Vingt-cinq ans que Dropkick Murphys arpente les scènes pour entretenir tout un imaginaire houblonné où la sueur est indissociable de la bromance et de la mélancolie de port d’attache. Les Américains n’ont jamais vraiment dévié de leur trajectoire, trop heureux de maintenir le lien avec une audience à la fidélité éprouvée. Malgré tout, quatre années se sont écoulées pour que Turn Up That Dial nous parvienne. Il est le premier album avec Kevin Rheault intronisé en tant que bassiste, Ken Casey s’occupant uniquement du chant depuis son accident de moto en 2018. Après un 11 Short Stories Of Pain & Glory (2017) un peu plus nuancé et introspectif, Turn Up That Dial se recentre sur le « cœur de métier » du groupe et se présente comme une célébration. Il souligne le rôle essentiel d’une formation telle que Dropkick Murphys en ces temps moroses : la musique aide à soutenir le poids de la réalité en permettant de lui échapper. Peu importe qu’on soit seul chez soi ou avachi sur un billard par péché d’orgueil, légende d’un autre temps…
Turn Up That Dial est une manière pour Dropkick Murphys de se confronter à la pandémie. L’interruption du rythme effréné des tournées lui a permis d’apprécier la musique à un niveau plus intime et de renouer avec sa dimension d’échappatoire. Turn Up That Dial se rapproche davantage des premiers efforts du groupe, ceux qui nous invitent à festoyer avec nos camarades sans se soucier des journées de labeur passées et à venir. Les contraintes sanitaires ont compliqué la tâche en studio, les membres du groupe devaient rencontrer le producteur Ted Hutt par intermittence pour limiter le brassage. Si peu pour le compagnonnage… Ce serait occulter trop rapidement la résolution et l’expérience de Dropkick Murphys en la matière. « Turn Up That Dial » ne pourrait pas être plus explicite. Il s’agit de monter le volume et de se laisser aller. Dropkick Murphys a l’arsenal adéquat, avec ses accords élancés, son accordéon, sa cornemuse, le charisme de ses frontmen et l’énergie de ses chœurs. Dropkick Murphys célèbre aussi l’amitié entre ses membres, à l’image de « L-EE-B-O-Y » destiné à « vanter » les qualités de Lee Forshner, le cornemusiste du groupe. Il y a toujours une pointe de mélancolie présente dans la musique de Dropkick Murphys, cependant moins prononcée que sur les efforts les plus récents : Turn Up That Dial ne souffre pas le fredonnement. Toutefois, le banjo de « City By The Sea » nous invite à retourner profiter des effluves marins et de l’air iodé tandis qu’« I Wish You Were Here » fait office d’adieu au père décédé d’Al Barr, Woody. Roulements de caisse claire, accordéon, chœurs en arrière-plan et banjo pour une seule vocation : nous arracher une larme sans effusions excessives.
L’aspect résolument festif de Turn Up That Dial ne doit pas être assimilé à la présumée gratuité de sa musique. Elle offre un second degré de lecture. « Turn Up That Dial » n’est pas seulement une incitation à l’exutoire, il est aussi un appel à se faire entendre. Sans se revendiquer politique, Dropkick Murphys n’est pas exempt de revendications, aussi larges soient-elles. « Chosen Few » s’en prend aux hommes (un en particulier) politiques qui ont mis en exergue la division régnant au sein de la population américaine. Le tout en gardant le sourire, en reprenant même le thème légendaire de 1969 du groupe fictif Steam « Na Na Hey Hey Kiss Him Goodbye ». « Middle Finger » et « Smash Shit Up » sont quant à eux une manière de renouer avec le passé adolescent sulfureux de certains des membres du groupe. Là où l’insouciance et l’inconscience coïncident avec la volonté de ne pas courber l’échine systématiquement. On n’est jamais totalement impuissant lorsqu’on peut au moins défoncer un paquet de bordel en tant que rebelle à la batte (ou à la pelleteuse).
Turn Up That Dial est un rappel primordial. Il nous fait revivre des temps plus heureux où le vivre-ensemble indispensable s’exprimait peu importe sa forme. Dropkick Murphys défoule indéniablement mais il rappelle surtout une chose : que la sortie de crise – responsable – ne doit pas viser autre chose qu’un retour à ce qu’il met en scène et ce qu’il incarne. Moins serait une défaite cuisante et Dropkick Murphys ne le tolérerait pas.
Chanson « Middle Finger » :
Clip vidéo de la chanson « Smash Shit Up » :
Clip vidéo de la chanson « Mick Jones Nicked My Pudding » :
Clip vidéo de la chanson « I Wish You Were Here » :
Album Turn Up That Dial, sortie le 30 avril 2021 via Born & Bred Records. Disponible à l’achat ici