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Interview   

Emmure : le sens caché


Il y a quelques mois, Frankie Palmeri, leader de Emmure, lâchait dans un tweet « Hindsight is 2020 ». On peut prendre ça comme on veut, comme un simple jeu de mots ou comme une réflexion plus profonde sur sa propre prise de recul (« hindsight is 20-20 » est une expression anglo-saxonne pour dire que les choses sont plus claires avec le recul). Ceci dit, Frankie se fiche bien de ce qu’on pense de ses tweets et surtout de ses textes. Il se satisfait même que l’on puisse prendre les choses différemment. N’allez donc pas lui demander ce qu’il a voulu dire, il ne répondra pas, tout comme il ne voudrait pas qu’on lui vole la possibilité de réfléchir et de s’approprier la signification d’une œuvre.

Pour autant, cette volonté de Frankie de garder une part de mystère ne l’empêche pas d’évoquer son état d’esprit de 2020 qui a conduit à l’écriture d’un album qu’il décrit comme plus sombre qu’il ne l’avait anticipé. Et ancrer ce disque dans le présent est plus que jamais important pour quelqu’un qui ne se reconnaît plus dans certains de ses vieux textes et qui a dû recréer toute son équipe suite au départ, il y a cinq ans, de ses anciens collègues.

« Je n’ai pas envie de m’expliquer. Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Selon moi, ça n’apporte rien pour mettre l’art en valeur. S’il y a quelque chose que tu ne comprends pas, je m’en fiche, ce n’est pas un problème, et ce n’est pas grave de ne pas comprendre quelque chose. »

Radio Metal : Ça fait cinq ans que tous les anciens membres ont quitté le groupe en même temps. Avec le recul, comment dirais-tu que ce gros changement t’a impacté, toi, ainsi qu’Emmure ?

Frankie Palmeri (chant) : Bien sûr, ça m’a changé. On a tous traversé des événements et vécu des choses qui nous ont façonnés en tant que personnes. Je pense que ça a clairement joué un rôle, globalement, dans mon parcours de vie. Mais par-dessus tout, je crois que c’était une bonne chose pour la musique et pour le groupe en lui-même. Le fait de travailler de manière étroite avec quelqu’un comme Joshua Travis, comme je le fais maintenant, a été un changement très positif pour le groupe. Beaucoup de créativité et de trucs incroyables découlent de ce changement de line-up. De manière générale, je dirais que c’est plutôt bon !

Tu as déclaré que « chaque album d’Emmure est un peu comme un coup d’œil dans [ton] journal intime ou [ton] état d’esprit du moment ». Du coup, dans quel état d’esprit étais-tu pour Hindsight ?

Ça a énormément changé au fur et à mesure que le processus de création de l’album se faisait. J’avais une idée très différente de ce que l’album devait être. La musique qu’on me présentait et que nous faisions devenait de plus en plus sombre. Je commençais à parler de sujets de plus en plus sombres. Je pense que l’on devine assez facilement ce que j’avais en tête en fonction des morceaux que l’on écoute. Même si c’est un chapitre de ma vie, ce n’est pas pour autant que je ne vais faire que parler d’un fait me concernant. Par moments, je suis assez antagoniste, et par moments, je suis beaucoup dans l’autodérision. Je flotte ainsi entre deux sentiments, celui d’être antagoniste, un peu en mode « moi contre le reste du monde », et celui où mon pire ennemi est moi-même, où je fais le bilan, où j’expose une partie de moi-même avec laquelle je ne me sens pas forcément à l’aise. Évidemment, la musique me permet de véhiculer… Je ne dirais pas que c’est une catharsis, mais c’est une façon pour moi d’aborder des sujets dont je ne parle généralement pas, à savoir les parties les plus sombres de ma psyché, j’imagine.

Je sais que tu n’es pas du genre à expliquer de quoi tes chansons parlent, mais comment se déroule le processus d’écriture pour toi ?

Je n’écris pas des choses dans le but de les expliquer à qui que ce soit. Je m’exprime, et j’exprime tout ce qui me paraît vrai et authentique, c’est tout. Le processus me vient de plusieurs choses, mais je veille toujours à ce qu’il soit une part de moi-même, quelque chose que je puisse regarder en disant : « OK, je comprends l’idée que je suis en train de faire passer. » Que les gens comprennent ou non ne m’importe pas. Je ne compte pas aider les gens à comprendre. Je n’ai pas envie de m’expliquer. Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Selon moi, ça n’apporte rien pour mettre l’art en valeur. S’il y a quelque chose que tu ne comprends pas, je m’en fiche, ce n’est pas un problème, et ce n’est pas grave de ne pas comprendre quelque chose. Le fait de ne pas saisir la signification profonde ne t’empêchera pas de profiter de la musique. Honnêtement, ça dessert les fans et les gens en général de ne pas leur laisser la possibilité d’y trouver leur propre signification et de s’approprier la chanson, à leur manière. Il y a beaucoup de chansons dont je suis fan, que j’adore, je ne sais pas ce qu’elles signifient pour les personnes qui les ont écrites, mais je sais ce qu’elles signifient pour moi. C’est tout ce qui m’importe. Donc j’essaye juste de créer la même expérience pour les gens.

Vas-tu jusqu’à délibérément embrouiller le lecteur avec tes paroles ?

Je trouve que les paroles sont très explicites, c’est aussi pourquoi je pense que je ne les expliquerai jamais. Parce que c’est comme si on privait les gens de trouver par eux-mêmes de quoi ça parle. Faire des recherches sur un truc, essayer de comprendre, c’est ça qui est drôle, à mon avis. Ce n’est pas au point d’être délibéré, j’essaye juste d’écrire des choses qui, au moins, feront réfléchir un petit peu. Si c’est tellement flagrant qu’il n’y a plus aucun mystère et qu’on ne se demande pas un instant ce que ça signifie, je ne pense pas que ça soit très drôle non plus. Je navigue vraiment entre ces deux concepts : un coup, je vais être très explicite, et un coup, je ne vais pas être explicite. Mais je ne me mets pas en quatre pour que ce soit comme ça. Je pense que c’est simplement une progression naturelle.

Est-ce que ça t’est déjà arrivé qu’un artiste que tu aimes explique son travail, et que tu aies l’impression qu’on te prive de quelque chose ?

Oui, et personnellement, je n’aime pas ça. Je trouve ça nul ! Je n’ai pas envie de regarder un film, écouter une chanson ou lire un poème et savoir exactement ce que l’artiste avait en tête. Dans mon esprit, j’aimerais plutôt essayer de comprendre par moi-même. Si je me trompe, ce n’est pas grave. Je me fiche d’avoir raison. Je veux juste rendre cette expérience unique pour moi. J’aime l’art qui est fait ainsi, de manière générale. Mais attention, j’aime aussi des choses très explicites. Ce n’est pas comme si je cherchais à mépriser cette forme d’expression, mais j’aime vraiment les trucs qui ont un petit côté mystique, où tu vas te dire : « Je me demande ce que ça veut dire. » Et au fur et à mesure que tu découvres des choses dans ta vie, tu commences à trouver un sens plus profond que tu n’avais pas remarqué la première fois, que ce soit quelque chose de personnel ou d’extérieur à toi-même.

Est-ce que les fans ont déjà partagé avec toi leur propre vision de tes paroles ?

Ça ne m’intéresse pas d’entendre ce que l’on pense des paroles. Parfois, il y a des gens qui me disent qu’ils se sont vraiment sentis connectés aux paroles, et je ne leur demande pas pourquoi. Et si on me demande quel est le sens de telle chanson, la plupart du temps, je demande : « Quel est le sens, selon toi ? » C’est généralement ce que je réponds, et si jamais ils me répondent, je fais : « Ok, cool. » Encore une fois, je n’ai pas à leur enlever ça. Si ça a un sens pour toi, c’est ce sens que ça doit avoir, et c’est tout ce qui m’importe.

« Même si, de manière générale, il y un tas de choses dans le metal et les musiques agressives qui me paraissent vraiment manquer d’authenticité, parce que les gens changent et que je trouve ça bizarre d’essayer de s’inventer un personnage aussi éloigné de qui l’on est, je dirais que moi non plus, je ne suis plus celui que j’étais auparavant. »

Discutes-tu de tes paroles avec les autres membres du groupe ?

J’en parle si ce n’est pas un sujet trop douloureux à évoquer. Il y a des fois où c’est trop douloureux à expliquer et du coup, je n’en parle pas.

Récemment, tu as dit à propos de choses que tu avais dites et écrites par le passé que ces paroles venaient « d’une personne que [tu] ne reconnaissais plus ». Tout le monde dit et fait des choses qu’il regrette, mais généralement, ça reste dans le passé. Dans ton cas, ces contenus sont encore accessibles à la lecture et à l’écoute de tous. À quel point est-ce difficile pour toi de coexister avec le plus jeune Frankie Palmeri ?

Ce n’est pas un truc que je dois gérer au quotidien, ni une personne à laquelle je pense énormément. Quand j’ai déclaré ça, je disais simplement qu’il y avait beaucoup de choses que j’avais écrites par le passé qui, quand j’y repense, ne me parlent plus ou avec lesquelles je ne me sens plus vraiment en phase. J’ai l’impression qu’elles ne représentent plus qui je suis aujourd’hui. Je ne crois pas que ce soit quelque chose de particulièrement profond à dire. Je me disais juste que c’était important de faire cette déclaration car j’étais alors très critique avec la scène musicale dont je fais partie. Je voulais juste constater que, même si, de manière générale, il y un tas de choses dans le metal et les musiques agressives qui me paraissent vraiment manquer d’authenticité, parce que les gens changent et que je trouve ça bizarre d’essayer de s’inventer un personnage aussi éloigné de qui l’on est, je dirais que moi non plus, je ne suis plus celui que j’étais auparavant. C’est vraiment ça que je voulais dire. Mais concernant ma façon de gérer ça, ce n’est pas un problème. Ce n’est pas quelqu’un avec qui j’ai l’impression de devoir lutter, ou quelque chose de ce genre.

Tu as commencé l’écriture d’un livre dont le but est de célébrer les vingt ans du groupe et de raconter « autant d’anecdotes que possible sur les vingt ans d’histoire du groupe ». Qu’est-ce qui t’a poussé à raconter l’histoire du groupe maintenant ?

Je pense simplement qu’il y a une grosse histoire à raconter et que ça représente beaucoup de temps passé à faire quelque chose, en particulier à voyager, avec tous les concerts, toutes les choses que j’ai faites, les endroits différents où j’ai été, les gens que j’ai rencontrés… C’est sans fin ! Je trouve que ça vaut la peine d’être raconté. Ça servira plus ou moins de documentation sur ce que j’ai fait de ma vie. C’est un peu un truc auto-satisfaisant que je tiens à faire pour moi-même, mais je pense aussi que les fans qui sont vraiment à fond dans ce que nous faisons vont s’éclater en lisant quelques super anecdotes.

Revolver Magazine vous a décrits comme « le groupe de metal qui divise le plus depuis Limp Bizkit ». Je sais que Fred Durst est une de tes influences, mais que penses-tu de cette référence ?

C’est cool. J’aimerais pouvoir dire que nous avons le même succès avec le groupe que Limp Bizkit. Enfin, ça m’est égal, la comparaison ne me dérange pas vraiment. Je sais que c’est juste leur manière de faire un titre intéressant. C’est plutôt flatteur d’être en quelque sorte associé à ce groupe, même si c’est juste une pique. Quand j’étais plus jeune, je ne voyais pas vraiment Fred Durst comme quelqu’un de provocant ou qui devait servir de défouloir à la haine. Je ne comprends pas vraiment comment ça a pu arriver autrement que par le fait que tout ce qui devient très populaire peut facilement devenir l’objet d’une véritable haine. Ce groupe est vraiment devenu énorme au sein même de la pop culture, au point que lorsque tu prononçais son nom en présence de gens qui ne connaissaient même pas Limp Bizkit, ils étaient là : « Oh, ce groupe, c’est nul ! » Ils savaient qui était Fred Durst et ils disaient : « Oh, Fred Durst, il craint ! », alors qu’ils n’avaient probablement jamais vraiment écouté les albums ou eu d’autres points de référence, si ce n’est qu’ils savaient juste que Limp Bizkit existait. Encore une fois, je pense que c’est surtout lié à l’envergure qu’ils ont prise. Quand j’étais plus jeune, je savais juste qu’ils étaient un des plus gros groupes du moment, et j’étais clairement fan. On peut dire ce qu’on veut sur Fred Durst, c’est juste un putain d’être humain, donc je me fous un peu des articles à sensation.

En dévoilant les nouvelles chansons en début d’année, tu as plusieurs fois twitté la devise, qui est aussi un jeu de mots : « Hindsight is 2020 ». Depuis, l’année 2020 a décidément pris un tournant inattendu. Comment est-ce que la crise du Covid-19 t’a affecté ?

C’est toujours mieux de garder un état d’esprit positif. Même si je crois que c’est vraiment une période d’épreuves difficile pour beaucoup de gens, j’essaye de garder un regard positif sur les choses. J’essaye de me dire que je travaille toujours dans un but et que l’avenir nous réserve encore de belles choses. Comment ça m’a affecté, je pense que c’est assez évident. Évidemment, je ne peux pas me produire, je ne peux pas voyager, je ne peux pas être vraiment avec les gens… Cette branche de l’industrie est gelée, mais je suis toujours créatif, j’écris toujours, je réfléchis toujours à de nouvelles choses et j’ai des projets pour ce que j’aimerais accomplir. Je pense que, pour moi, c’est une période propice à la réflexion. Je n’ai pas envie d’être déprimant et de dire que ça fait chier, même si je peux le dire, que ça fait chier, mais je suis sûr que d’autres personnes le vivent beaucoup plus mal que moi. J’essaye de m’estimer heureux.

Interview réalisée par téléphone le 27 juillet 2020 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Traduction : Robin Collas.

Site officiel de Emmure : www.emmurecult.com

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