Les Belges d’Emptiness, après un Nothing But The Whole ayant marqué les esprits dans le milieu du metal extrême et au-delà en 2014, Twiggy Ramirez (qui par conséquent a produit leur album suivant) en tête, ont avec le dernier album en question, Not For Music, consolidé leur position résolument singulière. Death metal atmosphérique, post-punk moderne : le combo manie l’art du paradoxe à la perfection, et après les avoir entre-aperçus quelques mois plus tôt sur la scène du Roadburn Festival, nous avons profité de leur passage à Eindhoven en compagnie de leurs compatriotes de Bathsheba et des Hollandais de Terzij De Horde pour voir cette alchimie sophistiquée prendre vie devant nous.
Ainsi, une soirée pluvieuse de septembre, nous sommes allés nous mêler à une foule suspicieusement nombreuse et dépourvue de vestes en cuir devant l’Effenaar, l’une des salles majeures de la ville, et pour cause : alors que les Belges se produisaient dans la petite salle, la grande était pleine à craquer de nostalgiques venus applaudir un groupe néerlandais de reprises de Queen (!), loin de s’imaginer les ténèbres complexes que d’autres musiciens allaient bientôt déployer à deux pas.
Artistes : Emptiness – Terzij De Horde – Bathsheba
Date : 15 septembre 2017
Salle : Effenaar
Ville : Eindhoven [Pays-Bas]
La tâche d’ouvrir le bal ce soir-là incombe aux Flamands de Bathsheba. Si nous n’avons pas pu voir grand-chose de cette mise en jambe ayant dû nous éclipser pour interviewer Emptiness, c’est néanmoins sous le signe d’un doom mélancolique que commence la soirée. Menés par une Michelle Nocon habitée au chant et proposant de longs titres qui peuvent faire penser à leurs illustres prédécesseurs de Windhand ou de Jex Toth, ils viennent défendre leur premier album Servus, sorti en début d’année, et produit par nul autre que Jeremie Bezier, le leader d’Emptiness.
Si la salle semble peiner à se remplir, les Néerlandais de Terzij De Horde ne se découragent pas. Administrant au public épars un black moderne et agressif, se présentant sans corpse paint, cartouchière ni quelconque cérémonie, le quintet à l’énergie très hardcore se montre vindicatif et volontaire en dépit des aléas du live : le bassiste casse une corde dès la première chanson, mais se remet d’aplomb avec une verve renouvelée, et le chanteur, face à un public un peu distant qui reste à quelques mètres de la scène, décide de meubler le terrain en descendant chanter – ou plutôt hurler – à sa hauteur. La foule se montre dans un premier temps réticente, mais finira par applaudir chaleureusement le groupe qui à défaut de faire preuve d’une grande originalité, les successions de passages agressifs et de plages d’accalmies s’enchaînant comme dans les productions de bien des autres groupes de post-black metal, prouve qu’il a de l’énergie à revendre et une sacrée envie d’en découdre.
Si la jauge restera toute la soirée relativement peu élevée, c’est bel et bien pour Emptiness que la plupart des spectateurs arrivent, curieux de voir l’atmosphère sombre et unique de Not For Music retranscrite en live. Pour se rapprocher le plus possible du ton de l’album, les quatre musiciens, sobrement vêtus de noir, sont accompagnés du prolifique VJS en renforts au clavier et de vidéos atmosphériques voire volontiers apocalyptiques en backdrop. Et dès les premiers accords de basse et les premiers susurrements caractéristiques du leader Jeremie Bezier (ancien membre d’Enthroned notamment, où joue toujours le guitariste du groupe Olve Lomer-Wilbers) qui ouvrent « Meat Heart », c’est bien cette ambiance tantôt lancinante, tantôt perturbante que l’on retrouve. Le groupe privilégie une approche très sobre, n’interagissant que très ponctuellement avec le public, comme pour ne pas rompre le charme.
Semblant aussi à l’aise dans les parties dissonantes (« Circle Girl ») que dans les passages les plus accrocheurs (« Ever »), les Belges parviennent à maintenir la tension tout au long de leur set qui donnera la part belle à Not For Music joué dans son intégralité, auquel ont été ajouté deux titres de leurs précédents efforts. Les deux guitaristes, Olve Lomer-Wilbers donc et Peter Verwimp, dissimulés sous leur capuche, font preuve d’autant d’aisance dans les parties les plus rock que dans les riffs très black qui ponctuent les titres, et n’hésitent pas à se mettre en retrait au profit des nappes de clavier qui, comme le jeu à la froideur très 80s’ de Jonas Sanders (Pro-Pain) à la batterie, donnent au death peu orthodoxe d’Emptiness la couleur post-punk caractéristique de Not For Music. Hommage léché à la version studio de cet album, le groupe, qui aspire à la retranscription live la plus fidèle de ses compositions, atteint son objectif de main de maître, et laisse le public, statique et comme glacé durant toute sa performance, complètement hypnotisé.
Report : Chloé Perrin
Photos : Paul Verhagen