujours la ville détruite autour, qui représente un peu le monde actuellement, et en fait le DF et le dragon qui se matérialise, c’est un peu notre musique. L’énergie de notre musique qui part au milieu de ce monde détruit, c’est ça le concept, s’il y en a un, derrière le titre ; c’est quitter le monde actuel qui est tout pourri, s’en évader avec le pouvoir de la musique parce qu’il est infini. T’écoutes de la musique, tu t’envoles. Avec un dragon robotique, évidemment [petits rires].
Votre musique étant très épique, impressionnante, voire hors normes parfois, vois-tu la musique de Dragonforce comme une fresque épique et inspirante qui permettrait aux auditeurs de croire à un idéal et à oublier les bassesses de la réalité ?
J’ai toujours préféré me réfugier dans la musique, et le monde qui m’entoure ne m’intéresse que de manière très limitée. Ça c’est la version courte, pour te résumer ça dans les grandes lignes. Après, on pourrait en parler pendant des heures, mais quoiqu’il en soit, j’ai besoin de la musique, elle m’aide à m’évader, elle me procure des émotions nécessaires à mon bien-être et elle me permet également de m’exprimer. J’essaie de partager cela avec ceux qui veulent écouter, et quelque part, même si ça fait cliché à dire, entrer dans mon univers. Au final, je fais tout cela pour moi, et si les gens apprécient, c’est encore mieux, car c’est un sentiment très fort que d’entrer en communion par le biais de la musique, plein de gens qui vibrent au même moment grâce à la même mélodie, c’est aussi pour cela que l’on fait ce métier, pour cet aspect de partage.
« La perception change, les plus jeunes tapent plus vite que moi sur un téléphone pour écrire un message, et j’écris plus vite que mes parents… J’imagine que cela peut s’appliquer à la musique aussi ! Après, à savoir si le résultat sera bon… »
Comme on disait, la rapidité des tempos reste une des marques de fabrique de Dragonforce. Or jouer vite sur la basse peut-être très compliqué en terme de rendu sonore, ça peut vite devenir de la bouillie. Du coup, quelle est ton approche pour éviter ce rendu « bouillesque » ?
[Rires] À la basse, quand ça fait des double-croches à la grosse caisse, je vais juste faire des croches, donc tous les deux coups. Je vais me concentrer sur le pied droit, si l’on imagine que le batteur commence sur le pied droit, ce qui fait que ça crée une nappe. Et après, il faut avoir un son pas trop « bouillesque » non plus à la base, dans tes réglages de son. J’essaye de trouver mon espace, mais vu qu’il y a la guitare qui prend déjà beaucoup de place et la batterie qui fait « tadadadada », j’essaye d’en mettre là où c’est possible d’en mettre, mais il n’y a pas beaucoup de place, sinon ce serait vite le bordel. C’est surtout un travail de son, mais le secret, c’est qu’au lieu de jouer toutes les double-croches, tu joues en croches. Ça, c’était la bassiste d’All That Remains qui me l’avait dit quand nous étions sur Ozzfest. Elle me disait : « Moi, je fais ça, mais le problème c’est que, quand tu le fais sur scène, si tu fais ça comme ça [mime], ça donne pas beaucoup de… ça n’a pas de gueule quoi ! ». Donc autant, sur scène, tu peux te donner à fond, mais en studio, c’est vrai que ça rend mieux, ça aère un peu plus le truc.
Le guitariste Herman Li a récemment démenti la théorie de certains internautes prétendant que les tempos des morceaux sont accélérés en post production. Metallica s’était fait accuser de la même chose à ses débuts et la vitesse de ces titres paraît aujourd’hui dérisoire comparée à ce que vous faites. Penses-tu que dans vingt ou trente ans, les tempos auront encore augmenté ? Et y a-t-il une limite à l’intérêt artistique de jouer de plus en plus vite ?
Sûrement ! La perception change, les plus jeunes tapent plus vite que moi sur un téléphone pour écrire un message, et j’écris plus vite que mes parents… J’imagine que cela peut s’appliquer à la musique aussi ! Après, à savoir si le résultat sera bon… Il faut se dire que nous avons grandi en écoutant Maiden, Metallica, et que nous avons voulu jouer plus vite, et que des gamins nous écoutent et bossent nos solos et veulent aller plus vite à leur tour. Pour ma part, faire de la vitesse « pour la vitesse », ça ne m’intéresse pas, ou du moins plus maintenant. Certains groupes font du gravity blast, et je trouve ça marrant mais c’est trop à mon goût. Après, je dis ça, mais je suis un grand fan d’Allan Holdsworth, qui était d’une rapidité déconcertante pendant ses solos. Et quand j’étais jeune, c’était grisant de bosser « Damage Inc. » à la gratte, puis de le jouer à mes potes « plus vite », il y a aussi un côté assez frimeur dans tout cela, ce qui fait aussi que ça me passe un peu au-dessus maintenant. Bref, tout est question de ressenti, je suppose. Et il faut surtout qu’aller vite ne soit pas un but en soi et ne nuise pas au feeling. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait un « chiffre-limite » du tempo à ne pas dépasser, c’est vraiment fonction du morceau et de ce qu’il nécessite.
Question peut-être stupide, mais est-ce que les morceaux sont composés au tempo ou bien vous augmentez le tempo des chansons de plusieurs point après coup, avant de passer à l’enregistrement ?
Généralement, le tempo vient en même temps que la mélodie, c’est un ensemble. Mais parfois tu réécoutes et tu te dis « mmmh, c’est un peu mou, on pourrait essayer plus vite », ou à l’inverse, « c’est un peu débile à cette vitesse, ralentissons un peu, posons le tempo, ça rendra le truc plus efficace ».
Inversement, jouer lentement représente-t-il une difficulté pour vous ? Il est plus difficile qu’il n’y paraît de bien placer des notes à un tempo très lent…
Difficulté, je ne sais pas, mais effectivement c’est plus dur qu’il n’y paraît : quand c’est rapide, tout se mélange plus facilement, et quelque part ça peut masquer certains cafouillages, alors que si c’est lent, il faut impérativement être plus précis, vraiment en place.
De façon générale, quels sont les challenges autres que la pure technique que vous rencontrez en écrivant de la musique dans Dragonforce ?
Il y en a quelques-uns. Par exemple, écrire un morceau qui me plait toujours, même après vingt écoutes [petits rires]. Un des plus gros challenges, et de plus en plus avec le temps, c’est aussi de ne pas se répéter, savoir se renouveler tout en gardant son identité ; pendant les sessions de Reaching Into Infinity, j’ai par exemple composé un titre « à la Maiden », et quand nous avons réécouté la maquette quelques temps après, Sam et moi nous sommes dit : « Là c’est too much, trop Maiden » [rires]. C’est parfois aussi difficile tout simplement de trouver l’inspiration, et pour ce qui me concerne, surtout au niveau des paroles. Il y a vraiment un champ lexical du metal, il n’est pas toujours évident d’en sortir, et de manière générale le fait d’écrire des textes, ce n’est pas mon point fort. Je préfère m’exprimer par la musique, c’est quelque chose qui me semble plus naturel.
Même si Dragonforce n’a rien à voir avec Sinsaenum musicalement, ça reste un groupe très extrême dans sa démarche. Du coup, est-ce que tu fais un parallèle ? Ce que je veux dire, c’est est-ce que tu es particulièrement attiré par le côté extrême de la musique ?
Non. Avec Dragonforce, je n’ai pas voulu pousser les choses au bout. Encore une fois, j’essaye de freiner, de faire quelque chose de plus traditionnel, écrire des chansons. Sinsaenum, c’est extrême dans la démarche, parce que c’est du death, etc., mais c’est une nécessité pour moi d’exprimer ce côté-là, cette noirceur, parce que j’ai beau être super sympa [petits rires], j’ai quand même un côté sombre, que j’exprime avec Sinsaenum. Du coup, non, le côté extrême de Dragonforce, j’ai voulu le freiner parce que je trouvais que c’était too much. Je pense que ce n’est bien que quand c’est justifié. Pour moi, sur Ultra Beatdown, ce n’était pas justifié, c’était juste rajouter pour faire plus, sans qu’il y ait le bon goût. Donc maintenant, quand les gens nous définissent, c’est vrai que c’est intense, rapide, et ça me va parce que pour moi, ce n’est pas trop un challenge de jouer avec Dragonforce. C’est rapide, mais j’ai l’habitude, je sais jouer rapidement. C’est plus un challenge pour nous de justement, comme on disait, ralentir le tempo et de proposer d’autres choses aux gens.
« J’écoute de tout, mais pas n’importe quoi pour autant ! Je n’écoute absolument jamais la radio, et je regarde très peu la télé. […] Et accessoirement je dégueule sur la musique de bobos. »
Tu as sorti l’année dernière l’album de Sinsaenum que tu as quasi-entièrement composé, là tu sors l’album de Dragonforce que tu as également quasi-entièrement composé. Ces deux albums ont représenté deux engagements forts de ta part. Même si l’album de Sinsaenum a été composé sur une plus longue période de temps, comment parviens-tu à maintenir le jus créatif à un tel niveau ?
Bonne question ! Je n’en sais rien, en fait, je n’y réfléchis pas trop, en fait, ça se fait assez naturellement, et honnêtement je ne vais pas m’en plaindre ! Pour tout te dire, comme je disais, je travaille à nouveau sur Sinsaenum en ce moment, et même si je suis un peu fatigué notamment du fait de la tournée Dragonforce, j’arrive quand même à trouver l’inspiration, encore une fois je ne m’en plains pas, bien au contraire !
Il y a un titre bonus qui est une reprise de Death, « Evil Dead ». Est-ce que ça a été un challenge de reprendre un titre de death metal pour un groupe qui, à la base, ne pratique pas le death metal ?
Je ne parlerais pas vraiment de challenge. D’un point de vue technique, en tous cas, ça n’en a pas du tout été un. D’un point de vue stylistique, que ce soit Herman, Sam ou moi-même, nous sommes tous les trois fans de Death, et nous avons trouvé, je pense, le juste milieu entre fidélité à l’original et une reprise « à la sauce Dragonforce ». Maintenant, reste à voir ce que les gens en penseront, car finalement ce sont les auditeurs qui sont juges !
Est-ce que travailler sur l’œuvre d’artistes dans des registres différents, comme Johnny Cash par le passé, vous permet d’élargir le spectre musical de Dragonforce ?
Ces morceaux sont assez simples musicalement dans leur structure, et nous les connaissons depuis longtemps, donc je ne pense pas qu’ils nous influenceront à nouveau. Je parle surtout là pour « Evil Dead » et « Gloria » (la reprise du groupe Ziggy, bonus de la version japonaise du disque, NDLR), parce que pour Johnny Cash, ce n’est vraiment pas mon style de prédilection, donc clairement c’est très peu probable que ça m’influence [petits rires].
Peux-tu nous parler de tes goûts musicaux qui sont moins directement liés à Dragonforce ? Qu’écoutes-tu que l’on ne soupçonne pas ?
Je te l’ai dit tout à l’heure, j’adore Allan Holdsworth, et j’étais absolument dévasté d’apprendre sa mort il y a quelques semaines, je me suis même surpris à pleurer ! Mais à part ça, un peu de tout en fait pour ma part, du jazz fusion, du disco, pas mal de trucs des années 80, de la chanson française pure et dure, du funk, de la musique classique, de l’électro… Ceci dit, oui j’écoute de tout, mais pas n’importe quoi pour autant ! Je n’écoute absolument jamais la radio, et je regarde très peu la télé. Et du coup, quand il m’arrive par malheur de tomber sur une émission musicale ou d’entendre de la musique dans un taxi ou un supermarché, je suis effaré par la merde qu’on fournit aux gens actuellement. Et accessoirement je dégueule sur la musique de bobos. J’ai une liste de noms en tête, mais je ne dirai rien [petits rires].
Reaching Into Infinity est le premier album que le batteur Gee Anzalone enregistre avec Dragonforce, même s’il est dans le groupe depuis 2014 déjà. Qu’est-ce qu’il a apporté au groupe ?
La recette correcte des pâtes, une dégradation du niveau général d’anglais et des expressions italiennes assez dégueulasses ! [Rires] Non, sérieusement, c’est un mec plein d’énergie, que ce soit à titre personnel ou bien dans son jeu, et comme en plus c’est son premier album avec nous, comme tu le disais, mais il fait aussi ses premières tournées mondiales, il découvre un peu si l’on peut dire, et il a un enthousiasme qui est communicatif !
Votre line-up dans Dragonforce est devenu très « international ». Est-ce que ces différentes sensibilités culturelles se ressentent dans la manière d’écrire et de jouer de la musique ?
Je ne sais pas. Sûrement, quelque part, puisque nous avons des backgrounds différents, donc j’imagine que nous apportons chacun un peu de notre personnalité et de notre culture. Après, de là à dire que cela se ressent fortement, je ne sais pas, je n’irais pas forcément jusque-là, mais je ne suis pas forcément le mieux placé pour te dire.
Herman Li a déclaré qu’il ne craint pas trop les internautes à la critique facile, les « haters ». Au contraire, ça le fait plutôt marrer. Est-ce que tu partages sa décontraction ?
En grande partie, oui. Parfois ça m’énerve, mais il faut bien dire aussi les gens m’énervent en général ! [Petits rires] Donc oui, c’est forcément frustrant quand tu travailles dur sur un album et que tu lis que c’est de la merde, ou qu’on attribue le fruit de ton labeur à quelqu’un d’autre, des choses comme ça, c’est clair que ça ne te fait pas plaisir. Pour autant, il faut garder à l’esprit, ou du moins c’est ce que j’essaie de faire, que ça vient généralement de gens qui sont frustrés et jaloux, et ça vaut ce que ça vaut !
Interview réalisée en face à face le 4 avril 2017 par Aline Meyer.
Fiche de questions de Nicolas Gricourt et Philippe Sliwa.
Introduction : Nicolas Gricourt.
Retranscription : Robin Collas.
Photos : Paul Harries (2, 3, 6, 7) & Timo Jaeger (5).
Site officiel de Dragonforce : www.dragonforce.com.
Acheter l’album Reaching Into Infinity.