Le rythme des sorties d’album d’Embryonic Cells est parlant. Autant les disques précédents étaient espacés de plusieurs années, autant Decline sort deux ans à peine après Horizon. Le guitariste chanteur Maxime Beaulieu l’admet volontiers, par le passé, le perfectionnisme pouvait parfois basculer vers l’immobilisme. Cette fréquence de sorties accrue est donc bien le signe d’une prise de conscience et d’une volonté d’enchaîner.
Le groupe bat donc le fer tant qu’il est chaud avec un album qui reprend les bases de Horizon et notamment de sa diversité vocale. La nouveauté et le défi de ce Decline résident notamment dans l’absence de claviers, Pierre Le Pape étant absent. Sa thématique, le déclin de l’humanité, trouve naturellement une forte résonnance dans le contexte de pandémie dans lequel sort le disque.
Nous avons détaillé cela avec Maxime, non sans avoir pris le temps d’évoquer sa fascination pour Eddie Van Halen, influence certes invisible dans la musique d’Embryonic Cells, mais fondamentale dans sa construction en tant que musicien.
« Artistiquement, la posture du Penseur de Rodin n’est pas la posture la plus adéquate. Il y a un moment où il faut arrêter de penser, où il faut arrêter de procrastiner, et il y a un moment où il faut prendre le risque de sortir ça, parce qu’on a fait ça à ce moment-là. Clairement, aujourd’hui, Embryonic Cells s’inscrit dans l’action. »
Radio Metal : Tu as fait un post sur la page Facebook du groupe pour rappeler que, même si ce n’était pas quelque chose que l’on entend directement dans la musique d’Embryonic Cells, Eddie Van Halen était quelqu’un qui avait eu une influence sur toi. Peux-tu nous parler de ce qu’Eddie Van Halen a représenté pour toi ?
Maxime Beaulieu (chant & guitare) : Pour moi, sa disparition a plutôt été un choc. Déjà, je trouve ça très injuste. Je trouve qu’il est parti beaucoup trop tôt. Et surtout, je n’avais jamais vu Eddie Van Halen sur scène, et je cultivais l’espoir de le voir sur une tournée ou un gros festival. Ça fait partie des grandes entités de rock/metal que je n’ai pas pu voir sur scène. Franchement, c’est une frustration et c’est une vraie tristesse. J’ai découvert Van Halen dans ma jeunesse, je me suis cassé les doigts à essayer de reproduire ses parties de guitares, comme tout apprenti guitariste ! Encore aujourd’hui, même si je suis un guitariste un peu plus aguerri, je me casse toujours les doigts sur du Van Halen ! Il a un style inimitable, il a apporté beaucoup. Je pense que c’est un personnage rocambolesque qui s’inscrit dans la grande histoire du rock. Je trouve qu’il y a toute sa place. Comme évoqué sur les réseaux sociaux, c’est vrai qu’on ne peut pas dire que l’ombre d’Eddie Van Halen et de son style plane vraiment sur la musique d’Embryonic Cells, mais pour moi, en tant que guitariste, il fait partie des entités importantes.
Pour un guitariste, qu’est-ce qui fait que le jeu de Van Halen était si particulier, au point que même des guitaristes confirmés aient encore du mal à jouer ces parties-là ? Quel était le « truc » de Van Halen à la guitare ?
Après, c’est très subjectif, c’est vraiment une lecture personnelle, mais quand on écoute un solo de Van Halen, ça paraît parfois très récitatif, très expert, mais pour moi, la principale qualité qui peut définir le style de Van Halen, c’est que c’est un incroyable feeling, à la base. Ce feeling vient de ses tripes à lui, il vient de son histoire à lui, il vient de sa main à lui. C’est une singularité qu’il a. Je pense qu’il ne faut pas essayer de reproduire mécaniquement du Van Halen. On peut essayer de s’approprier les morceaux de Van Halen, mais imiter cette patte, ce feeling si particulier, si inimitable, pour moi, c’est une épreuve qui n’a pas de sens.
Même si on n’entend pas du tout l’influence de Van Halen dans la musique d’Embryonic Cells, car ce n’est pas du tout le même style, penses-tu malgré tout que ça soit important, en tant que musicien, de ne jamais oublier ces influences un peu invisibles, même si on ne les utilise pas directement dans la musique que l’on fait ?
Oui ! Une fois de plus, je pense que dans l’histoire du rock/metal, Eddie Van Halen est une figure incontournable, c’est une première chose. La deuxième chose, c’est que moi, je suis le guitariste d’Embryonic Cells, mais je ne suis pas que le guitariste d’Embryonic Cells. C’est-à-dire que je suis guitariste tout court, et en dehors d’Embryonic Cells, j’aime pratiquer d’autres styles. J’ai des affinités avec le jazz, avec la bossa nova… J’ai d’autres styles. Je ne m’interdis aucune pratique et aucun style. Et j’aime multiplier mes angles d’oreille, en quelque sorte. Après, dans le prochain Embryonic Cells, il n’est pas du tout exclu qu’Embryonic Cells réintègre des solos, et il n’est pas exclu non plus que je mette quelques tappings à la Eddie Van Halen sur le prochain album !
Avec Embryonic Cells, votre histoire a été laborieuse au début. Or après Horizon, l’album de 2018, vous êtes déjà de retour avec un nouvel album en 2020. Vous avez donc clairement trouvé une bonne dynamique et une bonne régularité. À quoi attribues-tu cela ?
Dans la discographie d’Embryonic Cells, parfois, il y a plusieurs années, parfois très longues, entre certains albums. Parfois cinq ans, parfois sept ans… C’est long, pour sortir des albums. En vingt-cinq ans de musique, sortir cinq albums, ça peut sembler peu. Effectivement, comme tu le dis, il y a un écart relativement faible entre la sortie d’Horizon et la sortie de Decline. Je crois que nous en sommes à un stade de notre vie, peut-être, où nous n’avons plus envie de nous laisser submerger par les aléas logistiques, par tout un tas de questions, d’interrogations sur le processus créatif, qui finalement, génèrent soit de l’immobilisme, soit de l’inhibition, soit une franche paralysie. Aujourd’hui, nous avons une envie, c’est écrire les morceaux. Nous prenons du plaisir à composer ces morceaux ensemble. Nous n’avons pas envie de perdre de temps. Un des nouveaux leitmotivs, c’est carpe diem, et sortons ce que nous avons à sortir.
« On a souvent tendance à dire ou à lire : ‘Ça va être la fin de la planète !’ Non, je pense que la planète nous survivra largement. La fin de l’humanité, peut-être, mais la fin de la planète, certainement pas. »
Penses-tu que le fait de trop prendre son temps sur de la musique, même si ça peut passer pour du perfectionnisme, à terme, malgré tout, c’est quelque chose qui peut provoquer de la démotivation et de l’immobilisme, comme tu l’as dit ?
Oui. Pour être tout à fait franc, aujourd’hui, nous sortons Decline. Nous avons vraiment à cœur de défendre ces morceaux sur scène, en espérant que l’opportunité de jouer s’ouvre de nouveau ces prochains mois, même si je ne suis pas très optimiste sur cette question. Mais nous, nous avons vraiment à cœur de défendre ces nouveaux morceaux. Néanmoins, déjà, en pleine promotion de Decline, l’envie de composer est déjà là, parce qu’en fait, nous avons plein de choses à dire. Tous les jours, j’ai plein de nouveaux riffs sur mon manche qui me disent : « Prends-moi ! Intègre-moi dans le catalogue ! » Un des grands plaisirs d’Embryonic Cells, c’est que nous ne soyons pas principalement un groupe de studio. Nous sommes un groupe de potes avant tout, qui aiment jammer ensemble, qui aiment répéter dans une salle ensemble, qui aiment collaborer et créer ensemble.
Penses-tu que par le passé, le fait qu’il y ait eu de longues années, c’était dû au fait qu’il y avait trop de questionnements ?
Oui, je pense que c’est le cas. Je pense qu’artistiquement, la posture du Penseur de Rodin n’est pas la posture la plus adéquate. Il y a un moment où il faut arrêter de penser, où il faut arrêter de procrastiner, et il y a un moment où il faut prendre le risque de sortir ça, parce qu’on a fait ça à ce moment-là. Clairement, aujourd’hui, Embryonic Cells s’inscrit dans l’action.
Entre The Dread Sentence et Horizon, il y a six ans, et entre Horizon et Decline, il y a deux ans. Penses-tu que vous ayez paradoxalement plus évolué entre Horizon et Decline qu’entre The Dread Sentence et Horizon, malgré le fait qu’il n’y ait eu que deux ans ?
C’est assez difficile de te le dire, parce que je suis intégré au processus créatif et de ce fait, je ne suis peut-être pas la personne la plus objective. Ce que je peux te dire intuitivement, c’est d’abord que Decline n’a pas de claviers, et c’est la première fois. C’est un tournant important. Il n’y a pas de claviers sur Decline, alors que les claviers accompagnaient les albums d’Embryonic Cells depuis un long moment. C’est un tournant musical, une évolution qui est assez forte.
Tu viens d’en parler, il n’y a pas de claviers, Pierre Le Pape n’est pas sur cet album-là. Peux-tu nous détailler ce choix ?
Oui. L’allégorie peut sembler maladroite, mais au contraire elle me semble très parlante : je compare souvent la vie des groupes aux histoires d’amour. L’amour, on se retrouve, on se sépare, et on peut se retrouver, et se séparer de nouveau… L’amour et les groupes, c’est comme la Bourse, ça monte et ça descend ! Nous sommes en très bonne relation avec Pierre, et nous entretenons vraiment de très bons rapports. Le truc, c’est que j’ai orchestré cette année un déménagement géographique, qui a un peu rebattu toutes les cartes. Et puis tu n’es pas sans savoir que Pierre Le Pape est une personne très sollicitée, qui est multidimensionnelle, qui a ses propres groupes et qui joue dans plein de groupes. Donc il y a un moment, dans ce nouveau contexte, où Pierre a dû prioriser, faire des choix, et c’est la raison pour laquelle Pierre Le Pape n’est pas présent sur Decline.
Au final, ce choix qui a eu une incidence artistique n’était au départ qu’un choix de logistique ? Pierre Le Pape n’était pas dispo, du coup vous avez fait un album sans claviers ?
Absolument. Mais en même temps, pour nous, c’était très enthousiasmant, parce que ça nous ouvrait une fenêtre, une opportunité créative nouvelle. Je pense que cette absence de claviers, une fois encore c’est difficile pour moi d’en parler, mais elle nous a permis d’inscrire ces nouvelles compositions dans une nouvelle hybridation et, surtout, ça nous permet de proposer des morceaux qui me semblent un peu plus rentre-dedans, un peu plus massifs.
Malgré tout, si les planètes sont alignées dans le bon sens, vois-tu Pierre revenir sur un prochain album ?
Franchement, je reviens sur ma métaphore des couples amoureux, tout est envisageable. Pierre Le Pape, pour ne parler que de lui, il est déjà entré dans Embryonic Cells et il est déjà sorti d’Embryonic Cells, par le passé. Personnellement, je ne suis pas quelqu’un qui est de nature à s’interdire des choses ou à fermer des fenêtres. Tout peut arriver, dans la vie.
Est-ce que, par curiosité, tu as pu faire écouter ce travail que vous avez fait sans claviers à Pierre Le Pape pour voir ce que lui pensait du projet sans claviers ?
L’album est sorti le 9 octobre officiellement. Là, nous sommes en pleine promo. J’ai soumis notre clip à Pierre et à ce jour, je suis sans retour ! Ça me rappelle qu’il faut que je le sollicite à ce sujet, je suis très curieux de son avis.
« C’est cette arrogance humaine à toujours s’extérioriser de la nature, et ne pas intégrer que l’homme fait partie de la nature. Il est intégré dans la nature. Il fait partie de l’écosystème. Dans ce contexte, sa survie dépend de la bonne santé de nos écosystèmes. »
La diversité vocale de cet album est assez bien symbolisée par le morceau « Devoid Of Promise » qui a du chant parlé, du chant black et du chant clair, très cérémonieux. Comment cette diversité vocale a-t-elle trouvé sa place dans la musique ?
Cette nouvelle évolution du chant avait déjà été amorcée sur Horizon, par-ci, par-là, où il y avait un petit peu de chant clair. Je pense notamment au morceau « No Boundaries », qui figure sur Horizon. J’étais plutôt content du résultat et les retours étaient plutôt enthousiastes sur cette nouvelle facette du chant d’Embryonic Cells. Donc pour le nouvel album, c’était d’abord une envie personnelle, puis une envie collective, du groupe. Puis ça s’est fait de manière tout à fait intuitive, fluide et plutôt logique sur les nouvelles compositions. En fait, ça s’est fait tout seul. Après, il y a le fait que moi, en tant que compositeur et en tant que fan de musique, je suis assez hybride. Par exemple, j’écoute énormément de groupes comme Depeche Mode, par exemple. Je trouve que c’est un groupe très inspirant et qui, pour ma part, continue à sortir des albums auxquels je prête beaucoup d’oreille. C’est une espèce de confluent d’envies et d’influences. Ça s’est fait de manière tout à fait naturelle.
Est-ce que ça a nécessité un travail en amont sur la voix ou est-ce que ça s’est fait spontanément, sans nécessiter une grande préparation particulière ?
Le travail en studio a révélé plusieurs choses. En studio, je l’ai fait de manière assez intuitive, spontanée, et c’est plutôt sorti comme ça. Ça a naturellement fait l’objet de quelques ajustements, mais ça s’est plutôt fait de manière intuitive. Maintenant, j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire et ça a révélé pas mal de nouvelles envies. Là, pour le prochain album, pour le coup, j’ai très envie de développer cette direction et de m’engager dans un travail de chant et de préparation beaucoup plus sérieux.
Decline, le déclin, c’est vraiment un processus lent et sans retour. C’est donc un thème très sombre. Que mets-tu derrière ce mot ?
En fait, l’album Decline n’est pas un véritable concept-album. Néanmoins, il y a un fil rouge narratif qui lie les morceaux entre eux. Les paroles de cet album décrivent la manière dont notre monde s’effondre de façon un peu invisible. C’est-à-dire qu’autour de nous, les signaux de l’effondrement se multiplient. Cette pandémie que nous traversons tous actuellement est l’un de ces signaux, et pourtant, on ne réagit pas ou trop peu. Decline, qui est une espèce de conte collapsologique, décrit en quelque sorte notre incapacité à réagir aux signaux que nos écosystèmes nous envoient.
Decline a vraiment un côté inéluctable. Penses-tu que ce que tu décris est inéluctable ?
C’est vrai que l’on a souvent tendance à dire ou à lire : « Ça va être la fin de la planète ! ». Non, je pense que la planète nous survivra largement. La fin de l’humanité, peut-être, mais la fin de la planète, certainement pas. Par contre, ce qui est très alarmant et très préoccupant, c’est le déclin inéluctable de notre biodiversité. Aujourd’hui, on peut confronter tout un tas d’études qui démontrent avec le plus de données possible que cinquante à soixante-dix pour cent de notre biodiversité a disparu en l’espace de cinquante ans. Ça, c’est tout à fait alarmant. C’est ce qui est un peu décrit dans Decline, c’est cette arrogance humaine à toujours s’extérioriser de la nature, et ne pas intégrer que l’homme fait partie de la nature. Il est intégré dans la nature. Il fait partie de l’écosystème. Dans ce contexte, sa survie dépend de la bonne santé de nos écosystèmes.
Est-ce que tu penses que l’on a raté le coche avec le Covid-19 pour réveiller l’humanité ?
J’ai une tendance à toujours trouver des opportunités dans l’adversité. Cette pandémie, évidemment, elle a fait des morts, elle continue d’en faire, par sa gravité elle devient liberticide… Évidemment, le contexte n’est pas très joyeux. En même temps, je trouve que cette fenêtre-là a permis de révéler plein de choses. On a vu plein de nouvelles solidarités surgir, on a vu plein de systèmes B émerger. Ça a ouvert, ça a sensibilisé le regard de beaucoup d’entre nous. Est-ce que c’est suffisant pour entamer la conduite du changement ? Je ne saurais le dire. A priori non, car l’humanité semble pressée de revenir dans ses anciennes habitudes. Alea jacta est, comme on dit.
Pour cet album-là, vous avez signé avec MusikÖ_Eye pour la distribution et vous avez déclaré que ça vous avait apporté sur le plan professionnel et sur le plan personnel. Je m’interroge un peu sur ce plan personnel, peux-tu nous parler de cette relation-là que vous avez avec MusikÖ_Eye ?
J’ai rencontré le manageur du label, Gérôme Théodore sur un concert, qui était d’ailleurs organisé par MusikÖ_Eye, et ça a matché sur le plan humain. Embryonic Cells est avant tout une boutique qui fonctionne sur l’humain, sur l’affinité et sur la connexion. Je trouve que MusikÖ_Eye abrite de très bons groupes. Ils font un travail à leur échelle, avec leurs moyens, qui est assez formidable. Donc nous nous sentons tout à fait privilégiés d’être chez eux et nous sommes doublement contents du fait que les gens soient sympas. La relation est très sereine et amicale. Toute l’équipe de MusikÖ_Eye, ce sont des gens qui placent la passion avant tout. Ils parlent tout le temps de la musique ou de la promotion de leurs groupes sous le prisme de la passion et ça, c’est un truc auquel nous sommes hyper sensibles.
Interview réalisée par téléphone les 15 octobre 2020 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas.
Site officiel d’Embryonic Cells : www.facebook.com/Embryonic-Cells-179425228782758
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